DPUBFTB - Chapitre 101 - Cycle du karma, la rétribution est inévitable (15)

 

Pensées nocturnes, contes de fées, discours sur les humains et les fantômes.



Chi Xiaochi lui jeta un regard, se pencha pour prendre son verre d’eau et dit d’un ton neutre : «Pas besoin que tu nettoies. Dors d’abord, je vais prendre une douche. »

Gan Yu s’écarta à moitié : « Fais attention, quelqu’un pourrait ramper depuis la tête de la douche. »

Chi Xiaochi tendit brusquement les orteils : « Tu essaies de me faire peur ? »

Gan Yu toussota légèrement : « Je faisais juste une remarque. »

Chi Xiaochi afficha un sourire signifiant « je m’en fiche », se dirigea vers la salle de bain, resta figé cinq secondes devant la pièce sombre et le miroir faisant face à la porte, puis revint sur ses pas et se débarrassa de ses pantoufles.

Gan Yu demanda : « Qu’est-ce qu’il y a ? »

Chi Xiaochi se jeta sur le lit d’un mouvement vif et répondit d’un ton bougon : « Fatigué. Je ne me lave plus. »

Gan Yu : « Tu as eu peur ? »

Chi Xiaochi lui tourna le dos : « Pas peur. Juste fatigué. »

Gan Yu laissa échapper un petit rire, se pencha un peu, presque gêné, et dit doucement : « Je reste avec toi. »

« Pas besoin. »

Il céda avec douceur : « Alors je t’attends dehors. »

Chi Xiaochi resta silencieux.

Devant tant d’empressement, je suppose que je pourrais aussi bien accepter.

Après une journée bien remplie, il put enfin prendre sa douche. L’eau brûlante ruisselait sur son corps, dilatait ses pores et emportait la fatigue. Les cigales de fin d’été chantaient dehors, mêlées à une brise légère. La chaleur intérieure et la fraîcheur extérieure calmaient tout naturellement l’esprit.

La porte vitrée se couvrit de buée. Chi Xiaochi tendit la main pour l’essuyer. À travers la porte en verre dépoli de la salle de bain, on devinait vaguement une silhouette qui attendait là, les bras le long du corps, sans même un téléphone pour passer le temps.

Les personnes peureuses ont une imagination débordante lorsqu’elles sont seules, et se sentent vite menacées. Un simple gant de toilette pouvait leur évoquer une tête humaine. Pour éviter de se laisser aller à des pensées absurdes, il engagea la conversation avec Gan Yu : « Docteur Gan, tu ne joues pas avec ton téléphone ? »

Même si dans ce monde de mission, les téléphones ne pouvaient pas se connecter à Internet, leurs fonctions internes restaient actives, alors il pouvait au moins jouer à 2048 (NT : jeu de puzzle numérique).

De l’autre côté, Gan Yu répondit : « Tu m’as dit de t’attendre, non ? »

Chi Xiaochi dit : « Rester planté là, c’est un peu ennuyeux. »

Gan Yu répondit en souriant : « T’attendre, c’est loin d’être ennuyeux. »

Chi Xiaochi resta silencieux. Il ne pouvait pas gagner cette joute verbale. Fin de la discussion.

Il réfléchit quelques secondes, puis s’adressa à Xi Lou : « A-Lou, je crois qu’il m’aime bien. »

Xi Lou, encore plus nerveux que lui : « Hmm. Éloigne-toi de lui. »

Chi Xiaochi remarqua : « Mais il peut me protéger, lui. »

Xi Lou, malgré tous ses efforts, ne pouvait cacher sa tension ni sa jalousie. « Ce type a de mauvaises intentions. Il ne te connaît que depuis cette mission. Ce qu’il aime, c’est toi, pas Chunyang. »

Il essayait de dissocier Song Chunyang de cette ambigüité sentimentale. « Qu’il dégage. Je n’en veux pas. »

Chi Xiaochi répondit : « Mais il a reconnu Song Chunyang au premier coup d’œil. Peut-être qu’il s’intéressait à lui depuis longtemps… »

Xi Lou : « Tu veux dire quoi, là ? »

Chi Xiaochi : « Il est beau garçon, il a l’air bien… »

Xi Lou paniqua : « Tu n’oses pas ! »

Chi Xiaochi : « Je ne faisais que penser. »

Xi Lou : « …Même y penser, c’est non ! »

Pris de panique, Xi Lou laissa échapper ce qu’il avait soigneusement gardé pour l’avenir : « Pas question. Si Chunyang réussit dix missions, je viendrai le chercher… »

Avant d’avoir terminé sa phrase, il rougit.

