FSC - Chapitre 5 – Arrogant mais poli

 

Xie Yu souffrait depuis toujours d’un sommeil de mauvaise qualité. Peu de temps après s’être endormi, il fut réveillé par le bruit de quelque chose qui se brisait en bas.
C’était le son sec et assourdissant de la céramique éclatant contre le sol.

Des cris de colère familiers accompagnaient ce fracas. Le ton de la personne portait la fierté hautaine de quelqu’un qui s’était longtemps habitué à occuper un poste élevé : « C’est ma maison ! Sortez tous d’ici, faites vos bagages et partez ! Retirez vos mains sales ! Qui vous a permis de me toucher ? Vous pensez être dignes de… »

Xie Yu retira son masque pour les yeux, sans pour autant les ouvrir ; une veine battait faiblement à sa tempe.

« Jeune maître aîné, j’ai préparé de la soupe pour vous aider à dégriser. Buvez-en un peu. » C’était la voix d’A-Fang, déférente. « Vous avez trop bu… »

Un autre bruit sourd retentit, suivi de cris encore plus perçants : « J’ai dit, disparaissez ! Vous tous, disparaissez ! Vous, gens de la classe inférieure, ne comprenez-vous donc pas les mots humains ? »

« Oh, ma mémoire… J’avais presque oublié. Cette maison n’a donc aucun endroit où je puisse parler, n’est-ce pas ? Au lieu de cela, certaines personnes qui ne s’appellent pas Zhong ont toujours une si haute opinion d’elles-mêmes. »

« … »

Xie Yu se tourna et se retourna sur le lit. Finalement, il s’assit, frustré, et jura : « Putain. »

Trois ans.
Cela faisait trois ans, mais cette scène odieuse demeurait exactement la même qu’autrefois.

Il y a trois ans, lorsque Gu Xuelan avait épousé le célèbre entrepreneur de la ville A, Zhong Guofei, la nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre dans toute la ville. Non seulement Gu Xuelan, mais aussi Xie Yu, furent la cible de toutes sortes de spéculations désagréables.

Les rumeurs circulèrent comme si elles disaient la vérité.
D’innombrables curieux, venus seulement assister au spectacle sans craindre d’aggraver la situation, s’étaient empressés d’écrire quantité de « biographies » sur leur vie. La plus populaire d’entre elles racontait celle de « la maîtresse et de son enfant illégitime ».

Xie Yu, qui avait passé de longues années à fuir les créanciers et à se demander d’où viendrait son prochain repas, incapable même de payer ses frais de scolarité pendant plus de six mois, aurait presque pu croire à ces mensonges s’il n’avait pas connu la réalité.

Quelle que fût la vérité concernant ce duo mère-fils, Zhong Jie, le fils biologique de Zhong Guofei, ne pouvait l’accepter. Il ne se souciait pas de savoir ce qui était vrai.
Il ne voyait que les faits sous ses yeux : après avoir perdu sa mère, quelqu’un tentait de lui arracher tout ce qu’il possédait, y compris la chose la plus importante — ses droits de succession.

Après un long moment, tout finit enfin par se calmer en bas. Pour le meilleur ou pour le pire, le jeune maître Zhong fut reconduit dans sa chambre.
Xie Yu s’appuya contre la tête de lit et écouta le bruit de la porte qu’on fermait, les légers soupirs des domestiques passant devant sa propre chambre, puis leurs pas descendant à nouveau les escaliers.

Les yeux ouverts, Xie Yu songeait.
Soudain, sans raison, il eut soif.
C’était comme si une boule de feu remontait à travers ses organes jusqu’à lui brûler la gorge.

