Restricted area -Chapitre 26 - Chat

 

« Cela ne te concerne pas. » Avant que Luo Hai ne puisse répondre, Jiang Chijing tira le bras de Zheng Mingyi et l’entraîna jusqu’à la porte de la bibliothèque.

Il n’était pas encore deux heures, les détenus n’étaient donc pas partis. Jiang Chijing salua le gardien qui l’aidait à surveiller, puis se posta à l’entrée. Tandis qu’il observait les détenus à l’intérieur, il interrogea Zheng Mingyi sur ce qu’il n’avait pas eu le temps de lui demander plus tôt : « Comment savais-tu que Xu Sheng n’y mettrait pas de force ? »

Les coins des lèvres de Zheng Mingyi s’étirèrent ; il ne semblait vraiment pas faire le moindre effort pour cacher sa satisfaction.

« Je peux le sentir. » Après avoir répondu cela, il demanda aussitôt : « Est-ce que vous et le docteur Luo êtes déjà sortis ensemble ? »

C’était déjà la troisième fois que Zheng Mingyi posait cette question. Jiang Chijing comprit qu’il n’échapperait pas au sujet, alors il répondit rapidement « oui », avant de relancer : «Est-ce si évident, quand il se retient ? »

« Très », répondit Zheng Mingyi, impassible. « C’était il y a combien de temps ? »

« Il y a quelques années », dit Jiang Chijing. « Pourquoi Xu Sheng serait-il doux avec toi ? »

« Je ne sais pas », répliqua Zheng Mingyi. « Et vous, combien de temps êtes-vous restés ensemble ? »

Jiang Chijing se prépara instinctivement à répondre, puis réalisa soudain qu’il y avait quelque chose d’étrange dans le rythme de cette conversation. On aurait dit qu’ils jouaient à un jeu d’espionnage : une réponse contre une autre. Et pourtant, au fil de leurs échanges, une simple question s’était transformée en deux discussions totalement distinctes.

« Zheng Mingyi », fit-il en ralentissant volontairement le ton, « es-tu si préoccupé par ma vie amoureuse ? »

« Avez-vous oublié ce que vous m’avez dit, autrefois ? »

Autrefois, Zheng Mingyi avait toujours ponctué ses paroles de « Officier Jiang », un air de respect en façade, soigneusement mesuré.
À présent, il n’était plus question de respect ; sa voix portait une pression sourde, presque accusatrice, comme s’il reprochait quelque chose à Jiang Chijing.

« Qu’est-ce que je t’ai dit ? » demanda ce dernier.

« Vous m’avez dit que vous n’aimiez pas les hommes », répondit Zheng Mingyi.

Ah. Jiang Chijing avait menti, à la légère, ce jour-là où Zheng Mingyi avait deviné qu’il revenait d’un rendez-vous arrangé. Qui aurait cru qu’il s’en souviendrait encore aujourd’hui ?

À bien y réfléchir, il avait sûrement manqué de sérieux à ce moment-là, voire été un peu négligent dans son mensonge. Mais le problème était qu’il ne croyait pas que Zheng Mingyi s’était laissé berner, de toute façon.

« Je suis homo. Ce n’est pas évident ? » déclara Jiang Chijing, d’un ton calme et direct.

« Alors qu’est-ce qu’il a de si spécial, le docteur Luo ? » demanda Zheng Mingyi.

Pour Jiang Chijing, sa relation avec Luo Hai appartenait au passé — un passé lointain. Il ne se souvenait même plus de ce qu’il avait pu ressentir à cette époque.
Et de toute manière, quel rapport cela avait-il avec Zheng Mingyi ?

« Ex-petit ami, cela signifie que c’est terminé. » Jiang Chijing ne comprit même pas pourquoi il se sentait obligé de s’expliquer. « Tu comprends ce que signifie “le passé” ? »

Zheng Mingyi pinça les lèvres sans répondre, mais une part de l’irritation qui assombrissait son regard sembla enfin se dissiper.

Jiang Chijing en profita pour ramener la conversation à son sujet initial : « Tu disais que Xu Sheng n’avait pas mis de force… mais si c’était simplement là sa force maximale ? »

« Même pas proche. » Zheng Mingyi désigna la plaie au coin de ses lèvres. « Si j’utilise toute ma force, je peux casser une dent. »

Ils parlaient clairement de Xu Sheng, mais Zheng Mingyi faisait allusion à sa propre force.
Jiang Chijing sentit, sans trop savoir pourquoi, une nuance de férocité dans sa voix, comme s’il voulait réellement faire tomber les dents de quelqu’un. Craignant que Zheng Mingyi ne développe une soif de vengeance envers Xu Sheng, il s’empressa de dire : « Alors Xu Sheng a dû savoir quand s’arrêter et ne faisait que semblant. »

« Ouais », répondit distraitement Zheng Mingyi.

