Prendre ses distance, manigancer, fonctionnement du monde

 

Lorsque qu’ils entrèrent dans ce monde, une cigale tardive se posa sur un arbre à l’extérieur, suçant le suc de l’arbre avec un bruissement régulier et chantant longuement en battant des ailes.

Lorsqu’ils en sortirent, cette même cigale battit des ailes et s’envola dans la nuit.

La mission terminée, les silhouettes de Guan Qiaoqiao et de Liao Wu s’effacèrent progressivement aux yeux des autres, comme si elles avaient été gommées par une gomme invisible, ne laissant aucune trace, pas même un déchet.

Cette mort était légère comme du papier ou du duvet, se dispersant au vent, ne laissant rien derrière elle.

Même le chagrin des vivants semblait atténué.

Chi Xiaochi regarda l’endroit où Guan Qiaoqiao avait disparu et murmura : « Elle n’est vraiment plus là. »

Il leva les yeux, perdu, vers Yuan Benshan : « Elle me parlait à l’instant encore. »

Ces derniers jours, Yuan Benshan avait observé les liens d’amitié entre Chi Xiaochi et « Guan Qiaoqiao ». Malgré son inquiétude, il pouvait comprendre : Chi Xiaochi prenait cette « Guan Qiaoqiao » pour une représentation spirituelle de la vraie Guan Qiaoqiao encore vivante.

Yuan Benshan posa un bras autour de ses épaules et lui caressa les cheveux : « C’est bon, c’est bon, sois sage. »

Une fois ses émotions stabilisées, Chi Xiaochi remit le poignard brisé à Tan Yue et à son groupe : « Elle m’a demandé de vous le remettre. »

Tous avaient remarqué que, juste avant de quitter le monde, Song Chunyang avait longuement parlé avec cette « Guan Qiaoqiao ». Leur relation était correcte, et il était donc logique que Guan Qiaoqiao lui confie le poignard pour qu’il le leur transmette.

Tan Yue prit silencieusement le poignard et le rangea dans son sac à dos.

Elle n’avait même plus la force de remercier. Après un bref repos, ils descendirent la montagne dans la nuit.

Voyant ce précieux objet remis si facilement, Yuan Benshan ressentit un léger regret, mais cela resta mineur.

Chi Xiaochi se tourna vers lui : « Est-ce que tu es mécontent que j’aie fait cela? »

Yuan Benshan secoua la tête : « Ta présence me suffit. »

Sur ces mots, il embrassa l’œil de Song Chunyang.

Chi Xiaochi : « … »

Vaillant guerrier, il faut bien parler avant, et ne pas se précipiter.

Plus tragique encore, Chi Xiaochi, qui venait de se remplir l’estomac de brochettes dans le monde de mission, avait en réalité encore faim dans le monde réel.

Song Chunyang, avant d’entrer dans le monde de mission, avait découvert les méfaits de Guan Qiaoqiao et Yuan Benshan et n’avait à peine touché son dîner, ce qui expliquait qu’il ne puisse même pas vomir malgré son malaise.

À ce moment, les frère et sœur Gan descendirent de l’ancien château, et Gan Tang salua Chi Xiaochi avec douceur.

Chi Xiaochi sursauta, oubliant même son envie de vomir.

Tous quatre venaient de la même ville et avaient acheté le même billet de train de nuit pour rentrer, si bien qu’ils formèrent officiellement une alliance en attendant le train.

Le terme alliance impliquait une connexion mutuelle via le système pour s’authentifier.

Chi Xiaochi observa la réaction des frère et sœur Gan, qui restaient calmes. Peu après, Xi Lou émit un signal indiquant que la liaison avait réussi.

Chi Xiaochi : « …C’est réussi ? »

Comment Gan Yu pouvait-il avoir un système ?

Chi Xiaochi avait toujours cru que l’identité de Gan Yu avait été inventée par 061 pour le tromper, mais la situation actuelle montrait qu’il existait réellement dans le monde réel et qu’il possédait un système ayant traversé huit missions ?

Chi Xiaochi eut un léger mal de tête à force d’y penser, et prétexta d’aller aux toilettes publiques pour sortir son téléphone, maintenant fonctionnel, afin de chercher Gan Yu.

Dans les toilettes, Xi Lou dit avec reproche : « Tu regardais Gan Yu à en faire tomber tes yeux. »

Chi Xiaochi posa le téléphone, affichant ses recherches : Gan Yu, médecin en neurochirurgie dans un hôpital de premier rang, 32 ans, publications et conférences vérifiables, jeune et prometteur.

