DPUBFTB - Chapitr 96 - Cycle du karma, la rétribution est inévitable (10)
Tournage, dissensions internes, espoir, désespoir.
Quand il fut réveillé par les cris perçants de Guan Qiaoqiao, Chi Xiaochi découvrit qu’il était dans les bras de Gan Yu, qui l’enlaçait doucement par derrière.
Ses bras étaient enroulés autour de sa taille, d’un geste naturel et tendre.
… Depuis quand l’avait-il enlacé ? Il n’avait rien senti du tout.
Gan Yu venait lui aussi d’être réveillé par les cris de Guan Qiaoqiao. Encore embrumé de sommeil, ses mains étaient déjà venues chercher les siennes, et il lui couvrit les oreilles avec douceur. Sa voix encore rauque de réveil souffla doucement : « Ne bouge pas. »
Chi Xiaochi sentit aussitôt la moitié de son visage s’engourdir.
Il pensa qu’il rêvait. Comme s’il s’était réveillé dans ces matinées d’autrefois, floues et douces, où quelqu’un se penchait vers lui, à peine sorti du sommeil, pour lui demander s’il voulait son œuf au plat d’un côté, des deux côtés, ou frit dans une tranche de pain.
L’illusion était si belle qu’il n’osait même pas se retourner.
Mais il ne s’autorisa que trois secondes pour en profiter.
Au bout de trois secondes, il poussa un léger soupir, repoussa sans un mot les mains de Gan Yu et se redressa, feignant l’inquiétude : « Qu’est-ce qu’il se passe ? »
Mais Gan Yu le retint par l’épaule et dit calmement : « Tu es vraiment si pressé que ça ? »
Chi Xiaochi resta sans voix.
À vrai dire… il n’était pas si pressé que ça.
Gan Yu baissa les yeux vers lui : « Si ce n’est pas urgent, alors ferme les yeux, reprends tes esprits, et lève-toi doucement. Se lever trop vite sans avoir mangé, ça peut provoquer une hypoglycémie. »
Tout en parlant, Gan Yu chercha ses lunettes posées près du lit et lança un regard entendu à Gan Tang.
Celle-ci se leva aussitôt, ouvrit la porte et jeta un œil à l’extérieur.
Chi Xiaochi, docile, ferma les yeux et joua machinalement avec un coin de la couverture.
Après plusieurs tentatives discrètes, Chi Xiaochi avait déjà de sérieux soupçons sur l’identité de Gan Yu, même si celui-ci refusait toujours de l’admettre.
Ignorant encore la raison de cette dissimulation, Chi Xiaochi décida de ne pas insister et se contenta de le considérer pour l’instant comme un partenaire temporaire. Il découvrirait la vérité en temps voulu.
Seulement, si 061 était vraiment Gan Yu, s'il pouvait vraiment former un corps physique dans chaque monde, alors Dong Feihong, dont la cuisine avait exactement le même goût que celle de Lou-ge…
Perdu dans ses pensées, Chi Xiaochi sursauta soudain, se redressa d’un bond : « … C’est quoi cette odeur ? »
Gan Yu croisa son regard. Tous deux comprirent que quelque chose n’allait pas, et descendirent aussitôt du lit.
L’origine de l’odeur de brûlé était évidente.
Un épais nuage de fumée noire s’échappait de la chambre de Guan Qiaoqiao. Trois ou quatre participants étaient déjà rassemblés devant la porte, mais aucun n’osait entrer, se contentant d’observer depuis le seuil.
Chi Xiaochi, aidé par Gan Yu, arriva sur les lieux avec un air inquiet. Gan Yu lui expliqua doucement ce qui s’était passé à l’intérieur, avec une attention bienveillante et un respect évident pour son rôle de non-voyant.
Chi Xiaochi pouvait tout voir clairement.
La photo du voyageur par une nuit de neige était en train de brûler sur le lit de Guan Qiaoqiao, avec la couette. La vitre avait volé en éclats, le briquet qu’elle avait lancé dedans avait explosé sous l’effet de la chaleur, et des éclats de plastique et d’essence s’étaient répandus partout.
Guan Qiaoqiao s’accrochait désespérément au dossier d’une chaise, le regard furieux fixé sur la photo, comme si elle espérait que son regard puisse faire fuir le fantôme qui s’y cachait.