Les personnes qui vivent leur premier amour dessinent toujours en secret une image idéale de l’avenir. Elles n’osent pas en parler, mais ne peuvent s’empêcher d’en dire un peu.

Chi Xiaochi rinça la mousse de ses cheveux : « Oh. » Petit ricanement.

Xi Lou resta suspendu à cette réponse.

Qu’est-ce que ce « oh » voulait dire ? Était-ce une promesse de ne pas traîner avec ce type nommé Gan ? Ou une manière de détourner le sujet ?

Dans sa tête, l’image de Chi Xiaochi et Gan Yu se transforma en celle d’un duo de dévergondés séducteurs, et il souhaita qu’ils se pourrissent mutuellement, loin de Chunyang.

La douche s’était passée sans incident, et il en avait même profité pour taquiner Xi Lou, ce qui compensa un peu la frustration accumulée face à Gan Yu.

Quand Chi Xiaochi sortit de la salle de bain en pantoufles, enveloppé dans une serviette, Gan Yu était encore là, debout bien sagement à la porte, comme si garder la salle de bain était un divertissement en soi.

Chi Xiaochi ne lui prêta pas attention.

Il n’avait bien sûr aucune intention de s’attacher à quelqu’un dans ce monde de mission. Mais cet homme, avec ses manières polies et mesurées, lui rappelait trop le style de 061. Méfiance ou non, il était difficile de ressentir de l’antipathie envers lui.

Une fois couché, lumière éteinte, Chi Xiaochi ne s’endormit pas tout de suite. Il restait là, les yeux ouverts, à compter les motifs au plafond.

Gan Tang dormait déjà. Gan Yu, après s’être allongé un moment, tourna la tête vers lui : « Tu ne dors pas ? »

Chi Xiaochi répondit : « Je me demande où se trouve la difficulté dans ce monde. »

Il pensait aussi à cette entité qui avait pris possession du corps de Guan Qiaoqiao : était-ce un personnage du scénario, ou bien quelqu’un qui avait réellement existé ?

À part pour la toute première fois, l’emplacement de chaque mission était toujours communiqué à l’avance. Ainsi, Song Chunyang avait eu le temps d’enquêter sur l’histoire de ce vieux manoir avant de s’y rendre.

Ce manoir appartenait autrefois à un riche homme d’affaires. Il l’avait acheté pour le prestige, s’en servait parfois comme lieu de villégiature. Avant qu’il ne soit abandonné, il l’avait effectivement loué à une équipe de tournage de film d’horreur.

Peu avant la fin du tournage, une rumeur avait circulé selon laquelle une jeune actrice, figurante dans le film, s’était suicidée après avoir vu un fantôme.

L’affaire fut immédiatement considérée comme un coup de publicité douteux.

Face à la propagation de la rumeur, l’équipe du film publia une déclaration : un accident avait bien eu lieu sur le tournage, mais il s’agissait d’un simple incident, et ils demandaient au public de respecter la mémoire de la défunte.

Des accidents durant les tournages, ce n’était pas si rare. D’autant plus que cette jeune actrice était quasiment inconnue, encore étudiante, et c’était son tout premier film.

En ligne, nombreux furent ceux qui exprimèrent leur regret, mais ce ne furent que quelques soupirs lancés en passant.

Trois jours plus tard, lors du banquet de fin de tournage, entouré par les caméras des médias, l’acteur principal du film devint subitement fou sans aucun signe avant-coureur. Il sauta du troisième étage et s’écrasa dans une piscine asséchée, mourant comme une pastèque jetée à terre : rouge et blanc éclaboussés, d’une laideur indescriptible.

