"D'accord, d'accord, je pense que c'est assez bon."
Je n’eus pas le temps de comprendre l’indice d’humeur de Yan Kongshan, car je fus aussitôt renvoyé dans la pièce. Sun Rui s’occupa de manœuvrer l’éclairage pendant que Chu Tong prenait plusieurs clichés de mon maquillage sous différents angles. Je ne cessai de jeter des coups d’œil anxieux vers la fenêtre, sans jamais avoir l’occasion de m’y attarder à nouveau.
Une demi-heure plus tard, la séance de maquillage prit fin.
"Nous allons partir alors, rendez-vous à la cérémonie d’arrêt de la pluie !"
"Conduis prudemment !"
Je regardai Chu Tong et Sun Rui se diriger vers la cour, attendant que leurs silhouettes disparaissent au loin avant de fermer la porte et de rentrer. En balayant la cour voisine du regard, je sursautai.
Elle était complètement immobile et vide, sans aucun signe de Yan Kongshan là où il se tenait quelques instants plus tôt. La lumière brillait encore à travers les fenêtres de l’étage : il était donc toujours réveillé.
J’avais désespérément besoin de savoir ce qu’il ressentait réellement pour moi, mais il était bien trop tard pour aller frapper à sa porte. J’aurais tant aimé pouvoir rejouer certaines scènes dans ma tête, comme un film qu’on rembobine, afin d’éviter cette lutte intérieure et ces doutes incessants. Et puis, même s’il était devenu jaune pour moi… cela prouvait peut-être seulement qu’il appréciait les femmes aux cheveux longs et qu’il était farouchement hétéro. Cette pensée me refroidit aussitôt.
Je soupirai, jetai un dernier regard à la fenêtre faiblement éclairée, puis rentrai dans la maison avec un sentiment mêlé d’incertitude et de confusion.
*
Pendant deux ou trois jours, Yan Kongshan ne fit aucune allusion à ce qui s’était passé ce jour-là, et son attitude envers moi demeura inchangée. Lorsqu’il interagissait avec moi, son indice d’humeur restait d’un blanc clair et constant, ce qui me poussa à croire que j’avais sans doute mal interprété ce que j’avais vu.
Après tout, pourquoi serait-il devenu jaune pour moi ?
Alors que je rangeais les étagères, j’aperçus un éclair rose du coin de l’œil. Tous mes sens se mirent immédiatement en alerte. Je suivis discrètement la femme vêtue de rose, sur la pointe des pieds. Comme je m’y attendais, elle s’arrêta devant Yan Kongshan, un cahier à la main.
Le cahier contenait les informations sur les dates de publication, les éditeurs, les éditions, etc. J’étais bien plus proche d’elle, pourtant elle choisit encore une fois de me contourner pour s’adresser directement à Yan Kongshan.
Cela faisait une semaine qu’elle venait au magasin, jour après jour, prétendant chercher un seul livre à chaque fois. Et, jour après jour, son indice d’humeur virait de plus en plus au rose – certains jours même à un jaune vif.
Comme prévu, cette femme était une rivale amoureuse.
Je lui avais secrètement attribué un surnom : "Dame Rose", parce qu’elle portait toujours des vêtements de cette couleur. Grande et mince, avec de longs cheveux noirs raides, elle exhalait toujours un parfum agréable. Elle incarnait à la perfection le "type idéal" de Yan Kongshan, selon les confidences de Yan Wanqiu.
"C’est le livre…"
Je tirai et remis en place des livres au hasard sur l’étagère, feignant d’être absorbé par mon travail tout en tendant l’oreille à leur conversation.
Habituellement, lorsqu’un client manifestait un intérêt particulier pour Yan Kongshan, il le redirigeait vers moi ou vers Wen Ying, gardant toujours une distance prudente afin d’éviter toute ambiguïté. Il était toujours clair et respectueux.
