Jiang Chijing avait déjà vu la photo de Wu Peng aux informations. Il avait l’air d’un professeur d’université, doux et raffiné, tout le contraire d’un vieux renard ancré dans le monde de la finance depuis de nombreuses années.
Il s’était également tenu du côté des investisseurs particuliers, analysant les perspectives des sociétés cotées sur des forums, menant ces derniers dans une lutte contre les institutions. Mais en l’espace de quelques années seulement, il fonda sa propre entreprise et prit le parti des cueilleurs de poireaux.
Wu Peng, dont les exploits légendaires étaient nombreux, s’était progressivement effacé, se dissimulant dans les coulisses. Bien qu’il eût longtemps évolué dans le cercle financier, il n’avait jamais rencontré de véritables revers ; c’était manifestement un homme d’une extrême prudence.
« Le plus grand défaut des investisseurs particuliers est leur propension à adopter une mentalité grégaire. Il ne faut jamais suivre les tendances lorsque l’on négocie des actions. Il faut développer sa propre réflexion et apprendre à étudier les différents rapports sectoriels. Des rapports comme ceux publiés par HX Management sont suffisamment professionnels pour offrir conseils et orientations aux investisseurs particuliers. »
Dans ce court extrait vidéo d’une dizaine de minutes, Wu Peng insista à plusieurs reprises sur la nécessité de faire confiance aux rapports de HX Management.
Depuis que Zheng Mingyi avait conseillé aux investisseurs particuliers d’acheter des actions d’Old Timepiece, le cours du titre atteignit son plafond quotidien plusieurs jours consécutifs.
Wu Peng, naturellement, ne demeura pas les bras croisés. Il accepta de nombreuses interviews auprès des médias financiers, reprochant aux investisseurs particuliers leur comportement irrationnel.
« Il fait vraiment n’importe quoi. » Jiang Chijing croisa les bras sur sa poitrine, les yeux fixés sur le flux vidéo de l’interview diffusé à l’écran. « Pourquoi, lorsque les gens l’écoutent, sont-ils considérés comme des moutons, alors que lorsqu’ils écoutent Zheng Mingyi, ils sont soudain dotés d’un esprit critique ? »
Un comportement classique de double standard.
Beaucoup plaçaient une confiance aveugle dans les autorités. Même ces dernières se croyaient détentrices d’une vérité absolue.
« Tout le monde n’est pas aussi lucide que toi », répliqua calmement Zheng Mingyi en croisant les bras derrière la tête, paresseusement affalé contre le dossier de sa chaise, comme si le fauteur de troubles que Wu Peng dénonçait n’était nul autre que quelqu’un d’autre. « L’effet de traction d’Old Timepiece devrait commencer à s’essouffler. »
Après tout, Wu Peng demeurait un expert reconnu de l’industrie. Ses propos portaient du poids.
Il existait de nombreux soi-disant grands dieux boursiers sur le marché. Certains possédaient de réelles compétences ; d’autres n’étaient que vanité prétentieuse. Il était difficile pour les investisseurs particuliers de discerner qui méritait leur confiance.
Par ailleurs, quelques grands médias jetèrent de l’huile sur le feu, multipliant les articles à charge, exhumant des affaires douteuses, salissant l’image du Dieu Go, incitant ainsi certains indécis à vendre précipitamment leurs actions.
Jiang Chijing ne put s’empêcher de demander : « Est-ce suffisant pour faire saigner HX Management ? »
« Non », répondit posément Zheng Mingyi. « Mais rien ne presse. »
Après ces mots, il détourna son regard de l’écran et indiqua du menton le jeu de société posé sur le bureau. « Tu ne joues pas ton coup, Jiang Jiang ? »
Une partie de go était en cours sur le plateau en bois. Les connaisseurs auraient immédiatement perçu l’avantage écrasant des pierres noires, qui forçaient les blanches dans une impasse.
Jiang Chijing tenait une pierre blanche entre le pouce et l’index, la retournant distraitement sans la poser, restant ainsi figé de longues secondes.
