Green Plum island - Chapitre 18 – Je ne crois pas à de telles choses

 

Ce n’avait pas été chose aisée d’entrer dans le costume de la jeune fille du ciel, et il ne le fut pas davantage d’en sortir.
Au moment où l’on m’enleva la perruque et que l’on nettoya mon maquillage, une autre demi-heure s’était déjà écoulée. Chu Tong resta pour s’occuper du nettoyage, nous disant de ne pas l’attendre ; Sun Rui, elle, était partie flâner au marché de nuit avec Wen Ying et avait disparu depuis longtemps.

Je sortis du vestiaire de fortune, une main sur mon estomac vide, et repérai immédiatement grand-père et Yan Wanqiu. Je croyais les avoir complètement manqués puisque je ne les avais pas vus pendant le défilé, mais à mon insu, ils s’étaient déjà dirigés vers l’aire de repos.

« Grand frère ! » Dès que Yan Wanqiu m’aperçut, elle se précipita vers moi, les bras tendus.

De peur qu’elle ne glisse, je me jetai en avant pour la rattraper.

« Je vous ai vus, toi et Ah Shan, mais aucun de vous ne m’a entendue vous appeler », dit-elle. Son indice d’humeur ne baissa pas, si bien que je sus qu’elle ne m’en tenait pas rigueur.

« Il y avait trop de monde, je suis désolé. » Je jetai un coup d’œil dans la pièce. Aucun signe de Yan Kongshan ; il était probablement reparti je ne sais où pour fumer une cigarette.

« Mian Mian, tu étais incroyable ! Je suis fier de toi ! » Grand-père s’approcha de moi en souriant et me lança un double pouce levé. « J’ai dit à tout le monde que c’était mon petit-fils, et ils ont tous dit que j’étais béni. »

Son humeur grimpa jusqu’à 86 ; il était visiblement comblé par cette déclaration.

Il m’avait toujours soutenu inconditionnellement, peu importe ce que je faisais ; il n’avait jamais été déçu de moi et ne m’avait jamais déçu. Il avait accepté de me laisser emménager après quatre ans sans se voir, sans poser de questions, peu importe la soudaineté de ma décision.

En vérité, c’était lui, ma bénédiction.

« Ah Shan était super aussi. Quand vous êtes passés, j’ai entendu deux filles derrière moi tenter d’attirer son attention, en criant à quel point sa silhouette était belle ! » Grand-père commença à gesticuler pour les imiter, des mains jusqu’aux pieds.

En raison de sa surdité, le volume de sa voix avait tendance à monter ; d’ordinaire, il pensait à le contrôler en intérieur, mais sans doute, dans l’euphorie de la journée, il l’oublia, et tout le monde dans la pièce se retourna pour le regarder.

Mais personne ne s’en offusqua, car la joie et l’enthousiasme illuminaient les visages, alors que chacun célébrait la conclusion réussie de la cérémonie d’arrêt de la pluie.

M. Liu, qui n’était toujours pas parti et faisait un dernier rangement, se joignit à la conversation. « C’est vrai, je pense que la silhouette d’Ah Shan est absolument dingue. Quand j’étais jeune, je n’avais même pas la moitié de ses muscles. Et mon petit morveux, ben il ne m’arrive même pas à la cheville… »

« Ton fils a pris quelque chose de toi », dit grand-père, les yeux pétillant de malice en lui donnant un petit coup de coude. « Il a juste fini sa puberté plus vite. »

M. Liu poussa un grand soupir et leva les mains d’exaspération en déclarant : « J’ai dû être particulièrement odieux dans ma dernière vie pour que le roi des enfers m’envoie ce petit morveux me torturer dans celle-ci. »

Les deux vieux copains se lamentèrent sur le sort du fils de M. Liu, mais grand-père tenta de le consoler, affirmant qu’après la naissance du bébé, tout irait mieux. Un petit-fils mignon lui ferait vite oublier son fils ennuyeux.

