ETILH - Chapitre 62
Ye Zhou s’assit en tailleur sur le lit et regarda l’écran de l’ordinateur tout en notant distraitement quelques idées dans un petit cahier. Il nota qu’il était déjà l’heure du déjeuner, mais Shang Jin n’avait toujours pas appelé. Les mots qu’il avait prononcés avant de partir demeuraient ambigus. Bien que Ye Zhou eût un vague pressentiment, il n’osa pas approfondir ses pensées.
Il sortit son téléphone, et son doigt hésita plusieurs fois sur le numéro de Shang Jin, partagé entre la crainte de le déranger et l’impatience causée par son silence.
Ye Zhou soupira. Il décida que si, dans une demi-heure, il n’avait toujours pas de nouvelles, il l’appellerait.
Heureusement, un quart d’heure plus tard, il entendit frapper à la porte.
« Ye Zhou ? »
Ye Zhou bondit du lit sans même enfiler ses chaussures. Il se précipita pour ouvrir et, en voyant Shang Jin sain et sauf devant lui, il souffla de soulagement : « Tu es de retour. »
Shang Jin posa un sac sur la table et déclara calmement : « J’ai acheté à manger sur le chemin du retour. »
Ye Zhou se moquait bien de la nourriture. Tant qu’il ignorait ce qui s’était passé, il n’avait de toute façon aucun appétit.
« Pourquoi es-tu rentré chez toi ? » demanda-t-il aussitôt.
Shang Jin sortit la boîte à lunch du sac, sépara les baguettes jetables et répondit d’un ton léger :
« Notre affaire est arrivée aux oreilles de mon père. Alors, autant en parler ouvertement avec lui. Mange vite, sinon ce sera froid. »
En entendant cela, Ye Zhou sentit son estomac se nouer davantage. « Tu… tu lui as vraiment dit ? À ton père ? » demanda-t-il, incrédule.
« De toute façon, tôt ou tard, il fallait bien que je le fasse. »
« Tu… tu… » Ye Zhou resta sans voix. Il s’assit sur le lit, découragé, tandis que son cœur battait à tout rompre. L’anxiété finit par l’emporter : « Tu es vraiment trop impulsif. »
Shang Jin ne sembla pas s’en soucier le moins du monde. Il attira Ye Zhou contre lui, plaça la boîte à lunch entre ses mains et dit doucement : « En te voyant comme ça, je parie que tu n’as encore rien mangé ce matin, pas vrai ? Mange un peu d’abord, et parle ensuite. »
Ye Zhou dut reconnaître sa défaite. Faire son coming out était une décision capitale, mais Shang Jin, lui, restait d’un calme déconcertant, allant jusqu’à lui rappeler de manger.
Il avala machinalement une bouchée de riz avant de demander : « Et alors ? »
« Quoi, “et alors” ? » répondit Shang Jin en saisissant un légume avec ses baguettes. « Je ne suis pas là maintenant ? »
Ye Zhou hésita, puis demanda à voix basse : « Tu as été chassé ? »
Shang Jin haussa simplement les épaules, refusant de commenter.
Puisque les choses en étaient déjà là, Ye Zhou jugea inutile d’insister. Après tout, quelle famille traditionnelle aurait pu accepter cela ? (NT : la société chinoise reste majoritairement peu tolérante envers l’homosexualité.) Au moins, la situation n’avait pas tourné à la catastrophe.
Ses pensées dérivèrent vers ses propres parents, et il murmura : « Je devrais aussi le leur dire. »
Shang Jin s’étrangla presque avec sa nourriture et, après avoir avalé difficilement, protesta : « Ne sois pas impulsif. »
Ye Zhou esquissa un sourire ironique. « Oh ? Donc toi aussi, tu sais que faire son coming out à la légère, c’est être impulsif ? »
« Toi et moi sommes différents », répondit Shang Jin avec gravité.
La famille de Ye Zhou était en effet très stricte. Même lorsqu’il avait obtenu la deuxième place aux examens, ils l’avaient accablé de reproches au lieu de félicitations. Alors, s’ils apprenaient qu’il aimait un homme… être chassé serait probablement le moindre des scénarios. On pourrait aussi l’enfermer ou l’obliger à consulter un psychiatre — tout serait possible.