Cet acteur était un jeune espoir récemment en vue. Il avait une apparence agréable, avait joué dans plusieurs dramas pour adolescents, et sa carrière était en pleine ascension. De nature enjouée, il était le genre de personne que les animateurs d’émissions de variétés affectionnaient particulièrement. Comment aurait-il pu devenir fou sans raison ?

La rumeur éclata comme une bombe.

Certains parlèrent d’ivresse, d’autres de drogue, de maison hantée, de suicide, ou encore de coucheries secrètes. Toutes les théories se succédèrent, rendant l’affaire bruyante et confuse, jusqu’à ce que les débats deviennent trop virulents. Les autorités intervinrent pour faire supprimer les messages, et le tumulte finit par se calmer.

Mais cette affaire était trop empreinte de mystère, trop captivante. Des années plus tard encore, certains en discutaient discrètement sur les forums à travers des codes et des allusions.

Les scandales ont toujours le pouvoir d’attiser la curiosité. Tout le monde voulait voir ce film, mais avec un tel incident, une sortie en salle était inenvisageable. Le réalisateur, étonnamment, n’insista même pas et accepta cette décision sans un mot.

Par la suite, le réalisateur réalisa encore deux films à petit budget, tous deux furent des échecs cuisants. Il se retira alors du monde du cinéma, sans plus jamais produire la moindre œuvre. Quant aux acteurs et au scénariste, ils gardèrent le silence le plus complet. Beaucoup disparurent purement et simplement, sans laisser de trace.

Le manoir, où deux personnes étaient mortes sans raison apparente, fut jugé malchanceux par son propriétaire. Il engagea des travaux de rénovation, fit venir un maître pour accomplir un rituel de purification, et s’assura qu’aucun esprit malfaisant ne s’y trouvait. Ensuite, il le mit en vente. Mais en vain : personne ne s’y intéressa.

… Après tout, si l’on a les moyens d’acheter une villa en montagne, pourquoi choisirait-on une maison maudite ?

Avec le temps, ce manoir, qui jouissait autrefois d’un feng shui plutôt favorable, fut complètement abandonné.

Toutes ces années passèrent. Les personnes concernées restèrent introuvables, et les rumeurs en ligne étaient bien trop nombreuses et décousues. Song Chunyang passa un long moment à consulter des potins sans queue ni tête, au point d’en avoir mal à la tête, sans réussir à trouver le moindre indice valable.

Chi Xiaochi se demanda : quel était donc le véritable visage de ce fantôme dissimulé dans la photographie ?

Avait-il choisi la peau de Guan Qiaoqiao parce qu’il aimait son apparence ? Ou parce qu’il appréciait son rôle ?

Ou bien y avait-il une autre raison encore ?

Bien sûr, Chi Xiaochi ne pouvait qu’énumérer mentalement quelques hypothèses, juste au cas où. Mais aller demander directement à « Guan Qiaoqiao » ? Impossible, il manquait de courage.

Gan Yu le regarda de côté, observant ses yeux brillants, et secoua la tête avec désapprobation.

Chi Xiaochi avait cette particularité : même après une journée exténuante, même s’il n’avait dormi que cinq minutes, une fois réveillé, il lui était presque impossible de se rendormir.

Un rythme biologique semblable à une batterie rechargeable, en somme, mais loin d’être sain. Il fallait le corriger.

Alors, Gan Yu prit son téléphone, appuya sur quelques touches, et le plaça près de l’oreiller de Chi Xiaochi.

Chi Xiaochi dit : « … Hein ? »

Gan Yu se leva : « J’ai une application de radio dans mon téléphone. J’y ai téléchargé quelques enregistrements. Tu peux les écouter si tu n’arrives pas à dormir. »

Chi Xiaochi pensa que c’était probablement ce qu’on appelait des dramas audio… Il se demanda s’il y aurait du contenu un peu osé.

Étant un homme aux goûts variables, capable d’apprécier aussi bien l’élégance que le vulgaire, Chi Xiaochi tendit l’oreille, tout à fait éveillé, curieux de ce qu’il allait entendre.

Mais, à sa légère surprise, il s’agissait d’un conte pour enfants. Il y avait bien un peu de «viande» dans l’histoire, mais c’était celle d’un petit poisson perdu en quête de son foyer.

