ISMM - Chapitre 34 – Amoureux !!
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Aussi perdu que je sois, je devais tout de même bien jouer cette scène. Mon jeu d’acteur était médiocre, mais au moins, je pouvais compenser par mes efforts.
La scène à tourner montrait mon personnage, un lettré tourmenté par l’amour, incapable d’exprimer ses sentiments, tiraillé et indécis. Après avoir fait ses adieux à la seconde protagoniste féminine qu’il aimait en secret, il se retrouvait seul devant des fleurs, buvant à sa solitude avant de s’effondrer, ivre, dans le pavillon.
Je demandai au maquilleur de faire une retouche, puis, vacillant, je sirotai l’eau claire dans ma coupe. Tout en jouant, je repensais aux conseils de Gu Yiliang. Peu à peu, mes pensées dérivèrent complètement vers lui.
J’étais encore perdu dans mon jeu lorsque la voix du réalisateur retentit :« Coupez ! C’est bon, on la garde. »
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Hein ?
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Je restai figé, écoutant le réalisateur m’encenser : il trouvait que j’avais un bon instinct, que je progressais rapidement, que mes émotions étaient justes, que j’avais dépassé mes performances habituelles…
Une avalanche de compliments, il ne manquait plus qu’il dise que j’avais une chance de décrocher un prix d’interprétation.
Jamais je n’avais reçu un tel traitement !
Je jetai un regard autour de moi, baissai la tête et chuchotai à l’oreille du réalisateur : « Directeur Lu… Mr Huang a encore investi dans la production, c’est ça ? »
Le réalisateur, qui était en bons termes avec Lao Huang, me lança un regard las. « Appelle-le correctement. Arrête de dire "Huang" tout le temps, ça fait mauvais genre. »
Je fis claquer ma langue. « Mouais… Mais demander si mon père a injecté de l’argent dans le projet, ce n’est pas vraiment mieux, non ? »
Il réfléchit un instant et dut se dire que j’avais raison, car il laissa passer sans insister. Il me donna une tape sur l’épaule et sourit : «Je suis sincère en te complimentant. Tu as vraiment bien joué cette scène. Ne m’en veux pas d’être curieux, mais… tu es amoureux, non ? C’est quelle jeune fille ? »
Le réalisateur venait du Sud, et en entendant sa prononciation indistincte des sons "niang" (NT : guniang : jeune fille) et "liang" (NT : Gu Liang), je tressaillis immédiatement. « N-Non, ce n’est pas Gu Yi— ! »
Le réalisateur : « … ? »
Moi : « … »
Je lui saisis la main avec sincérité et entonnai : « Ce n’était pas voulu… de ne plus être moi… Pour toi, j’ai tout donné, me suis surpassé… »
Le réalisateur : « … Pas mal. Avoir cet état d’esprit, c’est bien. Continue comme ça. Allez, va te préparer pour le dîner de groupe. »
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Toujours dans un état second, je retournai au vestiaire après m’être changé.
En me voyant dans le miroir, je sursautai.
Qui était cette personne au visage si rouge ? J’avais bu huit litres d’alcool ou quoi ?!
Le maquilleur avait vraiment la main lourde !
Je pris une lingette démaquillante et frottai mon visage… puis encore… et encore…
La rougeur ne s’estompa que légèrement.
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Je regardai mon reflet, mes joues rouges s’étendant jusqu’aux oreilles et au cou. Lentement, je m’assis sur le canapé.
OK… J’abandonne. J’ai perdu.
Je dois me rendre à l’évidence : je suis amoureux.
De Gu Yiliang.
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Progression vers l’officialisation : 50 %.
Hier soir, il m’avait même donné un baiser de bonne nuit empreint d’un amour paternel… Allez, soyons fous, on passe à 55 % !
Flottant dans mes souvenirs de ce baiser furtif qui m’avait plongé dans un sommeil instantané, j’ouvris machinalement le forum des fans.
En parcourant les analyses détaillées des interactions de ces derniers jours, chaque nouvelle découverte me paraissait encore plus douce qu’auparavant.
— Encore. Plus. Sucré.
Les tweets de Gu Yiliang, nos interactions, ses réponses aux fans… Ce n’étaient plus simplement des "moments sucrés" destinés aux expéditeurs de fanfictions, mais bien des réponses et des cadeaux laissés par mon béguin pour moi.
