Certains détenus, qui se comportaient bien ou étaient évalués comme à faible risque, étaient affectés pour aider le personnel pénitentiaire dans des tâches telles que la distribution de marchandises ou le nettoyage.
Jiang Chijing crut que c’était ce que Yu Guang entendait par « fouiller », lorsqu’il était chargé d’exécuter des tâches à la branche administrative. Mais sérieusement, il n’avait aucune idée de comment il était devenu le Dieu du Go.
« J’ai vérifié l’adresse IP du Dieu du Go sur le forum de négociation d’actions, et cela a fini par mener à la prison de Southside. » Yu Guang toucha l’arête de son nez avec l’index, remontant ses lunettes inexistantes. « Ensuite, j’ai cherché qui en prison avait accès à un ordinateur, et j’ai découvert qu’il s’agissait de membres du personnel pénitentiaire occupant des postes civils. »
L’équipe de patrouille pouvait être éliminée de ceux qui avaient accès à un ordinateur, limitant sa recherche au bloc d’administration.
Mais ce n’était pas l’essentiel. Jiang Chijing saisit rapidement une information clé dans les paroles de Yu Guang — le Dieu du Go se trouvait dans la prison de Southside.
« Et puis, je suis allé fouiner dans l’administration, sondant chaque personne. Mais le rayon était encore trop grand, et je ne pouvais identifier personne avec précision. »
Tandis que Yu Guang racontait son processus de déduction, Jiang Chijing ne put s’empêcher de se perdre lui aussi dans ses pensées.
D’après les dires de Yu Guang, le Dieu du Go était un grand dieu boursier qui avait brusquement disparu dans les airs il y avait plus d’un mois et était réapparu plus tard, sauf que son adresse IP avait changé, et peu après, il avait de nouveau disparu…
« Par conséquent ! » Après avoir longuement expliqué sa méthode, Yu Guang fit une pause pour reprendre son souffle, puis reprit : « Je suis retourné là où j’avais commencé et j’ai vérifié l’ancienne adresse IP du Dieu du Go. J’ai découvert que ce n’était pas loin de la prison de Southside, située dans un quartier résidentiel à quelques kilomètres. »
Une réponse se dessina progressivement dans l’esprit de Jiang Chijing.
« Et devine qui habite là-bas ? » Yu Guang réprima son excitation et dit : « C’est toi, officier Jiang ! »
Jiang Chijing n’était pas le seul à vivre dans cette communauté et à venir à la prison de Southside.
Contrairement à l’exubérance de Yu Guang, Jiang Chijing resta calme, vérifia son calendrier de bureau d’un geste de la main et demanda : « À quelle date le Dieu du Go est-il apparu pour la dernière fois ? »
Yu Guang réfléchit un instant, puis cita une date de la semaine précédente, affirmant qu’il ne pouvait pas se tromper.
Tout concordait.
Jiang Chijing avait changé le mot de passe le jour même où Zheng Mingyi avait touché son ordinateur. Il ne pouvait imaginer un mot de passe compliqué mais facile à retenir sur place, aussi s’était-il inspiré du calendrier sur son bureau. Le mot de passe qu’il avait choisi contenait des informations telles que la date du moment, de sorte que, même en l’oubliant plus tard, il lui suffirait de jeter un œil au calendrier pour s’en souvenir.
Et la date rapportée par Yu Guang correspondait exactement à celle qu’il avait encerclée en rouge sur son calendrier.
« Idole. » Yu Guang agita une main devant les yeux de Jiang Chijing. « Ne t’inquiète pas, je serai ton petit disciple à partir de maintenant, je ne divulguerai certainement pas ton secret. »
Jiang Chijing demeura plongé dans ses pensées. Il considérait le nom d’utilisateur du Dieu du Go — Go. Ce mot avait la même signification que « go » (NT : le jeu de go, weiqi en chinois) en anglais, et le «yi» dans le nom de Zheng Mingyi signifiait aussi « go » en chinois.
(NT : Le caractère yì (弈) de Zheng Mingyi (郑明弈) est un mot littéraire et ancien qui signifie “jouer au jeu de go” ou “partie de go”.)
À cette pensée, Jiang Chijing éclata soudainement de rire. Un intérêt intense inonda ses yeux.
« Idole, ça va ? » Yu Guang sembla effrayé par l’attitude de Jiang Chijing. « Tu peux croire en moi, vraiment ! Je suis super fiable ! Alors, quelle est la prochaine étape ? »
Juste à ce moment-là, le talkie-walkie de Jiang Chijing s’anima soudainement. La secrétaire du directeur demandait qu’il se rende au bureau du directeur.
« Il n’y a pas de prochaine étape. Comporte-toi simplement correctement. »
Jiang Chijing répondit par un « Reçu » dans le talkie-walkie, puis demanda au gardien de prison responsable de Yu Guang de l’emmener.
