FSC - Chapitre 4 – Tournoi du Roi des questions

 

Gu Xuelan entra dans la maison quelques instants plus tard. Elle ôta son châle et le tendit à la bonne. « Le dîner est-il prêt ? »

La bonne prit son châle. « Comme vous l’avez demandé, c’est prêt. Tous les plats que le second jeune maître aime. Voulez-vous manger maintenant ? »

Les talons hauts de Gu Xuelan claquèrent sur le marbre. Le lustre, reflété dans les carreaux du sol, scintilla et donna l’impression qu’elle marchait sur de la lumière. Elle fit encore deux pas, s’arrêta, fit demi-tour et s’éloigna en lâchant : « Montez et appelez-le. »

Xie Yu se trouvait dans la salle de bain, le corps complètement trempé. L’eau coulait du sommet de sa tête le long des mèches et gouttait ; la vapeur chaude embua les parois sur les quatre côtés.

Le téléphone qu’il avait posé près du lavabo vibra.

Il ferma les yeux, rinça le reste de mousse sur son corps, puis entendit deux coups à la porte. Immédiatement après, la voix hésitante et retenue de la bonne se fit entendre, étouffée à travers la porte : « Deuxième jeune maître, c’est l’heure du dîner. »

« Je n’ai pas faim. »

« Mais… madame a déjà… »

Xie Yu ouvrit les yeux et répéta : « Je n’ai pas faim et je ne peux pas manger. »

A-Fang se trouvait chez la famille Zhong depuis moins de deux ans, pas longtemps. Elle hésitait encore à parler ou à agir, comme si elle craignait la moindre erreur. Dès son arrivée, avant même d’avoir rencontré qui que ce soit, elle avait entendu de nombreuses rumeurs sur la famille Zhong.

On disait que la première Mme Zhong s’était suicidée. Quelques années à peine plus tard, le grand patron Zhong ramena une autre femme à la maison. Le nom de Gu Xuelan était alors inconnu, et lorsqu’elle arriva, elle apporta même un bidon d’huile. Une grande et un petit. La nouvelle femme s’assit sur le trône de Mme Zhong, et d’une manière assez solide ; peu importait les moqueries, elle ne tomba pas.

(NT : bidon d’huile : Dans les campagnes chinoises, les villageois transportaient souvent pour leurs voisins de lourds bidons d’huile en bambou lorsqu’ils allaient au marché, ramassant boue et poussière en chemin. L’expression « traîner un bidon d’huile » (tuō yóu píng) en est issue : elle désigne aujourd’hui, de façon péjorative, le fait d’élever l’enfant d’un autre).

Le jeune maître aîné de la famille Zhong parut pitoyable. Non seulement il avait perdu sa mère, mais il dut désormais voir quelqu’un d’autre s’installer dans sa maison.

Quand A-Fang revint transmettre le message de Xie Yu, elle ne sut que dire. Elle resta près de la table, la tête baissée, incapable d’ouvrir la bouche.

Voyant son attitude, Gu Xuelan comprit. Elle ramassa ses baguettes. En parlant, elle-même ne parut pas plus préoccupée qu’elle ne le laissait entendre : « Qu’il veuille manger ou non, il finira par avoir faim… Vous pouvez y aller. »

Xie Yu enfila ses vêtements, les cheveux dégoulinant encore d’eau. Il voulut vérifier l’état du téléchargement de ce jeu mystérieux, mais, lorsqu’il prit son téléphone, il ne vit que des notifications par SMS. Il ne parvint pas d’un coup d’œil à trouver la barre de progression du téléchargement du jeu.

Une discussion de groupe intitulée « Ne vous contentez pas de combattre et de tuer » affichait plus de quatre-vingt-dix notifications push.

[Barbecue Stall Prince – Lei] : Mon dieu, il ferait mieux de savoir ce qui est bon pour lui. Si je le recroise, je lui mettrai une raclée à chaque fois que je le verrai.
[Père de Lei] : Bon garçon ! Tu as du cran !
[Maman de Lei] : Battez-le jusqu’à ce qu’il ne puisse plus se relever ! Il a été si arrogant ces derniers mois. Il se prend pour un grand frère.

