Extra qui a été publié exclusivement avec la copie physique (chinoise) de Green Plum Island.
"Vous avez vraiment pris votre décision ?" Jiao Changyue signa son nom sur le document de transfert et re-capuchonna son stylo plume. Elle maintint sa paume contre cette mince feuille de papier, comme si un simple hochement de tête de ma part suffirait à la déchirer.
Mais quelle que fût la formulation de sa question, ma réponse demeura inchangée. "Oui, ma décision est prise."
"Vous avez tant œuvré pour intégrer le ministère des Affaires étrangères. Partir après seulement deux années ?" Elle ne comprenait pas. "À cause de Yan Kongshan ?"
"Non." Depuis ma sortie de l'université, j'avais brillamment occupé ce poste au ministère. Deux années durant lesquelles j'avais gravi les échelons avec régularité, gagnant même l'estime particulière de Jiao Changyue. Certains me considéraient déjà comme son successeur naturel, prédestiné à devenir porte-parole après son départ.
À vrai dire, mes débuts sous sa direction m'avaient inspiré quelque gêne. N'était-elle pas l'ancienne compagne de Yan Kongshan, celle qui faillit briser à jamais sa foi en l'amour ?
Je l'avais imaginée vipérine - belle mais venimeuse. Le temps m'apprit qu'elle était avant tout déterminée, tranchante, d'un charisme incontestable. Pour elle, l'amour se rangeait au placard des contingences, bien après l'ambition et le travail. Si sa froideur pouvait paraître impitoyable, ce n'était point par malignité.
Peu à peu, malgré moi, je tombai sous le charme de sa rigueur. Son dévouement professionnel forçait le respect ; elle incarnait une excellence indéniable.
Étais-je trop naïf alors ? Ou bien trop perméable à son intelligence ? Toujours est-il qu'elle perça à jour ma relation avec Yan Kongshan, ne manquant plus dès lors une occasion de taquinerie.
Chaque fois que je sollicitais un congé pour l'Île aux Prunes Vertes, elle me rappelait de revenir à l'heure : "Ne vous laissez pas ensorceler par ce grand collant."
"Cela ne concerne pas A Shan." Ce projet mûrissait depuis mes années estudiantines. Deux ans de pratique professionnelle n'avaient fait qu'en affermir la nécessité.
Elle soupira et me tendit le document. "Puisqu'il en est ainsi, je vous souhaite le succès dans votre nouvelle fonction."
Je saisis la feuille. "Merci."
Une euphorie légère m'envahit après cet accord obtenu sans heurts.
Pour ménager l'effet de surprise et éviter des espoirs prématurés, j'avais gardé secrète cette demande de mutation. Nul n'en était informé - le ciel seul savait depuis combien de temps je portais ce projet.
*
De retour au dortoir, je bouclai mes valises avant de gagner directement l'aéroport.
Le traitement administratif du transfert exigeait quelques jours, m'offrant ainsi des congés imprévus que j'entendais mettre à profit.
Sans hésiter, je réservai le premier vol disponible. Atterrissage prévu à Hong City pour 22h ; minuit sonnerait probablement lorsque le taxi m'amènerait enfin à l'Île aux Prunes Vertes. Peu importait. Si cela me permettait de retrouver plus tôt ceux qui me manquaient tant, aucune fatigue ne comptait.
Je m'arrêtai devant la maison de Yan Kongshan, mes bagages traînant derrière moi. Je ramassai une petite pierre au sol et, d'un geste précis, la lançai vers sa fenêtre du deuxième étage.
La lumière filtrait à travers les rideaux de sa chambre. Peu après, une silhouette imposante se dessina derrière le tissu.
Je renversai la tête en arrière. Lorsque Yan Kongshan écarta le rideau et baissa les yeux, j'ouvris grand les bras et plissai les yeux dans un sourire radieux.
La fenêtre s'ouvrit dans un grincement. Yan Kongshan me dévisagea, stupéfait. Un long moment s'écoula avant qu'il ne trouve enfin sa voix, rauque d'émotion : "Comment se fait-il que tu sois là ?"
Notre dernière rencontre remontait au Nouvel An. L'été pointait déjà son nez - près de six mois de séparation.