« Idole, je n’ai pas fini ce que je voulais dire. Je dois t’exprimer mon adoration et mon dévouement éternels, du plus profond de mon… »
« C’est bon, allez, dépêche-toi et pars, tu pourras l’exprimer à l’avenir. »
Jiang Chijing n’était pas le Dieu du Go. Il n’y avait donc, naturellement, aucune raison pour qu’il accepte l’adoration de Yu Guang. Après que le gardien l’eut emmené, il resta un instant distrait, les yeux fixés sur les pansements à sa main. Puis, rassemblant ses pensées, il les ôta et monta au bureau du directeur, situé au troisième étage.
Lorsque son talkie-walkie s’était mis à crépiter, Jiang Chijing avait déjà deviné ce que le directeur voulait aborder avec lui. Comme prévu, à son arrivée, la discussion porta sur la manière dont Zheng Mingyi devait être récompensé pour avoir aidé un agent pénitentiaire à sortir d’un mauvais pas.
« Officier Jiang, tu étais impliqué dans l’incident. Qu’en penses-tu ? » demanda le directeur.
D’un point de vue impartial, Jiang Chijing estima que les récompenses ne devaient pas être excessives, car la situation n’avait pas été si critique ; il aurait pu gérer la scène même si Zheng Mingyi n’était pas intervenu.
Mais, d’un point de vue personnel, il considérait que Zheng Mingyi lui avait rendu un grand service en battant ce violeur.
« Donnez-lui des points de performance », proposa Jiang Chijing.
« Naturellement, naturellement, des points doivent lui être attribués, il est en train d’échouer actuellement », répondit le directeur. « La question est de savoir combien de points nous devons lui donner. »
Avec ses fréquentes altercations, Zheng Mingyi ne disposait plus que d’une vingtaine de points de performance. Dans une telle situation, il ne pourrait prétendre à une libération conditionnelle anticipée, même à l’approche de sa date de sortie.
Jiang Chijing délibéra un moment, puis prit la parole. « Directeur, la situation tout à l’heure était extrêmement critique. Si Zheng Mingyi ne s’était pas précipité à temps, j’ai bien peur que… »
« Je comprends », l’interrompit le directeur en hochant la tête. « Bien que nous ne puissions réduire sa peine, nous devons nous assurer qu’il soit récompensé de façon appropriée. »
« Que diriez-vous d’effacer son précédent dossier de performances négatives ? » proposa Jiang Chijing avec hésitation. « Et de lui accorder tous les points de performance. »
Jiang Chijing savait parfaitement que ces récompenses excédaient ce que Zheng Mingyi méritait réellement, et il ne s’attendait pas à ce que le directeur accepte sur-le-champ. Il cherchait simplement à placer la barre haute pour laisser une marge de négociation.
Il ne s’attendait pourtant pas à ce que le directeur acquiesce pensivement, déclarant : «Splendide. Je pense que cette récompense est tout à fait appropriée. »
Jiang Chijing haussa les sourcils calmement. Il était prêt à parier que le directeur avait déjà l’intention de récompenser généreusement Zheng Mingyi et ne l’avait convoqué que pour entériner la décision. Il lança, d’un ton significatif : « Directeur, vos affaires se portent bien ces derniers temps, n’est-ce pas ? »
« Plutôt bien, plutôt bien », répondit le directeur. « Ma femme ne s’oppose plus à ce que je négocie enfin des actions. »
Recevoir les conseils personnels d’un grand dieu du forum de trading n’était pas un privilège dont n’importe qui pouvait bénéficier.
« En parlant de cela, je pense que les récompenses ne sont pas encore suffisantes », poursuivit le directeur. « La bourse ferme à trois heures, mais le temps libre de Zheng Mingyi ne dure que jusqu’à deux heures et demie. Je pense que nous pourrions prolonger ce délai d’une demi-heure. »
Soudain ramené à la réalité, Jiang Chijing demanda : « Qui lit pour Zheng Mingyi en ce moment ? »
« N’est-ce pas encore toi ? » s’étonna le directeur. « Zheng Mingyi m’a dit que tu avais mal à la gorge et que tu avais besoin de deux jours de repos. Je crois que tu as déjà meilleure mine. »
Alors c’était donc cela…
Ce qui signifiait aussi que Zheng Mingyi ne lui avait accordé que deux jours pour se reposer et lisser ses plumes ébouriffées, mais qu’il reviendrait dès que ce délai serait écoulé. À cette pensée, Jiang Chijing déclara : « Alors je ne pense pas qu’il soit nécessaire de lui accorder une demi-heure supplémentaire. »
Il avait l’habitude d’être libre après deux heures de l’après-midi. Tant que rien d’imprévu ne survenait, les trois heures restantes de sa journée lui appartenaient pour se détendre. À présent que Zheng Mingyi accaparait déjà tant de son temps, il ne souhaitait naturellement pas lui céder davantage.
