Green Plum island - Chapitre 42 - Né mignon

 

La rencontre de Yan Wanqiu avec Ding Baizhou était prévue dans un magasin de boissons de la rue Nanpu. Tante Xu l’accompagna seule, tandis que Yan Kongshan et moi nous installions à une table un peu plus loin, pour observer la scène.

La boutique était très fréquentée par les clientes et les couples ; nous nous assîmes tous les deux près de la fenêtre et commandâmes chacun un verre. N’eût été l’expression tendue et prête au combat de Yan Kongshan, fixée dans la direction de Yan Wanqiu, on aurait facilement pu croire que nous étions en rendez-vous.

Dehors, la température avoisinait les 30 degrés Celsius, en contraste avec l’air frais soufflant à l’intérieur de la boutique. Chaque gorgée de Coca glacé au citron étanchait ma soif et envoyait une décharge agréable jusque dans mon cœur.

« J’ai entendu dire que l’entraînement militaire à l’Université de Hong City est extrêmement difficile. C’était comment quand tu y étais ? » tentai-je, essayant de distraire Yan Kongshan avec une conversation légère.

Il ne sembla pas m’entendre, les yeux rivés sur Ding Baizhou et sa fille, sans même ciller. J’eus un peu peur qu’il se lève pour aller battre Ding Baizhou – même si je ne pouvais pas voir son indice d’humeur, j’aurais parié qu’il était rouge. Très, très rouge. J’imaginais que son hostilité envers Ding Baizhou ne s’éteindrait jamais, que Yan Xinyu soit encore en vie ou non.

« Ah Shan ? »

« …Pardon. » Il sursauta et me regarda. « Qu’est-ce que tu as dit ? Je n’ai pas entendu. »

Ce n’était pas qu’il n’avait pas entendu… il n’écoutait même pas.

Je soupirai intérieurement et me répétai : « J’ai entendu dire que l’entraînement militaire de notre école est vraiment difficile, est-ce vrai ? »

« L’entraînement militaire ? » Il réfléchit un instant, puis me regarda d’un air évaluateur. «Ça dépend de qui tu es. Toi… j’imagine que ça te tuerait. »

Il n’était pas vraiment du genre à user d’hyperboles, donc ses paroles confirmèrent que cela devait être un véritable enfer.

Il poursuivit : « Près de l’extrémité sud du campus, il y a un restaurant du Sichuan. Je ne sais pas s’il existe toujours, mais quand j’y étais, il était déjà en activité depuis de nombreuses années. Si tu n’aimes pas la nourriture du campus, tu pourras y commander des plats à emporter. C’est délicieux et pas cher. »

J’acquiesçai en prenant note mentalement.

« Je suis sûr que les dortoirs ont maintenant la climatisation. » Pendant qu’il parlait, il reporta son regard sur Yan Wanqiu. « À l’époque, nous ne l’avions pas, et il faisait une chaleur… »

Je ne pus m’empêcher de suivre son regard. Leurs trois indices d’humeur étaient relativement élevés, preuve de leur bonne disposition. Ding Baizhou semblait avoir acheté à Yan Wanqiu un tas de jouets et de vêtements, qu’il lui montrait à présent un par un. Je revins à l’observation de Yan Kongshan.

Il n’était pas difficile de compatir avec ce qu’il ressentait ; après tout, n’importe qui se sentirait mal à l’aise de voir une enfant qu’il avait élevée pendant cinq ans s’entendre aussi bien avec son plus grand ennemi. En repensant à la suggestion que je lui avais faite à l’hôpital, même si elle était animée de bonnes intentions pour eux deux, je n’avais pas mesuré à quel point ce genre de rencontre pourrait leur faire remonter des émotions douloureuses.

« Quel genre de personne était la mère de Qiuqiu ? »

Surpris, Yan Kongshan se tourna vers moi. « Pourquoi est-ce que tu poses soudainement des questions sur elle ? »

Je pris une gorgée de mon verre, puis répondis franchement : « Parce que je veux en savoir plus sur toi. »

Yan Xinyu avait été une figure centrale dans la vie de ce duo oncle-nièce, et je voulais savoir quel genre de femme avait élevé Yan Kongshan avant de donner naissance à Yan Wanqiu.

« Ma sœur… » Après un bref silence, il reprit, pensif : « Elle était forte. C’est ce que les autres disaient d’elle. »

Son ton sous-entendait que ce n’était pas nécessairement un compliment.

« N’est-ce pas une bonne chose ? »

« Dans la société, cela signifie que tu es difficile, têtue, et déterminée à être plus forte qu’un homme. Elle ne laissait personne la mépriser, et ne pensait pas qu’elle devait dépendre d’un homme pour vivre », répondit Yan Kongshan avec un sourire. « Lorsque Ding Baizhou la courtisait, il la félicitait pour son indépendance et son assurance, et disait que c’était ce qu’il recherchait chez sa compagne. Ma sœur l’a cru. Quand ils ont rompu, il a ensuite dit qu’elle était trop autoritaire, trop dominante, et qu’en tant qu’homme, il se sentait étouffé. »

Personnellement, je ne comprenais pas en quoi le fait de cesser d’être entretenu par une femme prouvait sa « virilité ». Il aurait dit n’importe quoi pour dissimuler sa propre bassesse.

