Dinghai - Chapitre   47 - Invitation

 

Ce que je veux, c’est que ce banquet ne prenne jamais fin.

 

Une heure plus tard, Xiang Shu et Chen Xing semblaient deux personnes repêchées d’un naufrage. Le capitaine gesticulait tout en parlant abondamment, et Chen Xing se contenta de hocher la tête sans discontinuer. Xiang Shu, assis par terre près de la chambre du capitaine, s’adossa au mur de bois, les yeux clos, écoutant distraitement.

Il s’agissait d’un navire marchand qui descendait de Goguryeo vers le fleuve Yangtze. En route, il s’arrêterait d’abord à Shangyu, poursuivrait vers le nord en passant par Jiankang et Jiaozhou, avant de faire demi-tour pour retourner à Pyongyang. À l’aller, il transportait du ginseng, des articles en cuir et d’autres marchandises similaires. Au retour, il rapporterait du thé, de la soie et de la porcelaine du sud.

Le capitaine, un Han d’origine, confia qu’en dépit de ses nombreuses années en mer, c’était la première fois qu’il voyait un monstre comme Sima Wei. Après avoir posé d’innombrables questions, Chen Xing inventa une histoire confuse à propos de légendes folkloriques, révélant seulement qu’il était exorciste et que Xiang Shu, son Protecteur, l’accompagnait pour capturer des yaos. Il expliqua qu’après avoir rencontré un yao sur la montagne Paektu, ils avaient été pourchassés jusqu’à se retrouver ici. Et, par chance, lors d’une situation critique, ils avaient invoqué un éclair céleste pour se tirer d’affaire...

« Économise ton énergie ! » lança Xiang Shu, exaspéré, après l’avoir écouté longtemps. « Tu n’es pas fatigué ?! »

Tout en racontant son histoire, Chen Xing sortit l’argent reçu après avoir mis en gage le casque de Sima Wei et le tendit au capitaine. « Voilà ce qui s’est passé. Cet argent pour le bateau est une humble expression de notre gratitude. Permettez-nous de voyager à bord de votre navire… »

« Vous combattez le mal au nom du peuple, je ne peux pas l’accepter ! » refusa le capitaine, visiblement ému. « Si cela ne vous dérange pas, restez quelques jours à bord de mon navire. »

En mer, les marins redoutaient surtout les tempêtes et les yaos des légendes. La présence d’un exorciste capable d’invoquer la foudre divine était pour eux un gage de sécurité. Le capitaine, ravi, organisa immédiatement une chambre propre pour ses deux invités.

Le navire transportait de nombreuses marchandises ainsi que plusieurs érudits de Pyongyang, qui descendaient au sud pour leurs études. Le capitaine attribua à Xiang Shu et Chen Xing la meilleure cabine disponible : une chambre avec des fenêtres et un lit unique.

Chen Xing, malgré tout, s’en trouva satisfait.

Le capitaine poursuivit en expliquant que ce voyage était leur première expédition vers le sud cette année, une entreprise significative pour lui. Même si le temps s’annonçait orageux, ils n’avaient pas d’autre choix que de prendre la mer. Il assura que la tempête, bien que violente aujourd’hui, deviendrait supportable une fois qu’ils auraient atteint la pleine mer, hors de la zone de pluie. Il fit également préparer un poêle pour réchauffer ses deux passagers.

Trempé jusqu’aux os après des heures sous la pluie, Chen Xing grelottait. En entrant dans la cabine, il éternua bruyamment.

« Comment as-tu su que j’avais été capturé ? » demanda Chen Xing à Xiang Shu une fois installés.

« Je ne savais pas que tu avais été capturé, » répondit Xiang Shu nonchalamment.

« Alors pourquoi as-tu… »

« Je pensais que tu t’étais encore enfui tout seul, alors je t’ai poursuivi pour te corriger ! » rétorqua Xiang Shu avec une froide franchise.

