« Au rapport, entraîneur. Je ne me sens pas très bien ! »
Lorsqu’un autre camarade de classe s’effondra à cause d’un coup de chaleur, l’entraîneur strict ordonna enfin à tout le monde de prendre une pause de cinq minutes.
Il faisait chaud et étouffant à l’intérieur de nos combinaisons de camouflage, comme si nous étions coincés dans un cuiseur vapeur d’où aucun air ne pouvait s’échapper. Lorsque le soleil se coucha, la chaleur fit suinter le liquide de notre corps, se coagulant en grosses gouttes de sueur qui tombèrent sur le sol.
Il faisait tellement chaud.
Jamais je n’avais autant transpiré de ma vie.
Yan Kongshan pensait vraiment ce qu’il disait lorsqu’il affirmait que l’entraînement militaire allait me tuer.
« Au rapport, entraîneur. Je ne me sens pas bien non plus ! »
Cette voix m’était familière. Je me retournai, et bien sûr, c’était Fu Wei. Avec la permission de l’entraîneur, il marcha lentement depuis une formation voisine jusqu’au bord du terrain, puis s’assit à l’ombre d’un arbre.
Lorsque je l’avais rencontré pour la première fois lors de l’orientation des étudiants de première année, j’avais cru qu’il était assez fou pour m’avoir suivi jusqu’à l’université, et je m’étais battu avec lui. Plus tard, il confirma qu’il était également entré à l’Université de Hong City, et que sa présence ici n’avait rien à voir avec une quelconque traque. Il sortit même sa propre lettre d’acceptation comme preuve, ce qui mit fin à notre dispute avant même qu’elle ne commence.
Je me spécialisai en français, lui étudiait l’économie. La plupart du temps, nos cours n’étaient pas communs et nos dortoirs étaient éloignés. Ce ne fut que durant l’entraînement militaire que nous n’eûmes pas le choix : toutes les classes de première année y participaient ensemble. Il était entré à l’école par son propre mérite, donc je n’avais vraiment aucune raison de le réprimander, sauf que tout ce que je souhaitais, c’était que nous soyons séparés et que nous ne nous revoyions plus.
Après une journée d’entraînement militaire, nous traînâmes tous nos corps épuisés jusqu’aux dortoirs, certains se dirigeant vers les douches, d’autres s’effondrant sur leurs bureaux. Depuis que le directeur résident avait confisqué tous nos téléphones le premier jour, il n’y avait pas grand-chose à faire le soir. Nous commençâmes donc à organiser des jeux de société : cartes, jeu du loup-garou, entre autres. Grâce à cela, nous finîmes tous par mieux nous connaître.
Cependant, je ne participai pas souvent à ces jeux. Les cartes, passe encore, mais le jeu du loup-garou était beaucoup trop facile pour moi. Je savais d’un seul regard qui mentait et qui disait la vérité, je comprenais qui étaient mes ennemis et mes coéquipiers dès le premier tour — donc je m’ennuyais. Je préférais généralement lire dans ma chambre ; au moins, c’était bien plus captivant.
Le paradis est une île, l’enfer aussi.
C’était la phrase que l’autrice avait écris au tout début de L’Atlas des îles éloignées, et elle résumait parfaitement le livre. Cinquante îles, cinquante cartes dessinées à la main. Certaines étaient lointaines et isolées, d’autres chargées d’histoire, d’autres encore pratiquaient des coutumes cruelles.
Yan Kongshan m’avait offert ce livre quand j’avais visité sa maison il y a quelques semaines. Sauf que je ne pris jamais le temps de le lire, la géographie ne m’ayant jamais intéressé. Grâce à l’entraînement militaire, je trouvai enfin un moment pour m’y plonger. Une fois commencé, je ne pus plus m’arrêter. De façon inattendue, l’autrice ne se contentait pas de décrire la géographie : elle écrivait plutôt de courtes histoires fascinantes qui donnaient vie à chaque île sous les yeux du lecteur.
Si l’autrice se rendait à L’Île aux Prunes vertes, comment la décrirait-elle ?
Il était une fois une jeune fille du ciel qui y descendit et chassa les calamités de l’île.
L’île était conviviale et ouverte d’esprit ; elle accueillait tout et tolérait tout.
Les anciennes coutumes et l’industrialisation moderne s’y mêlaient à la perfection, lui conférant une ambiance unique —
« Personne ne se soucia de savoir si une fille était vierge ou non lorsqu’elle se maria. Quand il faisait noir, les jeunes des trois villages se rassemblaient sur la plage… Le sexe était un jeu, personne ne se disputait ni ne devenait jaloux… Tout le monde s’accordait à dire que chanter n’était pas autorisé dans les fêtes. Quel genre de paradis était-ce ? J’aurais aimé pouvoir y aller. »
« … »
Je me retournai et vis mon colocataire debout derrière moi, les yeux fixés sur mon livre. J’étais un peu impressionné qu’il parvînt à distinguer d’aussi petits mots à cette distance.