Il n’avait que lui-même à blâmer.
Il avait cru qu’après avoir parcouru les Essentiels du go, il trouverait quelque divertissement à jouer contre Zheng Mingyi. Mais pouvait-on réellement parler de divertissement ? C’était pratiquement un massacre à sens unique.
Et ce type ne savait vraiment pas apprécier les choses. Zheng Mingyi n’avait-il donc aucune conscience de son propre quotient intellectuel ? Jiang Chijing avait appris le jeu pour lui faire plaisir, et voilà comment sa bonne volonté était récompensée.
« Veux-tu que je te donne une pierre ? » demanda Zheng Mingyi en inclinant la tête, le regard posé sur Jiang Chijing.
« Non », répondit ce dernier, impassible.
Il reconnaissait qu’il n’était pas aussi intelligent que Zheng Mingyi, mais ce n’était pas une raison pour admettre si facilement sa défaite.
Cinq minutes plus tard, Jiang Chijing toussa maladroitement et montra une pierre noire en plein centre du plateau, disant : « Quand as-tu joué ce coup ? Pourquoi ne m’en souviens-je pas ? »
Avant que Zheng Mingyi ne puisse répondre, Jiang Chijing prit la pierre noire et la jeta dans le bol posé près de la main de Zheng Mingyi, sans la moindre hésitation.
« Tu as dû la faire tomber accidentellement sur le plateau, n’est-ce pas ? »
Zheng Mingyi regarda tour à tour le bol, puis Jiang Chijing, comme s’il n’avait jamais vu quelqu’un faire preuve d’un tel aplomb. Il demanda, amusé : « Quel est ce style de jeu ? »
« Cela s’appelle “voler le ciel et mettre en place un faux soleil” », se vanta Jiang Chijing sans sourciller, en plaçant sa pierre blanche à l’endroit précédemment occupé par la pierre noire.
(NT : métaphore décrivant une tactique audacieuse et sournoise consistant à prendre le contrôle d’une position importante ou d’une ressource clé (le « ciel »), tout en créant une fausse menace ou une illusion (le « faux soleil ») pour tromper l’adversaire.)
Zheng Mingyi émit un léger rire, mais n’ajouta rien. Il saisit une nouvelle pierre noire, se pencha, puis lui souffla à l’oreille : « D’après ce que je vois, il te manque un soleil. » (NT : il te manque de la chaleur / de l’intimité)
Jiang Chijing n’était pas homme à se laisser dominer dans un duel verbal. Il répliqua avec désinvolture : « Alors pourquoi ne m’en donnes-tu pas un ? » (NT : sous entendu érotique)
La main de Zheng Mingyi, en plein mouvement, s’interrompit un instant. Il déposa finalement la pierre sur le plateau et dit : « Pourquoi, l’officier Jiang adopterait-il à présent un style de jeu plus… adulte ? »
Hm, cette remarque rappela soudainement quelque chose à Jiang Chijing : il existait en effet un jeu auquel il pouvait jouer.
Il observa attentivement la configuration du plateau. Même en usant de la tactique du «voler-ciel-simulacre-soleil », les pierres blanches ne parvenaient pas à triompher des noires. Alors, il posa sa main gauche sur le haut de la cuisse de Zheng Mingyi et demanda, d’un ton distrait : « Où dois-je aller ensuite ? »
Sa main, bien entendu, ne resta pas immobile. Ses doigts se mirent à tapoter négligemment le tissu orange, faisant monter et descendre la matière sous ses gestes.
Zheng Mingyi baissa les yeux, observant la main posée sur sa cuisse. Son expression se détendit un instant, comme si tout son être s’était calmé. Puis, peu après, il releva la tête, saisit le poignet gauche de Jiang Chijing, et le guida vers une position stratégiquement parfaite sur le plateau.