Les membres de la famille de Zhou Dalei étaient vraiment tous pareils.

Xie Yu fit défiler les messages vers le haut. Le contenu se ressemblait pour la plupart.

Hu-ge avait déjà reçu sa correction collective, mais il dut encore endurer la flagellation médiatique dans le groupe de discussion des habitants de la rue Black Water.

La rue Black Water avait connu une expansion continue pendant quelques années et la population avait fluctué. De nombreux nouveaux ménages emménagèrent. Ce groupe de discussion rassemblait surtout des résidents anciens, installés là depuis plus de dix ans : quelques dizaines de personnes aussi proches que la famille.

Lei-zi se plaignait souvent que, depuis la création du groupe, il n’y eût plus aucune intimité.

Lorsque Xie Yu avait fait l’école buissonnière pour aller dans un cybercafé, le patron du lieu avait ri et déclaré : « Le monde est aussi grand que ton courage ! » (NT : idiome : l’audace ouvre des opportunités). Il ajouta qu’il appréciait son audace ; « Tu n’es pas comme les autres gamins. » Puis il publia un portrait HD de Lei-zi tenant la souris et se connectant au jeu, en taguant le père et la mère de Lei avec l’appendice : votre fils n’est pas allé en cours et est revenu jouer !

Le père et la mère de Lei-zi abandonnèrent aussitôt leur travail au magasin, firent irruption dans le cybercafé et poursuivirent Lei-zi sur trois pâtés de maisons.

Xie Yu séchait ses cheveux avec une serviette quand quelqu’un le mentionna de nulle part.

[Barbecue Stall Prince – Lei] : « @XY, qu’en penses-tu ? J’y ai réfléchi toute la nuit au lieu de dormir, et je pense toujours que cet idiot s’en est bien tiré. »
Il n’avait qu’à y entraîner Xie Yu. S’il vous plaît, est-ce qu’on peut juste arrêter ce sujet ? Xie Yu tapa quelques mots en réponse.

[XY] : « Ne m’entraîne pas là-dedans. Je suis un citoyen honnête. »
[Barbecue Stall Prince – Lei] : « …… »
[Barbecue Stall Prince – Lei] : « Tu es vraiment sans vergogne. Tu te souvenais être un citoyen honnête quand tu te battais avec quelqu’un ?! »

Question King Tournament fut installé avec succès.
Xie Yu s’intéressa un peu plus à ce Tournoi, puis mit clairement fin à la conversation : « J’abandonne cette discussion, Barbecue Prince, je vais jouer. »

Les deux n’avaient pas la même compréhension du mot « jeu ». Zhou Dalei aimait aussi jouer à des jeux en ligne : que ce fût Match Up ou League of Legends, il les appréciait tous sans être difficile. Il avait même un certain talent pour cela. Autrefois, il avait été le glorieux meilleur joueur de la Ligue à Black Water, et personne ne parvenait à le battre, quels que fussent leurs efforts.

Alors le Prince de l’étal de barbecue retrouva aussitôt sa bonne humeur et envoya un message privé à Xie Yu : « Quel jeu ? Un nouveau Chicken King Wars ? VC ? » (NT : abréviation de virtual call, appel vocal virtuel)

[XY] : « Non. »
[XY] : « Ne me demande pas, tu ne peux pas. »
[XY] : « Tu ne peux pas y jouer. »

Les trois points de silence.
Une explosion.

[Barbecue Stall Prince – Lei] : « Ne dis pas à un homme qu’il ne peut pas. Dis-moi ce que c’est ! Si tu as du cran, dis-le-moi ! Moi, ton grand frère, je serai dans le classement en une minute ! »

Zhou Dalei écrasa sa cigarette et se prépara à affronter cette « bataille entre hommes ». Mais lorsqu’il vit l’interface du jeu envoyée par Xie Yu — si tant est qu’on pût appeler cela un jeu — il eut l’impression d’être frappé par la foudre. Il resta pétrifié.
Les mains tremblantes, il effaça les mots arrogants qu’il venait d’écrire.

