IRNDGL - Chapitre 16 - Conte du soir pour enfants

 

« Me reposer ? Ai-je donc l’air si peu vaillant ? »

Joseph laissa échapper un léger grognement. Pourtant, le propriétaire de la librairie, sous la perception du « Sceau sacré de Justice » de chevalier, ne présentait pas la moindre trace de malveillance — ce qui, pour un vieux chevalier aussi obstiné que lui, suffisait à lui faire gagner une solide dose de sympathie.

Du moins, son attitude passa de la froideur à une certaine amabilité.

Et, sans qu’il sache pourquoi, cette attitude décontractée et égalitaire de son interlocuteur éveilla en lui une rare envie de conversation.

Peut-être parce qu’après être devenu Grand Chevalier Radieux, il y avait bien longtemps que personne n’avait osé lui parler d’une manière aussi naturelle.

De toute façon, puisqu’il n’avait devant lui qu’un simple civil ignorant de tout, il n’avait pas besoin d’endosser le rôle supérieur et solennel d’un ancien ou d’un supérieur hiérarchique.

Lin Jie secoua la tête et répondit avec sincérité : « Bien sûr que non. C’est juste que… avec ce temps pluvieux et humide ces derniers jours, les articulations doivent vous faire souffrir. Le sommeil ne doit pas être très reposant, n’est-ce pas ? Vous semblez un peu fatigué, le teint légèrement pâle. »

À cet âge-là, la plupart des personnes âgées souffraient de troubles du sommeil ou de rhumatismes. De plus, il avait remarqué une légère dissymétrie entre la main gauche et la main droite de son interlocuteur.

Cette lassitude venue de l’esprit, quoique discrète, ne trompait pas un observateur attentif comme Lin Jie.

« J’imagine que vous avez dû dépenser beaucoup d’énergie pour retrouver Monsieur Wilder ? » Lin Jie soupira : « Je suis sincèrement heureux pour votre grande amitié. »

La main droite mécanique de Joseph, gantée de cuir, remua légèrement, et une lueur de doute passa dans ses yeux.

Comment ce libraire pouvait-il savoir cela ? Non… sûrement une coïncidence.

Mais pourquoi avait-il tout de même la sensation que ces trois mots — “articulations”, “sommeil”, “Wilde” — mis ensemble prenaient un sens étrange, presque allusif ?

Et dans cette expression « grande amitié », n’y avait-il pas une pointe d’ironie ?

Cela dit, il n’y avait pas de quoi s’y attarder : c’était lui-même qui avait parlé le premier de leur amitié profonde.

Son expression devint complexe : « Je ne suis pas un vieil homme. La pluie n’a aucun effet sur mes articulations. Et si j’ai mauvaise mine, ce n’est pas à cause de cela. Quant à me proposer de lire, ce n’est pas la peine : je n’ai pas d’argent sur moi. »

Lin Jie, le voyant dire cela tout en tirant une chaise pour s’asseoir, secoua la tête intérieurement.

Décidément… quelle fierté d’aïeul.

Il poussa une tasse de thé vers lui : « La lecture est gratuite dans la librairie, tant qu’il s’agit des ouvrages de la section derrière moi. Buvez d’abord un peu de thé pour vous réchauffer.»

« Quant à votre recherche de Monsieur Wilde, je peux peut-être lui transmettre votre message. »

Joseph prit la tasse et en but une gorgée. Peu habitué à la saveur du thé, il fronça les sourcils et répondit : « Ce n’est pas nécessaire. Je vais simplement rester assis un moment, puis je partirai. »

Au même instant, il sentit une douleur sourde recommencer à poindre dans sa tête.

Maudit soit cela… Cela devenait de plus en plus fréquent.

Endurant la douleur, Joseph bougea légèrement sur sa chaise, et son regard tomba, presque par hasard, sur le livre que Lin Jie avait laissé à côté, celui qu’il tenait un peu plus tôt.

Son regard se figea. ‘L’enfant de l’abîme’ ?

Lin Jie prit la parole naturellement : « Je lisais justement un conte très apaisant pour les nerfs, plein de douceur et de chaleur. Vous devriez essayer : c’est parfait avant de dormir, cela détend beaucoup. »

D’après son professeur de littérature au lycée, plus un homme paraissait dur et farouche, plus son cœur avait des penchants tendres et délicats.

Lin Jie en était convaincu.

Cet homme, avec sa nature sensible, son attachement profond à une amitié passée et son orgueil à peine dissimulé, devait à coup sûr appartenir à cette catégorie.