Cependant, le directeur fit comme s’il ne l’avait pas entendu et dit avec insouciance à la secrétaire : « D’accord, c’est réglé. Va faire les arrangements. »
« Directeur– »
« Officier Jiang. » Le directeur leva la main, interrompant Jiang Chijing. « Ton travail est relativement tranquille. Puisque tu as tant de temps libre, cela ne te ferait pas de mal d’apprendre le commerce d’actions, non ? »
En entendant cela, Jiang Chijing se calma. Jusque-là, il ne s’était jamais intéressé à la bourse, car il ne manquait pas d’argent.
Mais il changea soudainement d’avis à l’évocation de ce sujet. Après tout, il venait tout juste de découvrir quelque chose d’amusant : il s’avérait que Zheng Mingyi avait, lui aussi, un petit secret.
*
Ce soir-là, après le travail, Jiang Chijing passa la nuit à parcourir le forum de trading d’actions.
Le Dieu du Go y possédait une immense communauté de fidèles. Jiang Chijing comprit enfin pourquoi Yu Guang vénérait son idole avec tant d’ardeur : Go dégageait véritablement une aura héroïque.
Il parcourut les anciens messages de Go, bien avant que celui-ci ne devienne célèbre. De nombreuses prédictions de Go sur des krachs boursiers furent autrefois tournées en dérision, jusqu’à ce que les marchés s’effondrent subitement, sans avertissement. Alors, les commentaires changèrent du tout au tout : les railleries laissèrent place à une foule de gens prosternés en adoration. Certains internautes allaient jusqu’à mener de véritables fouilles «archéologiques », exhumant ses anciens posts encore aujourd’hui.
La renommée de Zheng Mingyi était notamment liée à un krach en particulier : il alla à contre-courant, vendant à découvert une grande quantité d’actions au moment même où le marché flambait, en tirant une victoire retentissante.
Il se fit un nom aussi bien sur Internet que dans la vie réelle.
Jiang Chijing lut un à un les messages de Go. La plupart se résumaient à quelques phrases analysant une tendance haussière ou baissière, mais il dénonçait aussi parfois des entreprises cotées aux pratiques douteuses, conseillant aux investisseurs particuliers d’éviter ces « mines antipersonnel ».
Chaque fois qu’il nommait une société, certains plaisantaient dans les commentaires : il devait faire attention à sa sécurité, tant ses paroles avaient du poids et risquaient d’infliger des dégâts réels à ces entreprises.
C’est pour cette raison que la disparition de Go donna naissance à toutes sortes de théories du complot. Certains affirmaient que le Dieu du Go avait été enlevé par des sociétés malveillantes, d’autres qu’il faisait l’objet d’une enquête de la part des autorités de régulation. En bref, l’ambiance générale du forum était devenue très sombre.
Il n’était pas étonnant que ce gamin de Yu Guang soit si inquiet.
Jiang Chijing avait d’abord cru que Yu Guang exagérait tout et ne l’avait pas pris au sérieux. Mais en explorant le forum ce soir-là, il découvrit que bien des gens s’inquiétaient sincèrement pour Go.
Il fut tenté de leur dire : « Je parie que vous ne vous attendiez pas à ce que votre grand dieu soit… en prison. »
Il était le seul à connaître ce secret.
Et il devait bien admettre que cela le rendait étrangement heureux.
Il poursuivit ses fouilles dans les anciens posts de Go et tomba sur une friandise inattendue.
Go faisait souvent des fautes de frappe, écrivant par exemple « essence de poulet » (鸡精, jī jīng) au lieu de « fonds » (基金, jī jīn), ou « dernier souffle » (断气, duàn qì) au lieu de «court terme » (短期, duǎn qī). Chaque fois qu’il donnait des conseils d’achat ou de vente, il y avait toujours des lecteurs pour lui demander de confirmer plusieurs fois s’il s’agissait bien d’«acheter» (买, mǎi) ou de «vendre» (卖, mài).
Beaucoup de fans lui conseillaient d’être plus attentif et de faire moins de fautes. Mais Jiang Chijing, lui, savait pourquoi : leur Dieu du Go était en fait dyslexique. Il écrivait très probablement ses messages à l’aide d’un logiciel de reconnaissance vocale, ou bien les tapait comme un coq aveugle.
À cette pensée, les coins des lèvres de Jiang Chijing se relevèrent. Ce type, Zheng Mingyi, était en réalité… plutôt mignon.
Jiang Chijing lut jusqu’à minuit. Ses yeux, gonflés et douloureux, le poussèrent enfin à éteindre l’ordinateur, à contrecœur.
Allongé dans son lit, il repensa aux coups de poing de Zheng Mingyi. Il l’avait autrefois imaginé froid et impitoyable. Mais il ne s’attendait pas à ce que ce type cache un tel sens de la justice.
Si quelqu’un lui demandait d’analyser Zheng Mingyi comme il le faisait pour les autres, il serait bien en peine de le faire.
La seule chose qu’il pouvait affirmer, c’était que Zheng Mingyi était, sans aucun doute, la personne la plus intéressante qu’il ait jamais rencontrée.
Traducteur: Darkia1030
Créez votre propre site internet avec Webador