Je maintins ma posture, bras ouverts. "Tu ne vas pas m'accueillir ?"
Sans un mot, il disparut de la fenêtre. Trente secondes plus tard, la porte d'entrée s'ouvrit en grand. Essoufflé, il s'agrippa au chambranle, l'air encore incrédule.
Nos regards se croisèrent dans un silence éloquent. Puis, comme mûs par le même élan, nous nous précipitâmes l'un vers l'autre pour nous étreindre avec ferveur.
Son étreinte me broya littéralement, au point que mes os en craquèrent. J'enfouis mon visage dans le creux de son cou tandis que mes mains s'accrochaient désespérément à son t-shirt, froissant le tissu entre mes doigts tremblants.
Lettres quotidiennes, appels réguliers - rien n'avait pu apaiser cette faim qui nous rongeait les os, jour après jour.
"Tu aurais dû me prévenir de ton retour." Il enfouit ses doigts dans mes cheveux et déposa un baiser sur ma tempe.
Je crus qu'il me reprochait de ne pas l'avoir préparé psychologiquement. Mais il ajouta : "J'aurais pu venir te chercher. Te voir encore plus tôt."
Mon cœur se serra. Comme je l'aimais.
Autrefois, je croyais qu'il suffisait de lui prouver que je reviendrais toujours, quelle que soit la distance. Ce ne fut qu'en partant vraiment, en traçant ma route loin de lui, que je compris l'âpreté de la séparation.
Nos lèvres se cherchèrent encore longtemps dans la cour avant que nous ne nous séparions enfin.
"Combien de temps restes-tu cette fois ?" Yan Kongshan entrelaça ses doigts aux miens tout en soulevant ma valise de l'autre main pour gagner la maison.
Je balançai nos mains jointes avec espièglerie : "Une vie."
Une fois à l'intérieur, il déposa le bagage dans l'entrée avant de hausser un sourcil interrogateur.
Je lui sautai au cou, me laissant aller contre lui de tout mon poids. "Je ne repartirai plus. Mon transfert est approuvé. Je travaillerai désormais au ministère de l'Éducation, département des fondamentaux de l'île."
J'avais pu réaliser mon rêve précisément parce que j'avais connu la vie de diplomate. À vrai dire, je ne regrettais guère mon choix, car d'autres horizons s'offraient à mon ambition. Tout comme Yan Kongshan - bien qu'il eût quitté la diplomatie, sa librairie était devenue un lieu incontournable de l'Île aux Prunes Vertes, apportant joie et réconfort à tant de visiteurs.
"Vraiment ?" Son regard me scruta longuement. La question semblait sérieuse, mais un sourire indéfinissable commença à naître au coin de ses lèvres.
J'acquiesçai avec fougue avant de me hisser sur la pointe des pieds pour effleurer ses lèvres. "Vraiment."
Cette confirmation acheva de dissiper ses doutes. Sa paume se posa sur ma joue avec une douceur infinie, comme s'il tenait un trésor inestimable.
"Je t'aime." Tout en murmurant ces mots, il inclina la tête pour m'embrasser.
Mes paupières s'alourdirent tandis que je me perdais dans ce baiser.
*
Comme je m'étais couché fort tard, je dormis jusqu'à épuisement de tout sommeil. Le soleil était déjà haut lorsque j'émergeai enfin de ma torpeur.
Après ma toilette, je descendis pour trouver Yan Kongshan affairé aux fourneaux.
Je l'enlaçai par-derrière et passai la tête par-dessus son épaule pour humer le contenu de la marmite. "Quelle odeur divine !"
Il remua le bœuf qui mijotait jusqu'à tendreté avant de me tapoter la main. "Prépare les bols et les baguettes."
Je m'exécutai en fredonnant, emplissant les bols de riz avec entrain.
Le repas terminé, nous nous installâmes sur le canapé pour un film. Peu à peu, nos membres entrelacés, nous nous assoupîmes. Sans le réveil de Yan Kongshan, qui sait combien de temps aurait duré cette sieste ?
Je me frottai les yeux en bâillant. "Quelle heure est-il ?"
"Quatre heures." Il éteignit l'alarme. "Repose-toi, je vais chercher Qiuqiu."
