Il fallait le dire : la maison des Yan était bien plus confortable que celle de mon grand-père. Elle était climatisée, il y avait des jeux et d'innombrables piles de livres passionnants.
Lorsque je franchis la porte, je remarquai l’absence du carillon éolien suspendu à l’avant-toit de la maison ; nul ne savait si Yan Kongshan avait oublié de le raccrocher après l’arrivée de la femme en robe blanche.
Yan Wanqiu semblait visiblement plus à l’aise ici. Elle se dirigea vers le réfrigérateur, attrapa deux bouteilles de yaourt, m’en tendit une, puis alla se planter devant la télévision où elle ôta sa prothèse de jambe.
Par politesse, je détournai le regard, mais intérieurement, je ne pus m’empêcher de me demander comment elle en était arrivée là. Pourtant, il était difficile de ne pas y penser de son point de vue : si quelqu’un que je connaissais à peine me posait des questions sur mon accident et les lésions cérébrales qui en avaient résulté — même si j’étais complètement rétabli — je ne sauterais pas de joie non plus.
Sans oublier que je continuais d’entretenir des pensées impures à propos de son père.
Mario était un véritable aspirateur de temps ; ensemble, nous étions une équipe imparable, et avant même que je m’en rende compte, nous avions franchi trois ou quatre étapes et tout un après-midi s’était écoulé.
« Bon sang, je n’arrive pas à passer celui-ci. Je n’y arrive pas », dit Yan Wanqiu avec exaspération, les yeux rougis par la frustration.
Le jeu était à moitié terminé, nous nous apprêtions à entrer dans une nouvelle étape, mais elle peinait à manœuvrer cette partie et nous avions du mal à vaincre le boss. Au moment où j’allais lui suggérer de faire une pause et de réessayer demain, une clé tourna dans la serrure, de l’autre côté de la pièce. Une seconde plus tard, Yan Kongshan entra dans la maison, et s’arrêta, confus, en me voyant.
Le moineau dans mon cœur recommença à battre des ailes. Je tentai de le maintenir en cage, me disant qu’il devait absolument se calmer, sinon cet homme finirait par me prendre pour un pervers et se méfierait de moi.
« Vous jouez à un jeu ? » demanda Yan Kongshan en accrochant ses clés à l’entrée avant de nous rejoindre.
Mes mains se crispèrent autour de la manette. « Désolé de m’être incrusté », murmurai-je, trop effrayé pour le regarder dans les yeux.
« Ah Shan, je n’arrive pas à passer, aide-moi ! » supplia Yan Wanqiu.
« Pourquoi joues-tu toujours à ces jeux ? » répondit-il, mais il accepta néanmoins la manette qu’elle lui tendit.
« Je suis une enfant. Tous les enfants sont comme ça », répliqua Yan Wanqiu avec aisance. «Nous sommes tous des accros aux jeux. »
Yan Kongshan sourit, manœuvrant son personnage pour rejoindre le mien à l’écran. « Je me demandais pourquoi tu ne voulais pas aller en ville avec moi aujourd’hui… Il s’avère que tu voulais juste manipuler ce petit gege (NT : frère) ici pour qu’il joue avec toi. »
L’instinct me poussa à vouloir le corriger, mais en même temps, je ne savais pas vraiment comment Yan Wanqiu était censée m’appeler, à part gege.
Oncle ?
Cela sonnait faux.
« C’est de ta faute si tu ne joues pas avec moi », reconnut-elle doucement, assumant ses intrigues. « C’est plus amusant à deux joueurs. »
Le climatiseur de leur maison tournait à plein régime — un million de fois plus efficace que le vieux ventilateur électrique de ma chambre — mais un seul coup contre le boss suffit à me tremper tout le dos de sueur.
Il était difficile de rester confortablement assis à côté de quelqu’un pour qui l’on craquait. Le désir d’être irréprochable à chaque instant, pour laisser une bonne impression, me rendait hyper conscient de moi-même, tous les sens en alerte.
Je ne dis mot pendant la partie. À côté, Yan Wanqiu bavardait, et de temps à autre, Yan Kongshan lui répondait — mais la plupart du temps, lui aussi restait silencieux.
La sueur s’accumula dans mes paumes, rendant la manette glissante entre mes doigts. Lorsque le boss fut enfin vaincu, je la reposai et poussai un long soupir de soulagement, essuyant mon front avec le revers de ma main.
Yan Kongshan déposa également sa manette, au milieu des cris triomphants de Yan Wanqiu.
« Je peux enfin aller pisser ! Je me retiens depuis trop longtemps. » Elle remit sa prothèse en place, puis partit d’un pas vif en direction de la salle de bain.
