TTBE - Chapitre 10 - Le prince réchauffe le lit.

 

Après le dîner, l'intendant Wang revint faire son rapport : la matrone avait déjà choisi les enfants et demandait quand An Changqing souhaitait les rencontrer.

An Changqing répondit : « Voyons demain matin. »

L'intendant Wang s’inclina respectueusement et s’apprêtait à sortir lorsque Xiao Zhige l’arrêta : « Fais aussi l’inventaire des comptes de la maison et des boutiques extérieures. Dorénavant, toutes les affaires de la demeure seront gérées par Wangfei. »

Le visage de l'intendant Wang se changea légèrement, surpris, il leva les yeux pour protester, mais face au regard sévère de Xiao Zhige, il se tut et inclina de nouveau la tête : «Bien. »

Une fois la pièce vide, An Changqing le regarda avec un léger sourire : « Je vais donc m’occuper aussi des boutiques ? Tu n’as pas peur que je dilapide tout ? »

Xiao Zhige, qui s’apprêtait à se dévêtir, répondit : « Pas du tout. »

Puis, comme pour le rassurer davantage : « La maison ne manque pas d’argent. »

Le sourire d’An Changqing s’agrandit et il appuya son menton sur ses mains, l’observant attentivement. Il savait bien que la maison ne manquait pas de richesses. Dans sa précédente vie, lorsque Xiao Zhige monta sur le trône, l’ancien empereur avait vidé les coffres. Au même moment, les barbares du Nord envahirent la frontière sud. En plein hiver glacial, les soldats ne pouvaient même pas se nourrir, et l’on raconta qu’ils durent tuer des chevaux pour subsister. Xiao Zhige fit alors transporter des caisses d’or et d’argent depuis le palais princier pour subvenir aux besoins des troupes.

Il vivait alors reclus dans la résidence et ne voyait que les caisses partir, sans pouvoir agir. Plus tard, après avoir exécuté certains ministres, Xiao Zhige confisqua des millions de taels d’argent qu’il envoya aux frontières, permettant de remporter une victoire coûteuse après plusieurs mois de combats.

C’est pourquoi des dizaines de milliers de soldats à Yejing lui restèrent loyaux, mais c’est aussi à ce moment que sa réputation de tyran commença à se répandre parmi le peuple. Les paysans, ignorants, ne voyaient que ses exécutions et confiscations, sans savoir que sans cet argent, les soldats affamés n’auraient jamais pu arrêter les cavaliers nordiques, capables de marcher jusqu’à Yejing.

Pensant à ces événements passés, An Changqing leva les yeux vers lui, souriant : « Si le prince me fait autant confiance, je ne peux pas le décevoir. »

Xiao Zhige hésita un instant, croyant qu’il craignait de perdre la face, et dit simplement : «Tu ne me décevras pas. »

Puis il alla se laver. Après sa toilette, il changea de vêtements et, lorsqu’An Changqing sortit de la salle de bains, Xiao Zhige avait déjà préparé le lit et se tenait appuyé sur le côté en lisant.

En le voyant, il posa son livre sur la table de chevet et tapa doucement l’espace à côté de lui : « Monte, dehors il fait frais. »

La pièce était en réalité chauffée, mais An Changqing ne dit rien et s’installa sur le côté intérieur du lit. En se glissant sous les couvertures, il sentit la chaleur : Xiao Zhige avait clairement réchauffé le lit à l’avance.

Après seulement trois jours passés ensemble, An Changqing avait découvert combien l’homme agissait en silence. Si on ne lui posait pas de questions, il ne parlait pas, vraiment un homme maladroit.

An Changqing, emmitouflé dans la couverture, se rapprocha malgré tout et se glissa dans ses bras, s’installant contre lui.

Xiao Zhige, tenant ce corps chaud contre lui, ressentit à la fois joie et impuissance. Il éteignit la lampe et le serra plus fort : « Dors. »

« Je n’arrive pas à dormir. » An Changqing, bercé par la chaleur, murmura : « Tu ne m’as pas encore dit comment utiliser Fai Cui. »

Xiao Zhige baissa la tête, son menton touchant le sommet de ses cheveux : « Qu’as-tu en tête? »

Après un instant d’hésitation, An Changqing dit : « Un stratagème… révéler l’identité de Fai Cui au couple An Zhishou ? »

Xiao Zhige secoua la tête : « Ce n’est pas encore le moment. An Zhike pourrait facilement se disculper. »

« Alors que faire ? »

« Attendre. » répondit Xiao Zhige. « Quand An Changqi sera mort, on révélera l’identité de Fai Cui. An Zhishou et son épouse enquêteront eux-mêmes. La plupart du temps, les gens font davantage confiance à ce qu’ils découvrent par eux-mêmes. »

« Et si An Changqi ne meurt pas ? » demanda An Changqing, inquiet.