« Ma famille… même s’ils le savent, ils ne peuvent rien me faire. Toi, attends encore deux ans. Ce qui s’est passé pour moi cette fois, c’était un accident. »
« Je sais. Je ne suis pas idiot. » Ye Zhou tourna l’écran de l’ordinateur vers lui et ajouta : « J’ai repéré quelques appartements qui me plaisent. Allons les visiter cet après-midi. »
Il y a deux jours à peine, Ye Zhou se vantait encore de pouvoir passer les vacances d’été à l’hôtel. Mais désormais, il ne désirait qu’une chose : trouver au plus vite un vrai logement. Après tout, Shang Jin avait été chassé de chez lui et n’avait plus de revenus. Même avec ses propres économies, Ye Zhou savait que, pour des étudiants sans emploi, chaque yuan dépensé était un yuan perdu. Ils devraient apprendre à tout économiser.
Shang Jin fit défiler l’écran de la souris, parcourut brièvement la page et conclut simplement :
« Je t’écouterai. Mange vite. »
Tous deux étaient des gens d’action. Après avoir repéré quelques appartements, ils commencèrent à appeler les propriétaires pour fixer des rendez-vous. Comme tout s’était fait à la hâte, seuls deux d’entre eux étaient disponibles dans l’après-midi.
Sous la lumière blanche du soleil de juillet, les cigales chantaient bruyamment le long de la route, troublant l’esprit des passants.
Voyant la chaleur accablante, Shang Jin proposa de prendre un taxi, mais Ye Zhou insista pour prendre le bus. Debout à l’arrêt, sous le soleil brûlant et dans des rues presque désertes, il s’éventa de la main et suggéra : « Après avoir trouvé un appartement, nous devrions passer à l’école pour récupérer le Shang Ye. »
« Bien sûr. »
Louer un logement nécessiterait inévitablement d’acheter quelques affaires ; avoir la voiture serait pratique.
Compte tenu de la nature particulière de leur relation, ils ne pouvaient évidemment pas choisir l’endroit le moins cher. Pourtant, un logement trop grand reviendrait beaucoup trop cher. Finalement, ils se résolurent à chercher un appartement d’une chambre.
Lorsque Shang Jin et Ye Zhou arrivèrent à la résidence, la propriétaire, qui ne savait pas que les locataires seraient deux personnes, les accueillit aimablement. « Bien que nous ayons des appartements pour célibataires, si vous en voulez un, je peux vous ajouter un lit simple. Avec un peu d’aménagement, deux personnes pourraient très bien y vivre. »
Shang Jin fit deux fois le tour de l’endroit. Il trouva l’appartement plutôt correct. Habitué aux dortoirs, il jugea qu’un logement d’une chambre offrait déjà bien plus de confort.
Avant qu’il n’accepte, Ye Zhou l’arrêta et déclara : « Nous allons réfléchir. Nous vous donnerons une réponse d’ici deux jours. »
« Très bien. » La propriétaire, une tante avenante, jeta un regard bienveillant à Ye Zhou et engagea la conversation : « L’environnement de cette résidence est excellent, et la station est juste à côté. Le loyer est un peu plus élevé que la moyenne, mais la décoration a demandé beaucoup d’efforts. Ma fille est architecte d’intérieur ; elle avait conçu cet appartement pour elle-même. À peine la décoration terminée, elle a rencontré son partenaire, et le logement est resté vide depuis. Maintenant qu’elle est mariée, j’ai décidé de le louer. »
Ye Zhou constata en effet que l’appartement n’était pas décoré comme une simple location. Le papier peint, les meubles, la luminosité, le choix du parquet — tout avait été soigneusement pensé. Le style, typiquement féminin, donnait à l’ensemble une touche raffinée et élégante. Le seul inconvénient était que le loyer demeurait un peu élevé.
« D’accord, ma tante, nous allons y réfléchir. Merci. » Ye Zhou sourit et salua poliment avant de tirer Shang Jin vers la station.
Sur le chemin, Shang Jin observa Ye Zhou, qui tapotait frénétiquement sur sa calculatrice pour évaluer les coûts, et dit : « Je trouve que cet appartement est parfait. Pourquoi ne pas le prendre ? Il est entièrement meublé, on n’aurait qu’à poser nos valises pour y vivre. Et il est pratiquement neuf. »
Ye Zhou répondit d’un ton morose : « Il est bien, oui. Et le prix aussi… »
« L’argent n’est pas un problème. »
Ye Zhou lui lança un regard moqueur. « L’homme qui s’est fait chasser de chez lui n’est pas vraiment qualifié pour dire ça. »
Shang Jin eut un sourire énigmatique. « Je suis sérieux. Tu n’as sûrement pas regardé le solde de ma carte bancaire, n’est-ce pas ? »
Ye Zhou lui lança un regard soupçonneux. Dès qu’ils descendirent du bus, il se précipita vers un guichet automatique pour vérifier. Et, à dire vrai, il en resta stupéfait.
