TTBE - Chapitre 21 - La wangfei, une immortelle descendue sur Terre

 

Le lendemain, An Changqing sortit de la maison avec Zhou Helan et Tie Hu. Xiao Zhige l’accompagna jusqu’à la rue Yongle, puis ils se séparèrent. Cette fois, les habitants de la rue ne s’écartèrent plus comme une mer divisée à la vue de sa voiture.

Au contraire, ils se penchaient curieusement pour se regrouper, impatients de voir le prince parler un peu plus avec la wangfei, et espérant apercevoir son visage si beau.

— Le prince et la wangfei n’étaient pas sortis depuis quelques jours ; non seulement les derniers potins étaient devenus rares, mais même les gâteaux aux prunelles de Sanweizhai ne se vendaient plus aussi bien !

Malheureusement, la wangfei ne descendit pas de la voiture ; elle se contenta de soulever le rideau, de saluer le seigneur de guerre du Nord d’un geste de la main, puis de relâcher rapidement le rideau.

Un regard furtif suffit à enflammer l’imagination des curieux, qui exagérèrent la scène : ils affirmaient que la wangfei était d’une beauté surnaturelle et divine, et que la voir une fois pouvait transmettre un peu de son aura divine aux futurs enfants.

Même le cocher était redouté :  son regard menaçant faisait fuir les regards trop insistants des spectateurs. 

Sous les yeux avides des habitants de Yejing, la voiture avança lentement vers le marché de Xifang. An Changqing n’en avait aucune idée mais à cause des divers petits récits populaires, aux yeux du peuple de Yejing, il semblait être un immortel descendu sur Terre, et partout à Yejing, les gens saisiraient toutes les occasions possibles pour le regarder.

*

Arrivés au salon de thé, ils montèrent à l’étage avec l’aide du serveur. An Changqing attendit environ le temps d’une tasse de thé, puis An Fu amena deux mendiants. Il avait déjà rencontré le plus âgé, ; l’autre, un jeune mendiant d’une dizaine d’années, était inconnu.

An Changqing resta derrière le paravent, ne montrant que son ombre. Sans perdre de temps, il demanda directement : “Qu’avez-vous découvert ?”

Jusqu’ici, c’était An Fu qui transmettait les informations du vieux mendiant. Rien de plus que les petites affaires triviales : telle ou telle maîtresse récemment accueillie par un des jeunes maîtres du comté, un domestique qui volait… Jusqu’à ce que, quelques jours plus tôt, le vieux mendiant annonce avoir découvert quelque chose de non négligeable, et qu’il lui fallait le dire en personne au maître. An Changqing était donc venu lui-même.

Le vieux mendiant, tremblant, salua : “C’est A-Jiu qui a fait cette découverte. Dois-je laisser A-Jiu la rapporter au noble ?”

An Changqing hocha légèrement la tête.

Le jeune mendiant nommé A-Jiu se mit à ramper à genoux de deux pas et raconta clairement :

“ J'étais celui qui surveillait le manoir du marquis depuis plusieurs jours. Rien de grave auparavant, mais il y a quelques nuits, j’ai vu le jeune maître Wu que vous faisiez surveiller sortir furtivement du manoir. Je l’ai suivi en repérant les traces de la voiture ; elles s’arrêtaient à l’entrée d’un couvent de nonnes.”

Le jeune mendiant changea de ton et continua : “Je n’ai pas trouvé la voiture et j’ai attendu dehors toute la nuit. Ce n’est que lorsque j’ai entendu le chant des coqs qu j’ai vu la voiture sortir derrière le couvent.”

“Un couvent de nonnes ?” demanda An Changqing.

“Oui.”

An Changqing réfléchit un instant. Il existait bien un couvent isolé à l’extérieur de la ville ; peu fréquenté car la plupart des habitants de Yejing pratiquaient le taoïsme et les offrandes n’étaient pas nombreuses. C’était donc un endroit idéal pour cacher quelqu’un.

“En plus, j’ai découvert une autre chose…” A-Jiu s'inclina profondément, hésitant.

“Qu'est-ce que c'est? Tu peux parler ,” l’incita An Changqing d’une voix douce.

“Depuis ce jour où j’ai vu le jeune maître Wu au couvent, j’ai demandé à mon ami stationné près du couvent de surveiller les lieux. Avant-hier, il m’a dit avoir vu une vieille folle venir créer des ennuis. Elle criait contre une femme, l’accusant d’être un  esprit-renard, de s’être liée avec des puissants et d’avoir causé la mort de son fils…”

Au départ, cette affaire semblait sans rapport avec la maison du Marquis. Mais deux jours après cette rencontre, A-Jiu ne retrouva plus son compagnon.

Ces mendiants avaient chacun leur territoire, et leurs lieux de repos nocturnes restaient fixes. A-Jiu le chercha, mais personne ne se montra, et d’autres mendiants affirmèrent ne pas l’avoir vus depuis deux jours.

Son intuition lui disait qu’il s’était passé quelque chose, probablement lié à l’incident du couvent. Après tout, ils étaient des mendiants sans soutien : il n'était pas rare qu'ils tombent sur des choses qu'ils ne devraient pas voir, pour ensuite le payer cher.