Restés seuls dans le salon, Yan Kongshan et moi laissâmes le silence s’installer. Il était agréable, ce calme, mais je me mis à chercher un sujet de conversation, de peur que l’atmosphère ne devienne gênante. « J’ai entendu dire que tu étais allé en ville aujourd’hui pour t’approvisionner en livres ? »
Il sembla perdu dans ses pensées et mit quelques secondes à réagir. « Hmm ? Oh, il y a un temple confucéen dans la ville qui vend beaucoup de livres d’occasion, alors j’y vais souvent pour en récupérer. »
Je grattai l’ongle de mon pouce. La chaleur semblait de nouveau monter. « Ça semble intéressant. »
Sa jauge d’humeur n’était pas très élevée lorsqu’il était arrivé, et elle n’avait augmenté que légèrement pendant que nous jouions. À présent que nous parlions de la ville, elle chutait de nouveau. Je soupçonnai qu’il avait vécu quelque chose de désagréable pendant son excursion.
« Tu sembles vraiment gêné par la chaleur », remarqua-t-il, ses yeux se posant sur mon front. À l’instant même où il parlait, une goutte de sueur glissa d’une mèche de mes cheveux.
« Trop de yang, je suppose », répondis-je en lâchant un petit rire gêné tout en essuyant mon visage.
Mais en vérité, ce n’était pas ça. C’était plutôt la virilité brûlante de la jeunesse. Je savais sans même me voir dans un miroir que ma jauge d’humeur brillait d’un jaune aveuglant.
Yan Kongshan se leva et se dirigea vers le réfrigérateur. Il en sortit un Coca glacé qu’il me tendit.
« Merci. »
J’essayai d’ouvrir la bouteille, mais mes mains moites glissaient sur le bouchon. Je me demandai un instant si je devais utiliser ma chemise pour obtenir une meilleure prise, lorsqu’une grande main s’approcha et me prit le Coca. Il le dévissa d’un geste précis avant de me le rendre.
Je saisis la bouteille, hébété. Le talent de Yan Kongshan pour démontrer, au moment le plus opportun, quel petit ami parfait il ferait, me faisait tourner la tête ; c’était un pro. Je le remerciai à nouveau et levai la tête pour boire une longue gorgée. Pendant ce temps, je m’efforçai de trouver un nouveau sujet de conversation. « Tu as beaucoup de livres… »
Je repérai une montagne de volumes à proximité, et une idée me traversa l’esprit. « Puis-je jeter un coup d’œil ? »
Son regard balaya l’état chaotique de la pièce. « Si ça t’intéresse, tu peux emprunter ce que tu veux », répondit-il sans hésitation.
« Vraiment ? »
L’enthousiasme me fit immédiatement enchaîner : « Puis-je… lire ici ? Il fait trop chaud chez nous, nous n’avons pas d’air conditionné. »
L’amour, par nature, relevait toujours d’un pari. Des choix différents menaient à des résultats différents ; chacun influait sur le fait d’avancer ou de reculer. J’ignorais si ma relation avec Yan Kongshan profiterait de mon audace du moment, mais au moins, j’avais saisi l’occasion de me rapprocher un peu plus de lui.
Manifestement surpris par ma requête, il resta un moment silencieux.
« Sinon, alors… » Je baissai les yeux.
« Je ne suis à la maison que le soir. Est-ce qu’après vingt heures t’irait ? »
Les mauvais joueurs ont chacun leurs faiblesses, mais les bons joueurs ont au moins le courage de parier. Mon moral remonta d'un coup. Intérieurement, j'étais si heureux que j'aurais pu me mettre à danser la yangge sur-le-champ, mais je dus contenir mon enthousiasme pour ne pas paraître trop impatient.
« Bien sûr ! » Puis, après un élan d'excitation, je levai la tête, soudain hésitant. « Je ne te dérangerai pas, n’est-ce pas ? »
La bouteille de Coca était fraîche dans mes mains. Des gouttelettes glacées de condensation glissaient le long de mes doigts et tombaient sur mes jambes. Mes orteils se recroquevillèrent involontairement.
« Hmm ? » L’homme laissa échapper un bourdonnement bas et interrogatif.
« Je veux dire… » Je toussai, puis marmonnai : « Le carillon éolien. »
Je regrettai mes paroles dès qu’elles franchirent mes lèvres. Je n’aurais jamais dû aborder le sujet ; c’était une intrusion dans sa vie privée. Nous n’étions même pas proches, et mon rappel à peine déguisé tombait complètement à côté.