Chen Xing resta sans voix.

Xiang Shu verrouilla la porte, puis se mit à retirer ses vêtements tout en faisant signe à Chen Xing de faire de même.

« Déshabille-toi, » ordonna-t-il d’un ton pragmatique. « Qu’est-ce que tu attends ? »

Chen Xing se sentit soudain mal à l’aise. Il ôta ses vêtements, les jeta sur Xiang Shu, puis bondit sur le lit, nu, se recouvrant immédiatement d’une couverture.

Xiang Shu, imperturbable, se dévêtit entièrement à son tour, ne conservant qu’une serviette nouée autour de la taille. Il roula ses vêtements, les déposa dans un panier et ouvrit la porte pour les poser à l’entrée. Il plaça une somme d’argent avec et demanda à l’équipage de laver, amidonner et sécher leurs vêtements pour le lendemain.

Ainsi, dépourvus de vêtements, ils se retrouvèrent face à face dans la chambre pour toute la journée.

« Xiang Shu ? » appela Chen Xing à nouveau.

Xiang Shu, occupé à se baigner dans le compartiment voisin, lui fit signe de le rejoindre. Chen Xing, ravi, applaudit en découvrant l’eau chaude : « De l’eau chaude ?! Parfait ! »

Lorsque Chen Xing en sortit, il se rendit compte que des plats chauds avaient été apportés : du poisson et des crevettes mijotaient dans un bol avec un peu de sauce soja et de viande, et une carafe de vin chaud accompagnait le tout. Apparemment, le capitaine avait demandé à l’équipage de leur apporter ces mets depuis la salle à manger. Xiang Shu, assis avec un tissu couvrant son entrejambe, se versa un verre sans cérémonie.

Après avoir mangé et bu à satiété, Chen Xing se sentit enfin un peu mieux. Il se recroquevilla dans le lit, mais son cœur se mit à battre plus vite. Ce n’était pas la première fois qu’il se retrouvait face à Xiang Shu de manière si intime, ni qu’il partageait un lit avec lui, mais pour une raison inconnue, il se sentait étrangement gêné cette fois-ci.

Xiang Shu lui jeta un coup d’œil, et lui aussi semblait hésitant.

« Tu dors ? » demanda Chen Xing avant de se retourner dans le lit. « Repose-toi un moment. »

Même si tout se passait bien, il leur faudrait au moins quinze jours pour atteindre Shangyu en descendant le fleuve Yangtsé. Pendant tout ce temps, lui et Xiang Shu devraient vivre ensemble dans une seule pièce. Pourtant, ils avaient déjà vécu dans des conditions similaires à Chi Le Chuan, mangeant et dormant au même endroit sans le moindre problème. Était-ce simplement parce qu’ils devaient partager le même lit cette fois-ci ?

L’atmosphère dans la chambre devint soudain un peu étrange.

Xiang Shu ôta la serviette qui lui servait de vêtement, s’allongea dans le lit et se glissa sous la même couverture que Chen Xing.

Quand la peau brûlante de Xiang Shu effleura accidentellement la sienne, Chen Xing sentit son cœur s’emballer. Pris de panique, il recula instinctivement, augmentant la distance entre eux. Xiang Shu, remarquant sa gêne, fit de son mieux pour éviter tout contact en s’installant lentement.

Dehors, la tempête faisait légèrement tanguer le navire. Le lit était étroit et exigu. Xiang Shu posa un pied sur le marchepied pour éviter d’écraser Chen Xing contre le mur, tandis que ce dernier tentait de s’y appuyer autant que possible.

« Je… » commença Chen Xing, cherchant à briser le silence. Il changea discrètement de position, inquiet que Xiang Shu remarque la réaction involontaire de son corps. À cet instant, la chaleur sous la couverture et le souvenir fugace de leur contact firent s’emballer son imagination.