« Je ne’ai pas su qu’ils avaient rompu jusqu’à ce que Ding Baizhou quitte le pays, et à ce moment-là, ma sœur était déjà enceinte. »

Yan Kongshan avait commandé une eau tonique à la menthe. Au fil du temps, des gouttelettes d’eau se condensaient lentement le long de l’extérieur de son verre. À chaque contact de son index, une gouttelette s’effondrait et glissait vers le bas, laissant son doigt humide.

« Je ne lui ai pas recommandé de garder le bébé, après tout cela lui aurait rendu la vie épuisante et difficile. Je ne voulais pas qu’elle se sacrifie pour quelqu’un d’autre. Mais elle était déterminée à le garder ; c’était son choix, et ce n’était ni l’affaire de Ding Baizhou, ni la mienne. » Soudain, il rit, un peu impuissant. « Tu vois, elle était incroyablement dictatoriale.»

Dehors, les passants défilaient le long du trottoir ; la vue de Yan Kongshan et moi assis ensemble à une table fit s’arrêter plusieurs jeunes filles, les yeux écarquillés, nous fixant intensément. Je supposai qu’elles étaient curieuses de savoir pourquoi deux hommes partageaient des jus dans un magasin de boissons.

Les opinions des gens sur le genre semblaient gravées dans le marbre. Ce que les hommes devaient ou ne devaient pas faire, ce que les femmes devaient ou ne devaient pas faire…

« J’entends rarement les gens dire qu’un homme est trop autoritaire », commentai-je. « Il semble que les hommes devraient instinctivement l’être, et les femmes, douces. Mais la réalité est toute autre. Je ne suis pas autoritaire, et Sun Rui n’est pas tendre. »

La douceur ne devrait pas être exigée d’une femme comme une marque de fabrique, et les hommes ne devraient pas avoir à se montrer forts en permanence.

« Les gens qui pensaient cela d’elle voulaient tous qu’elle s’adoucisse. » Yan Kongshan se moqua alors de lui-même : « Même moi, je ne faisais pas exception. Je voulais qu’elle compte davantage sur moi, qu’elle me fasse plus confiance. »

Je doutais qu’un frère puisse rester insensible face aux difficultés traversées par sa propre sœur. Je ne considérais pas sa pensée comme incorrecte — après tout, il n’était qu’un frère normal.

« Chacun a sa propre personnalité, sa propre façon de vivre. Tant que tu sais ce que tu fais, rien d’autre n’a d’importance », dis-je prudemment, veillant à ce qu’aucun de mes mots ne soit mal interprété. « Je ne pense pas que le but de ta sœur était de prouver qu’elle valait mieux que n’importe quel homme. Je pense qu’elle avait probablement une personnalité dominante dès le départ. Elle est née comme ça, naturellement forte. »

À cela, Yan Kongshan haussa un sourcil et ses lèvres se courbèrent en un léger sourire. Je n’avais aucune idée de ce que j’avais dit pour déclencher cette réaction, mais tant que son humeur semblait s’être détendue, tout allait bien.

« Et toi ? »

« Quoi ? » Je le fixai, confus.

« Es-tu né naturellement si mignon? »

Le revirement complet de la conversation, d’un ton sérieux à celui-ci, me prit au dépourvu. Je restai un instant surpris, puis légèrement gêné.

Je baissai la tête en mâchonnant ma paille. « Je suppose », marmonnai-je.

Le moineau dans mon cœur gonfla d’un air suffisant à son compliment, se pavanant avec fierté. Pour être honnête, je ne me considérais pas comme mignon, mais tout ce qu’il disait avait de la valeur.

Tant qu’il ne me traitait pas de « petit ». Tout le reste allait bien.

Au bout d’une heure, Yan Kongshan devint franchement impatient, mais heureusement, c’est à ce moment-là que Ding Baizhou et sa compagnie semblèrent enfin se mettre en mouvement.

Ding Baizhou partit avec ses affaires, tandis que tante Xu nous amena Yan Wanqiu.

« Ah Shan, je veux rester avec grand-tante pendant quelques jours. » Yan Wanqiu s’assit sur les genoux de Yan Kongshan et prit une gorgée de sa boisson. Le goût lui fit froncer les sourcils ; elle força la gorgée dans sa gorge, puis repoussa le verre au loin et n’y toucha plus.

Yan Kongshan regarda tante Xu. « Et pour Ding Baizhou ? »

« Il va nous ramener à la maison », dit-elle honnêtement. « Il veut passer quelques jours avec Qiuqiu. »

Aller chez elle signifiait simplement que Ding Baizhou et Yan Wanqiu passeraient plus de temps ensemble. Le visage de Yan Kongshan se tendit et s’assombrit. Il regarda Yan Wanqiu. « Tu veux continuer à jouer avec lui ? »

Elle leva la tête, sans l’ombre d’un doute sur son visage. « Je le veux », précisa-t-elle.

