Green Plum Island - Extra 2 - La troisième année (2)

 

La cérémonie d'arrêt de la pluie revint une fois encore. Cette fois, je n'étais plus la jeune fille du ciel et Yan Kongshan n'était plus le général, aussi pus-je pour la première fois assister au défilé et participer pleinement à ce festival traditionnel.

Grand-père, quant à lui, choisit de rester à la maison pour regarder des séries, arguant qu'il avait vu la cérémonie pendant des décennies et que la seule raison de sa présence à la dernière édition tenait au fait que j'en avais été le héro. Yan Wanqiu, qui détestait les foules et devoir rester debout si longtemps, refusa également d'y aller. L'événement devint ainsi une sorte de rendez-vous pour Yan Kongshan et moi.

Des foules compactes se massaient le long de la rue Nanpu tandis que l'immense plateforme avançait lentement sur la chaussée débarrassée de ses voitures. Les porteurs de la chaise à porteurs chantaient à pleins poumons tandis que la jeune fille du ciel, assise au centre derrière son éventail rond, était protégée par le général tenant son parapluie.

Le rôle de la jeune fille du ciel échoyait toujours à un jeune garçon vierge de moins de dix-huit ans, renouvelé tous les deux festivals. N'ayant été qu'un remplacement temporaire, les formalités avaient été simplifiées pour moi. Mais traditionnellement, la sélection impliquait de nombreuses étapes complexes et une féroce compétition.

Tous les candidats potentiels devaient se porter volontaires en comprenant les responsabilités du rôle, y compris la signification historique de la cérémonie. Devenir la jeune fille du ciel n'offrait d'ailleurs aucun avantage particulier, si ce n'être le centre d'attention le jour J.

Après l'incident du fils de M. Liu, disqualifié in extremis, une nouvelle règle imposait désormais de choisir une doublure pour parer à toute éventualité et éviter le chaos de la dernière fois.

La foule s'enflamma lorsque la chaise à porteurs passa. Une forêt de téléphones se dressa simultanément pour capturer l'instant, leurs mouvements me repoussant contre la poitrine solide de la personne derrière moi.

Yan Kongshan se pressa contre mon dos : « Ça va ? »

Je contemplai la mer d'écrans lumineux devant nous. Je compris alors pourquoi grand-père et Yan Wanqiu avaient décliné. « Peu importe, partons, soupirai-je. Il n'y a plus grand-chose à voir. »

Sans un mot, Yan Kongshan saisit ma main et nous nous extirpâmes de la cohue.

L'avantage de partir tôt résidait dans les stands de nourriture encore déserts, la foule étant concentrée sur le défilé.

Bien que cette rue regorgeât déjà de bonnes adresses en temps normal, le festival élevait l'offre à un autre niveau. Sous l'impulsion d'un commerçant visionnaire, chaque stand proposait désormais une spécialité éphémère : glace pilée au plumage blanc, jus Jeune fille du ciel, boulettes de poulpe... le tout orné de mini-parapluies rouges. Un marketing astucieux qui attirait les amateurs de nouveautés.

Lorsque nous passâmes devant un artisan sucreur, mon regard fut attiré par un général en sucre planté sur un bâton. Je ne pus m'empêcher de l'examiner - une édition limitée d'une exquise facture.

À côté de moi, Yan Kongshan fit soudain demi-tour et marcha droit vers l'étal. Je devinai ses intentions, mais avant que je ne puisse l'arrêter, il avait déjà saisi le général en sucre pour me le tendre, tout en demandant le prix à l'artisan.

Le paiement effectué, nous reprîmes notre marche, moi serrant mon général de sucre.

« Comment as-tu su que je le voulais ? Et si je l'avais juste trouvé bizarre ? » Tout en tournant la friandise entre mes doigts, j'en croquai un morceau - le parapluie du général - libérant une douceur pure qui inonda immédiatement mes papilles. L'intensité du sucre me coupa presque le souffle.