La voix de Xiang Shu, bien que ferme, semblait légèrement embarrassée. « Quoi ? »

« Tu dois être fatigué, » répondit Chen Xing, tournant la tête pour le regarder.

« Ça va, » dit Xiang Shu d’un ton distant, les yeux rivés sur le plafond.

Le navire oscillait doucement au gré de la tempête. Le vent froid s’infiltrait par les fenêtres mal fermées, glaçant l’air de la cabine. En ce début de printemps, alors que la glace venait à peine de fondre, le froid restait mordant. Chen Xing, frissonnant, se replia sous la couverture pour se réchauffer.

« Quand comptes-tu rentrer ? » demanda Chen Xing après un moment. Depuis leurs retrouvailles, tout s’était enchaîné si naturellement qu’il avait oublié de poser la question à Xiang Shu au sujet de Karakorum et de Chi Le Chuan.

Xiang Shu ne répondit pas immédiatement. Chen Xing pensa alors : C’est de ma faute. Je t’ai fait traverser des milliers de kilomètres pour me sauver. Maintenant que nous descendons vers le sud, qui sait quand tu pourras rentrer chez toi ?

« As-tu… prévenu les membres de ta tribu avant de venir ? » finit-il par demander.

« Quoi ? » répondit Xiang Shu, sans réelle émotion.

« À propos de ton départ pour venir me sauver. »

« Non, » répondit-il d’un ton désinvolte.

« Et Xiao Shan ? » demanda Chen Xing.

« Je l’ai renvoyé, » dit Xiang Shu. « Mais je ne sais pas si les Xiongnu sauront bien s’occuper de lui. »

« Alors, tu viens avec moi vers le sud ? » insista Chen Xing.

Xiang Shu se tourna légèrement, changeant de position. « Cela dépend. »

Un silence s’installa entre eux avant que Chen Xing ne reprenne : « Tout à l’heure, ce que j’ai dit au capitaine… ce n’était qu’une histoire. Ne t’en fais pas trop. »

Xiang Shu, intrigué, le regarda. « ? »

Il comprit bientôt ce que voulait dire Chen Xing : en le présentant comme un « Protecteur » sans son accord, Chen Xing avait craint de provoquer sa colère.

« Merci, » dit finalement Chen Xing avec un sourire. « Bien que je ne sache pas ce que tu penses de moi, je croyais que tu ne viendrais plus jamais me chercher. »

« Pourquoi ? » demanda Xiang Shu à la place. « Est-ce vraiment ainsi que tu me vois ? »

Chen Xing se précipita pour expliquer : « Tu es le Grand Chanyu, ah, tu as tes responsabilités, donc on ne peut pas te blâmer pour ton retour... Xiang Shu, ce que je veux dire, c’est, si ça ne te dérange pas… »

Xiang Shu fronça légèrement les sourcils et fixa Chen Xing. Ce dernier rassembla son courage et finit par dire ce qu’il avait en tête. Même si Xiang Shu l’avait rejeté une fois, cette fois-ci, il se disait qu’ils se comprenaient mieux qu’avant. Pour Xiang Shu, ils partageaient désormais un même objectif, alors…

« … Je promets que cela ne prendra pas trop de temps, » dit Chen Xing avec une pointe d’appréhension. « Peux-tu m’accompagner ainsi pendant quelque temps ? Je ne parlerai pas de Protecteur ou quoi que ce soit d’autre, mais je sais qu’en ne comptant que sur moi-même, je n’y arriverai probablement pas… »

Xiang Shu tourna brusquement la tête, évitant le regard de Chen Xing. Il déclara lentement : « Depuis mon enfance, je savais qu’un jour, je deviendrais le Grand Chanyu des Seize Hu. »

Chen Xing resta figé.

Il observa Xiang Shu en silence. Le pont de son nez, ses lèvres, les contours impeccables de son profil... tout en lui dégageait une beauté masculine naturelle, exempte d’artifices.