C’est pourquoi A-Jiu avait insisté pour parler au maître : peut-être ses informations pourraient servir à retrouver son ami.

An Changqing réfléchit à son récit. La maîtresse de Wu Jianshu pourrait être cachée dans le couvent ; la vieille folle accusait une nonne d’avoir séduit un puissant et causé la mort de son fils… Le puissant en question était probablement Wu Jianshu.

Et cette affaire pourrait même impliquer une vie.

Cependant, An Changqing n’avait jamais entendu que le Manoir Wu ait été impliqué dans une affaire criminelle grave. Même les riches et puissants sous l’autorité impériale osaient rarement provoquer la mort de quelqu’un.

Sauf si la folle mentait ou si le puissant n’était pas du Manoir, ou encore… si le Manoir avait caché l’affaire pour éviter des ennuis.

Personne n’en savait rien, comme pour le jeune mendiant disparu soudainement,.

An Changqing se frotta les doigts, se rappelant le conseil de Xiao Zhige de frapper le serpent à sept pouces. Rapidement, il calcula : “Paie le reste de l’argent et donne à chacun dix liang d’argent supplémentaires. Quant à l’affaire du Manoir Wu, qu’elle reste secrète à partir de maintenant.”

Le vieux mendiant remercia plusieurs fois, mais le jeune hésita, inclinant la tête : “Je ne veux pas d’argent, je demande seulement que vous retrouviez mon compagnon.”

Cette affaire le concernait un peu. An Changqing, voyant que le jeune mendiant était fidèle et loyal malgré son âge, accepta : “Garde l’argent, tu le mérites. Quant à ton ami, je chercherai pour toi, mais je ne garantis pas de le trouver.”

“Merci, noble seigneur,” dit le jeune mendiant en secouant la tête. “Que vous vouliez aider est déjà un immense bienfait ; si je ne le retrouve pas… c’est son destin.”

Après avoir renvoyé les deux, Zhou Helan demanda : “Maître, vous enquêtez sur les affaires du marquis Wu ?”

An Changqing, surpris, répondit : “Tu connais le Manoir du marquis ?”

Zhou Helan dit : “J’en ai entendu parler. Tout le monde loue la gestion du comté par le marquis Wu et la sagesse généreuse de la marquise.”

Le marquis avait huit concubines, dix garçons et sept filles ; malgré la multitude, l’harmonie régnait, les enfants s’aimaient les uns les autres. Pas comme d’autres familles, qui se chamaillaient et rivalisaient pour obtenir des faveurs. La dynamique familiale du marquis inspirait à la fois envie et admiration.

An Changqing savait que le marquis avait beaucoup de concubines et d’enfants, mais entendre Zhou Helan en parler ainsi lui sembla étrange. Son père, avec une épouse et deux concubines, et trois fils et deux filles, voyait d’habitude les conflits internes éclater à tout-va. Que le manoir Wu reste si paisible semblait très improbable.

Dans les vastes demeures des grandes familles, les femmes étaient nombreuses et le temps libre aussi ; les querelles suivaient naturellement. Quelle famille n’avait pas ses petites histoires, se disputant pour du vent et mangeant vinaigre, plumes de poule et peau d’ail ? (NT : idiome signifiant des jalousies et disputes insignifiantes) ?

Pourtant, le manoir Wu semblait trop harmonieux. (NT : litt. « quand un événement dévie de la norme, il doit y avoir un démon caché», idiome signifiant qu’une situation anormalement parfaite cache forcément quelque chose).

An Changqing tapa du doigt sur la table et ordonna à Tie Hu : “Envoie quelqu’un enquêter sur ce couvent de nonnes. Surveillez le bien.”

*

Sorti du salon de thé, An Changqing ne retourna pas immédiatement au domaine, mais emmena Zhou Helan et An Fu inspecter les boutiques.

Jusqu’à présent, les comptes de toutes les boutiques et propriétés du prince pour les années passées et l’année en cours avaient été collectés. Avant le Nouvel An, les responsables des boutiques viendraient au manoir pour présenter leurs vœux et recevoir des récompenses. An Changqing n’avait pas l’intention de montrer immédiatement son autorité, mais connaître son terrain pour mieux le gérer était essentiel. Pour bien administrer ces commerces, il devait en connaître tous les détails.

Étant donné que la voiture du manoir était trop voyante, An Changqing enfila des vêtements ordinaires et laissa la voiture dans un endroit moins fréquenté, marchant ensuite avec An Fu et Zhou Helan.

De nombreux habitants le dévisageaient avec curiosité. An Changqing sortait rarement, et beaucoup n’avaient jamais vu la Wangfei. Beaucoup de gens, le voyant beau mais simplement vêtu, avec deux serviteurs modestes, peu susceptible d'être issu d'une famille riche, se demandèrent d'où il venait et pourquoi c'était la première fois qu'ils le voyaient.

À Yejing, où la beauté attirait naturellement l’attention, hommes et femmes étaient fascinés par lui ; certaines jeunes filles osèrent même lancer des fleurs de soie dans ses bras.