Xiao Zhige répondit dans l’ombre, la voix légèrement sombre : « Il ne survivra pas à demain soir. »

Il avait accepté d’épargner An Changqi uniquement parce qu’il avait déjà calculé : main tranchée, jambe coupée, et même la lignée serait interrompue. Dans cette situation critique, sauf intervention d’un immortel, ce n’était qu’une question de temps.

An Zhike ne connaissait rien à la médecine, mais Xiao Zhige, vétéran militaire, maîtrisait parfaitement les ficelles du domaine.

An Changqing ouvrit grand les yeux, surpris : « Tu avais tout prévu dès le début ? Et si le couple An Zhishou ne le croit pas… nous n’avons aucune preuve. »

« Le médecin qui soigne An Changqi est du Hall De Ren. » Xiao Zhige sentit son corps se rapprocher et continua : « De Rent appartient à la famille Li. »

À la mort d’An Changqi, la réaction d’An Zhishou restait incertaine, mais son épouse Sun, aimant son fils plus que tout, se vengerait. Cependant, elle n’oserait pas s’en prendre à la résidence de Xiao Zhige. Si elle découvrait que Fai Cui, qui préparait les décoctions, était en réalité un espion placé par An Zhike, elle aurait des soupçons tout de suite et irait enquêter. Elle découvrirait alors que même le médecin qui soignait An Changqi appartenait à la famille Li.

Elle n’aurait besoin d’aucune preuve concrète pour se retourner contre An Zhike.

Une femme en deuil n’est jamais facile à gérer. Et An Zhishou, faible face à sa femme, ne pourrait rien faire. La résidence serait alors en chaos, tandis que Xiao Zhige et An Changqing resteraient à l’écart.

Un véritable coup double, voire triple.

An Changqing resta bouche bée un instant, puis le regarda avec admiration : « C’est pour cela que tu ne m’as pas laissé tuer An Changqi ? »

Xiao Zhige tapota son dos, sur un ton légèrement moralisateur : « Ce n’est pas judicieux de tuer mille ennemis tout en perdant huit cent. »

An Changqing baissa les yeux, réfléchissant, puis hocha la tête : « Je comprends. »

Xiao Zhige lui caressa la tête : « Dors. On en parlera demain. »

*

Le lendemain, Xiao Zhige devait encore se rendre au camp pour superviser l’entraînement. Peu après qu’An Changqing l’eut accompagné à la porte, l’intendant Wang arriva avec la matrone des serviteurs.

La matrone amena dix jeunes garçons aux cheveux encore noués (NT : n’ayant donc pas atteint l’âge adulte), tous soigneusement sélectionnés, vêtus d’habits simples, mais ayant l’air relativement vifs.

An Changqing les interrogea un par un, puis choisit quatre enfants qui semblaient dociles. Il ne les laissa pas dans la cour, mais ordonna à l’intendant Wang d’engager un maître d’école pour leur apprendre à lire et à écrire.

L’intendant Wang ne comprit pas cette décision et pensa simplement qu’An Changqing n’avait pas l’intention de gérer les serviteurs. Il conseilla : « Ce ne sont que quelques valets ordinaires. Si on leur enseigne à lire et à écrire, ils risquent de devenir trop ambitieux. »

« J'ai mes méthodes. » répondit An Changqing. « Vous, intendant Wang, vous n’avez qu’à trouver quelqu’un pour leur apprendre les caractères. »

L’intendant Wang voulut protester davantage, mais se rappela les paroles de Xiao Zhige la veille et n’osa plus aller à l’encontre de son jeune maître. Il se tut, penaud.

Une fois les quatre enfants arrangés, An Changqing demanda encore : « Quand les comptes des boutiques seront-ils prêts ? »

L’intendant Wang hésita : « Ces registres accumulés sur plusieurs années… il faudra encore un certain temps pour tout organiser. »

« Peu importe, apportez-moi d’abord ce qui est terminé pour que je puisse vérifier. » An Changqing reprit son sérieux et le regarda froidement : « Puisque le prince m’a confié la gestion de la résidence, je dois me familiariser rapidement avec les affaires. Sinon, si le prince s’en mêle, il pourrait se fâcher. »

Le visage de l'intendant Wang se fit légèrement amer ; il savait que c’était un reproche implicite à son encontre. D’après ses observations de ces deux derniers jours, la nouvelle Wangfei venait juste de gagner les faveurs du prince, elle ne risquait donc pas d’être blâmée.

Pensant aux comptes des boutiques, il sentit un froid lui remonter dans le dos et, serrant les dents, dit : « Dans trois jours, votre serviteur fera en sorte que tout soit trié et apporté. »

An Changqing sembla enfin satisfait et renvoya les serviteurs.

