Partager un lit, fantôme d’enfant, danser sur une tombe
Après avoir écouté la description de la mission, Chi Xiaochi, le visage impassible, enfonça l’aiguille, manquant de peu de se piquer lui-même.
La neuvième mission devait avoir lieu le 23 du mois suivant, au Centre de protection de l’enfance de Yunshan (NT : litt. Montagne des Nuages).
L’instruction exigeait d’y passer trois jours et de bien s’entendre avec les enfants.
… Pourquoi s’arrêter à bien s’entendre ; si nécessaire, Chi Xiaochi était tout à fait disposé assumer le rôle d’un petit-fils. (NT : à se comporter de façon affective et obéissante, comme le ferait un enfant vis-à-vis de ses grands-parents)
Mais, contrairement aux fois précédentes, une ligne en petits caractères figurait dans les informations fournies.
« Le mode de la dixième mission sera identique à celui des neuf premières. Vous l'effectuerez en équipe. La durée et le lieu précis seront annoncés ultérieurement. »
Chi Xiaochi dit : « … Qu’est-ce que c’est que ça ? »
Xi Lou répondit : « Oh, je suis retourné au quartier général. J’ai fait un compte rendu de travail à mon supérieur. Il y avait des rumeurs selon lesquelles la dernière mission serait effectuée individuellement, ce qui avait provoqué une certaine panique. Alors le supérieur a mis en ligne une nouvelle fonction d’annonce : au moment de publier la neuvième mission, elle sert à rappeler aux exécutants que ce n’est pas le cas, afin de réduire la peur. »
Tout était clair : les “autorités compétentes” avaient donc publié un démenti en ligne.
Après avoir terminé sa tournée habituelle des chambres et les injections de routine, il retourna au poste infirmier, où il découvrit que Yuan Benshan lui avait téléphoné six ou sept fois.
Il rappela, envoyant le message : « Occupé. Est-ce que la bonbonne de gaz a explosé à la maison ? » Mais Yuan Benshan ne répondit pas.
Chi Xiaochi décida de le laisser à son sort, prévoyant de consulter plus tard les informations relatives à la mission. Une fois les registres remplis, il se mit à bavarder avec un vieux fantôme résident de l’hôpital.
Le vieil homme était le père de l’un des médecins-chefs du service de médecine interne. Song Chunyang, auparavant, le connaissait bien ; à présent, Chi Xiaochi reprenait le flambeau, écoutant avec un sourire comment il vantait les mérites et les réussites de son fils, tout en ponctuant la conversation de quelques remarques aimables.
Dehors, une fine pluie tombait en bruine. Dans le couloir, les patients, enveloppés dans des couvertures dégageant une légère odeur de médicaments, somnolaient d’un sommeil de récupération. À part quelques proches de patients venus restituer des nébuliseurs, l’endroit n’était pas bien animé. Quelques fantômes inoffensifs flottaient lentement le long du couloir, tous marqués du « regard socialiste jpg » (NT : expression ironique d’internet signifiant qu’une présence est soumise à une surveillance rigide ou au contrôle de l’ordre public), ce qui conférait à l’atmosphère une torpeur presque hypnotique.
Une demi-heure plus tard, des pas précipités retentirent du côté de l’ascenseur.
Chi Xiaochi leva les yeux, surpris : « Lao Yuan ? »
Au moment où il croisa le regard de Yuan Benshan, l’écran des valeurs de remords devant ses yeux changea : de 7, il monta brusquement à 20, et l’indice de sympathie franchit même la barre des 80.
Sans un mot, Yuan Benshan avança à grands pas, le prit dans ses bras et le serra en silence.
Il semblait revenir d’un service de nuit. Ses vêtements avaient été changés à la hâte ; ses épaules et ses cheveux étaient légèrement humides : apparemment, il n’avait pas ouvert son parapluie en courant depuis le parking.