« Un conte ? » Joseph eut un petit rire moqueur. « Des enfantillages absurdes. Jeune homme, vous n’êtes plus si jeune : comment pouvez-vous aimer ce genre d’ouvrage ? »

« Eh bien, c’est le plus beau conte que j’aie jamais lu. À Nuozin, il n’en existe qu’un seul exemplaire. »

Lin Jie, un peu dépité, retira sa main qui tenait Le Petit Prince : « Quelle honte… »

(NT : quiproquo entre 深渊之子 (Shēnyuān zhī zǐ, litt. ‘Le fils du gouffre’, L’Enfant de l’Abîme) et 小王子 (Xiǎo Wángzǐ , litt. ‘Le petit fils du roi’, Le Petit Prince), de structures écrites similaires.)

Joseph eut un tic nerveux au coin des lèvres, désigna du doigt le livre que Lin Jie tenait : «C’est de celui-là dont vous parlez ? Un conte pour enfants ? Vous en êtes sûr ? »

Quel genre de conte pouvait bien s’appeler L’Enfant de l’Abîme ?! Était-ce un conte consacré aux bêtes sauvages du royaume des rêves ?

Lin Jie hocha la tête sans comprendre : « Bien sûr. C’est une histoire merveilleuse, un véritable classique. »

Joseph sentit qu’il y avait là quelque chose d’étrange, mais jusque-là, il n’avait perçu aucun flux d’éther.

Pourtant, ce satané conte éveillait en lui une curieuse envie de le lire — ne serait-ce que pour comprendre pourquoi il portait un tel titre.

« Donnez. » Finalement, il tendit la main, impassible, appuyé sur le comptoir : «Considérons cela comme un souhait à exaucer. Je vais y jeter un œil. »

Lin Jie, le visage éclairé d’un « je le savais bien », lui remit le livre en souriant.

Joseph feignit la désinvolture, jeta un coup d’œil rapide à la couverture et au titre : L’Enfant de l’Abîme.

Ainsi, c’était bien cela… Quel genre de « conte avant de dormir » pouvait bien porter un tel nom ?

Il tendit la main, sur le point de saisir le livre, lorsqu’une vertigineuse nausée l’envahit.

La douleur qu’il avait refoulée se déchaîna soudain dans son crâne ; les ombres obscurcirent sa vision, et des murmures superposés, mêlés à un sifflement aigu, emplirent ses oreilles.

La souffrance se propagea de sa colonne vertébrale jusqu’au plus profond de son âme, comme si son esprit était déchiré en lambeaux.

Il perdit l’équilibre.

« … ! »

Cette sensation oppressante — il la connaissait trop bien !

L’épée démoniaque Candela ! Elle semblait entrer en résonance avec quelque chose…

Pourquoi maintenant, de tous les moments possibles ?

Attendez… Ce type, depuis tout à l’heure, n’arrêtait pas de dire « avant de dormir »… Ne voulait-il pas dire ce genre de sommeil ?

Serait-ce un piège ?!

La conscience de Joseph s’effondra. Il s’écroula sur le comptoir, tandis que la voix du libraire s’éloignait, affolée :

« Hé ! Hé, grand-père ! Grand-père, tout va bien ?! »

« Hé, hé ! Vous m’entendez ?! »

Le visage de Lin Jie pâlit ; il franchit le comptoir d’un bond, s’accroupit et soutint l’homme qui venait, semble-t-il, de faire une attaque.

Ou bien… ne s’agirait-il pas d’une hémorragie cérébrale subite ?!

Certes, cet homme paraissait âgé, mais sa carrure robuste ne correspondait guère à ce genre de maladies.

Mais tout de même… il restait un senior. Dans tous les cas, il fallait d’abord le secourir !

Lin Jie eut toutes les peines du monde à l’allonger sur le sol, mais constata bientôt que le vieil homme respirait calmement, le cœur battant fort, sans aucune anomalie.

Il semblait simplement… dormir profondément.

« Rien de grave ? »

Lin Jie, intrigué, lui prit le poignet et posa deux doigts sur l’artère, cherchant son pouls.

En tant qu'érudit en études folkloriques, connaître un peu le pouls et quelques rudiments de médecine n’avait rien d’étonnant.

Il fronça légèrement les sourcils, puis relâcha la main de Joseph : « Ce pouls est plus vigoureux que le mien ! Grand-père reste grand-père, en pleine santé. »

Mais alors, pourquoi s’était-il évanoui d’un coup ? Cela ne pouvait tout de même pas être lié à son livre ?

Certes, juste avant de s’évanouir, il n’avait rien fait d’autre que prendre le livre, mais enfin…

On ne perd pas connaissance pour avoir jeté un œil au Petit Prince, n’est-ce pas ?

Ce n’est certainement pas la cause.

Après tout, Le Petit Prince est un conte doux et apaisant : on ne devrait en ressortir que réconforté, pas terrassé par une crise cardiaque.

Lin Jie soupira : puisque l’homme s’était évanoui dans sa librairie, il devait au moins veiller sur lui jusqu’à ce qu’il se réveille, puis lui demander des explications.

 

 

Traduction: Darkia1030