Il soupira : « Je pensais que Gan Yu était mon système. »

Xi Lou répondit, déçu : « Oh. »

Il aurait lui aussi aimé que Gan Yu soit ce système 061 dont l’autre parlait depuis des jours.

Chi Xiaochi échangea deux points de valeur d’affection dans son inventaire contre un panier de luffa, puis se nettoya soigneusement les yeux avec de l’eau.

Xi Lou ressentit sa déception et tenta de le rassurer : « Tu le savais déjà. Il n’est qu’un être humain ordinaire. Quel esprit sain viendrait dans un endroit aussi dangereux juste pour accompagner quelqu’un ? »

…On pouvait dire qu’il savait réconforter.

Pourtant, Chi Xiaochi ne put s’empêcher de sourire.

Il toucha l’œil droit de Song Chunyang dans le miroir, repensant à ces satanés autocollants émoticônes qui l'avaient sauvé d'innombrables fois, et ne put s’empêcher de rire.

Peut-être avait-il trop extrapolé.

Les autocollants d'émoticônes n’étaient qu’une fonction autorisée par 061.

Il se souvenait que 061 avait dit que créer un corps dans le monde réel constituait une violation du système.

Quant à Gan Yu, c’était sans doute juste un jeune homme mondain, habile à séduire et à tirer profit des occasions.

En effet, que ce soit Gan Yu ou Dong Feihong, c’étaient des personnes bien réelles. Chi Xiaochi, nostalgique de Lou Ying, cherchait inconsciemment des reflets du passé chez les autres.

C’était injuste pour tout le monde.

Ainsi, lorsque Gan Yu proposa de surclasser leurs billets de deuxième classe au wagon affaires où se trouvaient les deux frère et sœur, Chi Xiaochi refusa : « Je sui bien ici. »

Le visage de Gan Yu était déjà sombre avant le départ, mais il respecta sa décision, lui donna le repas qu’il avait acheté à la gare, afin qu’il mange et se couche tôt.

Après son départ, Chi Xiaochi offrit le repas à Yuan Benshan, prétextant ne pas avoir d’appétit et voulant juste dormir.

Yuan Benshan, satisfait, ouvrit l’accoudoir : « S’asseoir contre la fenêtre secoue trop, ce n’est pas confortable. Viens dormir sur mes jambes. »

Chi Xiaochi, gêné, répondit : « Les autres vont nous voir. Laisse tomber. »

Yuan Benshan y pensa un instant, puis sortit de son sac un oreiller en U qu’il lui passa autour du cou.

Chi Xiaochi fit semblant de fermer les yeux, mais en réalité, il observait attentivement l’écran devant lui.

La valeur d’affection de Yuan Benshan envers Song Chunyang était de 75 points, tandis que sa valeur de culpabilité était de 7 points.

Avec l’alliée Guan Qiaoqiao sacrifiée, il ne restait plus à Yuan Benshan que Song Chunyang comme compagnon, et il l’aimait d’autant plus.

Et le fait de ne pas avoir à lui voler les yeux fit chuter son sentiment de culpabilité de façon spectaculaire.

On pouvait dire qu’à ce moment, Yuan Benshan était en parfaite tranquillité d’esprit, car Chi Xiaochi pouvait sentir clairement que l’image de « Guan Qiaoqiao » dans leur esprit devenait progressivement floue.

En si peu de temps, il ne se souvenait déjà plus à quoi ressemblait cette personne.

Dans la vie passée, lorsque Song Chunyang avait été tué, ce devait être la même chose : avec le temps, on finit par oublier même la malveillance elle-même, ouvrant la voie à une vie nouvelle et paisible.

Il dit à Xi Lou : « Rappelle-moi une fois par jour de ne pas oublier qui était Guan Qiaoqiao. »

Xi Lou acquiesça.

Bien qu’il ait quelques doutes sur la moralité de Chi Xiaochi, Xi Lou ne doutait jamais de ses méthodes.

Il connaissait l’intégralité du plan, et, honnêtement, il était un peu impressionné.

À sa mort, Xi Lou n’était encore qu’un étudiant de troisième année universitaire. Après avoir accompli de nombreuses missions pendant plus de dix ans, et après avoir vu la bassesse de la nature humaine et les trahisons mutuelles, il croyait que son cœur était suffisamment dur. Pourtant, en entendant le dialogue entre Chi Xiaochi et « Guan Qiaoqiao », il fut submergé de sueurs froides.

De retour dans sa ville d’origine, Chi Xiaochi demanda un congé maladie à l’hôpital et s’effondra pour dormir.