Le vieil homme, avisé, s’éloigna les mains croisées dans le dos ; la jeune infirmière qui revenait après avoir distribué les médicaments comprit également la situation : elle prit sa gourde et alla chercher de l’eau au robinet.
Chi Xiaochi lui reprocha doucement : « Pourquoi sortir sous la pluie ? Tu n’as pas dormi de la nuit ; fais attention, tu vas finir chauve. »
Yuan Benshan répondit, sans lien apparent avec la remarque : « As-tu reçu la mission ? »
« Oui, pourquoi ? »
« Rien, dit Yuan Benshan. C’est juste que tu m’as soudain manqué. »
Chi Xiaochi se laissa tenir, un léger sourire effleurant ses lèvres.
Les êtres humains sont réellement des créatures complexes, toujours capables de se trouver des excuses et des échappatoires.
Lorsqu’il avait tenté de s’emparer des yeux de Song Chunyang, Yuan Benshan s’était donné mille raisons : « C’est la nature humaine », « Je ne veux pas mourir » ; ces justifications s’enchaînaient les unes après les autres, telles une truie portant un soutien-gorge (NT : idiome ironique désignant quelqu’un qui cherche à se donner une façade élégante ou à justifier l’injustifiable). Puis, une fois qu’il s’était rendu compte que cette tentative était inutile, il s’était mis à repenser à leur ancienne camaraderie et, sur le tard, avait ressenti du remords.
Mais cela convenait parfaitement à Chi Xiaochi.
Appuyé contre son épaule, Chi Xiaochi ouvrit l’interface de son entrepôt et sélectionna un objet.
Les accessoires de type surnaturel y étaient très coûteux ; le moins cher coûtait 20 points de remords, et seuls les points de remords servaient de monnaie d’échange.
Auparavant, Chi Xiaochi avait classé et répertorié tous les objets de l’entrepôt, estimant qu’il n’aurait guère besoin de ce type d’artefacts ; il les avait donc inscrits sur la liste « à ne pas utiliser pour le moment ».
Il ne s’était pas attendu à une telle erreur de calcul.
Xi Lou ne supportait pas de voir Chi Xiaochi, utilisant le corps de Song Chunyang, se reposer mollement dans les bras d’un autre. Il grinça des dents et dit : « Qu’est-ce que tu fais, tu as pris goût à te faire étreindre ? »
Chi Xiaochi répondit : « Sois sage, ne fais pas de bruit, laisse-moi aller échanger quelque chose.»
Xi Lou dit : « … Tu ne voulais pas te servir de ces points de remords pour t’échapper ? Tu ne veux pas les économiser un peu ? »
Chi Xiaochi répondit : « Quand il se sera calmé, la valeur de remords retombera. Si je n’échange pas maintenant, ce sera perdu. »
Il échangea donc un objet qu’il avait repéré depuis longtemps, le moins cher parmi la multitude d’artefacts surnaturels proposés.
Nom : Bouteille de scellement d’esprit
Durée : permanente
Quantité : 1
Qualité : moyenne
Type : article à usage unique
Coût en points d’échange : 20 points de remords
Description : Il existe dans cette petite jarre un monde à part : La sauce Macrolepiota (NT : champignon sapin-poulet, prisé dans le Yunnan, souvent mis en sauce) y est riche et parfumé, l’huile jaune y est savoureuse, la sauce de bœuf y a une texture exquise. Parfois, une seule jarre est un petit univers.
… Par tous les cieux, quelle philosophie.
Cette bouteille de scellement d’esprit n’était que de qualité moyenne ; selon les détails joints en bas, elle ne pouvait être utilisée qu’une seule fois, et ne pouvait contenir qu’un seul fantôme à la fois, sans lui infliger de dommage réel. Après usage, à la réouverture, la jarre se briserait d’elle-même.
En somme, elle ne servait pas à grand-chose.
