Les traces de pluie étaient parfaitement visibles, les fines lignes de pluie s’allongeaient en lignes blanches et se désagrégeaient finalement en gouttelettes dans le champ de vision de Ji Zhixu.

Un fort coup de vent souffla furieusement, et d’innombrables sons désordonnés furent entraînés par le vent, atteignant ses oreilles, se démêlant petit à petit pour se concrétiser dans son esprit en objets.

Les nuages tourbillonnants qui se rassemblaient dans le ciel, le bruissement des feuilles emportées partout, les fils électriques qui oscillaient, les gens qui couraient, l’eau tumultueuse, la respiration, le battement du cœur, le sang, l’âme, l’éther…

Ji Zhixu sentit son âme se détacher de son corps, mais sans s’en séparer complètement.

L’âme n’avait plus l’apparence d’une âme ; elle commença à s’étendre et à se déployer, comme une gigantesque pieuvre montant du vide, tendant peu à peu ses innombrables tentacules tout autour.

Ji Zhixu demeura un instant perplexe, puis prit conscience de la situation présente.

Instinctivement, elle regarda vers la librairie, mais ce qu’elle vit ressemblait à un brouillard, comme si elle ne voyait rien d’autre.

À travers la vitre de la porte, elle pouvait voir Lin Jie choisissant des livres sur les étagères, semblant toujours tout à fait ordinaire.

Puis elle reporta son regard sur la gargouille.

Sur cette petite statue noire se rassemblaient près d’un millier d’âmes, des squelettes à divers degrés de décomposition, serrés les uns contre les autres, hurlant et rugissant, tendant les mains comme pour saisir quelque chose.

Parmi elles, une âme particulièrement complète criait de douleur.

C’était Ryan, le « Rat », récemment mort de façon tragique.

Ji Zhixu ne vit aucun signe de runes de « loyauté » sur son âme.

Le sceau de Haywood avait donc vraiment été levé !

À peine cette pensée germa-t-elle dans son esprit que les tentacules flottant dans les airs se précipitèrent vers Ryan, dont l’âme était sur le point d’être assimilée par la gargouille, et l’enlacèrent.

Un tiraillement violent se fit sentir.

Ji Zhixu ressentit soudain dans son esprit une douleur, comme si elle avait été frappée par un lourd marteau sur la tête.

« Hum… »

Elle émit un grognement étouffé, recula d’un pas, puis stabilisa sa posture.

Elle ouvrit brusquement les yeux, regarda les pages du livre dans ses mains et reprit son souffle, haletante.

« Hoh — je comprends maintenant… »

Son âme, qui venait de subir une transformation, flottait derrière elle, immense et invisible comme une pieuvre, semblable à un spectre, incapable pour l’instant de s’éloigner.

Les innombrables tentacules enserraient une âme au visage effrayé.

C’était Ryan.

Il semblait vouloir parler, ouvrit grand les yeux, mais ses lèvres étaient étroitement couvertes par les tentacules.

« Une volonté de fer inaltérable, une force agissant directement sur l’âme… vraiment, M. Lin, vous avez modifié la structure de mon âme avec une telle facilité et insufflé un immense éther. Maintenant, je peux être considéré comme un chasseur de niveau panique ; même en état de transformation bestiale, je pourrais affronter un niveau destructeur. »

Ji Zhixu murmura pour elle-même, en essuyant un filet de sang qui coulait de son nez avec le dos de sa main, et ses yeux gris acier brillèreent avec intensité. Elle sourit : « Cette sensation de plénitude… n’est pas désagréable. »

Tout cela lui avait été accordé par M. Lin.

Si la librairie ne lui avait pas ouvert ses portes à ce moment-là, elle serait probablement morte alors qu’elle était poursuivie par ses ex-camarades, sans qu’aucune suite ne fût possible.

Oui, il n’était pas exagéré de dire que M. Lin lui avait offert une seconde vie.

Son cœur battait avec émotion. Elle se tenait sous la pluie, posa la main sur sa poitrine et inclina légèrement le buste en direction de la librairie, exprimant silencieusement son allégeance et sa loyauté.

C’était un signe de respect envers le puissant et la marque d’une volonté de devenir subordonnée.