Mais Dame Rose avait clairement affiché ses intentions ces derniers temps, et je sentais que Yan Kongshan arrivait à ses limites. Je me tins à l’étagère, sortis discrètement la tête dans l’allée, prêt à intervenir au moindre signe de sa part.
Les livres que cherchait Dame Rose étaient tous des éditions limitées, extrêmement difficiles à trouver. Même Yan Kongshan, pourtant incollable sur les rayons, avait besoin de temps pour les localiser. Et elle n’en demandait qu’un par jour – jamais une liste complète – comme si elle voulait prolonger ses visites.
Elle lui montra son cahier, s’approcha dangereusement de lui. Il fronça les sourcils en examinant les informations, visiblement peu à l’aise de sa proximité.
"Nous avons ce livre, je vais demander…" dit-il, levant les yeux pour chercher de l’aide autour de lui.
Je laissai alors "accidentellement" tomber un livre de mon étagère et me baissai pour le ramasser, me positionnant volontairement dans sa ligne de mire, comme pour lui dire : Oui, utilise-moi, je suis là !
"Je vais vous aider à le chercher."
Toujours accroupi au sol, faisant semblant de ramasser le livre, je levai les yeux, stupéfait de sa réponse. Mais je ne captai qu’à peine la fin de son regard.
Il avait le profil tourné vers moi, les yeux baissés, tandis qu’il prenait le carnet de Dame Rose, puis la conduisait à l’étage.
Mon humeur s’assombrit ; mes doigts voletèrent sans but sur les pages du livre étalé devant moi, encore au sol.
Qu’était-ce que cela… ? Avais-je le cœur brisé ? Les vacances d’été n’étaient même pas encore terminées… et tout s’effondrait déjà ?
Ne me dites pas que, cette fois, c’était moi qui finirais en larmes dans les bras de Sun Rui. Rien qu’à l’idée que Yan Kongshan puisse devenir rose pour quelqu’un d’autre, j’eus du mal à respirer. Comment diable Sun Rui faisait-elle pour se remettre aussi vite à chaque fois, sans traumatisme apparent ? Elle devrait vraiment écrire un livre intitulé Guide pour échapper aux ombres d’un cœur brisé. Je suis certain qu’il se vendrait bien.
Le reste de la journée s’écoula dans une léthargie morne, alors que j’étais englouti dans ma mélancolie.
Le vendredi, lorsque Yan Kongshan partit en ville pour récupérer des livres, nous échangeâmes à peine quelques mots. Le samedi, veille de la cérémonie d’arrêt de la pluie, il me dit de prendre un jour de repos, et nous ne parlâmes pas davantage.
Je ne savais pas si je me faisais des idées, mais j’avais la nette impression que nos interactions diminuaient réellement ces derniers temps, comme s’il… m’évitait.
Et même si son ton restait aussi agréable que d’ordinaire lorsqu’il me parlait, il avait cessé de faire ces petits gestes intimes qu’il avait pris l’habitude d’avoir – comme m’ébouriffer les cheveux. En observant la façon dont il traitait les clientes qui venaient avec des intentions cachées, je parvins à une conclusion : il m’avait percé à jour, il savait ce que je cherchais. Il n’y avait pas d’autre explication à ce mépris soudain.
Tout cela me laissait croire que tout allait vraiment se terminer…
Mon esprit, noyé dans un tourbillon de pensées confuses, m’empêcha de dormir convenablement. Je me tournai et me retournai tant et si bien que, le lendemain matin, je faillis trébucher dans les escaliers, encore à moitié endormi.
Grand-père, déjà levé, jeta un regard à mon visage apathique. Pensant que j’avais passé la nuit à lire des mangas, il alla me réchauffer du lait tout en me sermonnant :
"Tu finiras par devenir chauve par manque de sommeil." dit-il avec franchise.