Les sourcils de Xiang Shu se froncèrent légèrement avant qu’il ne poursuive : « Après la mort de mon père, je portai naturellement le fardeau de devenir le Grand Chanyu. Les affaires de ma tribu sont devenues mes affaires, et les calamités qu’ils affrontent sont également mes calamités. »

Chen Xing répondit : « Oui, c’est pourquoi je pensais que tu devras forcément revenir un jour. Même si tu acceptes de rester à mes côtés, je ne peux pas te monopoliser… »

« Puis un jour, » reprit Xiang Shu, « tu es venu me chercher. Tu m’as dit que tu avais besoin d’un Protecteur, et que j’étais ce ‘Protecteur’. Alors, ma responsabilité s’est élargie : de Chi Le Chuan, elle s’est étendue au monde entier. »

Chen Xing, impuissant, murmura : « Je ne voulais pas ça non plus, mais… »

Xiang Shu l’interrompit : « Mais tout au long de ce processus, personne ne m’a jamais demandé ce que je voulais. »

Chen Xing demeura silencieux.

« Jamais, » reprit Xiang Shu avec gravité. « Personne ne m’a demandé : ‘Shulü Kong, veux-tu devenir le Grand Chanyu ?’ Et toi, tu ne m’as jamais demandé si j’étais prêt à être ton Protecteur. »

Après ces mots, Xiang Shu fronça de nouveau les sourcils, mais cette fois, il tourna la tête vers Chen Xing, scrutant son visage comme s’il cherchait une réponse dans son expression.

Les traits crispés de Xiang Shu se détendirent légèrement, et il arqua un sourcil en direction de Chen Xing.

Chen Xing finit par répondre : « Je comprends maintenant, Xiang Shu. » En souriant soudain, il ajouta : « Alors, c’était ça. Tu pensais que je ne te respectais pas. C’est ma faute. À ce moment-là, je n’y avais vraiment pas réfléchi. »

Xiang Shu répondit : « Je suis différent de toi. Toi, tu veux être un exorciste… »

« Pas du tout, » coupa Chen Xing. « Si je pouvais choisir, je pense… que je ne voudrais pas l’être non plus. J’admets qu’au début, je n’ai jamais pensé à respecter tes volontés, mais j’aimerais m’expliquer : je suis comme toi. Il y a beaucoup de choses que je dois faire, même si je n’ai pas d’autre choix. »

« Alors pourquoi veux-tu être un exorciste ? » demanda Xiang Shu, légèrement perplexe. « Tu ne peux pas être simplement toi-même ? »

« Oui, moi aussi, je veux être moi-même, et je me demande souvent : ‘Pourquoi moi ?’ »

Chen Xing marqua une pause, puis poursuivit : « Mais mon père disait souvent : ‘Comment peut-il y avoir tant de gens dans ce monde qui font ce qu’ils veulent ?’ Dans cette vie, ceux qui vivent selon leurs souhaits sont les bienheureux. Mais il y a bien plus de gens qui vivent en se conformant au Mandat du Ciel, portant les fardeaux qui leur sont imposés. Certes, c’est injuste, mais d’un autre point de vue, est-ce que cela ne peut pas être l’attente que le Ciel a pour chacun de nous ?»

« Des attentes ? » rétorqua Xiang Shu avec mépris. « Ce n’est rien d’autre qu’une forme de résignation. »

Chen Xing comprit alors pourquoi Xiang Shu avait initialement refusé de devenir Protecteur. Avec un soupir de soulagement, il conclut : « Pour résumer, nous nous soumettons simplement à la soi-disant ‘volonté du Ciel’. »

Le navire se balançait au gré des vagues. La pluie avait cessé, et seuls le fracas des vagues et le vent accompagnaient le silence. Chen Xing et Xiang Shu, allongés côte à côte, restèrent silencieux pendant un long moment.