Mais ses doigts étaient déjà raides, incapables de lâcher la chaise. Yuan Benshan dut la tirer de force, chaise comprise. Gan Tang ne put pas supporter de continuer à regarder, et se déplaça également pour aider.
Les membres du personnel, jouant leur rôle de PNJ, réagirent enfin. Alertés par le bruit, ils arrivèrent avec des extincteurs prévus à cet effet et commencèrent à maîtriser l’incendie.
Guan Qiaoqiao regardait nerveusement tout le monde autour d’elle, cherchant désespérément une réponse : « Je l’ai brûlée, pas vrai ? Elle est morte ? »
Personne ne pouvait lui répondre.
Heureusement, le feu ne s’était pas encore propagé. Après quelques dizaines de secondes de mousse projetée, les flammes furent éteintes, ne laissant qu’un lit en désordre.
Un employé sortit avec l’extincteur à la main : « Comment peut-on être aussi négligent ? »
Guan Qiaoqiao, croyant la photo détruite, sentit un bref soulagement. Elle ne savait pas si elle devait rire ou pleurer. Après un long moment, elle esquissa un sourire crispé en guise de réponse.
Mais la phrase suivante du personnel la glaça sur place : « Ce manoir est en location, heureusement que rien d’autre n’a été brûlé. »
Guan Qiaoqiao se précipita dans la chambre.
… Sur ce lit en désordre, il n’y avait plus aucune trace de la photo.
La seconde d’après, elle se figea.
Du coin de l’œil, elle aperçut un cadre intact, suspendu au mur.
Le voyageur par une nuit de neige s’était encore rapproché.
Chi Xiaochi passa l’heure suivante à expérimenter les propriétés des photos dans le manoir.
Il confirma que toute tentative de détruire ou déplacer les photos de leur emplacement d’origine était inutile.
Les autres photos du manoir possédaient toutes la même caractéristique.
Même si on enfermait une photo dans une pièce verrouillée, elle réapparaissait à son emplacement initial en quelques secondes. Quant à les briser ou les brûler, cela ne servait à rien.
Chi Xiaochi était convaincu que Guan Qiaoqiao était irrémédiablement condamnée.
Cette femme fantôme avait pris possession des photos du manoir et pouvait apparaître à volonté dans n’importe quelle pièce où l’une d’elles était accrochée. Et puisqu’il était impossible de les détruire, la situation était sans issue.
Mais Guan Qiaoqiao refusait toujours de mourir simplement.
Elle tenta d’aller se reposer dans une chambre vide, après en avoir retiré la photo qui s’y trouvait. Pourtant, moins d’une demi-heure plus tard, elle s’en échappa en hurlant.
— La chambre vide était censée contenir la photo d’une chorale d’enfants. Mais alors qu’elle fuyait, le cadre montrait déjà une image altérée, se transformant peu à peu en voyageur par une nuit de neige.
Et l’ombre noire, qui auparavant ne faisait que la taille d’un poing, avait grandi jusqu’à remplir la paume d’une main, et on pouvait même distinguer ses traits du visage.
En pleurs, elle supplia de quitter le manoir, de dormir avec les membres de l’équipe de secours à l’extérieur, aussi loin que possible de ces fichues photos. Mais Chi Xiaochi l’en dissuada.
Ces employés n’avaient que l’apparence de gens normaux.
Ils n’étaient ni humains ni fantômes. Et s’ils faisaient partie du même camp que la revenante, Guan Qiaoqiao ne ferait que se jeter dans la gueule du loup.
Impossible d’avancer, impossible de reculer, Guan Qiaoqiao se recroquevilla au coin de la pièce, les lèvres blanches, et se mit à se gratter frénétiquement le cuir chevelu, au point que ses ongles se remplirent de squames rougeâtres.
Tout le monde pouvait comprendre la folie de Guan Qiaoqiao.
Si vous aviez constamment l’impression que quelqu’un vous observe à travers la fente d’une porte, une fenêtre, ou sous le lit — avec les yeux d’un gourmet regardant son plat — sans jamais cligner des yeux, omniprésent et invisible, que vous ne pouviez ni voir, ni toucher, ni frapper, sans jamais savoir quand il s’approchera ou s’éloignera… ne deviendriez-vous pas fou, vous aussi ?