Même si la cérémonie d’arrêt de la pluie devait avoir lieu après le coucher du soleil, les préparatifs commencèrent dès le matin. La sonnette retentit à peine eus-je terminé de déjeuner, révélant Yan Wanqiu qui bondit directement vers la télévision. Yan Kongshan et moi serions occupés toute la journée, aussi Grand-père devait-il s’occuper d’elle à nouveau.
"Mian Mian, Ah Shan, faites de votre mieux ! Je vais emmener Qiuqiu vous rendre visite cet après-midi !" s’exclama-t-il de quelque part dans la maison.
Yan Kongshan ne dit pas un mot durant tout le trajet. Il n’était déjà pas du genre bavard, mais son silence pesait plus lourd qu’à l’ordinaire. Je souffrais de l’atmosphère figée entre nous, mon cœur semblait se briser en morceaux. Pendant ce temps, La vie en rose de Lisa Ono passait à la radio. (NT : reprise jazzy de la chanson d’Édith Piaf par Lisa Ono, chanteuse brésilienne d’origine japonaise)
La procession de chars de la cérémonie d’arrêt de la pluie devait commecer au début de la rue Nanpu et s’étendrait jusqu’à son extrémité. Bien que le trajet ne prît qu’une trentaine de minutes en raison de la longueur de la rue et de notre vitesse de déplacement, des centaines de personnes avaient œuvré pendant des mois pour rendre le défilé impeccable et grandiose.
Lorsque nous arrivâmes sur place, M. Zhang aidait déjà à installer les barrières qui bloqueraient la rue. Les deux côtés étaient réservés à la foule, et du personnel avait été mobilisé pour maintenir l’ordre durant l’événement.
M. Zhang et son équipe avaient sécurisé un local vide donnant sur la rue, pour servir d’aire de repos aux acteurs et à l’équipe. Il n’y avait à l’intérieur que deux tables et quelques chaises éparpillées ; même les vestiaires n’étaient que de simples coins délimités par des cartons.
Dès notre arrivée, Yan Kongshan et moi fûmes envoyés dans des directions opposées – moi pour le maquillage, lui pour finaliser les détails avec M. Liu et les porteurs de chaise.
"Tu n’as pas bien dormi cette nuit, hein ?" me demanda Chu Tong en fronçant les sourcils, tout en tamponnant un correcteur sous mes yeux. "Les cernes sous tes yeux sont assez profondes."
Je répondis tranquillement : "Je suis un peu nerveux," en évitant son regard. Mes yeux se posèrent sur l’endroit où Yan Kongshan se tenait, devant la porte, en compagnie de M. Liu et des autres. M. Liu lui tendit une cigarette, qu’il accepta. Lorsqu’il se pencha pour l’allumer, il sembla percevoir mon regard posé sur lui et tourna les yeux dans ma direction.
Mon cœur rata un battement ; en temps normal, j’aurais aussitôt détourné les yeux, mais aujourd’hui, je n’en eus pas la force. Malheureusement, juste avant que nos regards ne se croisent, sa cigarette fut allumée. Il exhala une bouffée de fumée, les volutes s’étirèrent dans les courants d’air comme des nuages, voilant son visage. Lorsque la fumée se dissipa, il s’était déjà redressé et ne me regardait plus, comme s’il ne m’avait jamais vu.
"Yu Mian, maman a laissé ce trousseau pour toi. Tu dois bien le cacher après ton mariage, ne laisse aucun bâtard te le voler." lança Sun Rui en formant une fleur d’orchidée avec ses doigts et en ramassant une coiffe en or à pampilles rouges posée sur la table.
"Pose-le, ne le casse pas," avertit Chu Tong.
Sun Rui fit la moue, fronça le visage dans une grimace, puis reposa docilement l’objet sur la table.
Cette fois, la perruque fut bien plus compliquée à enfiler. Toutes les extensions et épingles ajoutées pesaient environ six kilos. Je compris soudain pourquoi la jeune fille du ciel avait besoin d’un général pour la protéger : tout cela était si lourd que j’eus l’impression de porter tous les fardeaux de ma vie sur la tête.