« Alors, que veux-tu faire ? » demanda Chen Xing. Il eut l’impression de mieux comprendre Xiang Shu, comme s’il redécouvrait une facette nouvelle de lui. À cet instant, une paix profonde s’installa entre eux, une paix qui semblait venir du fond de leur cœur. En laissant de côté tout ce qui appartenait au monde extérieur, ils se regardèrent en égaux, cherchant à comprendre la part la plus sincère de l’autre.

« Parfois, » dit Xiang Shu, « je voudrais que ma mère revienne à la vie, et que mon père revienne à la vie, et que nous puissions vivre ensemble au-delà de la Grande Muraille, comme avant. »

Chen Xing ne put s’empêcher de jeter un regard à Xiang Shu, mais ce dernier avait les yeux fermés.

« Mais les choses ne se passent pas comme on le souhaite. Ils sont tous morts », marmonna Xiang Shu. « Mon Anda est mort aussi, tout le monde est parti… comme lors d’un banquet organisé pour le Festival de la Clôture d’automne. Une fois que tout le monde a fini de boire, chacun dit au revoir et part là où il doit aller. Ce que je veux est facile à dire, mais terriblement difficile à réaliser… »

Il marqua une pause avant de poursuivre : « … Ce que je veux, c’est que ce banquet ne prenne jamais fin. »

Xiang Shu resta un moment perdu dans ses pensées. Il se remémora le jour où il fit ses adieux aux membres de sa tribu à Karakorum, mais il n’en dit rien à Chen Xing.

Cette conversation semblait futile, mais pour Chen Xing, elle marquait le début d’une nouvelle étape de sa vie, une étape qui, il le sentait, ne durerait pas longtemps. Tout comme un navire quittant une tempête, il avait finalement atteint une mer calme et tranquille.

« ...À ceux qui m’ont connu,
J’ai dit que j’étais triste au fond.
À ceux qui ne me connaissaient pas,
J’ai dit que je cherchais quelque chose.

Ô Ciel lointain et azur,
Par quel homme cela a-t-il été provoqué ? »

Chen Xing fredonna doucement ces mots tandis que le navire se balançait.

« Et toi ? » demanda Xiang Shu.

Chen Xing hésita un instant avant de répondre : « Peut-être… je voudrais visiter la Terre divine. Aller dans les endroits sur lesquels j’ai lu dans les livres, mais que je n’ai jamais eu la chance de voir. » Après avoir parlé, l’avenir que Chen Xing imaginait semblait devenir plus net. « Une fois que j’aurai vu toutes les montagnes, rivières et mers, j’irai au fleuve Yangtze et je trouverai un endroit pittoresque où m’installer. Je planterai des glycines dans ma cour et, quand elles fleuriront… »

Chen Xing sourit tristement. « Je pourrai lire sous l’ombre des fleurs. Tu aimerais ça, non ? Si l’occasion se présente, tu seras toujours le bienvenu pour venir me rendre visite. Et si tu veux rester, tu pourras rester, tant qu’il y a une chance. »

Chen Xing leva la main. La faible lumière de la lampe du cœur émanait doucement de sa paume. Il posa sa main sur la poitrine nue de Xiang Shu, sous la couverture. À cet instant, la lumière de la lampe du cœur pulsa en rythme avec les battements fermes et puissants du cœur de Xiang Shu, projetant une lueur éclatante à travers la couverture.

Chen Xing déclara : « Xiang Shu, je voudrais te demander une chose, sérieusement, cette fois. »

Xiang Shu continua à fixer Chen Xing, silencieux.

« Avant que le futur n’arrive, » dit Chen Xing, « pourrais-tu rester avec moi pendant un moment ? Peu importe ce qui arrivera, j’ai besoin de toi. Je sais désormais que tu refuses que ta route soit dictée par une quelconque responsabilité. Je veux simplement te demander, si tu avais le choix une fois encore, pourrais-tu… »

« J’y réfléchirai, » répondit Xiang Shu.

