HSAV - Chapitre 38 - Qui sait où je serai quand je me réveillerai ce soir ?

 

Au plus profond de la nuit, les bougies furent éteintes et la pluie tombait avec désolation. Xiao Fengyue, qui n'avait pu fermer l'œil depuis longtemps, s'assit à table. La lumière vacillante de la bougie projetait l’ombre de sa silhouette, la faisant paraître démesurément longue. Il caressa doucement la bouteille de porcelaine dans sa main, les yeux remplis de chagrin.

Ayant traversé bien des épreuves, Xiao Fengyue savait que le monde était froid et impitoyable.

À l’âge de huit ans, ses parents moururent dans des circonstances mystérieuses et sa famille sombra dans le désespoir. Il fut vendu à la famille royale par des proches et devint un simple esclave. Dès lors, il endura bien des souffrances en tant que possession d’autrui.

À seize ans, Son Altesse Royale le Prince fit venir au Palais un vieux joueur de Guqin. Alors que le maître jouait de son instrument, Xiao Fengyue eut la chance d’en profiter tout en servant le Prince. L’éclat des notes le subjugua, s’associant à l’admiration qu’il éprouvait pour l’artiste, l’emprisonnant dans une fascination profonde.

Malheureusement, le Prince impérial, peu impressionné par la beauté de la mélodie, jugea que le musicien était vieux et ennuyeux. Il ne s’y intéressa guère. Le lendemain, le vieux maître fut congédié.

Le jour de son départ, une pluie battante s’abattait sur le palais. Xiao Fengyue s’échappa malgré le risque de punition. Se tenant devant le vieil homme, il le supplia : « Puis-je toucher votre Guqin ? Juste un instant, je me suis lavé les mains. »

Le maître détacha le Guqin de son dos et le tendit à Xiao Fengyue, qui le prit comme un trésor et pinça doucement les cordes avec enthousiasme, parvenant même à jouer un morceau !

C’était la même pièce que le vieux musicien avait interprétée la veille au palais.

Surpris, le vieil homme lui enseigna plusieurs mélodies sur place. Xiao Fengyue les rejoua une à une sans la moindre erreur. Le musicien éclata de rire, puis vendit toutes ses possessions pour racheter Xiao Fengyue au Palais.

Dès lors, il n’y eut plus un esclave de plus dans le monde, mais un joueur de Guqin qui suivit son maître à travers montagnes et rivières.

Cinq ans plus tard, le vieux maître mourut. Xiao Fengyue l’enterra puis poursuivit seul ses pérégrinations. Sa vie resta difficile, mais il était heureux. Grâce à sa beauté singulière et à son talent musical, il devint rapidement une légende parmi le peuple.

Lorsque l’Empereur du royaume du sud de Yan entendit parler de lui, il convoqua Xiao Fengyue au palais pour qu’il devienne le joueur impérial de Guqin. Six mois plus tard, le royaume du sud de Yan fut anéanti par la cavalerie du royaume du nord.

Xiao Fengyue ne parvint pas à fuir et fut capturé. Plus tard, sa beauté attira l’attention de Hong Xiu, qui le fit sortir de sa cellule pour l’envoyer au palais Jing Yang.

Le dernier jour de son emprisonnement, un garde impérial délia les chaînes de ses chevilles.

À cette époque, ses chevilles étaient blessées par le fer, et il lui était presque impossible de marcher.

Le garde impérial s’excusa : « Laisse-moi te porter sur mon dos. »

Ce jour-là, Xiao Fengyue reposa sur le dos ferme du garde et l’entendit murmurer des excuses.

Il lui demanda pourquoi il s’excusait.

Le garde répondit : parce qu’il souffrait.

Xiao Fengyue avait souffert toute sa vie, mais personne ne lui avait jamais présenté d’excuses.

Le lendemain, le garde sortit un flacon de médicament de ses vêtements et le lui remit avec soin, tout en rougissant : « On m’a demandé de te le donner. Il est très efficace, prends-le. »

Il ajouta : « Le climat du Nord est rude, sauras-tu le supporter ? »

Il poursuivit : « J’ai entendu dire que tu avais beaucoup voyagé. Je n’ai jamais quitté le palais depuis mon enfance. Est-ce que le monde extérieur est merveilleux ? »

Puis il reprit timidement : « Il n’y a pas de garde de nuit ce soir. Veux-tu parler avec moi ? Juste une heure, non, une demi-heure suffira. »

Il tenta encore : « Je suis allé à la cuisine impériale aujourd’hui et j’y ai vu du gâteau sucré à l’osmanthus. J’en ai demandé un pour toi. Goûte-le. »

Le garde déclara enfin : « Je m’appelle Yang LiuAn. »

Xiao Fengyue lui répondit : « Le monde est bien plus merveilleux que ce grand palais. Un jour, voudrais-tu le quitter avec moi et le parcourir ? »

Il demanda : « J’aimerais jouer du Guqin pour toi. Cela te va-t-il ? »

Puis il ajouta : « As-tu aimé ? »

Ce soir-là, Yang LiuAn le regarda avec des yeux pleins d’affection. Cela évoquait à la fois l’eau vive et le soleil couchant : « C’est beau, c’était vraiment agréable à entendre. »

Peu à peu, les deux tombèrent amoureux l’un de l’autre, mais à cause de leurs statuts respectifs, ils n’osèrent jamais franchir les limites.

Mais ce palais était une cage ; même leur amour chaste était un crime capital.

Xiao Fengyue serra la bouteille de porcelaine contre lui et, lorsqu’il ferma les yeux, le sourire de Yang LiuAn lui apparut. Après un long moment, il les rouvrit, emplis de détermination et de tristesse.

Mais sans peur.

 

Traducteur: Darkia1030