Cela ne faisait que quelques jours que le tournage de Lan Jue avait commencé, et le PDF récapitulatif était déjà passé de 139 pages à 189 !
Toutes ces friandises que ces ferventes admiratrices chérissaient comme des trésors… n’étaient en fait que la pointe de l’iceberg.
Elles sous-estimaient encore les possibilités infinies entre deux personnes.
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Guidé par la chronologie méticuleusement reconstituée par les fans, je revis mentalement chaque instant passé avec Gu Yiliang.
Devant la caméra, en dehors, dans les théories des fans, dans la réalité… Même des moments que les fans n’auraient jamais pu imaginer.
À chaque souvenir, je souriais, d’abord doucement, puis largement, puis bêtement, jusqu’à finir par éclater de rire.
Et alors que je riais encore, j’entendis une conversation près de la porte.
La voix perplexe de Gu Yiliang : « Qu’est-ce qui lui arrive ? »
La voix inquiète de Xiao Chen : « Je ne sais pas… Il est comme ça depuis son retour du tournage. »
Gu Yiliang : « Quelle scène ? »
Xiao Chen : « Celle avec An-jie (NT : sœur An)… Dis, Gu-ge, tu crois qu’il serait tombé sous son charme ? »
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Merde, c’est toi que j’aime, Gu-ge !
Avant même que je puisse rectifier cette absurdité, Gu Yiliang s’approcha à grandes enjambées, attrapa mon sac et déclara : « Allez, c’est l’heure de manger. Tout le monde est déjà parti. »
J’acquiesçai et le suivis hors de la pièce. En marchant à ses côtés, je l’observai discrètement.
Il ne serait quand même pas… jaloux de ce qu’avait dit Xiao Chen, si ?
Une chaleur douce envahit instantanément mon cœur. +1 % de progression !
Mais son expression était parfaitement normale… Pas l’ombre d’une jalousie. Déçu, je retirai mon +1 %.
Puis je me ravisai.
Non, en fait, c’était une preuve de confiance en moi !
Alors, je le remis.
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Peut-être que mon ascenseur émotionnel était trop évident, car Gu Yiliang tourna la tête vers moi et demanda : « Qu’est-ce qui se passe ? »
Je choisis mes mots avec soin et plaisantai : « Pourquoi tu ne crois pas que je suis tombé amoureux d’An-jie ? »
« Comment serait-ce possible ? » sourit-il. « C'est déjà formidable que tu puisses entrer dans ce rôle. »
Moi : « … »
Il me tapota la tête : « Patrick. »
Moi : « … »
Progression vers l’officialisation : 0 % ! À jamais !
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Frustré, je montai dans sa voiture.
Frustré, j’arrivai au restaurant.
Frustré, je rentrai dans la salle privée.
Tout le monde était là, debout en petits groupes, bavardant. Trois grandes tables rondes étaient installées au centre.
Tandis que je cherchais une place, An-jie me fit signe : « Xiao Wei, Xiao Gu, venez vous asseoir ici ! »
J’acquiesçai et m’apprêtai à la rejoindre, mais mon poignet fut soudain saisi. Gu Yiliang m’entraîna vers un autre siège.
Surpris, je le regardai : « Tu… »
Il me fixa innocemment. « Hein ? »
Je dis : « An Jie nous a appelés pour qu’on aille s’asseoir là-bas. »
Lui : « Hein ? Ah bon ? Je n’ai rien entendu. Allez, allons-y alors. »
C’est ce qu’il disait, mais il ne montrait aucun signe de vouloir se lever. En un clin d’œil, quelqu’un d’autre s’était déjà installé à la place qu’An Jie nous avait réservée.
Il déclara alors : « Ah, les places sont prises. Bon, restons ici alors. »
Je le regardai, plein de soupçons. Il pencha légèrement la tête vers moi, l’air totalement naturel :
« Quoi ? »
Bon… Je n’avais jamais vraiment compris ce qu’il a en tête de toute façon.
Je haussai la main : « Rien. Au fait, qui régale aujourd’hui ? C’est pas donné de faire un repas ici, quelqu’un est sacrément généreux. »
Il répondit : « Lu Dao, apparemment. Il a dit qu’un gros investisseur a fait un nouveau virement au projet. Comme le tournage n’a plus de soucis de budget, autant en profiter pour célébrer. »
Je demandai : « Quel investisseur peut bien être aussi généreux ? Il a trop d’argent à brûler ? »
Lui : « D’après Lu Dao, il s’appellerait Wang. »
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En repensant à l'accent du sud de Lu Dao, qui confondait les sons "Wang" et "Huang", je restai plongé dans un long silence...