Gu Xuelan était assise sur le canapé du salon, les yeux pleins de lassitude. Sa robe de chambre en dentelle effleurait le sol. Lorsqu’elle vit Xie Yu descendre, elle leva légèrement les yeux, l’air épuisé : « Tu viens en bas ? On t’a réveillé ? »

Xie Yu avait deviné qu’elle serait là. Il voulut dire : Combien de fois te l’ai-je dit ? S’il veut faire une crise, qu’il la fasse. Ce n’est pas ton affaire.
Mais, la voyant ainsi, il ravala ses mots et répondit d’une voix tiède : « Heureuse maintenant ? »

Gu Xuelan murmura : « L’anniversaire de la mort de sa mère est dans deux jours. »

Xie Yu répondit : « Alors tu es restée là pendant une heure à le laisser te crier dessus. »

Gu Xuelan ne dit rien.

Sa voix, à lui, ne contenait aucune émotion, mais ses paroles devenaient de plus en plus dures : « Sa mère, tu l’as tuée ? Son père, tu l’as volé ? S’il veut crier, laisse-le crier. Mais tu es même allée jusqu’à l’aider… Tu es plutôt encourageante. »

À cet instant, Gu Xuelan n’était plus aussi forte qu’elle l’avait été dans la voiture. Elle soupira doucement : « Ne dis pas ça. »

Xie Yu répliqua : « Personne ne lui doit rien. Ne s’en rend-il donc pas compte ? »

« … »

Xie Yu alla à la cuisine et versa deux tasses de lait. Il en tendit une à Gu Xuelan et dit, en s’efforçant de garder une voix douce : « Maman, bois ça et va te reposer. Il est tard. Je vais faire comme si je n’avais rien entendu de tout cela ce soir. La prochaine fois, si tu restes là à le laisser te hurler dessus, je le battrai jusqu’à ce qu’il ne puisse plus parler. Je suis une personne de parole. »

Gu Xuelan prit le verre. Elle demeura un instant interdite.
Le garçon qui se tenait devant elle — elle ne s’était pas rendu compte qu’il avait tant grandi.

Il lui ressemblait. Ses traits auraient pu paraître doux, presque féminins, mais quelque chose de féroce, de froid et d’aiguisé avait, à un moment donné, marqué son visage. Il paraissait désormais difficile à approcher, et même elle, sa propre mère, sentait qu’il lui devenait étranger.

Son regard s’arrêta sur les cheveux de Xie Yu, dont quelques mèches rebelles sortaient encore du sommeil. Elles étaient si souples, comme lorsqu’il était petit.

Elle ne sut que dire. Le temps qu’elle retrouve ses esprits, Xie Yu s’était déjà retourné et était remonté à l’étage.

Xie Yu avait toujours eu du mal à dormir, et même le lait qu’il venait de boire ne l’aida pas. Autrefois, il s’endormait profondément ; à présent, dès qu’il se réveillait, il ne parvenait plus à se rendormir, quoi qu’il fasse.

Il jeta un coup d’œil à la nuit noire derrière la fenêtre et voulut soudain savoir quelle heure il était.
Il n’avait eu l’intention que de regarder l’heure, mais dès qu’il prit son téléphone, toute trace de somnolence s’évanouit.

[Barbecue Stall Prince – Lei] : Putain, je ne joue plus ! [Image]
[Barbecue Stall Prince – Lei] : Cette fois, j’arrête vraiment ! [Image]
[Barbecue Stall Prince – Lei] : La dernière fois ! Si je rejoue, je suis un cochon ! [Image]

Deux heures plus tôt, Zhou Dalei avait envoyé trois captures d’écran à la suite, toutes disant : Score trop bas. Vous ne pouvez pas entrer dans le lobby du jeu, oh~ Veuillez répondre plus attentivement.

Xie Yu écrivit une ligne et appuya sur « Répondre » : Tu crois vraiment que le ciel sera ému par la persévérance d’un nul professionnel ?

Zhou Dalei dormait probablement depuis longtemps, et Xie Yu n’avait aucune envie d’attendre sa réponse. Après avoir quitté l’application, il hésita entre deux options : continuer à faire le mort ou tester un certain petit jeu étrange. Finalement, il tapa sur l’application à l’icône d’une pomme : Pomme de la connaissance.