Mais Chi Xiaochi rangea néanmoins la petite jarre avec grand soin dans son entrepôt avant de se séparer de Yuan Benshan. Il s’apprêtait à remplir son rôle de petit ami, à le consoler un peu puis à le prier poliment de s’en aller, lorsqu’il aperçut une autre personne à quelque distance.
Chi Xiaochi : … Oh oh.
Gan Yu s’approcha et dit d’une voix posée : « Bonjour à vous. »
Yuan Benshan fronça légèrement les sourcils, serra Chi Xiaochi par l’épaule et demanda : « Que viens-tu faire ici ? »
Gan Yu se tourna vers Chi Xiaochi : « Je suis venu te porter un parapluie. Ce matin, j’ai remarqué que tu n’en avais pas pris. »
Chi Xiaochi jeta un coup d’œil au parapluie noir au manche doré qu’il tenait à la main, puis, prenant d’un geste volontaire le bras de Yuan Benshan, se cacha derrière lui sans accepter l’objet : «Merci. »
061, dissimulé sous l’apparence de Gan Yu, resta sans voix : « … » Il était véritablement irrité.
À ses yeux, Xiao Chi ressemblait à un petit chat sauvage au sens de vigilance trop développé : il semblait consentir à quelques caresses, se laissait étreindre un instant, mais au moindre mouvement de vent ou de bruit, il rentrait aussitôt la queue, se léchait les pattes et observait prudemment depuis un coin, impossible à attraper.
Il savait décidément trop bien attiser l’intérêt ; parfois, 061 se disait qu’il ne voulait plus lui prêter attention.
… Mais ce n’était qu’une pensée passagère.
« Le parapluie n’était qu’un prétexte. » Rejeté, Gan Yu ne perdit pourtant rien de son calme et changea naturellement de sujet : « J’ai reçu l’avis de mission, Tangtang aussi. J’ai effectué quelques recherches préliminaires sur le centre de protection de l'enfance de Yunshan ; j’aimerais échanger certaines informations avec vous. Auriez-vous un moment ? »
Le centre de protection de l'enfance de Yunshan, fondé il y a vingt ans, se situait dans un petit district de la ville. En raison de la cupidité et de la corruption de sa direction, il avait gardé sa “caractéristique principale”, un mot pour la résumer : la pauvreté.
Jusqu’à l’incendie retentissant qui, il y a dix ans, avait bouleversé tout le pays, personne ne connaissait le nom de cet établissement.
L’origine du désastre : un employé avait illégalement tiré des fils électriques dans le débarras ; la nuit, des rats les avaient rongés, provoquant un court-circuit puis un incendie. Lorsqu’on s’en aperçut, les flammes étaient déjà incontrôlables.
L’enseignante de garde s’éveilla en sursaut et, paniquée, s’enfuit par ses propres moyens, n’ayant que le temps de crier : « Courez ! »
Plus de soixante-dix enfants, alertés par ce cri, parvinrent à fuir les flammes, tous plus ou moins blessés et terrifiés. Mais, au moment même où elle criait, un dortoir était déjà gagné par le feu : le noyau de la serrure métallique avait fondu sous la chaleur, la porte s’était déformée, il était impossible de l’ouvrir.
Pour empêcher les enfants de sortir jouer la nuit, la pièce ne possédait aucune fenêtre donnant sur le couloir. Les deux seules ouvertures donnaient sur l’extérieur, mais elles étaient solidement scellées par des barreaux de sécurité froids.
Une vingtaine d’enfants, depuis le troisième étage, agitèrent leurs petites mains à travers les grilles, criant de douleur et d’effroi, avant que leurs voix ne s’éteignent peu à peu ; ils furent brûlés vifs ou asphyxiés.
Lorsque les pompiers et la police arrivèrent pour enquêter, ils découvrirent avec consternation que l’orphelinat ne possédait que deux extincteurs. Les dispositifs anti-incendie n’avaient pas été vérifiés depuis des années, et leurs interrupteurs étaient complètement rouillés.
