Restricted area - Extra 4 - Une réunion deux ans plus tard

 

La vieille dame mourut tout de même à la fin.
Plus de deux années s’étaient écoulées depuis l’opération, et sa santé ne s’était jamais
vraiment améliorée. Son décès n’étonna donc personne.

La salle de deuil fut installée à l’entrée de leur épicerie. Jiang Chijing et Zheng Mingyi conduisirent pendant un long moment avant de téléphoner et découvrir que l’épicerie se trouvait au sein même de la communauté résidentielle. Le couple âgé avait vécu au deuxième étage du magasin.

Bien que la résidence fût délabrée, ses habitants conservaient une chaleur manifeste. Dans une communauté nouvellement construite, l’équipe de gestion immobilière n’aurait jamais accepté qu’une salle de deuil fût érigée dans l’enceinte du quartier.

« Ils nous regardent. »
Dès leur entrée dans la résidence, Jiang Chijing observa les alentours avec un calme apparent. Lui et Zheng Mingyi portaient des costumes noirs d’un formalisme incongru parmi les résidents qui les dévisageaient depuis les trottoirs.

« Ne les dérange pas, » murmura Zheng Mingyi. « Xu Sheng doit bien s’entendre avec les gens d’ici. »
« Oui », répondit simplement Jiang Chijing.

Xu Sheng dégageait une aura stable et savait se lier avec des individus de tous horizons. Il s’épanouirait sans nul doute dans une communauté aussi soudée.

Cependant, lorsqu’ils s’approchèrent de la salle de deuil, un léger décalage se fit sentir par rapport à ce qu’ils attendaient.

« Espèce de merde, ta mère ne t’a donc jamais appris à utiliser des toilettes ? »

À côté de la salle de deuil, un homme grand et mince, vêtu d’une chemise noire à manches courtes, réprimandait un enfant qui gémissait. Son teint blond et délicat, ainsi que ses yeux en forme de pétales de fleur de pêcher, fixaient le garçon avec colère. Si les mots d’une vulgarité extrême n’étaient pas sortis de sa bouche, Jiang Chijing aurait presque cru ne pas reconnaître Princesse.

Ce n’était d’ailleurs plus tout à fait exact. Maintenant que Princesse était sorti de prison, il convenait sans doute davantage de l’appeler Li Yi.

« Tu ne sais donc pas quel genre d’endroit c’est ? »
Une tache jaune humide à côté de l’enfant laissait deviner une flaque d’urine fraîche.

Les invectives continuaient de jaillir de la bouche de Li Yi lorsqu’une femme surgit précipitamment d’un autre immeuble. Elle serra son enfant dans ses bras, fronça les sourcils et s’adressa à Li Yi : « Il est encore jeune, comment pouvez-vous lui parler ainsi ? »
« C’est précisément parce qu’il est jeune qu’il faut le réprimander. Nous sommes déjà au XXIe siècle. Il faut enseigner aux enfants à ne pas déféquer ni uriner n’importe où. »
« Les garçons restent des garçons. C’est normal qu’il ne sache pas encore. Vous allez vraiment en faire tout un scandale ? »
« Non seulement je veux en faire un, mais je veux aussi vous éduquer, vous ! Ne voyez-vous pas qu’il s’agit ici d’une salle de deuil ? Si ce petit diable ne sait pas se tenir, gardez-le à l’intérieur et ne venez pas déranger les autres ! »
« Vous ! »

La femme, manifestement impuissante face à Li Yi, vit alors un homme sortir du bâtiment. Celui-ci lui tira doucement le bras et lui murmura : « Laisse tomber. Ces gens-là ont fait de la prison ; ne les provoque pas. »

Plusieurs des frères de Xu Sheng étaient assis dans la salle de deuil, et chacun d’eux dégageait une impression de dissuasion indéniable. La femme jeta un regard noir à Li Yi et s’éloigna avec son enfant, lui soufflant : « À partir de maintenant, évite cet homme. Sinon, tu finiras toi aussi en prison, compris ? »
« Ton sale gosse finira en prison uniquement parce que tu n’as jamais su l’éduquer ! »