Mais peu importe à quel point Guan Qiaoqiao perdait la tête, le tournage devait continuer. Les autres ne pouvaient pas renoncer à leur mission simplement pour l’accompagner et la réconforter.
Finalement, Chi Xiaochi eut une idée.
Avec Yuan Benshan, ils ramenèrent une Guan Qiaoqiao tremblante dans la chambre où était accrochée la photo du voyageur par une nuit de neige, et dirigèrent Yuan Benshan pour décrocher la photo et la raccrocher à l’envers.
— Si le regard vient de la photo, qu’on ne peut ni détruire ni déplacer, alors la retourner pourrait peut-être bloquer ce sentiment d’être épié.
L’idée était rudimentaire, mais étonnamment, Guan Qiaoqiao ne ressentit plus cette sensation de regard pénétrant jusqu’à l’os.
Elle proposa de retourner toutes les photos du château. Cependant, certaines grandes photos précieuses étaient encastrées dans les murs et très difficiles à déplacer sans outils. De plus, dès que plus de cinq photos étaient retournées, le château considérait cela comme un “déplacement hors position”, et toutes les photos reprenaient instantanément leur état initial.
Faute de mieux, Chi Xiaochi demanda simplement à Yuan Benshan de retourner uniquement la photo du voyageur par une nuit de neige, puis de jeter les couvertures brûlées de Guan Qiaoqiao pour les remplacer par des neuves, lui permettant de se reposer dans la chambre.
Privée de ce regard, épuisée, elle finit par s’endormir. Mais même dans son sommeil, son front restait plissé, signe d’un repos bien peu paisible.
Après avoir refermé la porte, Chi Xiaochi poussa un soupir.
Yuan Benshan lui demanda : « Tu crois que ça marchera ? »
Chi Xiaochi répondit : « Se boucher les oreilles pour voler une cloche, tu crois que ça marche ? » (NT : idiome chinois : croire que, puisqu’on n’entend pas le bruit en se bouchant les oreilles, alors le bruit n’existe pas. Autrement dit, ignorer délibérément la réalité)
C’était pire encore que se boucher les oreilles : Guan Qiaoqiao vivait désormais enfermée avec un fantôme. Mais pour que son esprit souffre un peu moins, pour un semblant de sécurité, elle n’avait d’autre choix que de vider son esprit et s’interdire de penser.
Elle était comme une autruche (NT : un chameau dans le texte original) qui enfouit sa tête dans le sable, persuadée d’avoir trouvé l’endroit le plus sûr au monde, sans voir les yeux vert phosphorescents des loups qui l’encerclaient dans son dos.
La scène solo de Guan Qiaoqiao aurait dû être tournée le premier jour. Mais parce qu’elle “était malade” ou “en état de détresse mentale”, le réalisateur réajusta le plan de tournage et décida de filmer plutôt les événements du premier jour d’arrivée des six personnages principaux au château.
Chacun avait ses préoccupations, et aucun n’avait vraiment d’expérience cinématographique, ce qui donna lieu à de nombreuses scènes cocasses : impossible de trouver la bonne position de caméra, oubli des répliques, ratés à répétition, erreurs en cascade — l’ambiance était tendue et tout le monde s’impatientait.
Personne ne s’attendait à ce que le meilleur soit justement celui qu’on attendait le moins : le “petit aveugle” méprisé.
Avant le tournage, ce dernier avait été guidé avec précaution par le maquilleur nommé Gan Yu pour faire plusieurs fois le tour du plateau, mémorisant approximativement ses déplacements, et vérifiant lui-même à plusieurs reprises l’emplacement de tous les accessoires.
Tout le monde, en le voyant maladroit et gauche, pensait à l’unisson que Song Chunyang allait se planter.
Mais sa première scène fut tellement réussie que cela coupa court à toutes les moqueries.
Dans le scénario, “Song Chunyang” était à moitié aveugle depuis le lycée, timide, soumis, souffre-douleur régulier, qui n’échappait aux brimades que grâce à son attachement au protagoniste masculin — tout en restant le souffre-douleur de leur petit groupe, réduit au rôle de larbin.
Il ne suivait pas les stéréotypes de personnage : lunettes épaisses, polo froissé… À la place, il portait une veste coûteuse, mais dont il n’avait pas osé couper l’étiquette, suant à grosses gouttes sans jamais retirer son manteau, car le pull bon marché dessous, acheté trente yuans sur Taobao, trahirait tout.