Après m’avoir appliqué du rouge à lèvres et rehaussé mes fossettes, Chu Tong recula enfin et, pour la première fois de la journée, sourit.
« Parfait », dit-elle.
Sun Rui s’approcha pour m’inspecter, se frottant le menton avant de commenter : « Une fleur vibrante parmi les mortels, une pivoine blanche parmi les dieux. »
(NT : métaphore exprimant une beauté si parfaite qu'elle dépasse le commun des mortels, et qui resterait exceptionnelle même dans un monde de divinités.)
Chu Tong me tendit alors un éventail blanc en papier de riz, me demandant de couvrir la moitié inférieure de mon visage durant la procession, afin de conférer à la jeune fille du ciel un aspect plus « mythique ».
Après tout, plus une chose paraissait mystérieuse, plus elle semblait lointaine, inaccessible… et donc convoitée.
Quand tout fut prêt, l’après-midi était déjà bien entamé. Sun Rui me donna un peu d’eau à l’aide d’une paille, mais je ne bus que quelques gorgées, de peur d’avoir besoin d’aller aux toilettes plus tard.
Je ne vis pas du tout Yan Kongshan une fois mon maquillage terminé ; j’ignorais totalement où il était parti. Je mourais également de faim, mais je doutais pouvoir manger quoi que ce soit avant sept ou huit heures du soir. Si j’avais su, j’aurais mangé un œuf au thé plus tôt.
Je songeais encore à la nourriture lorsqu’un morceau de chocolat non emballé apparut soudain devant moi. La main qui me le tendait était mince et longue, des veines bleu-vert visibles sous la peau pâle.
« Si tu as faim, manges-en. »
Je levai les yeux pour voir à qui appartenait cette main. Quand mes regards tombèrent sur l’apparence actuelle de Yan Kongshan, mes yeux faillirent sortir de leurs orbites.
Là où mon costume évoquait dignité et retenue, insistant sur la couverture du corps, celui de Yan Kongshan se révélait être son exact opposé. Je compris alors pourquoi M. Zhang avait dit qu’il ressemblait au général. Je doutais qu’un homme ordinaire pût incarner une telle allure.
La moitié inférieure de son corps était couverte d’un pantalon ample, teinté entre le noir et le violet, et autour de sa taille se trouvait une chaîne de tissus rustiques aux couleurs vives, qui conférait au vêtement un aspect traditionnel. Son torse, en revanche, n’était recouvert que par une paire de manchettes noires s’étendant jusqu’aux épaules. Des bijoux en argent ornaient ses poignets ; le reste de son corps demeurait nu.
Ses ornements argentés s’empilaient en couches, du cou à la poitrine, puis jusqu’à l’abdomen. Quelques-uns des anneaux suspendus étaient accompagnés de rubans noir-violet, lesquels, loin d’altérer sa silhouette, en soulignaient les lignes musclées.
En y regardant de plus près, le pantalon se révélait tout aussi redoutable. Cintré aux hanches par une ceinture argentée, il mettait nettement en valeur sa ligne en V. Tout son corps était sculpté, large, une véritable vision de rêve.
Lorsque la jeune fille du ciel était descendue dans le monde des mortels, les habitants de l’île aux Prunes Vertes avaient choisi un jeune homme fort et robuste pour devenir son garde du corps et assurer sa sécurité. C’est ainsi qu’était né le rôle du général.
Pour le dire simplement, le général était censé être un humain mortel.
Et en cet instant précis, j’avais toutes les raisons de croire que ce général avait été choisi dans le but de séduire délibérément la jeune fille du ciel, afin qu’elle tombe si éperdument amoureuse de ce monde qu’elle ne veuille jamais retourner au ciel.
Traducteur: Darkia1030
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