Une partie apparemment perdue retrouva soudain tout son éclat. Jiang Chijing eut l’impression de voir les pierres noires sur le plateau se lamenter à l’unisson, accusant leur seigneur d’être un dirigeant incompétent.
Ce fut alors au tour de Zheng Mingyi.
Il saisit une pierre noire, les yeux fixés sur une position précise du plateau.
Jiang Chijing comprit immédiatement qu’il préparait d’une offensive redoutable. Gardant sa main gauche posée à la racine de la cuisse de Zheng Mingyi, il se pencha pour souffler à son oreille : « Es-tu certain de vouloir jouer là ? »
Ses doigts glissèrent lentement vers le haut, et son souffle, chaud, s’attarda, s’enroulant autour de l’oreille de Zheng Mingyi.
Jiang Chijing vit clairement la mâchoire de son adversaire se crisper alors qu’il serrait les dents. La trajectoire de sa main changea subtilement, et il déposa la pierre noire sur un point inoffensif.
« Jiang Jiang », dit Zheng Mingyi en retirant la main de Jiang Chijing, posant les yeux sur lui.
« Hm ? » répondit Jiang Chijing, notant que la difficulté du jeu semblait soudainement s’alléger, tandis qu’il commençait à réfléchir à son prochain coup.
« Tu sais que je suis capable de faire plusieurs choses à la fois », déclara calmement Zheng Mingyi.
« Mm-hmm », répondit vaguement Jiang Chijing, toujours concentré.
« Dans mon esprit, j’ai déjà arraché ton uniforme plus d’un millier de fois », poursuivit Zheng Mingyi.
« Quoi ? » Jiang Chijing détourna enfin les yeux du plateau, concentrant toute son attention sur lui.
« Dès l’instant où tu as posé ta main sur ma cuisse », susurra Zheng Mingyi en tapotant doucement sa tempe de l’index, « je t’avais déjà retiré ton pantalon, ne laissant que ta chemise. Je t’avais menotté à la chaise et je te punissais avec la matraque, te défiant de continuer à te montrer insolent. »
Le ton de Zheng Mingyi, lorsqu’il prononça ces mots, était remarquablement neutre — comme s’il énonçait simplement le contenu d’un menu.
Ce ne fut pas comme si Jiang Chijing n’avait jamais imaginé Zheng Mingyi torse nu dans sa tête, mais jamais ses pensées ne s’étaient aventurées dans des étapes aussi précises.
Pourquoi diable ce type éprouvait-il le besoin de le dire tout haut ? Ne comprenait-il pas que l’esprit de Jiang Chijing allait naturellement suivre et visualiser toute la scène ?!
« Tu me distrais déjà rien qu’en étant assis à côté de moi », déclara calmement Zheng Mingyi. « Si tu continues à me provoquer sans raison, alors je ne peux garantir que je ne transformerai pas mes pensées en réalité. »
C’était étrange. La première réaction de Jiang Chijing aurait dû être de le réprimander, mais il se mit plutôt à réfléchir sérieusement à la manière dont ces fameuses étapes se dérouleraient une fois enclenchées.
Il se représenta, sans comprendre comment, tous les détenus occupant les places de la bibliothèque. Chacun avait la tête plongée dans ses livres, ignorant délibérément Zheng Mingyi en train de le violer. Il voulut appeler à l’aide, mais refusa de supplier les prisonniers ; son seul espoir résidait dans la caméra de sécurité postée à l’entrée de la bibliothèque.
La caméra ne captait que la position de Zheng Mingyi. Pour ne pas être démasqué, celui-ci fixait l’écran de l’ordinateur avec un air d’une concentration exemplaire, feignant que rien ne se produisait. Mais sous la table, sa main tenait fermement son bâton, qu’il introduisait alors dans la partie intime de Jiang Chijing…
Assez.
Soudain, Jiang Chijing prit conscience d’une différence majeure entre lui et Zheng Mingyi.