D’autres, ayant aperçu auparavant la Wangfei de loin, murmuraient : “Cette personne ressemble un peu à la Wangfei ?”

Mais quelqu’un répliqua immédiatement : “Quelle absurdité ! Comment la Wangfei pourrait-elle être si mal vêtue et marcher seule ?!”

Dans les romans, les immortelles descendues sur Terre portaient des robes multicolores et chevauchaient les nuages. Même sur Terre, elles devaient porter des tissus précieux et être escortées par le prince. Comment pourraient-elles être ainsi vêtues modestement et marcher seules ?
Absolument ridicule !

*

An Changqing se rendit d’abord à la boutique de vêtements la plus proche. Parmi les nombreuses boutiques appartenant à Xiao Zhige, celle-ci avait une bonne réputation et de nombreux nobles y faisaient confectionner leurs vêtements. Mais récemment, de nombreuses boutiques concurrentes avaient réduit ses affaires.

En arrivant, il constata que la boutique était presque vide.

Située sur la rue la plus animée du quartier Est, cette boutique ne devrait pas être si déserte juste avant le Nouvel An, moment de confection des nouveaux habits.

Il entra malgré tout. Les employés, voyant un client, s’empressèrent : “Maître, voulez-vous acheter ou faire faire sur mesure ? Nous avons tout.”

An Changqing parcourut les vêtements et demanda au hasard : “Combien pour ce manteau en coton ?”

“Deux liang d’argent.”

“Si cher ?” dit-il, surpris. À Daye, un liang valait cent pièces de monnaie. Trois pièces suffisaient pour un petit pain à la viande, dix pièces pour une mesure de riz. Deux liang équivalaient à vingt mesures de riz, assez pour nourrir une personne pendant près de six mois.

Quel paysan dépenserait sa ration de six mois pour un simple manteau ?

An Changqing échangea un regard avec Zhou Helan, qui secoua légèrement la tête ; il comprit alors.

“Comment un manteau en coton peut-il valoir deux liang ?”

À peine avait-il posé la question que l’employé changea d’attitude, le regarda de haut en bas et dit avec mépris : “Regardez l’enseigne : c’est le Tian Yi Fang (NT : Atelier des Habits Célestes). Rien ici n’est bon marché. Si vous voulez moins cher, allez ailleurs.”

Un citoyen ordinaire, ainsi repoussé, se serait fâché ou serait parti. An Changqing fronça les sourcils : “Même à Tian Yi Fang, un manteau en coton vaut-il vraiment deux liang ?”

Le coton et le chanvre étaient courants et bon marché à Daye, portés par toutes les familles modestes.

L’employé ricana et, impatient, gesticula pour le chasser : “Si vous ne pouvez pas payer, ne faites pas semblant. Beau visage, mais esprit de pauvre, quel gâchis !”

An Changqing fut repoussé jusqu’à la porte comme une mouche. An Fu était furieux, mais Zhou Helan le retint d’un geste.

*

“Regardez ! Il y a une beauté là-bas  !”

À l’étage du restaurant en face de la boutique, Xiao Zhige était avec plusieurs membres de son peloton, en train de prendre un verre. Près de la fin de l’année, les manœuvres de l’armée s’étaient arrêtées, et plusieurs généraux avaient décidé de s'amuser, entraînant Xiao Zhige avec eux.

Xiao Zhige, d’ordinaire peu sociable, avait accepté ; ces généraux étaient avec lui depuis de nombreuses années et ils avaient noué des liens étroits. Cependant, tandis que les autres étaient bruyants et tapageurs, il se contentait de boire en silence.

À l’exclamation de He Laosan, il ne leva même pas les paupières. Il songeait à acheter un canard rôti. Il avait entendu dire que le canard rôti de Jufuzhai était particulièrement bon.

Juste au moment où il était plongé dans ses pensées, quelqu'un à côté de lui dit avec enthousiasme : “Prince, regardez, cette petite beauté peut-elle rivaliser avec la Wangfei ?”

Ils avaient tous entendu les rumeurs : admiratifs de la chance amoureuse de Xiao Zhige et curieux de la beauté de la Wangfei, vantée comme une beauté surnaturelle, mais n’avaient jamais pu la voir.

À présent, voyant une petite beauté, ils ne purent s’empêcher de vouloir comparer.

Xiao Zhige fronça les sourcils, sur le point de s’énerver, mais aperçut une silhouette familière. Ses yeux se plissèrent, et devinant que la situation n’était pas normale, il descendit prestement sans prévenir.

À la table, tous restèrent bouche bée devant les sièges vides en un instant.

Quand ils réalisèrent enfin, He Laosan s’écria : “Nom de Dieu ! Le prince va voir la petite beauté !”

 

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Note de l’auteur :

Les habitants de Yejing : La Wangfei doit être une immortelle descendue sur terre, vêtue de robes multicolores, marchant sur les nuages, précieuse et délicate, difficile à voir. Le prince doit bien la protéger…

Nuonuo : ????

Songsong (pensif) : …Ça se tient.



Traducteur: Darkia1030

 

 

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