Pas étonnant que Shang Jin ne s’inquiétât de rien : il avait de quoi vivre confortablement pendant un bon moment.
« Tu… tu… ton allocation familiale est beaucoup trop élevée, non ? »
« Qui t’a dit que c’était une allocation ? » répliqua Shang Jin en reniflant. « C’est de l’argent que j’ai gagné moi-même. »
« Comment ?! Emmène-moi avec toi ! »
Shang Jin répondit d’un ton mystérieux : « La connaissance, c’est de l’argent. »
Ye Zhou resta interdit. « ??? »
En ouvrant la porte de la chambre d’hôtel, Shang Jin fut suivi de près par Ye Zhou, qui ne cessait de le harceler : « Qu’est-ce que tu veux dire par là ? Allez, dis-le-moi ! »
Shang Jin esquissa un sourire et répondit d’un ton faussement grave : « J’ai peur que si je te le dis, ton esprit ne s’effondre. »
« Pourquoi ?! »
Shang Jin l’embrassa directement, scellant les lèvres de Ye Zhou sous les siennes. Lorsqu’il fut enfin satisfait, il se décida à lui expliquer calmement :
« Au collège, j’étais toujours premier. En entrant au lycée, non seulement mes frais de scolarité furent gratuits, mais je reçus aussi une bourse. Aux examens d’entrée à l’université, je fus encore premier de la ville. Comme j’avais postulé pour une université locale, l’Université A m’a versé une prime, la municipalité également, et même mon lycée me récompensa. En plus de cela, comme j’étais majeur en finance, lorsque je fus en première année, je pensai que cet argent dormait inutilement, alors je le plaçai en bourse, juste pour tester les eaux. Mais, contre toute attente, j’eus de la chance : toutes les actions que j’avais acheté montèrent en flèche. De plus, je participais à toutes les compétitions qui n’étaient pas trop ardues et qui offraient des prix en espèces. Bien sûr, si le prix était un téléphone ou autre, je participais aussi. »
Lorsque Ye Zhou eut fini d’écouter, son esprit se troubla complètement : il en fut tout simplement jaloux à en mourir. « Pas étonnant que ma famille se soit toujours plainte que je n’obtenais jamais la première place ! Si j’avais su que l’écart entre le premier et le second était si immense, je n’aurais jamais abandonné ! »
Shang Jin éclata de rire. Il attira Ye Zhou contre lui et l’embrassa doucement, comme pour le consoler. « Cela n’a pas d’importance. De toute façon, ce qui est à moi est aussi à toi. »
Ye Zhou répliqua d’un ton ironique : « Est-ce que ce qu’on obtient soi-même peut vraiment avoir la même valeur que ce que les autres vous donnent ? »
Même s’il n’arrivait pas à se convaincre du contraire, Ye Zhou finit par soupirer, résigné : c’était la vie.
Le lendemain, ils visitèrent de nouveau plusieurs appartements et convinrent que celui vu la veille restait le meilleur. Finalement, Shang Jin frappa le marteau du commissaire-priseur (NT : prit la décision finale), et ils fixèrent un rendez-vous avec la propriétaire.
Après la signature du contrat, la propriétaire demanda : « Xiao Ye, quand comptez-vous emménager ? Je peux apporter un lit supplémentaire demain, qu’en pensez-vous ? »
Cette fois, Ye Zhou refusa sans hésiter. « Nous n’avons pas besoin de lit. Nous, les deux garçons, sommes très décontractés. Poser notre matelas au sol nous suffira. Un lit d’appoint prendrait trop de place. »
« Très bien, si vous avez la moindre question, appelez-moi directement. » La propriétaire leur rappela encore quelques détails, puis prit congé.
En refermant la porte, Shang Jin jeta un rapide coup d’œil autour de lui et conclut : « Tout va bien… mais il n’y a pas Internet. »
Dans la société moderne, il n’y a pas de joie sans Internet !
Sans perdre de temps, Ye Zhou pria aussitôt Shang Jin d’organiser l’installation du réseau, puis alla au supermarché pour acheter les produits de première nécessité. Grâce au Shang Ye, ils rapportèrent une montagne de provisions dans leur petit appartement fraîchement loué et rangèrent tout soigneusement.
