HSAV - Chapitre 156 - Ce sentiment est profondément enraciné dans mes os.

 

« Je… » Chen Ge voulut se défendre, mais, à la fin, il ne put prononcer un mot. La colère le submergea si fort qu’il se donna un coup de poing sur la tête, puis se tint le crâne entre les mains en lâchant plusieurs jurons à la suite.

Xiao YuAn tenta de sourire, mais ses yeux le brûlaient et sa bouche avait un goût amer. En pinçant les lèvres, il prit une profonde inspiration et dit : « Si… s’il n’y a aucune nouvelle de moi en vie avant que Yan-ge ne se réveille… »

« Médecin Xiao ? »

« S’il n’y a aucune nouvelle de ma vie, alors tu dois écrire une lettre pour moi. Yan-ge ne connaît pas mon écriture, tu n’auras donc pas à t’en soucier. Quant au contenu de la lettre…»

Xiao YuAn s’interrompit un instant. La main entrelacée avec celle de Yan HeQing se serra légèrement, et ses lèvres tremblèrent avant qu’il ne poursuive : « Tu devras lui dire dans la lettre que je suis parti, que je ne l’aime pas ; que je n’ai voulu être avec lui que pour profiter de la gloire et de la richesse sans souci. Mais puisque mon identité a été révélée, j’ai estimé qu’il n’était plus sûr de rester à ses côtés, alors j’ai choisi de le quitter. Tu devras aussi lui faire savoir que je lui demande de ne pas venir me chercher. Avec cette lettre, fais-lui comprendre qu’il est humain après tout. Dis-lui : “Tu as dit que tu me chercherais dans le monde entier, même si tu devais creuser trois pieds sous terre pour m’avoir.” (NT : idiome chinois signifiant “chercher partout, jusqu’aux moindres recoins”).Mais, le monde est si vaste, et il existe tant de chemins… où commencera-t-il à creuser ces trois pieds ? »

Chen Ge s’étouffa de sanglots, presque incapable de parler : « Médecin Xiao, dois-tu être comme ça ? Sa Majesté… il… il… »

Xiao YuAn s’essuya le visage et poursuivit : « Tu devras écrire d’une main ferme, sans laisser la moindre trace de doute. Il vaut mieux lui montrer mon dégoût, lui dire que je ne veux plus jamais qu’il me retrouve. Qu’il suive son propre chemin, j’ai déjà le mien. Dis-lui que sans lui, je vivrai certainement plus heureux qu’à présent. On dit depuis l’Antiquité que la famille impériale est la plus impitoyable et cruelle de toutes, et moi, j’aspire seulement à une vie tranquille, à contempler les nuages oisifs et les grues sauvages (NT : expression signifiant une vie libre et retirée du monde). Mais son destin est d’être Empereur. J’espère simplement ne plus jamais être mêlé à ces choses. Chen Ge, s’il te plaît, assure-toi d’écrire ces mots pour moi dans la lettre, et dis-lui de m’oublier. »

Chen Ge abattit son poing contre le mur de pierre, si fort que sa main devint rouge vif. Puis, après un long moment, il parvint à se calmer : « Médecin Xiao, je… je comprends. »

Xiao YuAn hocha la tête, prit le visage de Yan HeQing entre ses mains et embrassa ses lèvres froides. Après ce baiser, des larmes glissèrent sur ses joues, atteignant les coins de sa bouche. Lorsqu’il les goûta du bout de la langue, elles avaient un goût amer et astringent.

« Je vais y aller maintenant. »

Au loin, ils entendirent le faible martèlement de sabots approcher. Xiao YuAn n’osa pas hésiter davantage : il se leva précipitamment et courut vers la sortie de la grotte.

Un pas, deux pas, trois pas. Ses pas alternaient entre lenteur et précipitation. Lorsqu’il atteignit l’entrée, il leva les yeux vers l’extérieur : sous le crépuscule, la lune et les étoiles paraissaient ternes. La lueur glaciale de la nuit tombait sur le désert, et Xiao YuAn fit un pas en avant. Le vent froid souffla, mais il ne parvint pas à chasser la solitude ni la morsure glaciale qu’il ressentait au fond de lui.

Soudain, les larmes lui montèrent aux yeux. Il crut revoir le sable jaune de cette journée où Yan HeQing l’avait poursuivi à cheval, criant : « Je n’oublierai pas, je n’oublierai jamais ! »

« Il y a huit difficultés dans la vie (1). On ne peut ni les éviter ni les arrêter. Mais pourquoi dois-je être l’une des difficultés de la vie de Yan HeQing… pourquoi ? »

Xiao YuAn s’essuya les yeux et, soudainement, fit volte-face. Il courut de nouveau vers la grotte, saisit fermement les épaules de Chen Ge, stupéfait, et cria : « Oublie tout ce que je viens de dire ! Quand Yan-ge se réveillera, tu devras lui dire que moi, Xiao YuAn, je l’aime ! Je l’aime vraiment ! Je ne sais même pas quand ce sentiment a commencé, mais tant que je suis avec lui, je suis heureux. Je veux rester à ses côtés pour toujours, et où qu’il aille, j’irai aussi. Je n’ai pas peur de l’impitoyable famille impériale, ni de ce palais profond qui ressemble à une cage. Tant qu’il est là, tant qu’il est avec moi… »

Les derniers mots se perdirent dans un sanglot étouffé. Profitant de la stupeur de Chen Ge, Xiao YuAn se retourna et s’élança hors de la grotte.

C’était comme un drame empli de joie et de tristesse. À la fin, les spectateurs s’étaient retirés, ne laissant qu’une scène solitaire. Pourtant, les acteurs continuaient à jouer, à chanter leurs histoires. Et l’acteur principal, en agitant ses manches, chanta :

« J’ai été surpris de constater que mes sentiments étaient invisibles,
Mais c’est parce que mon amour était déjà gravé dans mes os.
Je ne sais pas d’où viennent ces émotions,
Je sais seulement qu’elles existent. »

(NT : De la pièce « Le pavillon des pivoines » de Tang Xianzu, de la dynastie Ming)

Cette chanson était longue et ininterrompue, et l’on pouvait l’écouter sans fin.

Mais hélas, personne ne l’entendit.

Personne.

Personne ne savait.

 

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Note du traducteur

  1. Les huit difficultés ou souffrances de la vie est un principe bouddhiste. Il fait référence à : la naissance, la vieillesse, la maladie, la mort, la séparation avec les personnes que nous aimons, la haine et l'amertume, les objectifs non atteints et l’incapacité à lâcher prise. Voir le roman Nan Chan qui est basé sur ces huit souffrances.

 

Traducteur: Darkia1030