Puisqu’il ne faisait que semblant, allant jusqu’à laisser Zheng Mingyi partir de son plein gré, cela signifiait que l’affaire s’arrêtait là. À l’avenir, Xu Sheng et Princesse ne viendraient plus frapper à la porte de Zheng Mingyi.

D’Old Nine à Chen Er, et désormais à Xu Sheng, Zheng Mingyi avait su se dégager sain et sauf à chaque fois.
Même si son image dans les rumeurs n’était pas des plus reluisantes, plusieurs anciens détenus prenaient désormais soin de garder leurs distances lorsqu’ils le croisaient. Très probablement, d’autres éviteraient eux aussi de jouer avec le feu à l’avenir.

Jiang Chijing et Zheng Mingyi pénétrèrent dans la bibliothèque. Ceux qui, quelques instants plus tôt, avaient collé leur visage aux fenêtres pour observer la scène, avaient à présent la tête plongée dans leurs livres, tentant de rendre leur présence aussi discrète que possible.

Au sein des détenus de la prison de Southside, plusieurs petites cliques s’étaient formées : ceux qui partageaient une cellule, ceux qui travaillaient ensemble, et ainsi de suite. Mais peu importaient les conflits entre elles, un consensus demeurait : il ne fallait jamais provoquer Xu Sheng et ses subordonnés.

Et désormais, un nouveau consensus semblait avoir émergé : ne pas plaisanter avec Zheng Mingyi.

Le détenu assis au premier rang, près des fenêtres, céda aussitôt sa place à Zheng Mingyi. Ce dernier, comme à son habitude, prit la bande dessinée qu’il lisait toujours, comme si cette place lui revenait naturellement.

Il avait réellement l’étoffe d’un caïd en prison.

Jiang Chijing, tenant son journal, poussa un léger soupir.

Lorsque d’autres étaient injustement incarcérés, ils passaient leur temps à réfléchir à des moyens de laver leur nom. Mais Zheng Mingyi, lui, semblait s’en sortir plus que bien : au lieu de rectifier la situation, il s’était d’abord assuré d’établir sa position au sein de la prison.

Si Jiang Chijing n’avait pas su que Zheng Mingyi était innocent, il aurait sans doute pensé que ce type était parfaitement taillé pour la vie en détention.

Mais cela importait peu. D’après les rumeurs, Jiang Chijing était soi-disant l’ancien top de Zheng Mingyi. Si les autres détenus n’osaient même plus croiser Zheng Mingyi, alors ils ne viendraient sûrement pas lui chercher des ennuis non plus.

À peine pensa-t-il cela qu’un détenu franchit soudainement la porte d’entrée de la bibliothèque et lança : « Officier Jiang, je veux dénoncer quelqu’un qui fume dans la salle de récréation. »

Jiang Chijing jeta un regard vers l’homme qui venait d’entrer. C’était un habitué de la salle de récréation, où il allait souvent fumer. En l’entendant vouloir faire un rapport, il soupçonna aussitôt qu’il se tramait quelque chose.

« Qui ? » demanda-t-il.

« Vous le saurez en allant voir. »

Jiang Chijing se trouvait à l’infirmerie tout à l’heure, il ne savait donc pas qui était entré dans la salle de récréation. À en juger par la situation, il soupçonna une petite escarmouche entre détenus se disputant l’usage du lieu.

D’ordinaire, Jiang Chijing n’intervenait pas dans ce genre de querelles. Mais puisqu’un détenu était venu directement le chercher, il ne pouvait l’ignorer en tant qu’officier pénitentiaire.

Il suivit donc le détenu hors de la bibliothèque. Cependant, avant de se diriger vers la salle de récréation, il jeta machinalement un coup d’œil vers l’escalier, et remarqua que le gardien de prison habituellement posté au deuxième étage avait disparu.

« Ce gardien est allé aux toilettes. »

En entendant cela, Jiang Chijing ressentit subitement une étrange prémonition.

Il n’y avait rien d’anormal à ce qu’un gardien aille aux toilettes. Mais celles-ci étaient situées dans un renfoncement menant au couloir de liaison. À moins que ce détenu n’ait vu par hasard le gardien s’y engager en quittant la salle de récréation, il ne pouvait pas savoir avec certitude que le gardien s’y trouvait.