« Utilisateur respecté [jsdhwdmaX], bienvenue à Roi des questions ~ Vous avez obtenu la note maximale à votre test. Veuillez appuyer pour continuer et entrer dans le lobby du jeu ! »

Il était trois heures du matin, mais le jeu restait étrangement animé.

« Ilovestudying » : Quelqu’un veut-il venir dans une salle privée, en mode mathématiques PK ? J’attends un condamné.
« MyGoalIsBalancedSubjects » : Pour l’examen de Math C, la troisième question est-elle vraiment mal posée ? Est-ce faux, ou c’est moi ?
« FightingUpstream » : … Il est si tard. Vous ne dormez donc jamais ?
« StudystudystudythatsallIdo» ? Quel sommeil ? Savez-vous combien de personnes vous dépasseront si vous dormez une minute trop tôt ? »
« ForABetterTomorrow » : Le frère étudiant a raison. La vie est courte, et le temps pour apprendre, précieux. Dormir, c’est gaspiller un moment d’or.
« Ilovestudying » : Ma soif de connaissances m’empêche de dormir. Quand je dors, c’est comme si j’étais mort — mon cerveau cesse de penser. Quoi de plus terrifiant que de ne plus penser ?

« … »

Xie Yu eut soudain l’impression que lui aussi, pour avoir rouvert ce jeu, était devenu fou.

La conversation dériva rapidement sur un autre sujet.

« StudystudystudythatsallIdo » : En parlant de ça, ce type s’est encore classé premier. Quelqu’un l’a-t-il déjà battu ? Il me sort par les yeux. Comment peut-on être aussi impudent ?

À peine ces mots apparus que les messages affluèrent.

« TopTenInClass » : Sans vergogne +1 !
« EnglishClassRep » : Sans vergogne +2 !!
« Mydreamistobeaschoolprincipal » : Sans vergogne +3 !!!
……

L’ambiance était électrique ; tous semblaient partager le même esprit.

Premier du classement, sans vergogne ?
Xie Yu, curieusement, en fut intrigué — un fait rare.

Le classement se trouvait dans le coin supérieur droit de l’écran. Il tapa dessus. Une simple liste apparut, grossière et claire. Et celui qui occupait la première place…

« Mince. » murmura-t-il.
Xie Yu contempla les deux mots inscrits à côté du petit trophée doré et resta un instant muet, incapable de dire autre chose que : « Merde. »

La première place indiquait : Roi des questions.
La signature proclamait : « Pas besoin de se battre. La victoire est mienne. »

Quleques mots courts, arrogants mais polis.
Dans un jeu nommé Tournoi du Roi des questions, il se donnait donc le titre de Roi des questions ?

Beaucoup d’utilisateurs avaient probablement contacté le service client pour savoir si ce « Roi des questions » était un joueur ou un bot, car l’application avait même apposé une note à côté du nom : ne posez pas la question. C’est un joueur. C’est vraiment un joueur. Si vous ne le croyez pas, défiez-le donc.

Peut-être que Xie Yu était simplement las de ne pas pouvoir dormir, ou peut-être voulait-il tuer le temps. Quoi qu’il en fût, Roi des questions l’agaçait déjà intérieurement.

Par ennui, Xie Yu ouvrit le mode sans fin.
Il pensa : Tant que ce n’est que dans ce jeu et que personne ne le sait… ça devrait aller.

Tout le monde savait que les notes de Xie Yu étaient pourries.
Non seulement il avait de mauvaises notes, mais il se battait sans cesse. Sa phase rebelle était survenue de façon brutale, et même Gu Xuelan avait oublié qu’il n’était pas du tout ainsi il y avait seulement trois ans.