"J'y vais avec toi." Plusieurs mois sans voir Yan Wanqiu m'avaient laissé un grand vide. À cet âge où les enfants poussent comme des champignons, elle changeait presque quotidiennement. Chaque retour me la montrait un peu plus grande, et je maudissais ces occasions perdues de la voir grandir.
Certaines absences se compensent. D'autres laissent des trous béants qu'aucune présence future ne saurait combler.
Mon retour précipité de la veille, tenu secret, et ma grasse matinée m'avaient privé de retrouvailles avec Yan Wanqiu et Grand-père. Yan Kongshan, incertain de mes intentions, avait gardé le silence.
Aussi, lorsque Yan Wanqiu sortit de l'école et m'aperçut, sa mâchoire faillit heurter le sol.
Pétrifiée un instant, elle consulta Yan Kongshan du regard. Rassurée sur la réalité de ma présence, elle poussa un cri aigu avant de se jeter dans mes bras.
« Mianmian ! » s'écria-t-elle en bondissant pour enlacer ma taille de ses jambes. « Tu es revenu ! Tu m'as tellement manqué ! Pourquoi ne m'as-tu rien dit ? »
À onze ans, c'était déjà une grande fille. Son poids me fit presque perdre l'équilibre. Je lui tapotai le dos, amusé. « Descends un peu. »
« Où serait la surprise si je t'avais prévenue ? » lui dis-je en lui prenant la main. Sous les regards curieux des passants, nous regagnâmes la voiture où Yan Kongshan nous attendait.
« Si tu me l'avais dit, je serais venue te chercher avec A Shan », protesta Yan Wanqiu en se glissant entre les deux sièges avant. En grandissant, ses traits s'étaient affinés, perdant la rondeur enfantine pour gagner la grâce naissante d'une jeune femme - un reflet de plus en plus fidèle de sa mère. « Comme ça, nous t'aurions revu plus tôt. N'aurait-ce pas été mieux ?»
Sa réponse me stupéfia. Fallait-il s'en étonner, venant de la chair de sa chair ? Cette réplique, inattendue, faisait étrangement écho à celle de Yan Kongshan la veille.
« Dans ce cas, je te préviendrai la prochaine fois », promis-je. « S'il y a une prochaine fois. »
Plus perspicace que quiconque, Yan Wanqiu saisit aussitôt ma sous-entendu. « Pourquoi n'y aurait-il pas de prochaine fois ? Tu ne repartiras plus ? »
Je souris et abandonnai les détours. « Exact. Je reste ici désormais. Avec vous deux. »
Sa bouche s'arrondit en un "O" parfait, son visage figé trois secondes par la stupéfaction. Puis ses bras m'enserrèrent le cou avec une vigueur qui faillit renverser le siège, tandis que des rires et cris joyeux jaillissaient d'elle.
Son étreinte m'ôta presque le souffle. Toussotant, je desserrai légèrement ses bras, incapable de réprimer mon sourire devant sa joie contagieuse.
« Allons chercher Grand-père », proposa Yan Kongshan, déjà familiarisé avec la surprise depuis la veille, et donc bien plus calme. Il ne prit la parole qu'une fois Yan Wanqiu calmée.
Le chariot à œufs de thé de Grand-père se trouvait non loin sur notre route. Le timing était parfait.
En approchant du coin de rue, j'aperçus de loin Grand-père assis près de la route. Je m'affaissai vivement sur mon siège pour prolonger la surprise.
Yan Kongshan stoppa devant le chariot et sortit pour l'aider à ranger.
« Aiyo, je peux rentrer seul ! insista Grand-père. Je ne suis pas encore si vieux ! »
Malgré ses protestations, il éteignit soigneusement son réchaud à induction - ayant finalement abandonné son antique réchaud à charbon deux ans plus tôt. Après avoir posé la casserole fumante d'œufs de thé, il monta dans la voiture avec l'aide de Yan Kongshan.
« Grand-père Œufs de Thé, laisse-moi la porter », proposa Yan Wanqiu, anticipant sans doute son excitation à venir. Elle s'empara préventivement de la casserole.
Grand-père se frotta la nuque en gloussant. « Qiuqiu est si attentionnée. »
Yan Kongshan reprit le volant. La voiture redémarra.
« La chaleur devient accablante... », commenta Grand-père.