Yan Kongshan revint alors, apportant avec lui l’odeur fraîche de cigarette, tandis que les deux hommes débattaient du prénom du futur bébé.

Il tendit les bras pour attraper Yan Wanqiu, mais elle cacha son visage contre ma poitrine. «Ah Shan, tu pues ! »

« Je peux la prendre. » Je pouvais au moins porter une enfant de cinq ans, et de toute façon, Yan Wanqiu n’était pas lourde.

Yan Kongshan retira ses mains. « Merci », dit-il simplement.

Grand-père, sans doute parce qu’il ne s’était pas encore suffisamment amusé, décida de rester pour aller boire un verre avec M. Liu et les autres une fois le nettoyage terminé. J’insistai pour ramener sa moto à la maison : je ne voulais pas qu’il conduise en état d’ivresse, ni qu’il m’appelle plus tard pour venir le chercher. Mais M. Zhang m’assura qu’il ne boirait pas et qu’il raccompagnerait tout le monde en toute sécurité.

Rassuré, je saluai tout le monde et me préparai à partir avec Yan Kongshan et Yan Wanqiu.

« Ne passe pas par là », me prévint soudain Yan Kongshan en m’attrapant le bras pour me tirer dans l’autre direction. « Ce camarade de classe est toujours là. »

Fu Wei n’était donc toujours pas parti ?

Que voulait-il ? Lui devais-je de l’argent ou quelque chose du genre, pour qu’il rôde ainsi constamment autour de moi tel un fantôme ?

La porte arrière de la boutique s’ouvrit sur une ruelle sombre. L’air y était étouffant, mêlant la fumée à l’odeur âcre des eaux usées, encerclant l’espace clos d’un parfum indescriptible.

« Il fait si noir… » Les bras de Yan Wanqiu se resserrèrent autour de mon cou. Sa peur du noir la rendait plus enfantine encore.

Bien qu’une simple rangée de boutiques les séparât, la rue Nanpu et cette ruelle semblaient appartenir à deux mondes différents : l’une vibrante et animée, l’autre complètement déserte.

Il faisait sombre, et avec un enfant dans les bras, marcher devenait une tâche fastidieuse. Je peinais à trouver mes appuis.

Yan Kongshan se retourna pour me regarder, puis s’approcha et prit Yan Wanqiu de mes bras avant que je ne puisse dire un mot. « Surveille tes pieds », me prévint-il, avant d’avancer avec aisance.

Je restai derrière lui, suivant ses pas un à un, jusqu’à ce que nous atteignîmes peu à peu l’entrée de la ruelle.

Afin de réguler la circulation, tous les véhicules non motorisés avaient dû se garer ce jour-là sur un parking temporaire ; la moto de grand-père se trouvait donc stationnée assez loin. Nous devions traverser deux rues bondées de stands de nourriture avant d’atteindre le parking.

Le marché nocturne possédait son propre magnétisme ; les mêmes étals attiraient toujours davantage de monde la nuit que le jour. Celui de l’Île aux Prunes Vertes était perpétuellement animé, et le jour de la cérémonie d’arrêt de la pluie ne faisait pas exception. Les rues grouillaient de monde, les clients faisaient la queue devant chaque stand.

Tandis que nous passions devant un étal d’œufs frits, Yan Wanqiu tira sur le col de Yan Kongshan pour l’obliger à s’arrêter. « Ah Shan, je veux manger cet œuf, il a l’air délicieux ! »

Les œufs frits n’avaient rien de si extraordinaire, mais l’étal proposait une multitude de variétés : poulet, canard, pigeon, caille, et même oie. Yan Wanqiu réclama des œufs de pigeon, et justement, deux clients se levèrent à ce moment-là. Nous prîmes leur place.

Nous commandâmes six œufs de pigeon et une assiette d’œufs de caille. Yan Wanqiu et moi fixâmes le poêle, salivant d’anticipation. Yan Kongshan s’éloigna pendant ce temps. Je pensai aussitôt qu’il était parti fumer, et m’inquiétai brièvement de sa dépendance au tabac. Mais lorsqu’il revint, il tenait deux bols : l’un de chowmein (NT : nouilles sautées), l’autre de poulet sichuanais (NT : plat épicé typique de la région du Sichouan) baignant dans une huile pimentée.