Comme je m’y attendais, l’indice d’humeur de Yan Kongshan baissa légèrement ; sa teinte vira lentement du blanc au rouge, signal clair d'une certaine irritation.
Un demi-sourire flotta pourtant sur ses lèvres. « Ne t’inquiète pas, je ne suis pas d’humeur ces derniers temps. Je ne vais pas le raccrocher. »
Après un instant, il ajouta : « Tu sembles au courant de beaucoup de choses. »
Je contractai encore plus fort mes orteils, au point de provoquer presque des spasmes dans mes pieds. Mon Dieu, je venais de poser le pied sur une mine terrestre, en plein milieu de la scène.
Pourquoi n’existait-il pas de fonction "sauvegarder et recommencer" dans la vraie vie ? J’aurais pu sauter sur l’homme devant moi, le dévorer des pieds à la tête, puis appuyer sur le bouton. Ce serait devenu ma première prouesse « gagnant-gagnant, dîner en duo » de mon existence.
Mais mes yeux glissèrent ensuite sur les bras musclés de Yan Kongshan, et je soupirai intérieurement. Sa silhouette n’était clairement pas une plaisanterie. À peine aurais-je posé la griffe sur ses fesses qu'il m'enverrait direct au point de sauvegarde précédent sans la moindre difficulté.
Il paraissait accessible, toujours baigné dans un charisme discret, mais cette façon qu’il avait de garder ses distances, amical sans jamais être proche, compliquait toute tentative d’interaction. La politesse n’était qu’un masque dans cette société. Un sourire ne signifiait pas forcément qu’on vous appréciait. Je le savais, mais je tombais tout de même dans le piège qu’était sa façade, lui laissant une emprise totale sur mon être.
En pleine tempête intérieure, Yan Wanqiu réapparut de la salle de bain. Cela me fit bondir de mon siège. « Mon grand-père doit être rentré maintenant, je devrais y aller. »
« Hein ? Déjà ? » demanda Yan Wanqiu, visiblement déçue.
Tenant toujours la bouteille de Coca, je lui souris. « Je dois rentrer manger aussi. »
La nourriture était une affaire sérieuse ; elle n’eut d’autre choix que de céder, se contentant de proposer une prochaine séance de jeu ensemble.
Yan Kongshan resta silencieux pendant qu’il m’accompagnait jusqu’à la porte. Je gardai la tête baissée. Le moineau dans mon cœur sanglotait, la tête enfouie dans ses ailes.
Il s’avérait qu’essayer de courtiser quelqu’un était plus difficile que je ne l’aurais cru. Je songeai brièvement à demander conseil à Sun Rui. Elle rompait facilement, mais entamait tout aussi facilement de nouvelles relations.
« Au revoir », fis-je doucement à Yan Kongshan, puis je me mis en route, le regard toujours tourné vers le sol, le moral en chute libre. Je n’avais fait que quelques pas lorsque sa voix résonna derrière moi :
« À ce soir. »
Je sursautai, figé sur place. Après quelques battements de cœur, je me retournai.
Ce soir ? Il voulait que je revienne ce soir ?
Lorsque mes yeux croisèrent à nouveau les siens, l’indice au-dessus de sa tête n’était plus rouge, mais d’un blanc éclatant.
Donc il avait simplement été un peu en colère… et maintenant, il m’avait pardonné ? Cet homme… Il n’était peut-être pas si difficile à approcher, après tout.
Je lui fis un signe de la main, tandis que le moineau dans ma poitrine reprenait vie.
« À ce soir ! »
Lorsque je rentrai chez moi, mon grand-père était déjà là. Il ne fit aucune remarque sur le fait que j’avais passé l’après-midi à jouer, mais dès que son regard se posa sur la bouteille de Coca que je tenais, il s’approcha et se pencha vers moi, l’air complice. « Mian Mian, les garçons ne devraient pas boire ce truc. »
Je n’eus aucune idée de ce qu’il voulait dire. Pourquoi donc ? Parce que ça faisait grossir ? Papy évita mon regard, et soudain, je me rappelai une rumeur de quartier affirmant que le Coca nuisait à la virilité masculine ou quelque chose d’aussi ridicule.
« Grand-père, ça va… »
Il poursuivit : « Je suis vieux, donc ça n’a plus d’importance. Laisse-moi boire le reste, d’accord ? Toi, arrête d’en boire. »
Les mots me manquèrent. Était-il vraiment nécessaire d’aller aussi loin simplement parce qu’il avait envie de soda ?
Je lui tendis la bouteille de Coca. « Ne bois pas trop, tu n’auras plus d’appétit pour le dîner, » lançai-je avec une pointe d’ironie.