Depuis lors, tout le personnel impliqué fut arrêté ; l’affaire fit la une des journaux durant quelques jours avant d’être, comme les ruines de l’orphelinat, engloutie sous les herbes folles.
En tant que neuvième monde, ce scénario ne pouvait être que difficile. Mais ce concept vague de « bien s’entendre » restait trop flou ; personne ne pouvait en donner une définition précise.
Après avoir partagé les informations qu’il possédait, Gan Yu ne s’attarda pas davantage. Il s’inclina poliment et prit congé.
Après quelque temps de conversation, ce fut l’heure du repas. Chi Xiaochi transmit ses tâches à une autre infirmière et s’apprêta à partir aux côtés de Yuan Benshan. Son regard, en passant, s’arrêta sur le parapluie que Gan Yu avait apporté : il était simplement posé près du poste des infirmières.
Cette attention silencieuse le fit hésiter un instant.
Yuan Benshan remarqua lui aussi le parapluie ; son visage se fit plus froid, mais il afficha aussitôt un sourire : « Je suis parti trop vite, je n’ai pas pris de parapluie non plus. Ne nous laissons pas tremper ; utilisons celui-ci. »
Cinq minutes plus tard, dans son bureau, Gan Yu, appuyé contre la vitre étincelante, regarda en contrebas Chi Xiaochi et Yuan Benshan marcher côte à côte sous son parapluie. Il posa les mains sur la fenêtre et prit deux profondes inspirations.
« Si je me mets en colère, à qui cela profitera-t-il ? Et puis, la rancune épuise et consume. »
*
Un mois plus tard, Gan Yu, Gan Tang, Yuan Benshan et Chi Xiaochi prirent la voiture pour se rendre à l’orphelinat.
Durant ce mois, Chi Xiaochi s’était délibérément tenu à distance de Gan Yu. En revoyant Gan Tang, il se sentit enfin un peu plus à l’aise et lui raconta quelques plaisanteries d’hôpital. Gan Tang était une excellente interlocutrice : peu bavarde, mais toujours capable de saisir le sens de ses propos, répondant avec justesse, et souriant parfois doucement, avec une grâce calme et féminine.
En la regardant, avec ses gestes et sa réserve toute féminine, Chi Xiaochi eut un instant une idée absurde.
… Se pourrait-il que ce soit le professeur Luo ?
Mais il rejeta bien vite cette pensée, se disant qu’il sous-estimait vraiment les limites morales de 061 en tant que système.
Le centre se situait à la périphérie du district ; au fil des ans, la valeur du terrain avait doublé, et la terre brûlée avait été transformée en lotissement de villas pour riches citadins. Rien n’évoquait plus l’ancien désastre.
Alors qu’ils cherchaient où escalader la clôture, ils virent arriver face à eux une femme et deux hommes, eux aussi avançant furtivement en observant les lieux.
Un échange de regards suffit pour qu’ils se comprennent mutuellement.
La mission devait officiellement commencer à neuf heures du soir. Ils allèrent d’abord manger des nouilles au soja fermenté et échangèrent les informations connues.
En face, les deux hommes et la femme étaient jeunes, visiblement des étudiants. La seule fille, au caractère joyeux et au sourire doux et sucré, s’appelait Liu Chengyin. Le garçon à la frange, Tian Guangbing, était son petit ami ; ils sortaient ensemble depuis le lycée. Joueur de basket de longue date, il avait une constitution robuste. Le troisième, élancé, mince, portant des lunettes, paraissait froid et distant. Il ne se donna même pas la peine de se présenter ; ce n’est qu’en entendant Liu Chengyin l’appeler Qin Ling que les autres apprirent son nom.
Cette fois, Chi Xiaochi ne feignit pas d’être aveugle : il portait simplement des lentilles colorées pour dissimuler la teinte de ses yeux.
Il transmit spontanément les informations en sa possession ; après comparaison, il apparut qu’ils n’avaient rien d’autre d’utile à échanger, et ils se préparèrent à partir.