Chen Xing sourit. Il comprit que cette réponse signifiait que Xiang Shu acceptait.

L’orage s’était apaisé. Le navire glissait sur la mer. Une lune brillante illuminait le monde, et les vents soufflaient avec force, poussant le navire à pleine voile sur les flots argentés.

Dans cette sérénité, Chen Xing murmura : « Parfois, j’ai l’impression que cette soi-disant 'responsabilité' signifie simplement qu’il y a quelqu’un, quelque part, qui a besoin de nous. Que ce soit la Terre divine, la nature, les gens ordinaires ou tous les êtres vivants… Ce besoin ne demandera jamais de retour, mais nous ferons toujours tout notre possible pour répondre à ces attentes. C’est ainsi que chacun agit, lorsqu’une autre personne a besoin de lui. N’est-ce pas un sentiment plutôt agréable ? »

Xiang Shu ne répondit pas. Chen Xing se recroquevilla sous la couverture. Après un long moment, il pensa que Xiang Shu avait dû s’endormir.

« As-tu froid ? » demanda Xiang Shu.

« Non. »

La couverture du côté de Chen Xing était légèrement humide, ce qui le mettait un peu mal à l’aise, et il continua à trembler.

« Approche-toi », reprit Xiang Shu.

Chen Xing se pencha alors vers Xiang Shu et ressentit immédiatement une douce chaleur. Une vague frappa le navire, le faisant légèrement tanguer. Xiang Shu retira ses pieds et, sans prévenir, étreignit Chen Xing qui, poussé par le mouvement du bateau, s’était retrouvé dans ses bras.

Tout le corps de Chen Xing était pressé contre celui de Xiang Shu, et sa respiration s’accéléra aussitôt. Mal à l’aise, il recula légèrement le bas de son corps pour éviter toute gêne.

Les vagues continuaient à se briser contre le navire, poussant Chen Xing à plusieurs reprises contre Xiang Shu. Cherchant à stabiliser son corps, il leva la main, mais ne trouva nulle part où la poser. Après un moment d’hésitation, il la posa simplement sur l’épaule de Xiang Shu, glissant son bras autour de son cou. Les deux hommes se retrouvèrent ainsi étroitement collés l’un à l’autre.

« J’ai compris », murmura finalement Xiang Shu.

Chen Xing n’entendit pas ces mots. Très vite, il sombra dans le sommeil, bercé par la chaleur du corps de Xiang Shu. Il ne put s’empêcher de se rapprocher davantage de lui, mais il sentait que Xiang Shu, lui, bougeait encore, comme agité, tourmenté par cette proximité. Xiang Shu se réveillait par intermittence, et au bout d’un moment, il abandonna toute retenue, lâcha prise et finit par enlacer Chen Xing pleinement.

Le lendemain matin, lorsque Chen Xing se réveilla, il trouva ses vêtements soigneusement pliés à côté de l’oreiller, et il était couvert d’une nouvelle couverture.

« ??? »

Chen Xing était sûr d’une chose : la couverture avait été changée. De plus, le lit où il se trouvait n’était pas le même que celui de la veille.

« Xiang Shu ? » appela-t-il. « Xiang Shu ? Où est-il ? »

Après avoir pris son petit-déjeuner, Chen Xing trouva Xiang Shu sur le pont. Celui-ci s’était changé et discutait en prenant le thé avec le capitaine. La brise marine soufflait doucement, et le soleil illuminait les flots.

« Pourquoi la couverture… » commença Chen Xing.

« Je ne sais pas ! » répondit Xiang Shu avec impatience.

Chen Xing poussa un « Wow ! » tout en se tenant devant le mât, les yeux fixés sur l’immensité de la mer. Xiang Shu fit un signe de tête au capitaine, puis retourna à la cabine avec Chen Xing. Là, il jeta un paquet à Chen Xing.