Les sourcils de Yan Kongshan se froncèrent fortement et un combat intérieur évident traversa ses traits. Pourtant, après un moment, il céda : « Tu devrais d’abord rentrer chez toi et prendre quelques vêtements. »

Tante Xu intervint : « C’est bon, j’en ai. Et Ding Baizhou lui a acheté beaucoup de vêtements, donc elle a de quoi s’habiller pendant quelques jours. »

Yan Kongshan resta silencieux et ne répondit pas.

« Mian Mian, quelle est la saveur de ta boisson ? »

Je retirai ma paille et la lui tendis pour qu’elle boive directement au verre.

Après une gorgée, elle conclut : « La tienne est bizarre aussi, mais elle a meilleur goût que celle d’Ah Shan. »

Environ cinq minutes plus tard, la voiture de Ding Baizhou s’arrêta devant le magasin. Yan Wanqiu nous fit signe de la main, puis se dirigea joyeusement vers le véhicule.

Je jetai un coup d’œil à Yan Kongshan, légèrement inquiet. « On y va aussi ? »

Lorsqu’il appela le serveur pour payer l’addition, nous découvrîmes que Ding Baizhou avait déjà réglé, ce qui assombrit encore davantage son visage. Il jeta sa serviette sur la table et s’en alla sans se retourner, manifestement peu disposé à accepter la moindre offrande de la part de Ding Baizhou.

Je partis à sa suite, n’ayant même pas le temps d’expliquer la situation au serveur, complètement désemparé. Heureusement, il ne marchait pas trop vite – je parvins à le rattraper juste à l’extérieur. Je le laissai marcher devant, le suivant de près. Lorsqu’on arriva au parking, alors que nous étions sur le point d’atteindre la voiture, il se retourna brusquement, comme s’il venait soudain de se rappeler qu’il m’avait complètement oublié, puis sembla surpris de me voir juste derrière lui.

« Désolé », dit-il.

Je lui souris. « C’est bon. »

De retour à la maison, il me dit qu’il était fatigué et monta se reposer. Je compris qu’il souhaitait simplement être seul, alors je ne le suivis pas.

Je préparai un chowmein — des nouilles sautées aux légumes — simple mais savoureux, bien qu’il n’eût pas l’air très appétissant. Comme Yan Kongshan ne descendait toujours pas, je décidai de monter l’appeler.

Les rideaux de la chambre étaient tirés, noyant la pièce dans une semi-obscurité. Le climatiseur soufflait à pleine puissance. Yan Kongshan était enfoui sous les draps jusqu’à la tête.

« Ah Shan, lève-toi pour dîner. » Je m’assis à côté de lui sur le lit et tirai doucement sur les couvertures.

Mécontent que je l’eusse privé de sa chaleur, il passa un bras autour de ma taille et me tira brusquement vers lui, l’air contrarié.

« Ah Shan ! » m’écriai-je, surpris, incertain s’il était réellement réveillé ou s’il bougeait simplement inconsciemment.

Il enfouit son visage dans ma poitrine, sa poigne fermement serrée autour de moi. Je ne savais pas s’il tentait de s’étouffer ou de m’écraser.

Mon souffle se fit court, jusqu’à devenir presque douloureux ; mais avant que je ne puisse lui demander de me lâcher, il me relâcha enfin, bien que son visage restât enfoui, m’empêchant de le voir.

« Je suis de mauvaise humeur. »

Oui, je m’en doutais.

Sa voix était étouffée. « Que doit faire un petit-ami si son petit-ami est de mauvaise humeur ? »

Il me faisait penser à un chien accroché à son maître. Tandis que cette pensée me traversait l’esprit, je tendis la main et le caressai sur la tête. Ses cheveux n’étaient pas particulièrement doux ; plutôt raides et légèrement rêches sous mes doigts.

« J’ai fait des nouilles, tu veux en manger ? » demandai-je avec un sourire.

Ses bras se resserrèrent autour de moi, traduisant son mécontentement.

Je m’empressai de préciser : « Je plaisante ! Lève la tête. Allez, sinon comment suis-je censé te rendre heureux ? »

À ces mots, il bougea enfin et se redressa à moitié.

C’était peut-être parce que je venais de le toucher, ou peut-être simplement parce qu’il venait de se réveiller, mais ses cheveux étaient complètement en désordre. Cela ne semblait pas le déranger. Au contraire, je ne pus que rester frappé par son visage, ses sourcils parfaits et cet air nonchalant qui l’enveloppait.

« Est-ce que j’obtiens des points supplémentaires cette fois ? » demandai-je dans un sourire, avant de me pencher doucement dans la pénombre pour l’embrasser tendrement sur les lèvres.

Après un moment, un long son grave s’échappa de la gorge de Yan Kongshan. Cela ressemblait autant à une réponse qu’à un soupir.

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

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