À huit heures cinquante, la brume s’épaissit. Profitant de l’occasion, ils échappèrent à la surveillance du gardien et franchirent le mur.
Dix minutes plus tard, le brouillard se dissipa soudain ; un rayon de lumière blanche fendit l’air, si vif qu’il leur piqua les paupières. Avant même d’ouvrir les yeux, Chi Xiaochi entendit résonner tout autour un brouhaha d’enfants.
Sous un soleil éclatant, plus de vingt enfants de cinq ou six ans faisaient de la gymnastique sur une pelouse, suivant le rythme de la musique. Ils levaient les bras et tendaient les jambes avec entrain, manifestement heureux.
Les enfants étaient tous mignons et roses comme des pêches, sans qu’aucune anomalie ne se décèle à première vue.
Les sept adultes échangèrent des regards perplexes.
Gan Yu, doucement, tendit la main près de celle de Chi Xiaochi, afin que ce dernier puisse la saisir s’il prenait peur.
Yuan Benshan, lui, posa sur Chi Xiaochi un regard interrogatif, lui demandant des yeux s’il avait remarqué quelque chose d’inhabituel.
Chi Xiaochi fit signe que non.
À travers les yeux de yin et de yang de Song Chunyang, ces enfants ne semblaient être que de simples enfants ; rien d’autre n’apparaissait.
C’est alors qu’une fillette avec des tresses tourna la tête. En apercevant Chi Xiaochi, ses yeux s’illuminèrent, et elle se précipita vers lui, agrippant le pan de son vêtement : « Maître Lou! Venez danser avec nous, sinon on n’y arrive pas ! »
Chi Xiaochi tressaillit, et par réflexe tendit la main comme pour saisir quelque chose ; une main chaude accueillit la sienne et la serra légèrement.
Sans qu’il sache pourquoi, cette simple pression suffit à l’apaiser.
… Il semblait donc que, cette fois, leur rôle soit celui d’enseignants.
Chi Xiaochi, toujours prompt d’esprit, répondit aussitôt : « D’accord. »
Il retira sa main, s’avança avec assurance devant la formation d’enfants, ôta sa veste de survêtement, et se lança dans une danse complètement désordonnée, bras et jambes virevoltant dans tous les sens.
Les enfants éclatèrent de rire. Plusieurs, plus sérieux, le corrigèrent depuis le bas avec inquiétude: « Non, non, Maître, vous vous êtes trompé ! »
Mais déjà, quelques garnements s’étaient mis à l’imiter, bondissant joyeusement à sa suite.
Dos tourné à la troupe, Chi Xiaochi dit à Xi Lou : « J’ai l’impression d’être en train de faire la fête sur une tombe (NT : idiome chinois ironique signifiant “se livrer à des réjouissances déplacées dans un contexte funèbre”). »
Xi Lou répondit : « Je pense que tu ferais mieux de te taire. »
Chi Xiaochi : « Je trouve que tu es vraiment féroce, A-Tong. »
Xi Lou : « Je pense que j’ai encore une marge de progression. »
Ainsi, pendant les trois minutes suivantes, Chi Xiaochi passa son temps à regretter son professeur Luo.
Après la gymnastique, les enfants se dispersèrent par petits groupes. Chacun semblait avoir trouvé quelqu’un à son goût : quatre enfants entourèrent Liu Chengyin en réclamant à manger, se disant affamés ; trois garçons tirèrent Qin Ling vers la salle d’activités pour jouer aux puzzles ; Yuan Benshan, qui les accompagnait, fut sollicité pour réparer une poupée cassée ; plusieurs enfants harcelèrent Tian Guangbing pour qu’il joue au basket ; et la plupart se pressèrent autour de Gan Tang et Gan Yu pour écouter des histoires.
La fillette aux tresses, une fillette avec une coupe au carré, et un petit garçon à la coupe en brosse, à l’air particulièrement espiègle, s’approchèrent de Chi Xiaochi.