Je savais bien que ses compliments n’étaient pas si innocents !
Il avait essayé de me soutirer des informations !
Et en plus, il avait réussi à me faire tomber dans le piège !
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Les plats arrivaient les uns après les autres, et les bouteilles de vin rouge s’ouvraient les unes après les autres.
Le regard rempli de rancune, je mâchais vigoureusement chaque bouchée, comme si j’étais en train de croquer avec rage les pièces d’or de Lao Huang. Puis, je bus de grandes gorgées de vin, comme si je cherchais à compenser tout le sang que Gu Yiliang m’avait pompé ces derniers jours pour son "Mao Xue Wang". (NT : litt. ‘Sang bouillonnant’. Plat épicé de la région de Sichouan)
Les relations au sein de l’équipe de tournage étaient plutôt bonnes. Beaucoup allaient et venaient avec leurs verres, trinquant à gauche et à droite. Tout le monde avait déjà pas mal bu, y compris Gu Yiliang, qui d’ordinaire ne rougissait jamais en buvant. Là, il avait le visage tout rouge. Dès qu’il tournait la tête vers moi, il se mettait à sourire. Ses joues empourprées étaient si adorables que j’avais presque l’impression qu’il allait me vider à nouveau de mon sang rien qu’en souriant.
Il me regarda et dit : « Xiao Wei ya—— »
« … Hmm ? »
Et il se remit à rire.
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C’était quoi ce délire ?!
Je tirai sur sa manche. « Arrête de boire. »
Il cligna des yeux en me regardant, ses longs cils tremblotant légèrement. Sa voix, douce et enjôleuse, était empreinte d’une pointe d’alcool. « Juste un peu, juste un peu, je veux juste être légèrement ivre. »
Ok. S’il continue à me regarder avec ces yeux imprégnés d’alcool, alors je…
…vais gagner de l’argent et lui acheter un vignoble.
Je pris sur moi pour ne pas lâcher prise et le laisser boire à sa guise. J’allais insister un peu plus quand un petit acteur de huitième zone, tout juste arrivé sur le tournage, s’approcha avec son verre levé.
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Le petit acteur affichait un sourire radieux, les yeux brillants d’une fausse innocence. Il leva son verre pour me saluer avant de demander : « Yan-ge, as-tu déjà prévu ton prochain projet ? »
Je réfléchis un instant avant de répondre. « Pas encore. Pourquoi ? »
Ses yeux s’illuminèrent davantage et il répondit avec un ton candide. « Oh, rien, rien. C’est juste que je trouve que tu as une chance incroyable. Depuis tes débuts, tout a toujours été fluide pour toi. J’aimerais bien apprendre ton secret… »
Nous étions tous des renards rusés ici, inutile de jouer aux contes de Liaozhai avec moi. Il pensait que j’étais entretenu et il voulait me lancer une pique, voire me faire passer un message subliminal ?
(NT : Les Contes de Liaozhai (聊斋志异) sont une collection de nouvelles fantastiques écrites par l'écrivain Pu Songling (蒲松龄) pendant la dynastie Qing (1644-1912))
Je souris largement et répondis. « La destinée est tracée par le ciel, la chance appartient à chacun, et le bonheur, lui, se conquiert. Je te recommande d’aller brûler de l’encens au temple de Nanpu, il paraît que c’est très efficace. »
Le petit acteur ouvrit la bouche. « … Vraiment ? Haha, j’irai alors. Allez, encore un verre ! »
J’étais sur le point de trinquer quand Gu Yiliang, le visage soudainement impassible, prit la parole. « Assieds-toi et mange avec nous. »
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Je ne comprenais pas où il voulait en venir. Sous mes yeux ébahis, le petit acteur, ravi, s’installa immédiatement sur le siège libre à côté de lui et lui sourit avec charme. « Merci, senior ! »
Pardon ? On a débuté en même temps, et moi je suis juste "Yan-ge" tandis que lui, c’est déjà un "senior" ?!
Et en plus, Gu Yiliang ose acquiescer ?!
Hello ?! (NT : en anglais dans le texte original). Ton partenaire officiel est encore assis juste à côté, et toi, tu veux déjà recruter une petite concubine ?