Yuan Benshan ne s’en formalisa pas. Song Chunyang subissait d’énormes pertes d’énergie après chaque mission; dormir trois jours était le minimum.

Il coordonna le déménagement pour évacuer les affaires excédentaires de leur « locataire».

Pendant que Yuan Benshan s’affairait à l’extérieur, Chi Xiaochi restait au lit, organisant ses pensées.

Quelques jours avant la fin du huitième monde de mission, il interrogea Xi Lou sur le fonctionnement du système.

Il ne s’attendait pas à ce qu’Xi Lou puisse répondre précisément, mais Xi Lou dit directement : « La tâche confiée par le dieu suprême consiste à guider le sujet afin de collecter de l’énergie de peur. »

« À quoi sert cette énergie de peur ? »

Xi Lou répondit aussitôt : « À maintenir la paix et la stabilité du monde. »

Chi Xiaochi : « Votre dieu suprême se préoccupe donc de la nation et du peuple, il doit avoir au moins dix ans d’expérience… »

Xi Lou resta impassible : « Pas seulement le dieu suprême. Tous les systèmes qui entrent en fonction suivent une formation. Nous sommes tous des matérialistes convaincus. »

Chi Xiaochi : « …Tu ne te sens pas un peu coupable en disant ça ? »

Xi Lou répondit calmement : « Après la mort, les êtres humains se transforment en une énergie correspondante, formant certains types de consciences, ce que l’on appelle des « fantômes ». Ceux qui ont peu de rancune voient leur énergie se dissiper naturellement après un certain temps ; mais les esprits vengeurs émettent, à leur mort, une énergie particulière et anormale, beaucoup plus puissante, qui leur permet d’accomplir des choses que des fantômes ordinaires ne peuvent faire. »

Chi Xiaochi : « … » Cela semblait, ma foi, très scientifique.

À ce moment, il avait compris : « Le dieu suprême collecte donc cette soi-disant énergie de peur pour… »

Xi Lou continua : « Le dieu suprême doit contenir ces énergies uniques dans un espace dimensionnel, afin d’empêcher les esprits vengeurs de tuer de manière incontrôlable. L’espace dimensionnel, pour faire simple, est la prison des esprits vengeurs. Le dieu suprême en est le geôlier, nous travaillons pour lui, et les participants aux missions sont les ouvriers qui renforcent les murs de cette prison. »

Chi Xiaochi : « …Des ouvriers ? »

Xi Lou : « Tu penses qu’on peut maintenir la sécurité d’une prison à coups de bonnes intentions ? »

Il ajouta : « L’énergie de peur est l’agent le plus efficace pour maintenir la frontière entre l’espace dimensionnel et le monde réel. »

…Voilà qui expliquait tout.

Pas étonnant que Song Chunyang, malgré ses yeux yin-yang innés, n’ait jamais vu un esprit vengeur dans le monde réel.

La fille de la bouteille jouant à cache-cache, le spectre de la bibliothèque, et la fantôme du ballon faisaient partie des membres de la prison, tandis que Song Chunyang et Yuan Benshan n’étaient que des ouvriers temporaires.

Chi Xiaochi répliqua néanmoins : « Cette obligation contractuelle forcée n’est-elle pas un contrat abusif ? »

Xi Lou rétorqua : « Sinon quoi ? Le dieu suprême organiserait un vote populaire pour demander qui veut entrer dans le monde et fournir de l’énergie de peur ? »

Chi Xiaochi réfléchit, et admit que c’était logique.

Il demanda encore : « Alors pourquoi ne pas envoyer directement des gens qui ont commis des actes répréhensibles à leur perte ? »

Xi Lou répondit : « Le dieu suprême n’est pas le juge du monde. Qui est mauvais ou non, le degré de mal, c’est impossible à juger par un seul individu. Pour être équitable, il faut faire au hasard ; c’est le destin de chacun. Si la frontière énergétique est instable, relâcher ces esprits vengeurs serait dangereux : la plupart ne tiendraient pas compte de la moralité de leurs victimes. »

Voyant Chi Xiaochi pensif, Xi Lou demanda : « Le dieu suprême ne t’a-t-il jamais expliqué le mécanisme de fonctionnement du monde et les règles de base lors de la signature du contrat ? Nous distribuons des brochures, et nous avons l’obligation d’informer les sujets s’ils posent des questions. »

Chi Xiaochi secoua la main : « Je ne connais pas vraiment notre dieu suprême, je ne l’ai jamais rencontré. »

Xi Lou : « La première règle du manuel est claire : si un sujet pose une question et que l’on ne répond pas, c’est une violation du règlement de base. »

Chi Xiaochi : « Je sais. »

Il était vrai que certaines personnes méritaient plus la mort que d’autres, et que certaines choses méritaient plus d’être jetées que d’autres.