« Ah-E-Excuse-moi ! » Son visage rougit et il détourna aussitôt le regard, s’excusant abondamment. « Je voulais te demander si tu voulais manger des chips ou pas, je suis désolé, je ne cherchais pas à m’imposer. Je suis vraiment désolé ! »
Il n’avait rien d’intrusif, et il était tellement stressé que son indice d’humeur explosa, alors j’agitai rapidement la main et dis : « C’est bon, si ce livre t’intéresse, tu pourras l’emprunter une fois que j’aurai terminé. »
« Vraiment ? » demanda-t-il joyeusement. Puis il sourit avec enthousiasme en me tendant son sachet croustillant. « Tu en veux une ? C’est au goût de fromage. »
Je le remerciai et en pris une juste pour le plaisir.
Dans notre suite de quatre personnes, l’un était allé jouer aux cartes à côté, un autre était parti se doucher ; nous étions donc les deux seuls présents.
Mon colocataire s’appelait Wen Youran, son lit se trouvait juste à côté du mien. Comme moi, il n’aimait pas socialiser. Tandis que je lisais, il aimait feuilleter des BD, grignoter toutes sortes de snacks : dragées, chips, bonbons au lait… chaque jour, c’était différent, et chaque jour, il m’en offrait.
« Tu viens de L’Île aux Prunes vertes, n’est-ce pas ? » Grignotant son croustillant comme un hamster, il confia : « Quand on a fait nos présentations le premier jour, ça m’a marqué. Quand tu l’as dit, je me suis dit “Wow”, parce que tu as vraiment ces vibrations insulaires. »
Wen Youran venait de Hong City. La ville avait une attitude étrange envers l’île : les gens ne comprenaient pas forcément l’île dans son ensemble, mais chacun s’en proclamait expert. Et leurs connaissances restaient très superficielles ; ils pensaient que les insulaires étaient simples d’esprit et traditionnels, que nous aimions porter des vêtements folkloriques colorés et commencer à danser le hula au beau milieu d’une conversation.
« Quel genre d’ambiance est-ce ? » Je m’essuyai les mains et tournai une page du livre.
« Comme un petit garçon de l’île. Tu sais, faire du vélo en été avec ton béguin au bord de l’océan, crier de bonheur, porter une chemise blanche et ne pas transpirer du tout, en dégageant cette agréable odeur de détergent. » Il fit le geste de renifler dans ma direction.
« Je n’ai pas lavé ces vêtements depuis trois jours. » Ce n’était pas que je veuille écraser ses rêves, mais il valait mieux vivre de manière plus réaliste, je pense.
Il recula, une pointe de déception sur le visage.
*
Le jour où l’entraînement militaire prit fin, le coach nous rendit nos téléphones un par un. Dès que j’allumai le mien, un déluge de notifications me submergea ; la plupart étaient des spams, et le reste provenait de maman, papa, Yan Kongshan et grand-père, tous s’enquérant de mes nouvelles. Je les avais prévenus que nos téléphones seraient confisqués, donc aucun d’eux ne s’inquiétait de mon silence.
Après avoir lu tous mes messages, je découvris que Yan Kongshan m’avait en réalité envoyé une lettre. Yan Wanqiu m’avait dit qu’elle m’écrirait et les ferait parvenir par l’intermédiaire de Yan Kongshan, mais j’imaginais difficilement qu’elle fût si motivée qu’elle ait déjà commencé, alors que mes cours n’avaient même pas débuté.
Mais lorsque je me rendis à la réception pour récupérer la lettre, je vis, sur l’enveloppe, qu’il était écrit « De Yan Wanqiu ». Bien que l’écriture fût très clairement celle de Yan Kongshan.
Par excitation, je déchirai la lettre avant même d’être rentré dans le dortoir, mais avant que je pusse commencer à lire, je m’arrêtai net.
Quand je levai les yeux, mes sourcils se froncèrent aussitôt : c’était Fu Wei.
Si cela avait été notre première rencontre depuis l’obtention du diplôme, j’aurais probablement pu discuter un peu avec lui, car nous étions camarades de classe. Mais après les événements de l’été dernier, j’étais devenu profondément lassé de ses apparitions incessantes – et ajouté au fait que, pour une raison quelconque, Yan Kongshan trouvait encore le moyen de le mentionner régulièrement, mon attitude envers lui était passée de «l’ambivalence totale » à « j’ai vraiment envie de le frapper ».
« Je serai bref. » Fu Wei, percevant mon hostilité, garda une distance de sécurité et ne s’approcha pas.
Je ne voulais pas provoquer de scène à l’école, alors je restai immobile, attendant d’entendre ce qu’il avait à dire.
Il jeta un rapide coup d'œil à la lettre dans mes mains. « Es-tu avec ce propriétaire de librairie maintenant ? »
Je pressai la lettre contre ma poitrine. « Ce ne sont pas tes affaires. »
L’indice d’humeur de Fu Wei vira au bleu pâle et chuta légèrement, passant sous la barre des 76.