Grand-père ne m’écouta même pas. Il prit la bouteille, dévissa le bouchon et but une gorgée. Ses yeux se fermèrent presque de plaisir. « Le goût le plus glorieux du monde ! »
Ce n’était qu’une bouteille de Coca, pensai-je. Rien de si dramatique.
Au dîner, je mangeai à la vitesse d’une tornade, puis je me précipitai sous la douche avant de me brosser les dents. Ce ne fut qu’une fois certain que tout était parfait que je me rendis chez Yan Kongshan pour sonner à sa porte.
Au fil des heures écoulées, son indice d’humeur était revenu à un niveau stable de 76. Un chiffre sûr, ni trop bas, ni trop élevé.
Je divertis Yan Wanqiu avec quelques jeux pendant que Yan Kongshan, assis derrière nous, consultait son téléphone. Lorsque l’heure du coucher arriva, il ignora toutes les suppliques de la petite pour jouer un peu plus longtemps, la souleva et la porta dans sa chambre.
Près du canapé se trouvait une pile de livres. Je parcourus les titres jusqu’à ce que mon regard s’arrête sur un ouvrage intitulé Mystères du monde non résolus. Je m’installai confortablement sur le somptueux canapé trois places pour le lire.
Il ne fallut pas longtemps à Yan Kongshan pour endormir Yan Wanqiu. Après une courte absence, il revint. Je m’attendais à ce qu’il reste un moment devant la télévision ou qu’il s’occupe de ses affaires, mais il attrapa simplement un livre, alla s’asseoir dans une causeuse non loin de moi et se mit à lire.
Je jetai un coup d’œil à la couverture : un roman littéraire traduit, relié en carton.
L’ambiance et la température de la pièce rendaient cette soirée parfaite pour la lecture. Pourtant, je n’avais pas la concentration nécessaire pour me plonger dans un livre. Aucun mystère non résolu dans le monde ne me paraissait aussi captivant que l’homme devant moi ; même le secret du triangle des Bermudes pâlissait en comparaison.
Je l’observai discrètement, déglutissant sans y penser. Le dîner m’avait rassasié, mais une nouvelle faim me saisit. Je me léchai les lèvres, puis tentai d’aborder un sujet sans risque :
« Hey euh… Ton employé. Quel genre de fille aime-t-il ? »
Ce n’était pas comme si j’étais réellement venu ici juste pour lire. Je devais au moins tenter une conversation.
Yan Kongshan leva la tête de son livre. « Employé ? » demanda-t-il, confus.
« Je demande pour mon amie », expliquai-je aussitôt.
Il comprit mieux alors et sembla se souvenir de notre échange dans sa librairie. « Oh, Wen Ying. Quel genre de fille aime-t-il ? Honnêtement, je ne sais pas. Je lui demanderai pour toi demain. »
Notre bref échange prit fin et il replongea dans sa lecture. Je jetai un coup d’œil à son indice d’humeur : toujours 76. Il me fallait tenter quelque chose.
« Ton magasin manque-t-il de main-d’œuvre ? Puis-je aller aider là-bas ? » lançai-je avec un brin d’anxiété.
« Tu me laisses lire gratuitement, alors je travaillerai pour toi gratuitement. En plus, je n’ai jamais rien à faire, et mon grand-père déteste me voir traîner à la maison. C’est deux oiseaux avec une pierre. »
Yan Kongshan suspendit son geste, sa main figée sur la page. Cette fois, il releva complètement la tête et fronça légèrement les sourcils. « … Tu veux aider dans mon magasin ? »
Le monde appartenait à ceux qui se levaient tôt ; aider dans sa boutique n’était qu’un prétexte pour le courtiser.
« Est-ce que je peux ? » lançai-je, arborant une mine de chiot innocent. D’ordinaire, ce regard faisait fondre mon grand-père.
Yan Kongshan m’observa un instant. Il dut trouver mon expression amusante, car sa valeur d’humeur augmenta de deux points, bien qu’il persistât : « Peux-tu garder l’habitude de quitter la maison à huit heures tous les matins ? »
J’acquiesçai vigoureusement. « Oui ! »
« Sais-tu comment organiser le stock et t’occuper des clients ? »
« Je peux apprendre ! »
« Peux-tu accepter de travailler sans salaire et sans prendre de congé chaque fois que tu es fatigué ? »
« Oui ! »
Il hocha la tête. « Alors tu peux commencer à partir de demain. »
Je fus à la fois ravi et légèrement choqué par la tournure inattendue qu’avait prise notre conversation.
Traducteur: Darkia1030
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