Alors que tous exploraient le château, récitant leurs répliques avec stress ou exagération, lui restait tapi dans un coin, souriant à pleines dents, écoutant les autres parler, s’assurant que quiconque le regardait verrait d’abord son sourire engageant.
Mais si la caméra s’était approchée de lui en gros plan, elle aurait capté dans ce sourire figé depuis des dizaines de secondes une grimace si forcée qu’elle en devenait terrifiante.
En tant que simple figurant avec une seule ligne de dialogue, il brillait bien trop. Même le réalisateur fit signe qu’on lui donne plus de plans.
Puis ce fut son tour de parler. Dans cette première scène, il n’avait qu’une réplique.
Le protagoniste masculin appelait son ancien larbin pour lui demander d’aller ranger leurs affaires.
En entendant les mots “Song Chunyang”, ses genoux fléchirent machinalement, comme s’il allait se mettre à genoux, ou se donner un élan pour se redresser.
N’ayant pas encore parlé, sa voix, lorsqu’il prononça les deux premiers mots, était un peu sèche — mais juste ce qu’il fallait : « C’est… encore moi. »
Son air ahuri fit rire la fille à queue de cheval, jusque-là crispée dans son jeu, qui entra dans la scène en disant : « Si ce n’est pas toi, c’est moi ? »
Chi Xiaochi comprit aussitôt qu’il avait fait une gaffe, et voulut monter à l’étage à toute vitesse, mais trébucha sur une latte de bois surélevée.
Il sembla trouver lui-même la scène ridicule, et se hâta d’expliquer avec un rire : « J’ai glissé, j’ai glissé. »
Puis il saisit deux valises et se dirigea vers les escaliers. En posant la main sur la rampe, il se retourna, regardant une photo accrochée au mur.
C’était l’un des accessoires dont il avait demandé à Gan Yu de confirmer l’emplacement avant le tournage.
Cette photo était un cliché de groupe apporté par l’équipe, où figuraient les sept membres du casting dans leurs uniformes de lycée.
Il plissa légèrement les yeux pour mieux voir, mais ses pas continuaient de le porter vers l’étage, pour aller ranger les valises, tandis que son regard restait accroché à la photo. Tout en lui paraissait maladroit, un peu risible, et pourtant empreint d’une douce nostalgie.
Gan Yu, qui ne participait pas au tournage, était les bras croisés et observait Chi Xiaochi avec un regard plein de tendresse contenue et d’admiration silencieuse.
Ce n’était pas la première fois qu’il voyait Chi Xiaochi jouer dans un film, mais c’était la première fois qu’il le voyait en direct.
On ne pouvait que dire qu’il était né pour la caméra, avec cette aura et ce magnétisme indescriptibles, capables de captiver n’importe qui d’un simple regard.
Dès qu’il apparaissait, chaque scène était réussie en une seule prise.
… Tandis que les autres se faisaient réprimander par le réalisateur, Chi Xiaochi prétexta aller se repoudrer le nez pour retourner dans la loge avec le frère et la sœur Gan.
Il ne savait pas mettre ni enlever des lentilles colorées, alors il s’en remit à Gan Yu.
Gan Yu les lui retira délicatement, appliqua des gouttes pour soulager la fatigue oculaire, souffla doucement deux fois, puis lui demanda de fermer les yeux pour se reposer. Il posa ensuite ses mains sur ses omoplates, lui indiquant ainsi sa présence rassurante, l’invitant à se détendre sans crainte.
Cette attention si tendre ne put qu’amener Chi Xiaochi à certaines pensées.
Gan Tang, tout en lui choisissant des vêtements, lui demanda : « Je me suis toujours demandé, pourquoi fais-tu semblant d’être aveugle ? Si tu veux cacher la couleur étrange de tes yeux, porter des lentilles suffit, non ? »
Chi Xiaochi, les yeux clos, répondit d’un ton paresseux : « Oui, pourquoi donc, en effet. »
Song Chunyang, lui, était simple d’esprit. Il n’aurait jamais pensé à tout cela. Il voyait cette mascarade comme une simple coquetterie, un moyen d’être plus proche de Yuan Benshan et des autres. Et quand il pouvait aider, il n’hésitait jamais à révéler son œil yin-yang.