Il jeta un coup d’œil à Gan Yu, ne s’attendant pas à ce que ce dernier ait conservé une telle âme d’enfant.

La voix du narrateur était douce et agréable, à la fois chaleureuse et légère. En quelques mots, elle parvenait à apaiser le cœur.

« Le petit poisson partit du Pacifique Sud, remuant sa queue, écoutant le souffle du Pacifique Sud. Il pensait : il faut que je retrouve mon récif de corail. »

Ce timbre n’était ni celui de Gan Yu, ni celui de 061, mais sa manière de couper les phrases et d’articuler rappelait vaguement quelque chose à Chi Xiaochi. Ses pensées agitées se calmèrent peu à peu.

La voix de Gan Yu, bien que plus douce, s’harmonisait étonnamment bien avec celle du narrateur, créant un effet presque hypnotique.

« Mieux vaut que tu dormes un peu plus. Demain, réveil à huit heures. Dormir tôt améliore la peau, ce sera plus pratique pour que Tangtang se maquille. »

Sur ce, il se leva et régla la climatisation à la température la plus basse. Avec une couette sèche, l’effet de chaleur était encore plus agréable.

Pendant qu’il bougeait, Chi Xiaochi ne le quittait pas des yeux.

L’homme devant lui était un inconnu, la voix à ses oreilles l’était aussi. Pourtant, combinées, elles lui rappelaient irrésistiblement Lou Ying.

Il avait toujours pensé qu’avec les années, Lou Ying était devenu un symbole dans son cœur : un souvenir chaleureux, mais en réalité une illusion froide et inaccessible.

Et pourtant, dans ce vieux manoir hanté, il retrouvait une chaleur tangible, oubliée depuis longtemps. Il se dit que si Lou-ge était encore en vie, il se sentirait probablement chanceux.

Dans le monde de Dong Ge, il avait ressenti la sollicitude de Dong Feihong. Mais cette bienveillance était toujours restée à la juste mesure d’un aîné envers un cadet, même se tenir la main était tabou. Chi Xiaochi avait rarement eu de pensées déplacées, doutant seulement, parfois, d’un lien possible avec 061.

… Mais à présent…

Même si cela ne se voyait pas sur son visage, la mine intérieure de Chi Xiaochi trahissait son imagination en ébullition. Gan Yu, ne pouvant s’en empêcher, eut envie de lui tapoter le front : «Dors. »

Chi Xiaochi, pour une fois, obéit et ferma les yeux.

Lui aussi était quelqu’un qui savait s’arrêter à temps.

Peu importait que Gan Yu soit Lou-ge sur cette ligne temporelle, Professeur Liu, ou une illusion créée par la divinité derrière 061. Du moment qu’il utilisait le corps de quelqu’un d’autre, il n’en profiterait pas.

… Oh ? Si sage, tout à coup.

Voyant Chi Xiaochi fermer les yeux, Gan Yu adoucit son regard, et rapprocha un peu le téléphone de lui.

À la radio, le petit poisson qui s’était réfugié entre les dents d’un requin, à des millions de lieues de chez lui, était déjà reparti avec espoir à la recherche du corail où il était né.

Dans ce corail, il y avait le plancton qu’il aimait manger, ses frères et sœurs, et sa mère.

Sur le chemin, il rencontra de nombreux dangers, mais aussi bien des coraux semblables à celui dont il venait. Il s’y faufilait, nageait un peu, se faisait quelques amis, remplissait son estomac, puis reprenait sa route.

Parce qu’aucun de ces coraux n’était sa maison.

Un tout petit poisson-clown, mais habité d’un romantisme digne de l’expression : « Pour celui qui vu les nuages du mont Wu, tous les autres ne sauraient le toucher ».

Quand il fut certain que l’autre s’était endormi profondément, Gan Yu ouvrit les yeux et contempla doucement celui qui partageait son lit, se perdant dans ses pensées.

061 avait déjà tenté en secret toutes les méthodes possibles, mais dès qu’il nourrissait subjectivement l’intention de révéler son identité, cette phrase, ou cette action, devenait impossible à accomplir.

… Un mécanisme de confidentialité propre à faire s’éteindre toute lignée.