« Tu en veux ? » demanda-t-il en poussant un bol de nouilles vers moi.

« Oui, oui, oui ! » acquiesçai-je avec ferveur, hochant la tête de haut en bas. Je retirai le couvercle du bol et enfournai aussitôt les nouilles dans ma bouche. Je grandissais encore – le peu de chocolat que j’avais eu pour déjeuner n’avait pas suffi à me caler.

Pendant que je mangeais, Yan Kongshan plaça également l’assiette de poulet devant moi. Je le remerciai, et, avant même d’avoir terminé les nouilles dans ma bouche, y fourrai aussi un morceau de poulet.

La sensation de satisfaction qui s’installa dans mon estomac alors que je nourrissais mon corps me bouleversa presque au point de me faire pleurer.

À ce moment-là, notre commande d’œufs fut servie. Yan Kongshan plongea ses baguettes dans le bol de chowmein, puis commença à éplucher les œufs de pigeon. Yan Wanqiu en prit un, j’en pris un, et nous partageâmes le reste. Yan Kongshan n’en garda aucun pour lui.

L’œuf de pigeon s’avéra absolument succulent ; son blanc à demi opaque fondait dans la bouche, légèrement collant. Il laissait un arrière-goût délicieux, différent de celui d’un œuf de poule.

Je contemplai le dernier œuf de pigeon dans la boîte à emporter. Il trônait là, si tentant, mais je me contentai d’avaler ma salive avant de le jeter dans le bol de nouilles de Yan Kongshan. « Je suis plein, prends-le. »

Il le regarda un instant, puis le saisit avec ses baguettes et le mâcha en silence. Il ne dit rien, mais son humeur parlait pour lui — il adorait cet œuf de pigeon.

Comme je l’avais prévu, ces œufs étaient si bons que tout le monde en raffolait !

« Œufs de caille, œufs de caille ! » s’écria Yan Wanqiu en frappant la surface de la table avec ses petits poings, scandant le nom du prochain œuf de ses désirs.

« D’accord, laisse-moi te les éplucher. » Je saisis le bol d’œufs de caille, reprenant le travail précédent de Yan Kongshan.

Sur les six œufs de caille, Yan Wanqiu en mangea deux, puis se déclara trop rassasiée pour continuer. J’épluchai les restants pour Yan Kongshan, et comme précédemment, il les prit en silence et les mangea avec le reste de ses nouilles.

Après avoir payé et quitté l’étal, nous n’avions fait que deux pas lorsqu’une propriétaire de stand de voyance nous interpella : « Attendez ! »

La personne qui nous avait arrêtés portait un vêtement aux allures exotiques, le visage dissimulé derrière un voile rouge. Devant elle reposait une boule de cristal limpide.

« Voulez-vous que je vous raconte la bonne fortune de votre amour ? » demanda-t-elle en battant ses longs cils épais, lançant un clin d’œil à Yan Kongshan.

Il la fixa et répliqua : « Je ne crois pas à ce genre de choses. » Sur ce, il tourna les talons et s’éloigna, l’air quelque peu dédaigneux.

Curieux de connaître sa divination, je fus tenté de m’arrêter, mais comme il était déjà parti, je n’eus d’autre choix que de le rattraper.

Derrière nous, la voyante lança d’une voix chantante et moqueuse : « Cupidon se vengera de ceux qui ne croient pas à l’amour ! »

Je vérifiai le visage de Yan Kongshan — ses paroles ne l’émurent nullement, et son humeur vira rapidement au rouge. Ses mots précédents me laissèrent perplexe. Ne croyait-il pas à l’amour, ou ne croyait-il pas à la divination ?

Avant de quitter le marché nocturne, Yan Wanqiu eut les yeux fixés sur un moulinet aux couleurs de l’arc-en-ciel et le supplia. Yan Kongshan en acheta deux : un pour elle, l’autre qu’il m’apporta.