Song Chunyang raisonnait ainsi, mais qu’en était-il de Yuan Benshan ?
« Parce qu’un “aveugle” signifie des ennuis. Qui voudrait faire équipe avec un aveugle ? » dit-il calmement. « Yuan Benshan ne voulait pas que d’autres se joignent à nous, ni qu’on partage des informations. À ses yeux, je lui appartenais, et mes yeux de yin-yang aussi. Ils devaient être sa carte maîtresse pour survivre. Si d’autres pouvaient s’en servir, alors ce serait leur offrir un avantage gratuitement, non ? »
Gan Yu prit un mouchoir doux et essuya les gouttes de collyre qui coulaient des yeux de Chi Xiaochi, puis résuma son analyse : « Égoïsme. »
Chi Xiaochi haussa les épaules : « Je n’ai jamais dit que l’égoïsme était mauvais. S’il ne nuit pas aux autres, c’est même une preuve d’intelligence. »
Gan Yu répliqua : « Et si certains nuisent aux autres pour leur propre intérêt ? »
« Alors, ceux qui les entourent doivent se montrer plus malins », répondit Chi Xiaochi. « La bonté requiert un cœur chaleureux, mais aussi des crocs et des griffes. Le premier pour traiter les autres avec gentillesse, les seconds pour se protéger. »
Tous deux, dans cet échange à deux voix, avaient presque exprimé tout ce que Chi Xiaochi voulait dire à Song Chunyang.
Le seul tort de Song Chunyang, c’était d’avoir été trop bien protégé. À sa première confrontation avec la noirceur humaine, il en paya un prix bien trop cruel.
Chi Xiaochi ne craignait pas que Song Chunyang ne voie pas les ténèbres. Il craignait seulement qu’il cesse de croire à la lumière.
Mais si, après dix missions, Xie Lou était toujours à ses côtés, alors peut-être n’aurait-il plus à s’inquiéter.
À cette pensée, il s’adossa au dossier moelleux du fauteuil, et esquissa un léger sourire en coin.
Gan Yu ne put se retenir : il tendit un doigt, et, à travers le tissu, caressa doucement les cils de Chi Xiaochi, encore humides de gouttes ophtalmiques.
… Il aimait bien trop ce Chi Xiaochi-là.
Mis à part Chi Xiaochi, les tournages du premier et du deuxième jour ne furent pas très fluides. Aussi, lorsque Yuan Benshan entra dans la chambre de Guan Qiaoqiao pour lui apporter son repas, son visage était d’une noirceur extrême.
Depuis deux jours, Guan Qiaoqiao restait enfermée, ne se nourrissant que de ce qu’on lui apportait.
À mesure que la silhouette dans la photo s’approchait, la situation empirait. Guan Qiaoqiao, devenue maladive, ne pouvait absolument plus sortir de sa chambre. Seule cette pièce hantée lui procurait un semblant de sécurité.
Mais cette sécurité illusoire n’avait rien de réconfortant : elle ne faisait que la pousser toujours plus vers l’abîme de la folie.
Le “voyageur nocturne” lui tournait le dos, dissimulant sa présence. Et c’est justement cette invisibilité qui rendait Guan Qiaoqiao plus anxieuse encore. Elle avait désespérément envie de vérifier où se trouvait exactement ce “ voyageur nocturne” sur la photo, mais n’en avait pas le courage.
Depuis plusieurs jours, ses nerfs étaient tendus comme des cordes prêtes à rompre. En voyant Yuan Benshan, elle se redressa brusquement, et une lueur d’espoir réapparut sur son visage blême et creusé : « Est-ce que Chunyang a trouvé une solution ? »
Yuan Benshan répondit : « Il y réfléchit encore. »
Tout le monde savait que Guan Qiaoqiao était condamnée — ce n’était qu’une question de temps — mais elle, elle gardait encore un peu d’espoir.
Et parfois, l’espoir est plus cruel que le désespoir.
« Réfléchir ! Réfléchir réfléchir réfléchir ! » hurla Guan Qiaoqiao, hors d’elle. « Il compte y arriver quand, au juste ? Qu’il me donne au moins un délai ! »
Le visage de Yuan Benshan s’assombrit ; il réprima son agacement.
Personne n’aime assister à l’agonie pathétique et hystérique d’un mourant. Cela n’apporte aucune satisfaction.