Et plus il lui était impossible de dire qu’il était Lou Ying, plus 061 en était persuadé : il y avait un problème avec son identité.

Puisqu’il ne pouvait pas le dire, autant ne pas se presser.

S’il était vraiment Lou Ying, alors le simple fait d’avoir pu revenir aux côtés de Xiao Chi était déjà une chance inouïe.

Il ne dormit pas de la nuit, adossé à la tête de lit, écoutant l’histoire racontée d’une voix qu’il avait lui-même modulée, le regard fixé sur le visage de Chi Xiaochi, espérant que cette « Guan Qiaoqiao » vienne, qu’elle le pousse à dépendre encore un peu plus de lui… et en même temps souhaitant ardemment qu’elle ne vienne pas, car s’il survenait quelque agitation, il lui faudrait encore une fois le cajoler jusqu’à ce qu’il se rendorme.

Heureusement, Chi Xiaochi dormait à poings fermés, ses cils frémissant comme s’ils chatouillaient directement le cœur, ne s’arrêtant que lorsqu’ils l’avaient complètement attendri.

Comme ce petit poisson nageant entre les coraux.

C’était une scène parfaitement paisible, et pourtant 061 se sentait de plus en plus incapable de contrôler ses expressions.

… Il l’aimait tellement. Rien qu’en regardant ce visage, une joie débordante montait en lui.

Il leva la main, serra le poing, le porta à ses lèvres et transforma son sourire irrépressible en une toux légère empreinte de bonne humeur : « Hum. »

Mais ce sourire, vu par Xi Lou — lui aussi resté éveillé toute la nuit —, avait quelque chose de particulièrement douloureux à observer.

… Il commençait sérieusement à désespérer de ce monde où, dans un rayon de cent kilomètres, tout le monde semblait convoiter les fesses de Song Chunyang.

*

Le lendemain matin, quand Chi Xiaochi se réveilla, Xi Lou se précipita pour lui annoncer qu’il avait été observé toute la nuit.

Chi Xiaochi, brosse à dents en bouche, répondit : « Ce n’est rien. Ça prouve juste que ton Song Chunyang a un joli minois. »

Xi Lou : « … » Ce n’est pas censé me faire plaisir, d’accord ?

Chi Xiaochi ne pouvait décemment pas lui dire qu’il soupçonnait cet homme d’être possiblement son premier amour mort trop tôt, qu’il avait aimé pendant tant d’années, et que donc, c’était sans doute lui qu’il était venu retrouver.

L’histoire était trop longue à raconter, et il ne pouvait pas tout expliquer. Autant faire languir Xi Lou.

Avec ce genre de personnalité, s’il ne le poussait pas, jamais il ne ferait un pas en avant.

Effectivement, Xi Lou lui raconta toute la matinée comment lui et Song Chunyang s’étaient rencontrés, avec en filigrane ce message principal : ne profite pas du corps de Song Chunyang pour tomber amoureux, sinon tu risques la foudre.

Chi Xiaochi se contenta de répondre avec des voyelles.

A, E, I, O, U : polyvalentes.

Comme on avait tourné une scène de nuit la veille, le réalisateur avait spécialement décalé l’horaire du tournage du lendemain pour que tout le monde puisse se reposer.

Mais c’était peine perdue.

À part les deux frère et sœur de la famille Gan et Chi Xiaochi, tous affichaient une mine épuisée, visiblement les conséquences d’une nuit blanche.

Quant à « Guan Qiaoqiao », elle paraissait fraîche et resplendissante. Elle avait même pris soin de se maquiller légèrement avec des tons de rose pêche, accentuant son côté délicat : une véritable beauté spectrale, bien différente de ces soi-disant "sorcières glamour", qui s’enduisaient le visage de ketchup, traînaient des cheveux gras depuis deux semaines, comme si elles avaient peur de ne pas faire assez peur.