Mes yeux s’écarquillèrent. « J’en ai un aussi ? » demandai-je, surpris.

Ses lèvres se retroussèrent en un sourire, son humeur s’adoucit. « Tous les enfants en ont un. »

Je lui pris le moulinet, faisant doucement courir mes doigts sur ses bords. Je tombai amoureux de ce cadeau, à tel point que je ne me plaignis pas qu’il me traite de « gamin ».

Après que Yan Kongshan m’eut accompagné jusqu’au véhicule de grand-père, nous nous séparâmes tandis qu’il se dirigeait vers le parking des véhicules à moteur pour récupérer sa voiture.

Je collai le moulinet arc-en-ciel à l’avant de la mobylette, démarrai le moteur et sortis du parking.

Toutes les rues que je traversai n’étaient pas éclairées par des lampadaires ; de temps à autre, je me faufilai dans de petites rues sombres. Outre l’effroi de quelques chats, je finis par être aspergé par l’eau accumulée sur le sol depuis Dieu sait combien de temps, ce qui me fit souhaiter d’être déjà à la maison.

Alors que j’étais sur le point d’arriver, le ciel explosa soudainement en un feu d’artifice flamboyant, s’épanouissant dans la nuit comme des fleurs au printemps.

Il devait être dix heures du soir, me dis-je. Sun Rui avait dit qu’il y aurait un feu d’artifice sur la plage.

Le chemin que je suivais était ancien, bordé de lampadaires qui ressemblaient aux dents d’un vieil homme, avec des lacunes sombres et non éclairées ici et là. J’allumai les phares de Turtloise King au réglage le plus lumineux pour mieux voir autour de moi. Tout ce que je pus faire fut d’avancer lentement et prudemment.

Soudain, le bruit d’un moteur de voiture se fit entendre derrière moi. Le conducteur avait dû allumer ses feux de route, car la route devant moi fut soudain fortement éclairée.

Comme la voie n’était guère large et ne pouvait accueillir qu’un seul véhicule, je manœuvrai la moto sur le côté pour laisser passer la voiture, mais celle-ci me suivit lentement au lieu de me doubler.

Je me tournai pour regarder la voiture avec curiosité, mais fus aussitôt aveuglé par ses phares, manquant de peu de conduire dans un fossé. Derrière moi, la voiture klaxonna de manière répétée, comme pour me prévenir de faire attention.

Après ce coup de klaxon, la voix hypnotique de Yan Kongshan dériva dans l’air de la nuit. «Ne regarde pas en arrière, garde les yeux devant toi. »

Inconsciemment, j’appuyai un peu plus fort sur la pédale d’accélérateur, mon cœur bondit presque hors de ma gorge. « Po-Pourquoi es-tu sur cette route ? »

Le chemin que nous suivions était étroit et, bien qu’il fût un itinéraire plus court, la plupart des voitures n’y roulaient pas. J’avais supposé que Yan Kongshan aurait pris une autre route.

« Parce que je veux voir le feu d’artifice », répondit-il simplement.

Cela ne pouvait-il pas être plus romantique ?

Au loin, le feu d’artifice sur la plage continuait, quelques éclats brillants perçant le ciel nocturne de temps en temps. Cette route offrait effectivement la meilleure vue sur les feux d’artifice, et il était difficile de discerner, à la voix de Yan Kongshan, s’il disait vrai ou non.

Mais peu importait, car j’avais déjà décidé qu’il viendrait m’éclairer le chemin.

Je klaxonnai deux fois, puis levai un bras en l’air en l’agitant joyeusement. Je hurlai dans le vent : « Spectateurs de feux d’artifice, ne restez pas en arrière ! Suivez votre guide touristique Yu Mian, nous arriverons bientôt à notre prochain arrêt : home sweet home ! »

Ainsi, Yan Kongshan me suivit jusqu’à chez moi dans sa voiture, éclairant la route pour moi.

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

Créez votre propre site internet avec Webador