Il posa le plateau-repas : « Mange. »
Guan Qiaoqiao le fixa, méfiante : « Yuan Benshan, tu as dit quelque chose à Chunyang ? Pourquoi est-ce qu’il ne vient plus me voir ? »
Depuis quelques jours, Guan Qiaoqiao se montrait paranoïaque, soupçonnant tout et n’importe quoi. C’était franchement pénible. Song Chunyang, trop naïf, lui répétait sans cesse que “si on lui avait donné un œil yin-yang dès le départ, tout ça ne serait pas arrivé”. Avec les missions qui n’avançaient pas, tout cela finit par irriter Yuan Benshan, qui ne put réprimer un sourire sarcastique au coin des lèvres : « Tu ne sais vraiment pas ce que tu as fait ? »
Guan Qiaoqiao se figea, ses yeux creusés fixant Yuan Benshan : « Et toi ? Tu sais ce que tu as fait, peut-être ? Ne crois pas pouvoir t’en tirer aussi facilement. »
Yuan Benshan n’avait plus envie de discuter avec elle. Il ricana, puis détourna la tête.
Mais ce ricanement fut la goutte de trop pour les nerfs déjà à vif de Guan Qiaoqiao.
Elle jeta ses couvertures au sol : « Tu comptes m’abandonner, c’est ça ? »
Yuan Benshan répliqua à voix basse, moqueur : « Une coéquipière comme toi, elle a encore quelle utilité ? … Une personne qui peut mourir à tout moment ! »
Ce jugement provoqua un déclic chez Guan Qiaoqiao. Elle émit un ricanement, son visage presque déformé par la haine : « Vraiment ? Yuan Benshan, tu as déjà entendu ce proverbe ? ‘Les paroles d’un mourant sont toujours pleines de sagesse.’ » (NT : proverbe chinois signifiant qu’un mourant n’a plus rien à cacher et dit la vérité / parle avec sincérité)
Yuan Benshan n’eut pas le temps de comprendre ce qu’elle voulait dire que Guan Qiaoqiao sauta du lit et hurla : « Chun — »
Yuan Benshan comprit le danger et, d’un mouvement sec, lui couvrit la bouche d’une main, agrippa ses cheveux de l’autre, et l’écrasa violemment contre le bord du lit !
Le corps de Guan Qiaoqiao se relâcha aussitôt, prise de vertige, une chaleur poisseuse et métallique jaillit de son front, brouillant sa vue.
Elle croyait sa douleur déjà engourdie. Mais ce coup-là, elle le sentit jusqu’au plus profond de sa chair. Elle en trembla de tout son corps.
Ces deux derniers jours, tout le monde s'était habitué à ses hurlements. Peu importait à quel point elle criait ou devenait folle, plus personne ne venait vérifier si facilement.
La douleur fit jaillir en elle une méchanceté impulsive. D'une voix éraillée, elle le menaça : « Si tu ne trouves pas rapidement un moyen de me sauver, je dirai à Chunyang toutes tes saloperies. Si je meurs, tu ne vivras pas tranquille non plus ! »
Yuan Benshan la regarda sans dire un mot.
Tiraillée entre le désespoir et l’espoir, Guan Qiaoqiao perdit complètement la tête et s’exclama sur un ton ironique : « Docteur Yuan, tu n’as qu’à me tuer, hein ? Vas-y, montre ce que tu as dans le ventre. Après tout, tu es le dernier à m’avoir vue en vie. Si tu me tues, tu seras le premier suspect. »
Yuan Benshan la fixa encore un moment, sérieusement, puis éclata de rire.
Il demanda : « Qu’est-ce que tu racontes ? Pourquoi est-ce que je ne comprends rien ? Tu veux dire quoi à Chunyang ?… Ah, tu parles de notre combine, c’est ça ? Mais as tu des preuves ? »
Guan Qiaoqiao dit : « N’oublie pas que j’ai mon téléphone… »
Yuan Benshan sortit un téléphone de sa poche, souriant : « … Tu veux dire celui-là ? »
Depuis qu’il soupçonnait Guan Qiaoqiao d’avoir trahi, Yuan Benshan avait commencé à faire disparaître toutes les preuves.