Ensuite, il appuya sur le bouton de message vocal et répondit : « Qu’est-ce que c’est que ça ! »

Maths de l’enfer, Questions de l’Uni Huanggang, Crème de la crème d’anglais, BioChimPhys. Tout cela… c’était sûrement un virus.
« C’est un jeu, ça ? Cela peut-il être un jeu ? Qu’est-ce que tu ne comprends pas exactement du mot “jeu” ? »

Le cœur de Zhou Dalei fut transpercé mille fois, comme s’il avait reçu dix mille épines (NT : idiome : ressentir une douleur ou une honte profonde). À la fin, il ne put que demander, du plus profond de son âme : « Est-ce amusant ? »

[XY] : « Je ne sais pas. Ça ira, probablement. »
[Barbecue Stall Prince – Lei] : « …… »

Le nombre total de joueurs en ligne dans Roi des Questions était inférieur à quatre cents. Le jeu était impopulaire, son interface simple et laide, et tout en lui donnait l’impression qu’il pouvait fermer à tout moment.

Dès leur entrée, les joueurs affrontaient un test de questions aléatoires. Ils devaient accumuler un certain nombre de points avant de pouvoir accéder au deuxième niveau : le mode « questions sans fin » et les duels PK (NT : Player Killing).

Le jeu possédait quelques fioritures : dans le coin inférieur gauche se trouvait une petite boîte et une barre de défilement, servant de fonction de chat censée encourager la communication entre joueurs. Mais le contenu de ces échanges…

« TopTenInClass » : « Comparons nos scores. Je te rendrai cette humiliation ! »
« EnglishClassRep » : « Intéressant. Amusant ? Si tu as autant d’énergie mentale, tu ferais mieux d’apprendre un peu plus de vocabulaire anglais. Ton anglais… pardonne ma franchise, mais tu n’as même pas le lexique d’un élève de huitième. Si ton vocabulaire reste bloqué au niveau de la quatrième année, tu n’as pas d’avenir. Réfléchis sur toi-même. »
« TheBeautyOfChineseCulture » : « Mémoriser quel anglais ? Quand on est fatigué, venez vous immerger dans les océans de la culture chinoise pour vous détendre et récupérer. PK chinois classique, explicite. Double expérience. Chambre 24008, rencontrez votre destin. »
« ILoveStudying » : « Dieu du jeu, expliquez la question 13 du livret B ! Est-ce que la solution n’est pas zéro ou moins un ? Les limites de la fonction sont-elles fausses ? »
« StudystudystudythatsallIdo » : « Payerai le prix fort pour un ensemble de l’édition limitée du 40e anniversaire de Beat the Gaokao: L’examen blanc le plus utile (NT : le gaokao est l’examen d’entrée à l’université). Je suis allé dans toutes les librairies sans le trouver. Parce que je n’ai pas pu faire cet examen blanc, je ne peux plus manger et j’ai perdu vingt kilos. Mon cœur me fait mal. La série Réussir le Gaokao est mon examen blanc préféré. Comment peuvent-ils ne pas avoir l’édition limitée !!! »

*

Xie Yu était le 399e joueur inscrit. Ce jeu était vraiment impopulaire ; le système l’accueillit chaleureusement avec un message d’interface durant deux minutes entières, puis lui prédit avec enthousiasme son avenir : « Dérive librement dans l’océan de la connaissance et combats dur pour construire une belle nouvelle Chine. Tsinghua et l’Université de Pékin (NT : les 2 meilleures universités de Chine) te font signe. »

Xie Yu cliqua et lança un examen simulé.

Les messages système continuaient de défiler :
« Bienvenue à l’utilisateur [jsdhwdmaX] dans la famille Tournoi du Roi des Questions ! »

À cette époque, les joueurs en ligne n’avaient pas encore réalisé que ce débutant, dont le nom de compte semblait provenir du frottement de son visage contre son clavier, apporterait un véritable massacre de sang, de vent et de pluie (NT : idiome : chaos et bouleversements violents) durant les vacances d’été à venir.

Zhou Dalei passa lui aussi un examen simulé, refusant de reculer jusqu’à se heurter à une impasse. Dans la zone de réponse de chaque question, il griffonna seulement deux mots tordus : « Je ne sais pas. »

Le résultat fut sans surprise.
Il appuya sur le bouton « soumettre le papier » dans le coin supérieur droit et apprit que son score était trop faible : il n’était pas éligible pour l’admission dans le salon du jeu.