Après le bain du soir, ils se couchèrent. Shang Jin se pencha et caressa doucement le dos de Ye Zhou. En une seule petite semaine, ils avaient commencé à vivre ensemble. À l’origine, Shang Jin n’y avait pas songé, mais maintenant qu’ils en étaient là, il trouvait cela plutôt agréable.
« Je pense que même lorsque les cours reprendront, nous continuerons à vivre ici. »
« Oui, ce n’est pas trop loin de l’école. » Ye Zhou et Shang Jin partageaient le même sens pratique. Ye Zhou s’exclama alors : « Nous avons vraiment été rapides. À peine deux semaines entre la confession et la cohabitation ! »
Shang Jin répondit en souriant : « Nous en serions arrivés là tôt ou tard, autant s’y habituer dès maintenant. »
« Hehe… » Malgré leurs deux semaines de relation, Ye Zhou percevait déjà l’ombre de leur avenir commun dans les mots de Shang Jin. Il ne put s’empêcher de se pencher et de l’embrasser.
Les deux jeunes hommes s’amusèrent un moment à s’échanger des baisers, « tu m’embrasses, je t’embrasse ». Mais au bout d’une demi-heure, la fatigue eut raison d’eux.
Ye Zhou s’appuya contre Shang Jin et murmura : « Tu ne trouves pas que la maison est trop calme ? »
Sans Internet, leurs ordinateurs restaient inutiles, et après une journée aussi chargée, ils étaient trop épuisés pour lire.
« Pourquoi faut-il trois jours pour installer le haut débit… » se plaignit Ye Zhou.
Shang Jin eut soudain une idée et se redressa. « On peut regarder un film. »
Ye Zhou se redressa aussitôt, tout excité : « Tu en as sur ton ordinateur ? »
Sous le regard éberlué de Ye Zhou, Shang Jin sortit alors une clé USB familière de son sac et la brancha à l’ordinateur.
« Quoi, tu l’as gardée ! »
« Bien sûr. Les affaires des autres doivent être gardées en lieu sûr. »
Shang Jin ouvrit le dossier à l’aide de la souris. Il demeura stupéfait : combien de petits films y avait-il donc dans ce dossier ? Il donna un léger coup d’épaule à Ye Zhou et déclara en souriant : « Le choix t’appartient. Lequel veux-tu voir ? »
Ye Zhou hésita. « Tu veux vraiment regarder ? »
Shang Jin lui poussa l’ordinateur directement sous le nez. Ye Zhou jeta un regard à Shang Jin et se dit que, de toute façon, ce que deux personnes devaient ou ne devaient pas faire semblait déjà écrit d’avance. Après tout, ce n’était qu’un petit film, rien d’extraordinaire.
« Alors… celui-ci. »
Shang Jin cliqua avec la souris, et bientôt, le film commença à défiler sur l’écran.
Avant même que l’intrigue n’atteigne son point culminant, Ye Zhou sentit son corps s’échauffer. Il jeta un coup d’œil inquiet à Shang Jin, mais celui-ci paraissait parfaitement impassible, comme s’il assistait à une conférence universitaire.
Cependant, lorsque l’un des protagonistes masculins fit son coming out , l’atmosphère, jusque-là tendue, se détendit soudain. Ye Zhou ne put s’empêcher de rire et lança : « Es-tu sûr que les hommes homosexuels peuvent supporter de voir ce genre de film ? »
L’homme principal dans la vidéo était un oncle d’âge moyen, totalement pitoyable, tandis que le rôle du bottom (NT : le partenaire réceptif dans un couple homosexuel) était tenu par un jeune homme séduisant. C’était vraiment, pensa Ye Zhou, « une fleur plantée dans un tas de fumier » (NT : expression chinoise signifiant qu’une belle personne est associée à quelqu’un d’indigne d’elle).
Shang Jin ferma la vidéo et déclara calmement : « Heureusement que nous ne l’avons pas regardée avant de passer à l’acte. »
Ye Zhou leva immédiatement les yeux vers lui, comme pour se laver la rétine. Après l’avoir longuement contemplé, il ne manqua pas de le complimenter : « Je trouve que tu es bien plus beau.»
Le visage de Shang Jin se referma aussitôt. « Ne me compare pas aux autres. »
Ye Zhou éclata de rire et s’effondra contre lui, hilare.
Traducteur: Darkia1030
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