Mais c’était bien là le problème.

Si le gardien avait tourné dans ce couloir, il aurait aussi bien pu se rendre vers le bloc C. Jiang Chijing ne vit qu’une seule possibilité expliquant comment ce détenu savait avec une telle certitude que le garde était aux toilettes : un autre détenu l’y avait délibérément attiré.

Intéressant.

Jiang Chijing ricana intérieurement, puis se dirigea d’un pas assuré vers la salle de récréation.

*

Il n’aimait pas que les détenus provoquent des ennuis, mais cela ne signifiait pas qu’il craignait ceux qui venaient lui chercher querelle. Peut-être aussi ne s’était-il pas entraîné depuis longtemps ; ces individus arrivaient à point nommé.

Lorsque Jiang Chijing poussa la porte de la salle de récréation, il trouva effectivement un homme en train de fumer à l’intérieur.

Il s’agissait d’un détenu du bloc A, surnommé Ma Liu, condamné pour le viol et le meurtre d’un jeune homme.

À l’époque où Jiang Chijing avait commencé à travailler à la prison de Southside, c’était lui qui le provoquait le plus. Mais depuis que Jiang Chijing avait passé à tabac un prisonnier qui tentait de le harceler sexuellement, lui, comme les autres, avait abandonné l’idée de poser la main sur lui.

« Éteins ta cigarette », dit froidement Jiang Chijing.

« Oui, monsieur. » Comme s’il l’attendait depuis longtemps, Ma Liu écrasa sa cigarette sur le rebord de la fenêtre et s’avança directement vers lui. « J’ai entendu dire que l’officier Jiang avait récemment trouvé un nouvel amour. »

Une rumeur pouvait contenir mille informations. Mais certains choisissaient toujours de se concentrer uniquement sur ce qui nourrissait leurs propres conjectures ou ce qu’ils voulaient entendre.

Par exemple, ces rumeurs à propos de Jiang Chijing et Zheng Mingyi. Peu importait que Jiang Chijing fût un top ou un bottom, ce violeur de Ma Liu ne retenait qu’une chose — que Jiang Chijing, comme il l’avait toujours soupçonné, était bel et bien un officier de prison qui couchait avec des détenus.

Ce qui signifiait qu’il pouvait, lui aussi, tenter sa chance.

« Quoi, tu penses que ça te regarde ? » lança Jiang Chijing, ses lèvres se mouvant avec impatience, son mépris évident sur le visage. « Va pisser et regarde ton reflet. »

« Ce n’est pas comme ça que ça marche, officier Jiang. » Un sourire écœurant se dessina sur les lèvres de Ma Liu. « Soyons raisonnables, d’accord ? Comment pourrais-tu savoir si ça te plaît sans essayer ? »

« Pas besoin de ça. » Jiang Chijing tourna la tête et observa les hommes que Ma Liu avait amenés avec lui. Comme il s’y attendait, quelqu’un gardait fermement la porte de la salle de récréation. « Je compte jusqu’à trois. Vous feriez mieux de foutre le camp tous les deux. »

« Allez, ce mec, Zheng, n’est-il pas impuissant ? C’est probablement aussi gros que ça, non ?» dit Ma Liu en tendant son petit doigt. « Si tu peux prendre ton pied avec un truc comme ça, pourquoi ne pas t’amuser avec un vrai homme ? »

« Ouais, comment est-ce qu’on peut s’amuser avec un impuissant… »

Jiang Chijing décrocha la matraque accrochée à sa taille et, en une fraction de seconde, se retourna pour l’abattre sur la tête de celui qui se trouvait derrière lui.

L’homme fut projeté contre les armoires adjacentes, qui se cognèrent bruyamment l’une contre l’autre dans un vacarme métallique.

« Qui est putain d’impuissant ? » s’écria Jiang Chijing en se retournant, la matraque pointée sur le nez de Ma Liu. « Je te défie de répéter ça ! »

En réalité, Jiang Chijing aurait déjà pu alerter l’équipe de patrouille via le talkie-walkie. Mais il ne le fit pas, car selon lui, ces deux-là n’avaient pas encore appris leur place.

« Pourquoi je répéterais quelque chose que tout le monde sait ? »

À ce moment, Ma Liu jeta un regard derrière Jiang Chijing. Celui-ci, sur la pointe des pieds, jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et donna un coup de pied à l’homme qui bondissait vers lui. Ce geste offrit toutefois une ouverture à Ma Liu, qui en profita pour l’attraper par le haut du corps, le maintenant fermement par derrière.