Li Yi jura de nouveau. Lorsqu’il tourna la tête, il aperçut Jiang Chijing et Zheng Mingyi debout non loin. Il modifia aussitôt son attitude querelleuse et les salua avec assurance :
« Yo, ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus. »

Ce ton et cette aisance lui conféraient décidément des allures de véritable patronne.
« En effet, cela faisait un moment, » répondit Jiang Chijing.
Il se dirigea ensuite vers le comptoir d’accueil, où il remit une enveloppe de condoléances et inscrivit son nom dans le registre.

Juste après, Xu Sheng sortit par coïncidence de la salle de deuil en compagnie de Guan Wei, qu’il n’avait pas revu depuis un certain temps.
Guan Wei était resté le même, rien ne différenciait vraiment son apparence de celle dont Jiang Chijing gardait le souvenir. Cependant, c’était la première fois que Jiang Chijing voyait Xu Sheng vêtu d’une chemise blanche ; l’ancien pivot de la prison avait, de façon inexplicable, gagné en raffinement.

« Vous êtes toujours en contact ? » demanda Zheng Mingyi.
« Je le contacte assez souvent », répondit Guan Wei en leur tendant une cigarette à chacun. « Il ne m’est pas toujours pratique de me montrer dans certaines affaires, alors je dérange Xu Sheng. »

Il semblait qu’après la conclusion de l’affaire concernant Zheng Mingyi, la relation professionnelle entre Guan Wei et Xu Sheng s’était poursuivie.

Alors qu’ils échangeaient paresseusement des nouvelles, Li Yi donna soudain un léger coup de coude à Jiang Chijing, pointant du menton la main de ce dernier. Il dit : « Qu’est-ce que c’est que cette chose sur ta main ? »
Jiang Chijing leva sa main gauche et désigna l’anneau à son annulaire. « Tu parles de ça ? »
« Ouais », répondit Li Yi, dont les yeux exprimaient plus d’envie que de simple curiosité.
« Une alliance », expliqua Jiang Chijing. « Il m’a fait sa demande. »
« Vous pouvez même enregistrer le mariage au Bureau des Affaires civiles ? » Le ton de Li Yi était chargé d’amertume. « Comme si une demande en mariage avait une quelconque valeur. »
« Cela ne sert à rien », rétorqua Jiang Chijing en levant de nouveau la main gauche, inspectant délibérément cet anneau étincelant à son doigt, « mais au moins, je l’ai. »

Li Yi pinça les lèvres sans rien ajouter, se contentant de renifler légèrement.

« Idole ! »
À ce moment, un cri plein d’énergie retentit depuis l’entrée de la communauté. Jiang Chijing tourna la tête vers l’origine du bruit et aperçut Luo Hai marchant aux côtés d’un grand homme à la peau hâlée.

Xu Sheng avait invité de nombreux gardiens de prison, dont Luo Hai. Toutefois, les autres n’avaient pas de week-end comme Jiang Chijing et Luo Hai, et ne s’étaient pas donnés la peine de poser un congé uniquement pour assister aux funérailles.

« C’est… ? » Jiang Chijing regarda l’homme qui accompagnait Luo Hai, peinant à en croire ses yeux.

Une vague ressemblance avec son ancienne apparence subsistait sur son visage, mais Jiang Chijing fut sincèrement incapable de relier cet homme athlétique et imposant à l’ancien Yu Guang.

« C’est moi, officier Jiang », déclara Yu Guang en le saluant, avant de se tourner immédiatement vers Zheng Mingyi pour discuter avec son idole.