À l’intérieur se trouvaient les deux trésors magiques que Xiang Shu avait rapportés de Karakorum : le miroir Yin Yang et le tambour Zheng, ainsi que les fournitures médicales offertes par le roi Akele, notamment les quatre sceaux souverains. En voyant ces objets, Chen Xing ressentit une pointe de regret à l’égard de leur ancien propriétaire et ne put s’empêcher de se sentir légèrement attristé. Après les avoir examinés, il les rangea soigneusement, puis jeta un œil au reste du paquet que Xiang Shu avait emballé à la hâte.

Il y trouva une flûte Qiang ainsi qu’une longue et étroite boîte non verrouillée. En l’ouvrant, il découvrit deux rouleaux en peau de mouton, attachés avec une corde de laine. Le papier semblait ancien, imprégné d’une teinte violet clair.

Était-ce le fameux rouleau pourpre du Grand Chanyu, celui que Fu Jian convoitait tant ? Chen Xing songea à la légende de ce rouleau, mais en l’examinant, il trouva qu’il n’y ressemblait pas. La peau de mouton ne portait aucune trace de sang. Toutefois, il réprima sa curiosité et évita de fouiller davantage dans les affaires de Xiang Shu. Après avoir refermé la boîte, il la remit à sa place juste au moment où Xiang Shu revenait.

« Que faisons-nous une fois arrivés à Shangyu ? » demanda Xiang Shu.

Chen Xing répondit : « Nous irons à Jiankang pour trouver l’ami de mon Shifu. Tu te souviens des deux autres images dans le livre de Zhang Liu ? »

Xiang Shu acquiesça. À Chi Le Chuan, il avait grossièrement restauré les trois documents.

Dans le Sud, il y avait de nombreuses personnes compétentes. Depuis la grande migration vers le Sud, beaucoup de textes anciens avaient été conservés. Bien que de nombreuses familles d’exorcistes aient abandonné leur vocation après le Silence de toute magie, devenant érudits ou agriculteurs, elles conservaient encore des connaissances sur le passé. Chen Xing devait d’abord avertir Xie An, puis rassembler d’anciens exorcistes pour discuter des contre-mesures à adopter et chercher où se trouvait la perle de Dinghai.

« Qu’est-ce que tu écris ? » demanda Xiang Shu, qui avait vu Chen Xing écrire des lettres dans la cabine ces derniers jours.

Chen Xing déclara : « Ce sont des cartes de visite. Je vais demander à des messagers de les faire parvenir aux stations postales qui les enverront à Jiankang. Mon père avait beaucoup d’élèves autrefois, et ils étaient tous mes aînés. Après la migration vers le Sud, ils se sont progressivement soumis au Grand Jin. Peut-être pourrons-nous chercher refuge chez eux, ne serait-ce que temporairement. Nous aurons ainsi un logement en ville. »

Xiang Shu remarqua avec désinvolture : « Oh, c’est vrai, j’oubliais que ton père était un grand érudit. De retour dans le Sud, tu es naturellement l’héritier d’une famille prestigieuse. »

Chen Xing entendit le sarcasme dans son ton et rétorqua : « Tu me flattes. Comparé au Grand Chanyu, comment cela pourrait-il valoir quoi que ce soit ? Que pouvons-nous faire d’autre ? Nous avons dépensé tout l’argent que nous avions, allons-nous maintenant avoir froid et faim une fois débarqués du navire ? »

Xiang Shu déclara : « Il doit bien y avoir quelques autres Yuwen Xin qui nous attendent à Jiankang. »

« Toi… » Chen Xing eut envie de jeter son pinceau.