C’est très traditionnel, dis donc !
Tu gères très bien le "NTR" en face-à-face, hein ? J’ai l’impression d’entendre Green Light de Stephanie Sun résonner dans ma tête…
(NT : NTR pour ‘Netorare’ en japonais, ce qui signifie ‘vol de petite amie’ ou ‘infidélité’. La chanson ‘Green light’ parle de donner le feu vert à une relation)
Je regardai Gu Yiliang et ce petit acteur trinquer, une drôle d’amertume au fond du cœur. J’avais l’impression d’être plus vert que Louis Koo.
(NT : Vert est la couleur symbolique de l’infidélité en chinois. Louis Koo est un acteur hongkongais très connu. J’avoue que je n’ai pas bien compris l’humour)
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Gu Yiliang s’arrêta net au moment de lever son verre. « Personne ne t’a jamais dit que, lorsque tu trinques avec un aîné, tu dois tenir ton verre plus bas que le sien ? »
Le petit acteur resta figé. « Hein ? »
Gu Yiliang. « Mange. »
Le petit acteur, un peu perdu, posa précipitamment son verre et tendit ses baguettes pour se servir un plat, hésitant sur lequel choisir.
Je trouvais ça un peu bizarre. Y avait-il vraiment besoin d’hésiter pour ça ?
Gu Yiliang poursuivit froidement. « Personne ne t’a jamais dit que, quand tu prends un plat, il ne faut pas promener ses baguettes partout avant de choisir ? »
Le petit acteur tira la langue et, rapidement, prit une portion de céleri qu’il déposa dans le bol de Gu Yiliang. Il sourit timidement. « Je ne savais pas ce que senior aimait… »
Je haussai un sourcil en riant intérieurement. Ça alors, il venait justement de lui donner son légume le plus détesté.
Gu Yiliang. « Personne ne t’a jamais dit que, quand on sert quelqu’un, il faut utiliser des baguettes de service ? »
Le petit acteur se figea à nouveau et, un peu gêné, s’excusa. « … Désolé, je n’ai pas fait attention. »
Il planta alors ses baguettes dans son bol de riz avant de tendre la main pour attraper les baguettes de service.
Je ne pouvais plus regarder ça.
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Gu Yiliang retira les baguettes plantées dans le riz et les posa sèchement sur la table. « Personne ne t’a jamais dit qu’on ne plante pas ses baguettes dans le riz pendant un repas ? »
Le petit acteur. « … »
Gu Yiliang. « Si tu ne sais pas manger correctement, ne viens pas manger dehors. Apprends d’abord les bases chez toi. »
Wow… Avec ce ton, il avait l’air de dire : ‘Ne grimpe pas sur une montagne qui ne t’appartient pas.’
Je regardai, impassible, le petit acteur se lever raide comme un bâton et quitter la table en silence. Puis, je reportai mon attention sur Gu Yiliang. « Tu… »
Et en une seconde, il redevint le petit chaton ivre, me lançant un regard implorant. « Juste un peu… Juste un peu plus… »
Moi. « … »
J’ouvris mon téléphone et envoyai un message à Xiao Chen. Prends immédiatement un taxi et trouve un One More Drink encore ouvert. (NT : Zài Lái Yī Bēi, une chaine de magasins de boissons en Chine, populaires chez les jeunes)
Il fallait que je le bichonne comme il faut !
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Gu Yiliang mordillait la paille de son bubble tea, les yeux mi-clos, me fixant avec nonchalance.
Je commençais à fondre sous son regard. Repensant à son attitude dominante de tout à l’heure, je murmurai doucement. « Pourquoi tu t’es montré si dur avec lui ? Tu l’as carrément insulté en lui disant qu’il n’avait pas d’éducation… Tu n’as pas peur qu’il aille te dénigrer après ça ? »
Il demanda. « Qui ? »
Moi. « … Le petit acteur de huitième zone. »
Lui. « Huitième zone ? »
Moi. « … Ouais. »
Lui. « Donc, il a cinq zones de plus qu’un acteur de troisième zone ? »
Moi. « … »
Lui. « Et six de plus qu’un deuxième zone ? »
Moi. « … »
Moi. « Stop, tu n’as plus le droit de boire. »
Lui. « Juste un peu, juste—— »
Moi. « NON ! »
623.
Je vais mourir.
Traduction: Darkia1030
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