(NT : le titre fait référence à un poème ‘Quatre chansons de Long Xi : deuxième Partie’ de Chen Tao)
Le ciel était gris et neigeux au-dessus de Li Wuding, qui dirigeait trois mille soldats d'élite rampant dans la neige près de la zone de stockage du grenier du sud de Yan. Le froid engourdissait leurs mains et leurs pieds alors qu’ils progressaient lentement. Les parties du corps non couvertes étaient irritées et douloureuses à chaque mouvement, même le plus infime.
Tout à coup, une émeute éclata dans la caserne de Yan, et les soldats coururent vers l’ouest, brandissant des torches. Li Wuding saisit l’occasion et se faufila aussitôt dans la zone de stockage avec ses troupes.
L’infiltration se déroula sans accroc. Cependant, précisément parce que tout semblait trop facile, un profond malaise s’installa dans le cœur de Li Wuding. Il vit le grenier du royaume du sud de Yan à portée de main, mais tout autour régnait un silence inquiétant.
« Général ? » Les soldats attendaient les ordres de Li Wuding.
La respiration de Li Wuding se fit plus lourde. Autour de lui, tout était si obscur qu’il ne distinguait rien d’autre que les ténèbres. Le silence était tel qu’on aurait entendu tomber une aiguille. Soudain, une lumière surgit au loin, et les yeux de Li Wuding se plissèrent alors qu’il hurlait d’une voix rauque : « Retraite !!! »
Mais il était déjà trop tard. Les troupes de Li Wuding furent bientôt encerclées par les soldats du royaume du sud de Yan, qui les attendaient en embuscade !
En un instant, les cris de guerre s’élevèrent vers les cieux, comme s’ils voulaient fendre le ciel sombre !
Li Wuding ne céda pas à la panique. Il leva son épée pour affronter l’ennemi, serrant les dents si fort qu’il manqua de les briser. Inspirées par cet esprit indomptable, les troupes du Royaume du Nord, d’abord découragées, rassemblèrent leur force pour tenter de briser le siège !
Cependant, ils se trouvaient aux abords immédiats de la caserne ennemie et, à la fin, ils furent submergés par le nombre. Après un long combat, les soldats du Royaume du Nord tombèrent un à un. Le sang rouge coula de leurs corps alors qu’ils luttaient avec une férocité éclatante.
Xue Yan cria d’une voix profonde : « Général Li, vous n’avez pas besoin de continuer à vous battre. Si vous vous rendez, vous pouvez encore sauver votre vie. »
À peine eut-il prononcé ces mots que Li Wuding ordonna à ses soldats de renoncer à briser le siège, puis il se tourna vers le grenier. Lorsqu’ils l’atteignirent, il ne restait plus que cent soldats du Royaume du Nord. Face à cette situation désespérée, Li Wuding mena les survivants à l’intérieur du grenier et en bloqua l’entrée de toutes leurs forces ! Mais tout autour, des dizaines de milliers de soldats du sud du royaume de Yan les encerclaient.
Le général adjoint vint faire son rapport à Xue Yan. « Général Xue, les survivants de l’armée du Royaume du Nord se sont réfugiés dans le grenier. Devons-nous lancer une percée rapide pour les empêcher de l’incendier ? »
Xue Yan secoua la tête : « Ce n’est pas nécessaire. Ils sont déjà comme des tortues piégées dans un bocal. S’ils décident de brûler le grenier, cela reviendra à se brûler eux-mêmes vifs.»
Après ces paroles, Xue Yan se rendit au grenier pour négocier. Une fois devant l’entrée, il s’écria d’une voix forte : « J’ai longtemps entendu parler des exploits du grand général Li, et je ne souhaite pas croiser le fer avec lui. D’ailleurs, l’Empereur du Royaume du Nord est réputé pour sa stupidité et sa traîtrise, plongeant son peuple dans la misère. Un tel pays ne mérite pas la loyauté du général Li. Pourquoi ne pas rejoindre le royaume du sud de Yan pour sauver ces gens ordinaires de leur souffrance ? Le royaume du sud de Yan est vertueux et sage, et saura honorer un grand général tel que vous. Nous ne vous traiterons pas injustement. »
« Général Li... »
À l’intérieur du grenier, Li Wuding essuya lentement le sang sur son visage. Lorsqu’il entendit la voix tremblante du général adjoint l’appeler, il leva la tête et balaya les lieux du regard. Une douzaine de soldats du Royaume du Nord, tous plus ou moins blessés, se soutenaient mutuellement. Leurs visages étaient pâles, conscients que toute chance leur avait échappé, et qu’il n’y avait plus aucun espoir.
« Général, il n’y a plus de chemin de retour pour nous », dit le général adjoint.
La voix du général adjoint était comme un poignard glacé ; chacun de ses mots transperçait droit le cœur de Li Wuding.
Li Wuding resta sans voix. Il se redressa et leva les yeux. Son expression ressemblait à un drapeau brisé flottant dans la tempête, pleine de détresse mais résolument inflexible.
À l’extérieur du grenier, la voix de Xue Yan, qui tentait de le convaincre de se rendre, perça les oreilles de Li Wuding, tel un vin empoisonné mêlé de miel. C’était à la fois une tentation de vivre et une trahison de la loyauté.
À l’intérieur du grenier, les regards des soldats convergèrent vers Li Wuding, lourds comme un millier de chaînes. Il inspira profondément, mais il ne parvint plus à respirer. Il leva la tête et leur demanda : « Voulez-vous vivre ? »
Pas une voix ne s’éleva, personne ne répondit. Tous gardèrent la tête baissée dans un silence total.