*

Après le déjeuner, An Changqing sortit de nouveau, accompagné d’An Fu. Xiao Zhige avaiy précisé que les hommes qu’il lui avait alloué n’étaient pas encore disponibles, et que le seul qu’il pouvait utiliser, Zhao Shi, était resté dans la résidence An; il ne restait donc qu’An Fu à ses côtés.

An Changqing changea de vêtements pour quelque chose de plus simple, fit atteler la voiture par le cocher et se rendit dans une taverne du marché ouest.

Le marché ouest comptait de nombreuses maisons de plaisir et salles de jeux, lieu de rassemblement de toutes sortes de personnes. An Changqing entra discrètement dans la taverne, demanda une salle privée et envoya An Fu chercher quelques mendiants plus âgés.

An Fu afficha un air surpris, mais sachant que le jeune maître devenait de plus en plus audacieux, il ne chercha pas à contester et sortit humblement. Peu après, il revint avec deux mendiants en haillons.

An Changqing s’assit derrière un paravent. Les mendiants aperçurent vaguement une silhouette derrière et, ne voulant pas trop regarder, s’avancèrent avec précaution et saluèrent : « Nous ne savons pas pourquoi vous nous appelez, noble seigneur. »

« Connaissez-vous Wu Junshu, le fils du domaine du marquis Zhongyong ? » demanda An Changqing à voix basse.

Les deux mendiants échangèrent un regard. Le plus âgé répondit prudemment : « Nous en avons entendu parler. »

An Changqing acquiesça et fit sortir cinq taels d’argent par An Fu : « Suivez-le et rapportez-moi tout, dans le moindre détail. Voici cinq taels d’avance, et quinze autres quand la mission sera accomplie. »

À la vue de l’argent, leurs yeux s’illuminèrent. Ils s’inclinèrent à plusieurs reprises en remerciant vivement.

An Changqing ajouta : « Ne vous faites pas remarquer par lui. »

Après avoir reçu l’argent, les mendiants se mirent d’accord avec An Fu sur l’heure et le lieu de livraison des informations, puis s’éloignèrent. An Fu, perplexe, murmura : « Avec ces deux mendiants, on peut vraiment obtenir des renseignements ? »

An Changqing répondit calmement : « Ils savent beaucoup de choses. »

Les mendiants étaient disséminés dans tous les coins de Yejing et nombreux, formaient un vaste réseau entre eux, et connaissaient énormément de choses. Dans sa précédente vie, lorsque An Xianyu mourut d’une hémorragie, An Changqing ne crut pas les explications du marquis Zhongyong et, par hasard, entra en contact avec ces mendiants. C’est grâce à eux qu’il découvrit la vérité sur la mort de sa sœur et le fait que Wu Junshu avait entretenu une concubine avant son mariage.

À l’époque, cette concubine était déjà installée dans la maison principale, et il n'avait pas pu retracer ses antécédents. Cette fois, An Changqing ignorant où Wu Junshu la cachait, devaitdonc faire de nouveau appel à ces mendiants.

An Fu, complètement perdu, se gratta la tête et ricana bêtement deux fois.

An Changqing, voyant cela, ne donna pas plus d’explications et sortit de la taverne pour se diriger vers le marché est.

Les marchés est et ouest étaient séparés par une seule rue, mais le contraste entre les deux côtés était frappant. An Changqing, assis dans la voiture, regardait autour de lui et, lorsqu’il aperçut l’enseigne d’une clinique médicale, ordonna au cocher de s’arrêter.

Cette sortie avait deux objectifs : enquêter sur Wu Junshu et chercher un médecin pour sa mère biologique. Bien qu’il ait dit à An Zhike qu’il ferait appel au médecin de la résidence Wang, la maison ne comptait en réalité aucun médecin et, avec le statut de sa mère, il était impossible de consulter un médecin impérial. Il devait donc visiter toutes les cliniques réputées de Yejing.

Il se souvenait qu’avant ses dix ans, la santé de Dame Yu était excellente. Mais après sa chute dans l’eau à dix ans et les soins continus qu’elle lui prodigua, Dame Yu tomba malade et ne se remit jamais complètement.

Les deux médecins consultés précédemment avaient déclaré que ses soucis venaient d’une trop grande anxiété et d’un affaiblissement du qi, et qu’il n’y avait rien à faire si ce n’était de la ménager. Plus tard, quand An Changqing entra dans la résidence princière, l’état de Dame Yu s’aggrava. Après avoir découvert la vérité sur la mort de sa sœur, An Chang Qing avait appris que beaucoup de choses étaient plus que ce que l'on voit. An Changqing avait soupçonné que la mort de sa mère avait été étrange et dans cette vie, il souhaitait consulter plusieurs médecins.

Cependant, après avoir visité plusieurs cliniques et exposé le dossier et les prescriptions, tous les médecins affirmèrent qu’il n’y avait aucun problème.

 

Traducteur: Darkia1030