« Je me suis mis avec Chen Anna », dit-il.
La nouvelle me surprit un peu. La dernière fois que nous nous étions vus, Fu Wei n’était pas très enthousiaste à son sujet ; pourtant, en si peu de temps, ils s’étaient mis à sortir ensemble ?
« Félicitations. » C’était bien, je suppose, car je pensais qu’ils allaient bien ensemble. En apparence et en personnalité.
De retour dans ma chambre, je m’installai enfin pour lire ma lettre. Pour l’occasion, je me lavai les mains, les essuyai soigneusement, puis sortis deux morceaux de papier de l’enveloppe. Le premier était rose, orné de petits animaux de dessin animé dans les coins. Les mots y étaient griffonnés avec de l’encre violette scintillante, contrastant fortement avec l’écriture angulaire et rugueuse. Cette juxtaposition était adorable d’une manière un peu contradictoire.
Dans la lettre, Yan Wanqiu disait que je lui manquais, me demandait si elle me manquait aussi, ce que j’apprenais, si quelqu’un était ami avec moi, et, à la toute fin, elle écrivait qu’elle était coincée dans Mario, qu’elle avait désespérément besoin de mon aide et qu’elle espérait que je pourrais lui apprendre à passer le niveau.
Souriant, je passai à la deuxième page, pensant qu’il s’agissait de la suite. Mais la signature était celle de Yan Kongshan.
Il n’y avait aucune décoration superflue sur ce papier blanc ordinaire ; même pas de lignes. Son écriture était audacieuse, sinueuse, tracée avec un stylo plume à l’encre noire — probablement une plume de taille moyenne, vu l’épaisseur.
[L’Île aux Prunes vertes va bien, ton grand-père va bien, Qiuqiu va bien, les deux chats vont bien.
Le temps s’est légèrement rafraîchi. Les roses du jardin ont perdu tous leurs pétales. La nuit dernière, le lampadaire près de la maison ne fonctionnait pas, pour une raison quelconque. Dans l’obscurité qui en résulta, j’ai trouvé qu’il y avait bien plus d’étoiles dans le ciel.
Chaque jour, je sors de la maison, puis j’y reviens, et je passe toujours sous ta fenêtre ; je ne peux m’empêcher d’y jeter un coup d’œil. Je sais que tu n’es pas là, mais je regarde quand même.
Autrefois, la vie sur l’île était sereine, confortable. Maintenant, elle est terne.
Sans toi ici, tout est ennuyeux.
L’Île aux Prunes vertes va bien, ton grand-père va bien, Qiuqiu va bien, les deux chats vont bien. Moi seul ne vais pas bien.
Tu me manques trop.
Tu me manqueras encore quand tu liras cette lettre.]
Outre l’odeur subtile de l’encre sur le papier, je perçus celle, plus âcre, du tabac. Je pouvais presque imaginer à quoi il ressemblait en écrivant cette lettre — la fenêtre ouverte pour l’air, ses mains posées sur le bureau, une cigarette entre les doigts. Il griffonnait quelques mots, puis, frustré, tirait rapidement sur sa cigarette.
Je pressai doucement sa lettre contre ma poitrine. Je me demandai si je pourrais trouver un stylo et du papier capables de refléter mes sentiments dans la papeterie voisine.
On disait que les oies étaient des créatures d’une fidélité extraordinaire ; pour cette raison, dans les temps anciens, une paire d’oies était toujours offerte lors des mariages, appelées «oies de fiançailles ». Que cette oie nommée Yan Kongshan soit dévouée ou non restait une autre question, mais il savait certainement flirter. Je n’étais pas du tout à sa hauteur.
Soupir. Qu’est-ce que je faisais ? Les vacances d’été venaient à peine de s’achever, et j’avais déjà hâte d’être en vacances d’hiver.
Je sortis mon téléphone et appelai d’abord grand-père, juste pour lui faire savoir que tout allait bien. Après avoir raccroché, je vérifiai l’heure. La librairie devait encore être ouverte, et Yan Kongshan ne pourrait probablement pas répondre, mais j’essayai quand même de l’appeler.
La tonalité d’appel retentit à peine qu’une voix décrocha — si vite que cela m’étourdit.
« Bonjour ? » J’entendis la voix de Yan Kongshan à l’autre bout.
Au début, tout était silencieux, comme s’il se trouvait dans une pièce fermée, puis j’entendis le bruit d’une lourde porte en métal. Son environnement devint plus bruyant, empli du bourdonnement des climatiseurs. J’imaginai qu’il était probablement sorti.
Je rapprochai le téléphone de mon oreille. "Tu me manques aussi," dis-je doucement.
Il rit doucement, heureux dans l'âme.
"Oui je sais."
Traducteur: Darkia1030
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