"Ton visage trahit toujours tes désirs", rétorqua-t-il avec un regard entendu. "C'est écrit comme en lettres lumineuses."

Je me frottai le visage avec scepticisme. Il exagérait sûrement. Bien que je ne fusse certes pas du genre calme et pensif, je ne portais pas non plus mon cœur en étendard ; personne d'autre que lui n'avait jamais prétendu que j'étais si transparent.

« Tu ne me crois pas ? » Yan Kongshan haussa les sourcils.

"Alors laisse-moi penser à autre chose. Si tu devines juste, tu auras gagné."

"Ce doit être quelque chose que je peux voir."

J'acquiesçai. "D'accord."

Je parcourus les alentours du regard, cherchant une cible. Autour de nous s'alignaient un stand de jus de fruits, un stand de ballons et un stand de barbe à papa. J'en sélectionnai un mentalement, puis détournai les yeux, signalant à Yan Kongshan que j'avais choisi.

Il m'imita, inspectant chaque étal avec attention. Mais à chaque fois, il secoua la tête. "Pas celui-ci... ni celui-là..."

Quand il arriva à la barbe à papa et secoua à nouveau la tête, je ne pus réprimer une expression sournoisement satisfaite.

Tu vois ? Pas si facile à lire finalement !

"Je sais maintenant."

Juste comme j'allais parler, une soudaine inspiration sembla frapper Yan Kongshan. Il me saisit la main et m'entraîna dans une ruelle sombre proche.

Le ronronnement des climatiseurs envahit mes oreilles dans cette ruelle silencieuse et ombragée. Yan Kongshan se pencha vers moi.

"Jeune homme, regarde-moi dans les yeux."

Qu'est-ce que c'était que cette comédie ? Essayait-il de m'attendrir par la séduction ? Et j'avais presque 22 ans, ne pouvait-il cesser de m'appeler "jeune" ?

Telles furent mes pensées, pourtant je levai docilement les yeux vers les siens.

"M'aimes-tu ?" demanda-t-il.

J'hésitai, puis acquiesçai, incertain de ses intentions. "Mm-hmm."

« Tu me désires ? »

"..." Un déclic se fit dans mon esprit. « Tu triches, ça ne compte pas ! »

Soudain, il se rapprocha, sa bouche s'arrêtant à un souffle de la mienne. L'air entre nous crépitait.

"Alors... tu ne m'aimes pas ?"

Trop jeune et trop naïf, je tombais toujours dans ses pièges.

Je me mordis la lèvre, m'efforçant de raffermir ma résolution, puis répétai : « Tu triches... »

La fin de ma phrase se perdit dans le silence. Yan Kongshan était si près que, si je le voulais, il n'aurait qu'à avancer d'un centimètre pour que nos lèvres se rencontrent.

"En amour comme à la guerre, tout est permis." Il rit, puis s'écarta légèrement, avouant avec audace : « Tu n'as pas interdit la tricherie. Mais ce à quoi tu pensais, c'était bien moi, n'est-ce pas ? »

La réponse était si évidente que la question en devenait superflue.

Je serrai les lèvres sans répondre. Mon regard se posa sur les siennes et je m'approchai lentement pour l'embrasser.

J'avais sous-estimé la fourberie de Yan Kongshan. Au moment précis où nos lèvres allaient se toucher, il se redressa, esquivant mon baiser.

"Jeune homme, dis la vérité, ou tu ne m'embrasseras pas."

Ces trois dernières années, je m'étais consacré à la course et au saut pour grandir, mais malgré mes efforts, je n'atteignais toujours pas 1m80, sans doute à cause de mes gènes. La différence de taille entre Yan Kongshan et moi demeurait conséquente ; s'il ne se penchait pas, je ne pouvais l'embrasser qu'en me mettant sur la pointe des pieds.

En d'autres termes, s'il refusait mon baiser, la tâche devenait ardue.

Je passai les bras autour de son cou et lâchai à contrecœur un murmure de capitulation, reconnaissant ma défaite dans ce pari.