Chi Xiaochi supposa qu’ils étaient à l’heure des activités libres. Puisqu’il fallait « bien s’entendre », autant se montrer conciliant.
Il se pencha donc, l’air bienveillant, et demanda : « Que voulez-vous que je fasse avec vous ? »
Le garçon à la coupe en brosse s’écria : « Le Maître doit nous apprendre à chanter ! »
Gan Yu et Gan Tang, à côté, restèrent un moment sans voix : « … »
N’était-ce pas bien, d’être encore en vie ? Non, n’était-ce pas préférable de reposer en paix ?
Mais Chi Xiaochi, lui, se prit au jeu : « Bon choix. Le Maître va vous chanter quelque chose tout de suite. Que voulez-vous écouter ? Choisissez, mais le Maître ne promet pas de connaître la chanson. »
Ces paroles un peu tortueuses laissèrent les enfants interdits.
L’un d’eux, un peu confus, dit faiblement : « Alors, Maître, enseignez-nous ce que vous voulez, on apprendra. »
Xi Lou regarda ensuite, désespéré, Chi Xiaochi retrousser ses manches avec assurance et enseigner à ce groupe d’enfants fantômes à chanter le Sūtra du Grand Compatissant (NT : texte bouddhiste sacré utilisé pour purifier le cœur et éloigner les souffrances), en les convainquant que cela purifierait leur esprit.
… Quelle absurdité.
Était-ce la même version du Sūtra du Grand Compatissant que celle des autres ?
Comme prévu, dès qu’il ouvrit la bouche, les trois petits furent pétrifiés.
Les trois têtes rondes se regardèrent les unes les autres, l’air de douter de l’existence même de ce qu’on appelle une « chanson ».
Finalement, le garçon à la coupe en brosse fut le premier à protester : « Maître, vous chantez affreusement mal ! »
Chi Xiaochi répondit calmement : « C’est que vous n’avez pas de goût. Personne ne m’a jamais dit que je chantais mal. »
Le garçon : « Vous chantez mal. »
Chi Xiaochi, sans vergogne, se défendit : « J’ai eu un grand frère qui m’a dit un jour que je chantais merveilleusement bien. C’est vous qui n’avez pas encore entendu de vraie belle chanson. »
Xi Lou : « … » Il commençait presque à souhaiter que ces petits diables se lèvent pour le griffer un bon coup.
Mais le garçon à la coupe en brosse se désintéressa bien vite de Chi Xiaochi, et la fillette à la coupe carrée tira timidement la jupe de celle aux tresses, lui indiquant du regard la direction de Gan Yu et Gan Tang, sous-entendant que là-bas, ce devait être plus amusant.
Ainsi, le « cours de musique » improvisé de Chi Xiaochi se termina en moins de trois minutes, et le « cours d’histoires » de Gan Yu accueillit quatre nouveaux auditeurs.
Gan Yu, un recueil de contes à la main, s’humecta la gorge avec un peu d’eau et se mit à lire lentement, phrase après phrase.
En levant les yeux, il aperçut Chi Xiaochi, assis en tailleur derrière les enfants, la tête appuyée sur une main, écoutant attentivement, les paupières un peu lourdes.
Son cœur se ramollit malgré lui, et sa voix se fit encore plus douce.
Dans le conte, la petite sirène rencontra l’être qu’elle aimait. Battant de la queue, elle faisait jaillir à la surface de la mer des vagues d’écume blanche.
Les enfants écoutaient, captivés. Quant à Chi Xiaochi, il s’endormit en écoutant.
Avant même qu’ils ne soient arrivés, le crépuscule était déjà tombé ; c’était presque l’heure du repos. Il avait dansé et chanté si longtemps tout à l’heure qu’il était naturellement épuisé de la tête aux pieds.
Chi Xiaochi était d’ordinaire plus vigilant que quiconque, mais, sans qu’il sût pourquoi, il ressentait ici une étrange impression : bien qu’il se méfiât encore quelque peu de Gan Yu, il avait au fond de lui la conviction que sa présence le mettait en parfaite sécurité.