Il avait pensé d’abord à tenter sa chance, mais après les paroles de Xiang Shu, il perdit toute envie de continuer à écrire. Pourtant, il se força à planifier son itinéraire, scella les cartes et utilisa le peu d’argent qu’il lui restait pour faire livrer ses lettres à terre, les adressant au ministère du Personnel à Jiankang. En temps normal, si elles étaient bien reçues, quelqu’un viendrait l’accueillir. Mais tout au long du voyage, personne ne se présenta. Il se dit alors que le cœur des gens changeait facilement et qu’il ne pouvait que se soumettre au destin. Il aviserait pour trouver de l’argent une fois arrivé à Jiankang.

Le navire poursuivit sa route vers le sud. Peu à peu, le temps se radoucit. Le printemps offrait un ciel clair et lumineux. Lorsqu’ils atteignirent la région du fleuve Yangtze, l’atmosphère paisible rendit tout le monde plus paresseux. Chen Xing passait ses journées à dormir dans la cabine, se retournant sans cesse dans son lit. Parfois, Xiang Shu jouait aux échecs avec le capitaine sur le pont. D’autres fois, il descendait à terre pour acheter des livres et les lisait durant la traversée afin de tuer le temps.

Près de dix jours plus tard, le navire entra sans encombre dans le fleuve Yangtze et longea le canal en direction de Jiankang. Une demi-journée après, au matin, ils atteignirent leur destination plus tôt que prévu. Chen Xing dormait encore lorsque des sons de musique, suivis des cris des bateliers, résonnèrent depuis l’extérieur.

« J’arrive, j’arrive… » lança l’un d’eux.

Chen Xing se retourna. N’étaient-ils pas censés arriver seulement la nuit ? Comment avaient-ils pu atteindre Jiankang si tôt ?

Xiang Shu poussa la porte et entra dans la pièce, déjà prêt à débarquer. Il observa Chen Xing d’un air impatient. Ce dernier s’assit, les cheveux en bataille, puis se gratta la tête en le regardant.

« Quelqu’un est venu te chercher au quai, » annonça Xiang Shu.

Chen Xing se redressa aussitôt avant de reculer prudemment. « Qui ? Qui est venu me chercher ? »

Le navire accosta. Ce qui les accueillit, ce furent des pêchers en fleurs et des saules gracieux ; la ville entière resplendissait de couleurs luxuriantes. Des milliers de toits vermillon brillaient sous le soleil.

Zhongshan, majestueux comme un dragon enroulé, puissant comme un tigre accroupi, dominait l’horizon.

Une bruine légère voilait la rivière Huai, longue de dix milles. Au loin, les palais Taichu et Zhaoming se reflétaient dans les eaux limpides du lac Xuanwu, pareils à des palais célestes flottant dans une brume éthérée.

Jiankang, première capitale du monde. Après avoir traversé d’innombrables épreuves, des millions d’âmes y avaient trouvé refuge. C’était ici que la culture Han s’épanouissait avec le plus d’éclat, le cœur même de la civilisation de la Terre divine.

Sur le quai, près de cinquante érudits se tenaient en ligne sous des parapluies. En leur centre, un homme vêtu d’une robe à larges manches s’avança au rythme d’une mélodie, semblant flotter sur le vent.

« À mon départ, pleurait le saule… » chanta une voix sur la berge, « À mon retour, balayez la pluie et la neige… »

Les tempes de l’homme étaient marquées d’un blanc immaculé, trahissant une quarantaine d’années. Il portait une mousseline noire par-dessus une robe blanche d’érudit. Son visage, fin et éclatant comme du jade, arborait un sourire doux, procurant à ceux qui l’approchaient une sensation de sérénité, comme une brise printanière caressant la peau. Avec élégance, il portait une plaque de jade attachée à sa taille, un collier orné de dents de renard autour du cou, des sabots de bois et une flûte de jade à la main. Sa ceinture flottait au vent tandis qu’il avançait d’un pas assuré.

« Un ami est venu de loin… » déclara Xie An d’une voix claire et résonnante. « Veux-tu manger ? Petit Shidi, par ici, je te prie. »

 

Fin du volume 2

 

Traducteur: Darkia1030