Durant sa première année de collège, Xie Yu rapporta à la maison quantité de trophées.
Gu Xuelan n’avait jamais saisi l’importance de ces prix, et Xie Yu n’aimait pas se vanter, si bien qu’il minimisait toujours ses mérites : « Petite compétition. Pas beaucoup de participants. »

Le mois précédent que Gu Xuelan n’eût décidé d’épouser Zhong Guofei, elle emmena Xie Yu et quitta leur appartement du sous-sol. Ce jour-là, Zhong Guofei engagea une entreprise de déménagement pour les aider. Il avait déjà plus de quarante ans et possédait les manières méticuleuses d’un homme d’affaires : tout son travail était impeccable, avec une touche personnelle. Il paraissait réservé mais humain. Il se tint un instant dans le sous-sol humide et sombre, s’arrêta devant un mur, se pencha, et les rides du rire au coin de ses yeux se firent plus marquées lorsqu’il sourit et demanda : « Xiao Yu, toutes ces récompenses sont à toi ? »

Une fois que Xie Yu se mit à répondre aux questions, il ne put s’arrêter. Sa compétitivité, récemment éveillée, anéantit tout désir de dormir. Sans repos, il enchaîna les nuits à répondre et parvint à se hisser parmi les trois premiers du classement.

À l’heure du repas, Gu Xuelan montait l’appeler. Sa réponse était toujours : « Je mangerai plus tard, laisse-le. »

« Que fais-tu enfermé dans ta chambre depuis deux jours ? » demanda Gu Xuelan, adossée à l’embrasure de la porte, tentant de maîtriser son tempérament.

Xie Yu répondit honnêtement : « Moi ? Je joue à un jeu. »

« Tu as le culot de dire ça… Le tuteur à domicile que j’ai engagé vient demain. Tu ferais mieux de te tenir correctement, tu m’entends ? »

« Je ne t’ai pas entendue. »

« … »

La colère bouillonna chez Gu Xuelan. Lorsqu’elle redescendit dans la salle à manger, Zhong Guofei sourit et déposa un morceau de poisson dans son assiette : « Ne te fâche pas. Le garçon est encore jeune ; il est naturel qu’il veuille s’amuser. Goûte ceci — j’en ai fait venir d’Hokkaido, c’est frais. La dernière fois au restaurant tu avais aimé, alors j’ai demandé à Vieux Xu d’en trouver. »

Zhong Guofei posa ses baguettes, la regarda manger et leva la main pour lui rabattre une mèche de cheveux. « Si tu restes en colère, tu vas finir malade, et c’est moi qui aurai le cœur brisé. »

Gu Xuelan sourit, lui lança un regard et soupira : « Je l’espère. »

Récemment, quelque chose n’allait vraiment pas avec Xie Yu.
À plusieurs reprises, Zhou Dalei avait consulté les messages que son « grand frère » envoyait dans le groupe d’amis au milieu de la nuit : leur ton lui parut étrange, comme si l’auteur n’était pas tout à fait maître de son esprit.

Par exemple, le message de ce soir, à 4 h 23 :
XY : « Quelqu’un, gifle-moi pour me réveiller. » [/Sourire]

Zhou Dalei jouait à un tournoi qui venait de commencer et devait marquer des points. Sinon, il n’aurait pas vérifié les messages du groupe à cette heure-là par simple ennui.

L’ambiance dans le cybercafé était encore plus animée que durant la journée. Plusieurs gobelets de nouilles instantanées entouraient le clavier. Zhou Dalei souffla un rond de fumée et écrasa le mégot de cigarette dans le cendrier avant d’ajouter un message : « As-tu bu ? »

Xie Yu répondit : « Je ne bois pas. L’alcool frelaté est dangereux. »

Zhou Dalei écrivit à son tour : « Je t’écoute… Frère, je vais deviner. Es-tu… tombé dans l’abîme de l’amour ? »

Xie Yu répondit : « L’amour, mon cul. »

 

Traducteur: Darkia1030