Gan Yu et Gan Tang contemplaient tous deux Chi Xiaochi, assis en tailleur, la tête dodelinant peu à peu ; leurs regards étaient d’une douceur inouïe.
Gan Yu, sans s’en rendre compte, adoucit encore sa voix pour raconter, et Gan Tang fit signe aux enfants de se taire.
Ceux-ci furent très obéissants ; ils baissèrent le ton eux aussi et regardaient souvent Chi Xiaochi.
Le garçon à la coupe en brosse arracha un brin d’herbe, voulant lui chatouiller le nez ; mais avant qu’il n’ait pu réussir, Gan Tang étendit la main et lui saisit doucement, mais fermement, le poignet, tout en secouant la tête d’un air désapprobateur.
Dans le même temps, elle fronça légèrement les sourcils.
Le contact de cet enfant était celui d’un être vivant : chaleur, douceur et couleur de la peau, tout paraissait absolument normal.
Le garçon dut se rasseoir bien sagement, et Chi Xiaochi put dormir profondément jusqu’à l’heure du dîner.
Le repas du soir fut préparé par Liu Chengyin. Ses compétences étaient plutôt bonnes et, par précaution, elle confectionna pour les enfants un menu collectif équilibré et nutritif.
À l’heure du repas, les enfants arrivèrent en piaillant pour manger.
Certains gardaient dans la bouche les carottes râpées avant de courir les recracher aux toilettes ; d’autres triaient les morceaux d’aubergine et les déposaient sur la table, ou bien les jetaient dans le bol de leurs camarades ; les plaintes fusaient de toutes parts. Liu Chengyin consolait l’un, grondait l’autre, si bien qu’elle finit trempée de sueur.
Lorsqu’elle eut enfin envoyé les enfants se laver, elle put revenir, fourbue, s’asseoir à la table.
Elle détacha alors du mur un emploi du temps et le tendit aux autres pour qu’ils y jettent un œil.
L’organisation était semblable à celle des orphelinats ordinaires : les petits enfants se levaient à sept heures pour la toilette et le rangement de leurs affaires ; à sept heures trente, ils prenaient le petit-déjeuner dans le réfectoire ; à huit heures trente commençaient deux leçons, puis venait le déjeuner, la sieste, une nouvelle leçon à trois heures de l’après-midi, une heure d’activités libres, le dîner à cinq heures, le bain, une heure de télévision, et enfin le coucher collectif à huit heures trente.
Ils échangèrent ensuite leurs impressions sur leur arrivée dans ce monde.
Étrangement, tous confirmèrent que les enfants paraissaient tout à fait normaux, sans le moindre signe inquiétant ; ils se contentaient de demander qu’on joue avec eux.
Faute de mieux comprendre, ils convinrent d’attendre la première nuit pour voir ce qui se passerait.
Avant de se coucher, le groupe fit le tour complet du petit bâtiment principal du centre.
Le lieu, bien que modeste, était complet dans ses aménagements. Devant le bâtiment principal s’étendait une vaste pelouse, avec divers équipements de plein air, et même un terrain réservé au badminton. À l’intérieur, le premier étage abritait la salle d’activités, l’infirmerie et le réfectoire ; le second, les salles de classe et une petite bibliothèque ; le troisième, un entrepôt où l’on empilait literie, tables et chaises, ainsi que les dortoirs des enfants. À chaque étage, les toilettes et les chauffe-eau étaient situés à l’extrémité est du couloir.
C’est de cet entrepôt qu’était parti, jadis, l’incendie.
Et, tout à côté de cet entrepôt, logeait justement la classe des enfants victimes de l’incident.
Les dortoirs des enseignants se composaient de deux chambres, leurs portes ouvertes, proches de l’escalier, également au troisième étage. Chacune contenait quatre lits superposés, juste assez pour héberger le groupe de Chi Xiaochi.