« Viens vite et bâillonne-le ! »

L’homme, qui venait d’être frappé, se tenait le ventre en titubant. Jiang Chijing évalua le timing, puis, se servant de la prise de Ma Liu comme appui, bondit pour asséner un coup de pied à la mâchoire du premier, l’assommant sur place, les yeux révulsés.

Dès qu’il retoucha le sol, Jiang Chijing donna un coup de coude à Ma Liu derrière lui. Profitant de l’espace gagné, il se dégagea par une torsion et leva sa matraque pour frapper.

Mais au moment où la matraque s’apprêtait à s’abattre sur le visage de Ma Liu, une main surgit soudainement et attrapa le poignet de Jiang Chijing, stoppant net son attaque. Avant qu’il ne puisse réagir, Zheng Mingyi apparut à ses côtés et frappa Ma Liu en plein visage.

Une dent, traînant une traînée de sang dans son sillage, ricocha contre le mur avant de retomber près du pied de Jiang Chijing.

Hébété, ce dernier regarda Zheng Mingyi relâcher son poignet, puis tenter d’attraper Ma Liu par le col pour lui asséner coup sur coup.

Cette fois, ce qui jaillit de la bouche de Ma Liu ne fut pas des dents, mais du sang frais.

La première pensée qui traversa l’esprit de Jiang Chijing fut — eh bien, il semblait que Zheng Mingyi ne mentait pas. Il était réellement capable de briser une dent d’un seul coup de poing.

Mais ce n’était pas le moment de se laisser distraire. Zheng Mingyi enchaîna les coups, et, en un rien de temps, le visage de Ma Liu fut réduit en bouillie.

« Zheng Mingyi ! » s’écria Jiang Chijing en le retenant à la hâte. « Tu vas trop loin, arrête ! »

Zheng Mingyi relâcha finalement le col de Ma Liu. Ce dernier avait perdu connaissance depuis longtemps et tout son corps s’effondra au sol.

Jiang Chijing utilisa son talkie-walkie pour alerter l’équipe de patrouille et demander à Luo Hai de venir, puis dit à Zheng Mingyi : « Je sais que tu voulaisbien faire, mais j’aurais pu régler ça moi-même. »

« Je ne le faisais pas par gentillesse, officier Jiang », répondit calmement Zheng Mingyi en secouant les mains encore couvertes de sang. « J’étais juste de mauvaise humeur aujourd’hui et j’avais besoin de me défouler. »

Jiang Chijing resta sans voix : « ……… »

D’accord, il avait probablement trop interprété.

« Ne dis pas ça quand ils t’interrogeront plus tard », rappela-t-il. « Dis simplement que tu m’aidais, ils augmenteront tes points de performance. »

« D’accord », acquiesça Zheng Mingyi. « En parlant de ça, pourquoi vous êtes-vous battu avec eux ? »

« Ce n’est pas grand-chose. »

Ce n’était vraiment rien de sérieux — simplement que ces deux-là avaient affirmé que Zheng Mingyi était petit et impuissant, voilà tout.

En y repensant, les pensées de Jiang Chijing s’égarèrent à nouveau hors de son contrôle ; il se remémora comment, tout à l’heure, à l’infirmerie, il s’était accidentellement retrouvé dans les bras de Zheng Mingyi. Et peu importait le reste, en ce qui le concernait, Zheng Mingyi n’avait absolument rien de « petit », sous aucun angle.

« Officier Jiang. »

La voix de Zheng Mingyi coupa court aux pensées de Jiang Chijing. Ce dernier leva son regard distrait vers lui et demanda : « Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Vous me rappelez mon enfance », déclara Zheng Mingyi.

« Enfance ? » Jiang Chijing resta interdit. Encore un jour à ne pas suivre la logique insaisissable de Zheng Mingyi.

« Quand j’étais jeune, j’adorais regarder un dessin animé… » Ici, Zheng Mingyi marqua une légère pause. "...appelé Ding dang le chat."

(NT : jeu de mot entre Dīngdāng Māo (叮当猫 ), Ding Dang le chat, des manga et dessin animé Doreamon, et Dīngdāng Māo (盯裆猫 ) signifiant chat qui fixe l’entrejambe. Les 2 s’écrivent différemment mais se prononcent de la même manière)

Jiang Chijing, "……"

Pouah. Encore un jour à se faire prendre en flagrant délit.

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

 

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