Son propre téléphone avait été perdu en route, sans doute volé par un pickpocket. Celui de Guan Qiaoqiao, il l’avait subtilisé la dernière fois qu’il était venu lui apporter à manger. Il l’avait plongé dans l’eau, en avait retiré la carte mémoire, qu’il avait brisée en deux et jetée dans les toilettes. Tout avait été détruit, irrécupérable.
Dans ce monde parallèle, les téléphones affichaient des données corrompues et étaient inutilisables, aussi Guan Qiaoqiao ne s’était-elle même pas rendu compte que son téléphone avait disparu.
Guan Qiaoqiao sombra de nouveau dans la folie, se débattant avec rage et rugissant : « Alors je lui dirai de vive voix ! Pas besoin de preuves ! Je vais mourir, qu’est-ce que j’ai à perdre ? Hein ? Qu’est-ce que j’ai à perdre ?! »
« Vraiment ? »
Yuan Benshan arracha les draps du lit, et dit calmement : « Alors essayons. »
Dans la folie, l'esprit perd facilement toute raison. Ce n’est que lorsqu’elle se rendit compte que ses poignets étaient attachés à la rambarde métallique du lit que Guan Qiaoqiao paniqua : « Yuan Benshan, qu’est-ce que tu fais ?! »
Yuan Benshan ne répondit pas. Il prit une taie d’oreiller et la lui enfonça solidement dans la bouche, puis attacha fermement ses bras et ses jambes au lit à l’aide de nœuds chirurgicaux.
Une fois terminé, Yuan Benshan se dirigea vers la photo.
Guan Qiaoqiao comprit ce qu’il s’apprêtait à faire, et poussa un hurlement de terreur absolument déchirant.
« Tu disais que tu allais bientôt mourir », dit Yuan Benshan. « Tu disais que tu n’avais plus peur de rien. »
Il souleva le cadre photo, et d’un geste sec, le retourna !
Guan Qiaoqiao poussa un hurlement viscéral, mais il fut étouffé par la taie d’oreiller qui la bâillonnait.
Elle vomit presque de terreur, tout en émettant des grognements furieux, probablement des malédictions aussi cruelles que confuses.
Yuan Benshan, lui, n’avait plus l’esprit à écouter ses protestations. Il prit la clé de la chambre sur elle, sortit, ferma la porte à clé, et jeta distraitement la clé dans une jardinière en bas des escaliers.
Il n’avait pas besoin de tuer. Les fantômes pouvaient très bien s’en charger.
De nouveau, ce regard invisible, omniprésent, enveloppa entièrement Guan Qiaoqiao.
Attachée au lit, incapable de bouger, sa poitrine se soulevait violemment sous l’effet de la panique. Elle n’osait pas regarder la photo, mais ne pouvait s’en empêcher.
Elle finit par jeter un bref coup d’œil.
La photo montrait toujours une vaste étendue de neige, blanche à perte de vue. Cependant, la silhouette de l’homme rentrant de nuit n’avait pas continué à grossir. Elle était même un peu plus petite que les jours précédents, à peine grande comme une paume.
Mais la sensation d’être épiée, elle, n’avait fait qu’empirer, au point qu’elle en venait à cogner sa tête contre la tête de lit.
Que se passait-il ? Le promeneur nocturne ne s’était-il pas éloigné ?
De plus, l’image sur la photo lui donnait une impression étrange, comme si elle était subtilement différente de celle qu’elle avait vue auparavant.
Elle rassembla tout son courage pour regarder directement.
Peu à peu, les yeux de Guan Qiaoqiao s’écarquillèrent.
… Elle comprit.
Ce blanc sur la photo… ce n’était pas un champ de neige. C’était le blanc d’un œil.
Et ce petit point noir au centre, c’était une pupille immobile, qui la fixait intensément, allongée sur le lit.
Sa bouche s’ouvrit en grand, un filet de bave s’échappa de ses lèvres, et un gémissement déchirant s’échappa de sa poitrine.
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L'auteur a quelque chose à dire :
Félicitations Guan Qiaoqiao pour la boîte à lunch√
(NT : ‘recevoir une boîte à lunch’ : expression idiomatique signifiant qu’un personnage est sur le point de mourir ou quitte définitivement la scène. Cela vient du cinéma : les figurants ou les personnages secondaires qui mouraient à l’écran recevaient souvent une boîte-repas (héfàn) après avoir fini leur scène. )
Traduction: Darkia1030
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