Sentant le moment propice, je surgis soudain du siège passager. « Grand-père, je suis revenu ! »
Grand-père porta les mains à sa poitrine, les yeux démesurément écarquillés. « Aiyo, qui vois-je là ? » À peine eut-il posé cette question qu'il reconnut mon visage. Ses mains se précipitèrent pour malaxer mes joues. « Mianmian ? Serait-ce mon Mianmian ? Tu es revenu ! Depuis quand ? Pourquoi n'as-tu rien dit à ton vieux grand-père ? »
"Pour te faire une belle surprise." Avec les années, l'ouïe de grand-père avait décliné. Je devais presque hurler pour me faire entendre.
"Une belle surprise !" Il me tapota l'épaule, feignant le mécontentement. « Si tu m'avais prévenu, je serais allé t'accueillir avec A Shan. Tu m'as tant manqué, et tu me prives de te voir plus tôt ! »
Ces paroles me firent soudain comprendre. Si Yan Kongshan et Yan Wanqiu avaient eu la même réaction, ce n'était pas seulement par lien du sang, mais parce qu'ils m'aimaient. Tout comme grand-père, ils me considéraient comme un des leurs.
"Désormais, tu me verras chaque jour." J'annonçai la bonne nouvelle. "Je ne repartirai plus."
"Plus jamais ?" demanda-t-il, incrédule.
"Mn. Plus jamais."
Il n'exigea pas d'explications. Se contentant de hocher la tête, il emprisonna mes mains dans ses paumes sèches et chaudes. Ses yeux rougirent progressivement.
"C'est merveilleux que tu restes. Vraiment merveilleux."
Quand j'étais parti, nul n'avait tenté de me retenir, respectant mes rêves et ma vie. Mais maintenant que je choisissais de rester, ils pouvaient enfin exprimer ce désir longtemps refoulé : leur réticence à me voir partir.
*
Trop joyeux, grand-père ouvrit une bouteille de son vin de prune maison et en but copieusement. Il commença à divaguer avant de s'effondrer sur son lit, instantanément endormi.
Quant à Yan Wanqiu, devant se lever tôt pour l'école, elle termina ses devoirs et se coucha de bonne heure.
Seuls Yan Kongshan et moi restâmes éveillés. Installés sur un banc du jardin, nous contemplâmes la lune en sirotant notre vin.
« Mon père m’a confié un jour qu'il rêvait souvent de l'Île aux Prunes Vertes après son départ, mais qu'il ne regrettait rien. Il m’a prédit que je suivrais son exemple - que je partirais, regretterais cette île, mais ne reviendrais jamais. » Je posai ma tête contre l'épaule de Yan Kongshan, les joues tiédies par l'alcool.
"Il se trompait." Yan Kongshan but une gorgée avant de caresser mon visage.
Je fermai les yeux, frottant ma joue contre sa paume fraîche. « Mn. Profondément. »
J'avais quitté cette île. Elle m'avait manqué. Alors j'étais revenu. Pourquoi se compliquer l'existence ? Vivre où l'on veut, faire ce qui nous rend heureux.
En ce monde coexistaient des âmes comme Grand-mère, épanouies dans leur solitude, et des cœurs comme Sun Rui, pour qui l'amour était vital. Tous, sans exception, suivaient leur propre voie vers le bonheur.
Comme l'écrivit Hai Zi : "Puisque tu es venu en ce monde, contemple le soleil."
(NT : invitation à embrasser la vie, à ne pas détourner le regard de sa beauté malgré les souffrances qu’elle comporte. Le soleil symbolise la vie et l’espoir. Hai Zi, ou Zha Haisheng, est un poète chinois contemporain)
Rien n'était plus vrai. Nous étions tous passagers de ce monde. Comment ignorer la morsure de l'été ? Comment ne pas traverser l'hiver ?
Puisque tu es venu en ce monde, contemple le soleil. Et vis heureux.
Fin
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Note du traducteur
Ca a été un grand plaisir de traduire cette histoire, qui est un de mes danmeis préférés. Son ton doux acidulé, telle une prune verte, ainsi que son ton romantique et souvent poétique m’ont particulièrement touchée, et j’espère qu’elle vous a aussi fait vibrer.
Traducteur: Darkia1030
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