Revenant mentalement de quelques jours en arrière jusqu’au présent, Chi Xiaochi posa sa main sur son visage et murmura : « …Énergie, hein. »

Ce mécanisme de fonctionnement pouvait être considéré comme une énorme source d’inspiration pour Chi Xiaochi.

Le dieu suprême de 061 était si calculateur, peut-être avait-il aussi besoin d’une certaine forme d’énergie ?

Impossible à savoir.

Mais cela constituait une nouvelle piste de réflexion.

Chi Xiaochi nota discrètement ces idées tout en repassant mentalement le contenu de son accord avec « Guan Qiaoqiao », prévoyant de tester certaines possibilités dans le monde suivant.

Xi Lou ne put s’empêcher de lui demander : « Es-tu sûr que ta méthode fonctionnera ? »

« On va voir. » répondit Chi Xiaochi avec légèreté. « J’ai déjà sacrifié mon corps en explosant dans des fosses à excréments (NT : idiome signifiant prendre des risques extrêmes ou se sacrifier pour tester quelque chose). Si ça ne marche pas, je trouverai un autre moyen. »

Xi Lou : « … » Quelle image évocatrice.

Une fois rétabli, Chi Xiaochi retourna travailler à l’hôpital et eut effectivement une « rencontre fortuite » avec Gan Yu, vêtu de sa blouse blanche de médecin, à la cantine.

En voyant Gan Yu en uniforme, Chi Xiaochi réalisa à quel point ses pensées précédentes étaient erronées.

Il semblait être né pour porter cette tenue.

La blouse blanche amplifiait son aura de froideur et d’ascèse, et bien que tous les boutons fussent soigneusement fermés, elle suscitait des pensées inappropriées, donnant envie de défaire ses vêtements.

Et cet homme de froide séduction, en voyant Chi Xiaochi de loin, lui offrit un sourire radieux, doux comme la pluie printanière (NT: idiome signifiant douceur et bienveillance capables de pénétrer le cœur), capable de faire fondre les jambes et accélérer le cœur en un instant.

Pourtant, Chi Xiaochi se contentait de regarder, se régalant simplement des yeux.

Pour éviter de devoir partager ses gains avec Yuan Benshan, il se plongea dans le travail, ne cherchant pas Gan Yu ni ne rentrant chez lui, appliquant strictement le principe : «Je m’amuse avec tout et n’importe quoi, mais pas avec un gay, je nique chiens et chats mais jamais toi. !» (NT : gǎo sān gǎo sì bù gǎo jī. rì māo rì gǒu bù rì nǐ ; idiome rythmé insultant signifiant : éviter toute implication intime ou sexuelle, rester strictement distant), attendant tranquillement l’arrivée de la neuvième mission.

Quant à ce que Gan Yu ressentait à ce sujet, ce n’était pas le sujet. En raison de la mort de Guan Qiaoqiao en revanche, Yuan Benshan repensait aux souvenirs chaleureux qui avaient existé entre eux deux, et se montra particulièrement attentionné envers Chi Xiaochi.

Il fallait reconnaître que, hors le fait qu'il était un déchet, Yuan Benshan était une personne charmante, prenant soin de lui apporter des repas, de l’accompagner au cinéma pour se détendre, et collectant des blagues pour le faire rire.

Bien sûr, il pensait de de cette façon et était donc très confiant. Il interprétait le refus de Chi Xiaochi de partager son lit comme un signe de chagrin face à la perte de Guan Qiaoqiao, et faisait preuve de compréhension et de tolérance extrêmes.

À ce sujet, Xi Lou commenta : « Dessiner un nez dans le ciel, quel culot (NT : idiome signifiant faire preuve d’un aplomb extraordinaire). »

Chi Xiaochi sourit, restant évasif, et échangea des points d’affection excédentaires contre une carte.

Heureusement, l’intervalle entre la neuvième mission et la précédente n’était pas long.

Environ deux semaines plus tard, Chi Xiaochi, en train de faire une piqûre à un patient et de localiser une veine pour prélever du sang, il entendit Xi Lou lui dire : « …Ça arrive. »

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L'auteur a quelque chose à dire :

Chapitre de transition ! Ce Dieu Suprême, comparé au poulet épicé Cerveau de Cochon, peut être jugé équitable, transparent et juste !

Professeur Liu a souffert ces derniers jours, un jour avant sa libération, son cœur est amer.

 

Traduction: Darkia1030