Ils avaient déjà répété leur scène ensemble la veille, et il faisait jour, donc Chi Xiaochi, rassemblant tout son courage, alla spontanément la saluer : « Tu as bien dormi ? »

« Oui. » « Guan Qiaoqiao » esquissa un léger sourire. « Ce matin, nous tournons une scène de rendez-vous, alors je me suis maquillée un peu plus soigneusement. Cet après-midi, il faudra que je me change. »

La météo annonçait de fortes pluies sur la montagne pour l’après-midi. Le planning de tournage allait sans doute être modifié : on filmerait plutôt la scène où, sous la pluie, dans la forêt, le fantôme poursuit le héros. Les acteurs seraient le protagoniste principal, le gars à la queue de cochon, et la femme fantôme.

Heureusement, le rôle du « fantôme féminin » était maintenant tenu par « Guan Qiaoqiao », ce qui évitait à Chi Xiaochi de devoir jouer les cosplayeurs sous la pluie.

En conséquence, le garçon à la queue de cochon semblait particulièrement nerveux, ses lèvres couvertes de boutons de fièvre. En entendant le réalisateur annoncer le nouveau plan de tournage dans la salle à manger, son visage se décomposa.

Car après cette scène, il devait mourir — précipité depuis une plateforme de dix mètres de haut, la tête la première, s’écrasant dans une piscine vide, sans une goutte d’eau.

… Une mort assez brutale, et étrangement familière.

Ce que Song Chunyang avait pu découvrir en enquêtant, le garçon à la queue de cochon l’avait évidemment découvert aussi. Mais fort de ses expériences accumulées dans huit mondes différents, il avait appris à gérer ses émotions. Il se contenta donc de prétexter une envie de fumer et se réfugia dans le couloir.

Chi Xiaochi fit un signe à Gan Tang, qui le suivit discrètement. Une fois seule avec lui dans le couloir, elle récolta quelques informations et revint murmurer à l’oreille de Chi Xiaochi.

Le garçon à la queue de cochon était allé négocier avec le réalisateur pour décaler cette scène importante, mais comme prévu, il s’était vu opposer un refus catégorique.

L’équipe avait amené des canons à eau haute pression ; puisqu’il allait pleuvoir naturellement, pourquoi gaspiller leur matériel ? Au pire, ils filmeraient une première version pour tester, et si le résultat n’était pas concluant, ils recommenceraient.

Le garçon à la queue de cochon faillit se disputer avec le réalisateur ; il continuait d’argumenter, mais à en juger par la situation, le réalisateur semblait décidé.

On pouvait le constater à l'expression du visage du garçon à la queue de cochon lorsqu’il revint.

Il s’assit là, l’air complètement abattu. La fille à queue de cheval et la grande fille costaude vinrent le réconforter. Tous trois, conscients de la présence de « Guan Qiaoqiao », ne firent aucune allusion à leur projet initial de la piéger. Tout se passa dans un silence complice.

Mais Chi Xiaochi remarqua que « Guan Qiaoqiao » jeta plusieurs regards dans leur direction.

Ces regards étaient froids, dénués de toute bienveillance, semblables à ceux qu’un serpent adresserait à sa proie.

Même simple spectateur, Chi Xiaochi en frissonna légèrement. Craignant de croiser ce regard, il baissa la tête et se concentra sur sa soupe piquante au poivre.

Gan Yu, lui aussi, avait perçu une certaine inquiétude. Il trempa son doigt dans l’eau sur la table et traça lentement les caractères pour poser une question : « Que se passe-t-il ? »

Chi Xiaochi secoua la tête.

« C’est parce qu’il a demandé à repousser la scène qu’il a déclenché quelque chose ? »

Chi Xiaochi secoua à nouveau la tête.

Il lui fallait encore un peu de temps pour observer, comprendre où résidait réellement la difficulté de cette mission. Outre le fait de jouer correctement dans une pièce sans scénario, y avait-il autre chose à surmonter ?

Si l’exigence de « ne pas sortir du rôle » signifiait littéralement « zéro NG » (NT : not good, erreur de tournage), ce serait absurde.

Même Chi Xiaochi ne pouvait pas garantir cela. Oublier son texte, se tromper dans son déplacement, rire au mauvais moment, un éclairage défaillant… tant de facteurs pouvaient provoquer une erreur. Et si le réalisateur était exigeant, même une scène bien jouée pouvait être tournée encore et encore pendant trois ou quatre jours.