Jiang Chijing jeta un regard successif à Yu Guang puis à Luo Hai, et dit, incrédule : « C’est lui… ? »
Luo Hai poussa un soupir, son humeur visiblement partagée. « Je ne m’y attendais pas non plus. Je l’ai envoyé dans l’unité des opérations spéciales pendant deux ans, et il est revenu comme ça… »

Jiang Chijing comprit pourquoi Luo Hai soupirait ainsi. Après tout, Luo Hai avait un faible pour les petits frères mignons et adorables — bien loin de l’actuel Yu Guang.

Il estima grossièrement leur taille. Autrefois, Yu Guang atteignait à peine les oreilles de Luo Hai ; désormais, ils semblaient de même hauteur, et les épaules de Yu Guang étaient nettement plus larges.

« Tu arrives encore à le maintenir dans cette configuration ? » taquina doucement Jiang Chijing.
« Le maintenir ? Moi ? » Luo Hai baissa également la voix, mais son ton était chargé d’indignation. « C’est moi qui suis… »

Il s’interrompit à mi-chemin, sentant sans doute qu’il heurterait trop sa propre dignité en poursuivant.

Jiang Chijing bouillait intérieurement de rire, mais à l’extérieur, il se contenta de tapoter l’épaule de Luo Hai, le consolant : « Ce n’est rien. Il est toujours plus confortable d’être celui d’en dessous, de toute façon. »

Luo Hai resta silencieux un moment, son expression se fit plus complexe, puis il ouvrit lentement la bouche : « C’est vrai. »

Cette fois, Jiang Chijing ne put se retenir davantage et éclata de rire.

En entendant cela, Zheng Mingyi tourna les yeux vers Jiang Chijing et, l’apercevant en pleine conversation joyeuse avec Luo Hai, il l’interpella d’un ton ferme : « Jiang Jiang. »

Jiang Chijing comprit aussitôt le message ; le pot de vinaigre (NT : référence à la jalousie de Zheng Mingyi) de son foyer était sur le point de se renverser de nouveau. Il se sépara de Luo Hai et s’approcha.

« Le temps passe vite », déclara Xu Sheng, qui semblait garder une impression marquée de Yu Guang. Il s’étonnait de voir à quel point quelqu’un pouvait changer en seulement deux ans.

« N’est-ce pas ? » enchaîna Li Yi. « Les gens changent toujours. »

« En effet. Je ne m’attendais pas à sortir de prison avant d’avoir atteint quarante ans », répondit Xu Sheng.

« Je dis que les gens changent », répéta Li Yi.

À cet instant, Jiang Chijing comprit ce que l’autre voulait véritablement exprimer. Il disait que tout cela en valait la peine, mais son cœur espérait toujours une promesse de la part de Xu Sheng.

« Pas nécessairement. » Xu Sheng, manifestement moins subtil que Li Yi, interpréta ses paroles au pied de la lettre, ce qui fit lever les yeux au ciel à Li Yi, agacé.

Jiang Chijing savait combien il avait été difficile pour Xu Sheng et Li Yi d’arriver jusqu’à ce point de leur relation, et souhaita leur donner un coup de pouce. Il prit alors la main de Zheng Mingyi et montra délibérément à tous l’alliance qu’il portait.

« Il est difficile de prévoir ce que l’avenir nous réserve, mais ce qui importe, c’est de chérir le présent. »

La compréhension éclaira le visage de Xu Sheng, qui se tourna vers son petit compagnon maussade. Yu Guang hocha également la tête, pensif, comme s’il venait lui aussi d’être inspiré.

Zheng Mingyi regarda Jiang Chijing, amusé, et l’interrogea du regard : Depuis quand es-tu devenu expert en affaires de cœur ?

Jiang Chijing arqua légèrement un sourcil et lança un regard complice : Ai-je tort ?

Zheng Mingyi leva l’autre main, pinça doucement la joue de Jiang Chijing et répondit sans la moindre hésitation : Non, ma femme a toujours raison. 

 

Fin

 

Traducteur: Darkia1030