"Tu vois, je t'avais bien dit que tu étais transparent." Sur ces mots, il se pencha et déposa un baiser au coin de mon œil comme une récompense.

Lorsque nous quittâmes la ruelle, le général en sucre avait fondu à cause de l’air chaud soufflant des climatiseurs, laissant des résidus collants sur mes mains. Yan Kongshan voulut que je le jette, mais je ne pus m’y résoudre et continuai à le manger, sans finir avant que nous soyions presque à la voiture.

Heureusement, il y avait un petit magasin à côté du parking, alors Yan Kongshan partit m’acheter une bouteille d’eau pour que je puisse me laver les mains. Une fois le collant lavé d’entre mes doigts, je bus le reste de la bouteille comme un forcené, laissant l’eau diluer l’intense douceur de ma gorge.

Quand nous rentrâmes à la maison, il était déjà presque vingt et une heures. Grand-père et Yan Wanqiu regardaient la télévision et mangeaient de la pastèque. De temps en temps, l’un d’eux lançait une insulte à la télévision, manifestant son mécontentement face au ridicule du drame qui se déroulait à l’écran.

« Pourquoi regardez-vous soudainement un drame d’idoles ? » demandai-je. Grand-père préférait les drames de guerre, et Yan Wanqiu était l’incarnation d’une fanatique de dessins animés ; aucun d’eux ne pouvait même nommer des célébrités populaires ces jours-ci, il était donc étrange qu’ils regardent soudain un drame d’idoles ensemble.

Yan Wanqiu cracha une coque de graine de pastèque de sa bouche, puis répondit : « Parce qu’aucun de nous n’a pu persuader l’autre de ce qu’il fallait regarder, nous avons donc décidé de regarder quelque chose que nous n’aimons pas. Ce rôle principal masculin est si manifestement nul, pourquoi ferait-elle confiance à quelqu’un si facilement comme ça ? »

Grand-père laissa échapper un hmmph. « Trop jeune et naïve. »

Yan Kongshan et moi échangeâmes un regard. Nous prîmes chacun une tranche de pastèque et rejoignîmes leur petite fête.

« Ce type n’est même pas aussi beau qu’Ah Shan, si c’était moi, je ne serais même pas amoureuse de lui !

«  Il n’est pas aussi beau que Mian Mian non plus. »

Grand-père, les gens normaux ont l’air différents devant la caméra. Si je devais jouer dans un drame, je ne serais vraiment pas aussi beau que les acteurs professionnels…

« En effet. Mian Mian est le plus beau ! » Yan Wanqiu jeta agressivement sa peau de pastèque. « Grand-père œufs de thé, allons-nous regarder celui-là ? Celui avec Mian Mian et Ah Shan ?

« D’accord, et aujourd’hui c’est la cérémonie d’arrêt de la pluie, c’est le moment idéal. »

Je frissonnai intérieurement. « Il ne faut pas… »

Jetant un coup d’œil à Yan Kongshan, je le trouvai en train de manger silencieusement de la pastèque, sans rien faire pour les arrêter. En fait, il semblait avoir hâte. Je serrai les dents et fis un mouvement vers la télécommande, mais il était trop tard. Yan Wanqiu l’attrapa avant moi.

« Ce n’est pas comme si c’était la première fois que tu le regardais, pourquoi es-tu si timide ? » Yan Wanqiu navigua facilement sur le téléviseur jusqu’à ce qu’elle arrive sur un documentaire de voyage, sélectionna le troisième épisode et fit glisser la flèche au milieu de la vidéo.

Voyant qu’il ne servait à rien d’essayer de résister, je baissai les épaules et recommençai à manger de la pastèque. « Vous n’en avez pas tous marre de regarder ça tant de fois ? »

« Pas du tout », répondirent grand-père et Yan Wanqiu à l’unisson.

Le chargement de la vidéo s’acheva, et une voix masculine épaisse et lourde commença à parler.