Aux yeux de Ji Zhixu, l’autre avait investi tant d’efforts en elle, améliorant sa force et éliminant les traîtres… et n’avait jusqu’à présent rien exigé en retour,

il était très probable qu’il cherchait à développer sa propre influence et à changer progressivement la hiérarchie sociale des chasseurs.

On pouvait supposer que sa loyauté serait bien accueillie.

Pourquoi ne pas se montrer plus obéissante et docile ?

Cependant… Le pouvoir de M. Lin restait en effet profond et énigmatique.

Même dans son état précédent, Ji Zhixu pouvait peut-être détecter des failles dans le déguisement éthérique d’un destructeur, mais les protections de M. Lin ne montraient aucun signe d’anomalie.

Il paraissait ordinaire et banal à l’œil nu !

Impressionnant.

*

Lin Jie prit un livre illustré, remit les ouvrages en ordre sur l’étagère, puis les reposa.

Alors qu’il se préparait à repartir, il aperçut du coin de l’œil que Ji Zhixu essuyait son saignement de nez, puis s’inclinait légèrement.

Lin Jie esquissa un léger sourire, interrompit son rangement un instant, et suivit du regard la jeune fille s’éloigner, sentant que quelque chose n’allait pas.

Tiens, tiens.

Cette personne… ne serait-elle pas une admiratrice obsessionnelle ?

Venir si souvent à sa librairie… pourrait-il s’agir en réalité… Non, non, il ne fallait pas faire ce genre de suppositions irrespectueuses.

Cela ne serait bénéfique pour aucune des parties.

Il secoua la tête, chassa ces pensées, et reprit sa place habituelle, attrapa un livre au hasard et continua sa lecture pour passer le temps.

C’était un exemplaire très réconfortant du Petit Prince.

(NT : Roman de Saint-Exupéry, parlant de relations, de responsabilité, d’amour et de compréhension des autres)

Ce conte philosophique, rempli de sagesse, racontait une histoire douce et charmante, qu’il avait relue maintes fois sans s’en lasser.

Lin Jie était satisfait et décida que ce serait sa lecture du soir.

« Ding ding. »

« Bienvenue. »

Il prononça automatiquement, puis fut surpris : un autre client était déjà arrivé.

Hm ? Quel bon jour est-ce donc ?

Cette demoiselle était vraiment une carpe koï ! ! (NT : métaphore pour une personne porteuse d’une chance extraordinaire, littéralement “carpe porte-bonheur »)

Il se redressa légèrement et regarda vers l’entrée. Cette fois, c’était un client complètement nouveau.

Cependant… il semblait peu amical.

« Bang. »

La porte se referma, des chaussures claquèrent sur le sol. Un bruit lourd résonna.

Un vieil homme portant un costume simple entra, visiblement fatigué. Sa carrure massive bloquait complètement la vitre de la porte.

Instantanément, la lumière déjà faible de la librairie fut encore plus obscurcie.

Lin Jie dut ajuster l’éclairage et afficha son sourire professionnel : « Bonjour, puis-je vous aider ? Que ce soit pour lire, emprunter ou acheter un livre, je suis à votre disposition. »

Sous la lumière, cette carrure imposante évoquait Arnold Schwarzenegger, et ses cheveux blancs ne suffisaient pas à faire paraître cet homme âgé. Ses yeux fatigués mais perçants donnaient l’impression d’un lion au repos.

Il entra, scrutant autour de lui comme s’il inspectait son territoire.

Lin Jie ne parvenait pas à évaluer l’âge exact de cet homme.

Alors…grand-père (NT : ici utilisé comme un titre respectueux pour un homme âgé ou imposant) semblait approprié.

Le vieil homme balaya la pièce du regard et s’arrêta sur la gargouille, le regard sévère. Il frappa sur le comptoir et dit : « Vous êtes le propriétaire de cette librairie ? »

Lin Jie acquiesça : « Oui, grand-père , c’est bien moi. »

« … » Joseph resta silencieux un instant, puis murmura à travers ses dents : « grand-père ?»

Ton grand-père mon cul !.

Si un jeune chevalier était venu dire cela, Joseph soupçonnait qu’il aurait fracassé son crâne vide.

Sa poitrine se souleva plusieurs fois, mais voyant que face à lui se tenait un homme ordinaire, il avala sa colère.

Il posa les mains sur le comptoir et fixa Lin Jie avec sérieux : « Cette gargouille en pierre, est-ce la votre ? »

 

 

Traduction: Darkia1030