Ils pensaient : qui ne voudrait pas vivre ? Qui ne souhaiterait pas naître en des temps de paix et de prospérité, avec une famille unie ? Tous étaient de jeunes officiers et soldats dans la fleur de l’âge. Qui n’avait jamais rêvé de défier Ciel et Terre ? Qui n’avait jamais imaginé un avenir heureux et serein ?
Comme si un siècle s’était écoulé, le général adjoint, celui-là même qui avait appelé Li Wuding auparavant, fit enfin un geste. Il se leva lentement et avança pas à pas vers la porte du grenier.
Li Wuding, qui l’observait en silence, ne tenta pas de l’en empêcher.
Le général adjoint, blessé par l’épée ennemie, trébuchait à chaque pas. Le sang s’écoulait de sa jambe, traçant sur le sol une ligne rouge menant jusqu’à la porte. Il s’y arrêta, prit quelques inspirations, puis tendit lentement la main.
Les yeux, jusqu’alors impassibles, de Li Wuding s’écarquillèrent peu à peu. Car le général adjoint n’ouvrit pas la porte. À la place, il sortit un tube de feu de ses vêtements !
Le général adjoint se retourna et dévoila un sourire éclatant. Il n’avait pas plus de dix-neuf ans ; il y avait dans son expression un soupçon de jeunesse et d’innocence tandis qu’il allumait la flamme en fredonnant une chanson.
C’était une chanson folklorique du Royaume du Nord, célébrant les temps prospères et la paix. Lors des rassemblements, officiers et soldats la chantaient souvent autour du feu de camp.
Peu à peu, tous les autres officiers et soldats à l’intérieur du grenier se mirent à chanter avec lui. Leurs voix, unies, couvrirent lentement celle de Xue Yan qui, à l’extérieur, tentait encore de les convaincre de se rendre.
Porté par cette chanson, Li Wuding se remémora le vieux général Sun lui expliquant que l’empereur du Royaume du Nord cherchait à devenir un souverain digne.
Il revit Xiao Yuan au palais impérial, châtiant impitoyablement les ministres corrompus pour le bien du peuple. Il se souvint aussi de Xie Chungui, qui se moquait de lui sans raison, sa coupe de porcelaine pleine de vin brillant sous la lumière de la lune. Ce jeune homme lui avait dit :
« Général Li, pour les années à venir sur cette terre, je partagerai avec le Royaume du Nord aussi bien la gloire que la disgrâce ! »
Li Wuding éclata d’un rire tonitruant vers les cieux. Il chantait à pleine voix avec ses officiers et ses soldats, lorsque soudain, des larmes jaillirent de ses yeux.
Une épaisse fumée noire s’échappa rapidement du grenier, et Xue Yan, horrifié, ordonna d’apporter de l’eau pour éteindre le feu.
La chanson folklorique du Royaume du Nord s’évanouit peu à peu, ensevelie sous l’intensité des flammes. Celles-ci s’élevèrent vers le ciel, consumant les corps, les os et la fidélité des officiers et des soldats du Royaume du Nord.
Le vent et la neige hurlaient, comme pour ensevelir l’ascension et la chute d’une nation, et les ossements de ses héros.
*
La chanson folklorique du Royaume du Nord dériva progressivement dans le ciel depuis les casernes du Royaume du Sud Yan, repoussant les nuages noirs et interrompant la chute de neige.
Cependant, à une centaine de kilomètres de là, les renforts menés par Xie Chungui se précipitèrent vers la ville frontalière, transportant avec eux les rations militaires d'urgence. Le feu et la lumière du matin jaillirent ensemble, et Xie Chungui plissa les yeux en distinguant le contour de la ville frontalière, non loin devant.
Un soldat s’adressa à Xie Chungui : « Général adjoint Xie ! Regardez, la neige a cessé de tomber et les rations vont bientôt être livrées. Une fois que vous aurez retrouvé le général Li, nous pourrons certainement repousser le royaume du Sud de Yan hors de nos frontières! »
Une lueur éclatante traversa les yeux de Xie Chungui : c’était l’anticipation ardente de pouvoir combattre aux côtés de Li Wuding.
Grâce à l’amélioration du temps, les soldats chargés de livrer les vivres étaient d’excellente humeur.
Soudain, ils entonnèrent à pleine voix la chanson folklorique du Royaume du Nord, chantant la prospérité et la paix de leur patrie. Cette chanson accompagna Xie Chungui jusqu’à la ville frontalière.
Xie Chungui éclata de rire et s’écria à haute voix depuis l’extérieur de la ville :
« Général Li, nous avons apporté les rations ! Ouvrez les portes ! »
Tandis que les voix chantantes résonnaient encore, les lourdes portes s’ouvrirent lentement… et le sourire de Xie Chungui s’effaça peu à peu de son visage.
La vie était véritablement imprévisible. Tout s’était joué à quelques heures près.
Si Xie Chungui était arrivé un peu plus tôt, peut-être que Li Wuding n’aurait pas eu recours au plan audacieux de voler les rations de l’ennemi.
Mais il n’existe pas de « si » en ce monde.
Il ne restait qu’un soupir silencieux, reporté dans les livres d’histoire, accompagné des pleurs pleins de remords de ceux qui savaient.
Traducteur: Darkia1030
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