Chi Xiaochi avait la forte impression que le fantôme caché sous l’apparence de Guan Qiaoqiao, dans cette huitième mission qui leur était assignée, devait cacher une difficulté particulière.

Après avoir exposé ses doutes, Gan Yu demanda : « Que comptes-tu faire ? »

Chi Xiaochi répondit : « Aller dans le sens du courant. » Il leur restait toute la matinée, autant profiter de ce temps pour observer encore un peu.

Yuan Benshan, gêné par la proximité de « Guan Qiaoqiao », ne pouvait pas approcher Chi Xiaochi. Il restait là, les yeux fixés sur lui, intérieurement rongé par l’impatience.

Mais Chi Xiaochi ne l’oubliait pas. De temps à autre, il lui lançait un regard empreint d’attachement, faisant constamment frémir le cœur de Yuan Benshan.

Guan Qiaoqiao était morte. Personne d'autre ne savait qu’à l’époque, il avait entraîné Song Chunyang dans sa chute. Aujourd’hui, Song Chunyang lui était à nouveau entièrement dévoué, allant jusqu’à lui offrir un œil. Grâce à cette manœuvre douce et insidieuse, Yuan Benshan avait complètement renoncé à ses mauvaises intentions. Il retrouvait même les sentiments qu’il avait éprouvés au tout début de sa relation avec Song Chunyang, ressentant pour ce petit chaton au regard vairon un mélange d’amour et d’un léger remords.

Chi Xiaochi constata que la jauge de remords avait augmenté de deux points, et un sourire ironique effleura ses lèvres.

Deux points ? Même pas de quoi échanger contre une carte « Beauté prospère » de niveau débutant. Deux points, pas même assez pour obtenir la carte « Beauté prospère » de niveau le plus bas. Tellement radin.

Xi Lou, l’ayant entendu ricaner, lui demanda : « Qu’est-ce qu’il y a ? »

Au fil des jours passés ensemble, Chi Xiaochi avait expliqué à Xi Lou le fonctionnement de base du système de récupération des ex-amants toxiques. Il l’informa maintenant de l’augmentation du niveau de remords de Yuan Benshan, ce qui provoqua chez Xi Lou un regard chargé de mépris.

Il en avait vu passer, des ordures humaines. Il savait que certains étaient bien plus effrayants que les fantômes.

Mais après ce discours sur la nature humaine, Chi Xiaochi resta impassible. Tenant entre ses mains un gâteau au sucre encore chaud, il aspira précautionneusement le sirop brûlant et dit : «C’est pour ça que j’ai peur des fantômes, pas des hommes. »

… Xi Lou s’attendait à une conclusion inverse, du genre : « Le cœur humain est plus effrayant que les esprits. »

« Peu importe à quel point l’homme peut être odieux et méprisable, face aux fantômes, il ne fait pas le poids. » continua calmement Chi Xiaochi, d’un ton lent et désinvolte. « Parce qu’un homme, on peut le frapper, le blesser, le tuer. »

Son ton était d’un calme si glacial, teinté d’un brin de détachement, qu’il donnait froid dans le dos.

… Toutefois, son attitude, en grignotant son gâteau tout en aspirant le sirop de peur de se brûler, adoucissait un peu cette impression tranchante.

À côté, Gan Yu esquissa un léger sourire. Il prit un mouchoir en papier et le glissa dans la paume de Chi Xiaochi : « Ne te salis pas les mains. C’est collant, ça s’enlève mal. »

Xi Lou reprit ses esprits, et en voyant l’attitude attentionnée de Gan Yu, il se sentit de nouveau mal à l’aise. Il dit à Chi Xiaochi : « Cet homme s’est simplement fait avoir par l’apparence de Chunyang. Il ne comprend rien à ce que tu penses vraiment. Quand il saura… hum. »

Gan Yu, assis à côté de Chi Xiaochi, épluchait tranquillement un œuf au thé, le regard paisible et doux.

… Rassure-toi.

Même si je te vois tel que tu es réellement, je t’aime tout autant.



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L'auteur a quelque chose à dire :

Un chapitre rempli de douceur ! [Gonfle la poitrine de fierté]

Série #« Apprendre les mots d’amour avec Lou-ge »#

 

Traduction: Darkia1030

 

 

 

 

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