« Tous les trois ans, L’Île aux Prunes vertes accueille un festival spécial. Les étrangers qui viennentt de loin commettent souvent l'erreur de supposer que les festivités célébrent un mariage, mais en réalité, l’individu assis sur la chaise à porteurs tenu par ces vingt-quatre hommes forts est un jeune de dix-huit ans… »

Le clip du défilé passa à l’étape avant le festival, au moment où les préparatifs étaient en cours. À la télévision, je restais figé sur la chaise tandis que Zhu Tong courait autour de moi pour me coiffer et que Sun Rui me donnait du chocolat.
Le narrateur expliqua que je n’avais rien mangé de toute la journée et qu’à cause de mon costume et de mon maquillage, je ne pouvais pas bouger. Tout ce que je pouvais faire était de me nourrir ainsi. Il ajouta même que le général avait acheté le chocolat rien que pour moi.

Je ne suavai pas si ce fut à cause de mes sorties furtives avec Yan Kongshan, mais chaque fois qu’ils voulaient regarder ce documentaire, j’avais l’impression d’être humilié au grand jour. La manière dont je regardai Yan Kongshan à l’époque était si révélatrice ; il n’y avait aucun moyen de cacher l’amour dans mes yeux.
Yan Kongshan avait raison : je portais vraiment toutes mes émotions sur mon visage…

« La jeune fille du ciel et le général, cette année, forment une nouvelle paire, et ils n’ont répété ensemble qu’une seule fois auparavant. »

À l’écran, Yan Kongshan enfila le masque du général et me prit dans ses bras. Il marcha d’un pas régulier vers la chaise à porteurs tandis que le narrateur poursuivait en arrière-plan :
« … mais on dirait qu’ils sont très professionnels et savent ce qu’ils font. Lorsque le général et la jeune fille du ciel sont apparu devant la foule, celle-ci s’est déchaîné. Cette paire délicieusement attrayante a remporté l’approbation du public… »

Au dernier moment du festival, le défilé termina sa tournée, les annonces furent faites et la musique s’estompa lentement, tandis que la scène basculait à nouveau vers l’instant précédant le défilé. Je regardai par la fenêtre depuis la chaise où l’on me maquillait, une anxiété et une inquiétude malheureuses inscrites sur mon visage, mêlées d’une once de dépendance. La caméra suivit la direction de mon regard et se fixa sur Yan Kongshan, qui se tenait à proximité.

Après une courte pause, la scène montra Yan Kongshan en train de m’observer de l’extérieur. Je discutais alors avec Sun Rui — à l’époque, je ne l’avais même pas remarqué. Il tenait une cigarette, les sourcils froncés par une légère consternation. Les images révélèrent la nervosité qui nous assaillait à l’idée de la représentation à venir. Mais je fus le seul à savoir qu’à ce moment-là, il songeait surtout à comment il pourrait jamais ressentir du désir pour un "enfant" comme moi.

Enfin, le documentaire s’acheva, et la demi-heure de torture prit fin. Il était déjà presque dix heures. Yan Kongshan se leva et déclara à Yan Wanqiu qu’il était temps de rentrer pour se coucher. Ils partirent tous les deux, tandis que je rangeai la table et les restes de pastèque.

« Mian Mian, ne te couche pas trop tard. Je monte maintenant. »
« D’accord. » J’ouvris le réfrigérateur et constatai qu’il ne restait plus assez de place. Je m’efforçai de tout réorganiser pour y faire entrer la pastèque.
Du coin de l’œil, j’aperçus grand-père et me demandai pourquoi il n’était toujours pas monté. Avant que je puisse l’interroger, je l’entendis soupirer.

« Ça aurait été bien si tu avais été une fille, murmura-t-il doucement. J’aurais pu te voir marcher dans l’allée. »
Avant que je ne réagisse, il joignit ses mains derrière son dos et s’éloigna, me laissant glacé devant le frigo, la pastèque toujours entre mes mains.

Que voulait-il dire ?
Était-ce simplement un commentaire sur le documentaire… ou savait-il quelque chose ?!

 

Traducteur: Darkia1030