L’imagination de Zheng Mingyi était précise, méthodique : un était un, deux était deux. À l’inverse, celle de Jiang Chijing se dispersait aux confins de l’atmosphère ; dans le fond de la salle de contrôle, ses collègues apparaissaient même dans la scène, buvant paisiblement du thé.
Il déglutit difficilement, tenta de chasser les images de son esprit, et lança d’un ton insinuant : « Tu n’oserais pas. »
Zheng Mingyi baissa les yeux sans répondre, comme s’il considérait sérieusement les conséquences d’un tel acte.
La confiance de Jiang Chijing vacilla brusquement. La structure mentale de Zheng Mingyi ne ressemblait en rien à celle d’un individu ordinaire. Craignant qu’il ne tente quelque chose qui lui vaudrait une crise cardiaque, il s’empressa de dire : « C’est à toi de jouer. »
Zheng Mingyi jeta un coup d’œil au plateau et posa rapidement une pierre noire, tout en se replongeant dans ses pensées.
Le paysage stratégique se transforma aussitôt. En un instant, les blancs furent de nouveau menés dans une impasse. Ce fut à ce moment-là seulement que Jiang Chijing comprit que Zheng Mingyi s’était montré indulgent jusque-là, alors qu’il aurait pu mettre un terme à la partie bien plus tôt.
Cependant, ce n’était manifestement pas l’objectif.
Voyant les pensées de Zheng Mingyi s’engager sur une pente dangereuse, Jiang Chijing attrapa son menton, forçant l’autre à le regarder, et déclara : « N’aie pas d’idées absurdes. Attends d’être sorti de prison, tu pourras alors dire tout ce que tu veux. »
Zheng Mingyi le fixa droit dans les yeux et annonça : « Je viens d’avoir une nouvelle idée. Je serai le gardien de prison, et tu seras le détenu. Qu’en dis-tu ? »
Oh ? Voilà qui semblait plutôt intéressant.
Sans s’en rendre compte, Jiang Chijing s’engagea sur une mauvaise pente.
« Ton inculpation : attentat à la pudeur sur un agent et vol de ses sous-vêtements. Après ton arrestation, tu as refusé d’avouer. L’officier fut donc contraint d’avoir recours à des méthodes non conventionnelles. »
« Quelles méthodes non conventionnelles ? » demanda Jiang Chijing. « Je n’aime pas les choses bon marché. »
« Eh bien », répondit pensivement Zheng Mingyi, « selon ton comportement, l’officier décidera des mesures à adopter. »
« Tu peux m’attacher », dit Jiang Chijing, oubliant complètement que, quelques instants plus tôt, il tentait encore de refréner l’imagination débridée de Zheng Mingyi. « Mais tu finis par glisser accidentellement, et je saisis aussitôt l’occasion pour m’échapper. Ensuite, c’est moi qui t’attache, et maintenant tu dois supplier le détenu de te relâcher. »
Vraiment, le scénario n’était pas si mauvais.
Jiang Chijing en était même très satisfait.
« Tu veux même m’attacher ? » demanda Zheng Mingyi en arquant les sourcils.
« Et te menotter », répondit Jiang Chijing.
Tous deux étaient parfaitement conscients des pensées de l’autre, alors qu’ils se livraient à ce fantasme sulfureux. Mais à ce moment précis, un cri fusa, déchirant le ciel et brisant l’échange silencieux de regards : « Idole ! »
« Idole, j’ai vérifié ! HX Management doit restituer les stocks vendredi prochain ! » s’écria Yu Guang en courant vers le bureau.
« Vraiment ? » Zheng Mingyi retrouva son expression indifférente. « Il est donc temps de commencer à comprimer. »
À cet instant, il jeta un nouveau regard à Jiang Chijing et tendit la main, paume ouverte : « Jiang Jiang, prête-moi ta montre un instant. »
Jiang Chijing demeura interdit.
« Ma montre ? »
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L’auteur a quelque chose à dire :
En termes simples, la compression à court terme oblige l'autre partie à racheter des actions à un prix élevé.
Traducteur: Darkia1030
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