Zhou Dalei faillit jeter son téléphone : « Discrimination ! Discrimination contre les mauvais élèves ! Quel jeu périmé est-ce donc ? Je suis un roi de l’arène numérique ! Tu ne me laisses même pas entrer dans le salon du jeu ? Si je ne peux pas les battre, je ne peux pas les battre ! Et si je ne peux pas répondre aux questions ? Au moins, je suis honnête ! »

Au moment où Xie Yu eut fini de répondre aux questions, il reçut plus d’une dizaine de messages de Barbecue Prince.

« Scélérat ! »

« Quelle est la réponse ? C’est vraiment fait pour des humains ? »

« Plainte ! Je porte plainte ! »

Le doigt de Xie Yu tapa légèrement l’écran à plusieurs reprises tandis qu’il formait soigneusement sa phrase. Il fut sur le point d’appuyer sur « envoyer » quand Zhou Dalei expédia encore un message : «combien de points as-tu obtenu ? »

Combien de points ?
Xie Yu s’assit sur le tapis, le dos appuyé contre le côté de son lit, et effaça les mots qu’il venait d’écrire, un par un.

[XY] : « À peu près comme toi. »
[XY] : « Jeu nul. Je l’ai déjà désinstallé. »

Zhou Dalei mâchait sa cigarette, accroupi, méditant sur la vie. Un tablier ceinturait sa taille ; on y lisait en cursive rouge «Huile de tournesol Fang Bao Lai ». D’un coup d’œil, on comprenait qu’il s’agissait d’un objet de l’offre « achetez-en deux, obtenez-en un gratuit » de la grande liquidation du supermarché.

Il n’était pas méchant. Ses traits restaient harmonieux, un peu espiègles, et il portait une légère ombre de dureté. Mais c’était surtout sa façon d’être accroupi qui le faisait ressembler davantage à un voyou.

Sa mère passa en portant un plateau. Le voyant ainsi dégonflé, elle lui donna un coup de pied : les fesses de Zhou Dalei reçurent le coup de plein fouet. « Qu’est-ce que tu fais accroupi ici ? As-tu fini de griller l’agneau ? »

« J’y vais, j’y vais. »

Zhou Dalei se leva précipitamment et ne fit que deux pas quand il se souvint de quelque chose ; il fit demi-tour et dit : « Maman, je veux te demander quelque chose. »

Sa mère répondit sèchement : « Je ne sais pas, pas d’argent. »

« Sois sérieuse. Je voulais dire… Tu te souviens, au collège, les notes de Xie Yu étaient vraiment bonnes ; il a même représenté notre rue dans un concours de maths et a gagné un prix. Et quand nous étions petits, il résolvait un Rubik’s cube même les yeux fermés. Il était doué… »

Sa mère posa la vaisselle sale dans l’évier. « Et alors ? Ta maman aussi. Quand j’étais jeune, j’avais des notes parfaites à tous mes examens, et à la fin je n’ai pas réussi. Les gens se dégradent aussi avec le temps. Comme toi. Regarde-toi maintenant. »

Zhou Dalei tenta d’exprimer la pensée vague qui le rongeait : « Non — Maman, je pense vraiment que ce n’est pas… et puis, qu’est-ce qui m’arrive maintenant ? Je trouve que je suis plutôt beau. »

« Beau, mon cul. » Elle lança sa leçon : « Débarrasse-toi d’abord de ces couleurs en désordre sur tes cheveux. Les gamins d’aujourd’hui ne pensent qu’à jouer. Ils se croient tous malins, mais ils n’étudient pas assez. Regarde A-Jie d’à côté : ses notes étaient au plus bas, puis après son hospitalisation il a bondi d’une centaine de places aux examens blancs. Je crois que tu as aussi besoin d’un électrochoc pour relancer ton cerveau. Tout ce que tu sais faire, c’est jouer toute la journée… »

« Vingt brochettes d’agneau, d’accord ? J’y vais. »

 

Traducteur: Darkia1030