Chi Xiaochi prit un lit du bas.
Ayant fait une sieste plus tôt, il n’avait plus sommeil.
Incapable de s’endormir, il mit ses écouteurs, ferma les yeux et lança sur son téléphone un programme de contes audio.
Il pensait encore à l’histoire du petit poisson-clown à la recherche de sa maison, voulant connaître la fin du récit ; mais, une fois revenu dans le monde réel, il avait cherché sans succès ce programme parmi de nombreux stations FM similaires, sans jamais le retrouver.
Chi Xiaochi n’avait pas envie d’aller interroger Gan Yu à ce sujet — cela aurait inutilement rapproché leurs liens —, il préféra donc télécharger d’autres contes pour s’endormir.
Cependant, au moment où le sommeil commençait à venir, Chi Xiaochi perçut soudain une légère odeur de brûlé.
… Cette odeur venait de son oreiller.
Tout son corps se tendit. Il se redressa d’un coup — et croisa aussitôt un regard noir où le blanc disparaissait presque.
La fillette à la coupe carrée se tenait au pied de son lit, la tête penchée de côté, le fixant.
Son apparence n’avait plus rien à voir avec celle du jour : son cou s’étirait selon un angle qu’aucun être humain ne pouvait atteindre ; dans sa main, elle tenait une poupée calcinée ; et, dans ses yeux noirs, stagnait une lueur de mort glaçante.
… Or, avant de dormir, il avait bel et bien verrouillé la porte.
« Maître, je n’arrive pas à dormir. » Elle le regardait fixement, le coin des lèvres relevé en un sourire exagéré à l’extrême. « Joue avec moi, d’accord ? »
Chi Xiaochi resta mentalement hébété environ cinq secondes.
Puis il demanda : « Quelle heure est-il ? »
La fillette : « … »
Chi Xiaochi : « D’après le règlement de l’orphelinat, où devrais-tu être maintenant ? »
Le visage de la fillette changea légèrement ; elle répondit d’un ton plaintif : « … Je devrais être au lit. »
Chi Xiaochi : « Bien. Demi-tour, direction ton lit. Marche au pas. »
La fillette : « Maître, je veux que tu joues avec moi. »
Chi Xiaochi : « Alors demain, tu restes toute la journée allongée sur le lit, pas question de te lever. »
La fillette : « … »
Elle réfléchit un instant, et décida que rester allongée toute la journée serait plus douloureux que de ne pas pouvoir dormir, puis prit sa poupée dans ses bras et marcha pas à pas vers la porte ouverte.
Ce n’est que lorsque sa silhouette eut complètement disparu dans l’encadrement de la porte que Chi Xiaochi put retrouver sa capacité à respirer normalement.
…Dormir ? Impossible, il ne pourrait plus dormir maintenant.
La petite fille était arrivée sans bruit, et les frère et sœur Gan ainsi que Yuan Benshan ne s'étaient même pas se réveiller.
Chi Xiaochi fit une rapide comparaison entre les trois, soupira, et tendit la main pour tirer Gan Yu, qui était sur le lit supérieur, en disant : « Hé, partageons le lit. »
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L'auteur a quelque chose à dire :
Désolée qwq
J'avais dit à l'origine que nous allions accélérer la neuvième tâche d'un seul coup, mais il s'est avéré qu'il y avait encore des intrigues que je devais mettre en place, alors...
Je ne vais pas soulever de drapeaux, je ne dirai plus que cet arc sera terminé dans quelques chapitres [Appris à être sage.jpg]
Tout ce que fait Xiaochi maintenant consiste à creuser lentement une fosse, une pelletée à la fois, il n'y aura pas d'échappatoire à la mort, tout le monde se détend~
Plutôt que de vous inquiéter pour Xiaochi, pourquoi ne pas ressentir un peu de chagrin pour le professeur Liu, qui souffre secrètement ?
Traduction: Darkia1030
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