Chenghua - Extra 9 - Divers

 

Tang Fan eut un léger spasme de la bouche. « …Je n’ai pas cette impression. Pourquoi toi, si ? »
Sui Zhou émit un reniflement froid. « Les coins de la bouche. Les sourcils. Je peux le dire d’un coup d’œil. »
L’autre éclata de rire, incrédule. « Tu es vraiment en train de me traiter comme un trésor ? Commandant Sui, je ne suis pas de l’argent. Ce n’est pas que tout le monde voudra de moi dès qu’il me verra ! »
Sui Zhou le regarda sans expression. « Tu es mon trésor. »
Même si cet homme n’avait pas l’habitude de faire des avances romantiques, quand il se mettait à parler sérieusement, ses paroles faisaient paraître bien fades ceux qui avaient de l’expérience en amour.

Maître Tang ne répondit rien à cela, baissant simplement la tête pour boire son thé, comme s’il n’avait rien entendu. Pourtant, un rouge écarlate monta lentement depuis son cou jusqu’à colorer légèrement ses joues.

Dehors, la neige continuait de tomber, de plus en plus dense. Il y avait de moins en moins de monde dans la rue, et certains clients, qui avaient pensé partir après avoir terminé leur boisson, furent contraints de se rasseoir, permettant au propriétaire de leur resservir du thé chaud.

Pour Tang Fan et Sui Zhou, cependant, ce moment de calme dans le flot de la vie avait une valeur inestimable. Ils n’avaient aucune intention de se remettre en route, restant assis à la table et observant la neige couvrir les toits et les rues à travers la fenêtre. Le monde était devenu une étendue blanche, apportant immédiatement une sensation de paix et de beauté.

La jeune fille qui préparait le thé arriva rapidement avec deux tasses de thé à la fleur de néflier. Le thé était chaud, mais dans un temps aussi froid, il atteignit rapidement une température idéale pour être bu.

Tang Fan en prit une gorgée. Le thé avait le goût unique des fleurs de néflier, une légère acidité mêlée à la douceur, à la fois rafraîchissante et agréable.
« C’est bon », apprécia-t-il.

Elle parut ravie. « Vous êtes tous deux des fonctionnaires de haut rang, donc recevoir vos éloges est un honneur ! »
« Comment savez-vous que nous sommes fonctionnaires ? » demanda-t-il, très intéressé.
« Vous avez besoin de demander ? » répondit-elle avec un sourire. « Même si vous portez tous les deux des vêtements ordinaires, ce monsieur a un sabre à la ceinture. Si je ne me trompe pas, c’est un sabre doré, n’est-ce pas ? »

Tang Fan haussa un sourcil. « Vous avez l’œil. Vous vendez vraiment du thé ? »

La jeune femme semblait légèrement satisfaite. « Bien sûr. Cette humble fille vit dans la capitale depuis environ six ans. Il y a quelques années, j’aidais ma famille à vendre du tissu à Dengshikou, et avec mon cousin, nous avons ouvert cette maison de thé pour faire du commerce ici ; je vois passer beaucoup de nobles, et mes yeux sont plutôt aiguisés. Quant à vous, par rapport à cet autre monsieur, votre statut doit être plus élevé que le sien. »

Pendant qu’elle parlait, elle n’oublia pas de lancer à Tang Fan un regard plein de sous-entendus. Bien que sa beauté fût inférieure à celle de Xiao Wu, elle ne manquait ni de charme ni de grâce. À en juger par la coiffure qu’elle portait, elle devait être veuve, et ses paroles et ses actions étaient bien plus audacieuses que celles des femmes ordinaires.

Malheureusement, ce regard charmeur fut perdu sur un homme ‘aveugle’. Tang Fan resta impassible, et son attention fut en revanche source de mécontentement pour l’autre homme.

« Pourquoi ne partez-vous pas ? » demanda froidement Sui Zhou.

Elle sursauta de frayeur. Se sentant un peu lésée et mécontente, elle comprit que face à un homme armé d’un sabre doré, elle ne pouvait pas se permettre de le contrarier. Ainsi, elle ne répondit pas, mais lui fit un sourire éclatant, changeant de stratégie pour se concentrer sur lui.

« Pourquoi être si sévère, Monsieur ? Je ne faisais que deviner au hasard. Si j’ai dit quelque chose de mal, vous pouvez simplement me le dire, » dit-elle avec un sourire coquet.

Tang Fan, raffiné et élégant, possédait un charisme rehaussé par l’aura d’autorité qu’il dégageait, ajoutant une certaine noblesse à son allure de gentleman modeste. Un homme comme lui était toujours très apprécié des femmes, ce qui expliquait pourquoi cette jeune femme avait osé engager la conversation avec lui en premier. Malheureusement, il n’avait pas saisi l’occasion, et l’autre homme s’avérait être trop insensible, la forçant à abandonner cette tentative pour se tourner vers celui qui portait le sabre doré.

D’un coup d’œil, elle découvrit que, malgré le fait qu’il ne correspondait pas à son type d’homme habituel, il possédait une certaine attirance virile différente. Le pont de son nez aquilin et la profondeur de ses yeux dépassaient ceux de la moyenne des habitants des Plaines centrales, lui donnant une allure légèrement étrangère.

« Êtes-vous un Sému, Monsieur ? » demanda-t-elle.

Sui Zhou resta silencieux, l’ignorant complètement, et continua de boire son thé.

À la place, ce fut Tang Fan qui intervint pour mettre fin à la situation embarrassante. « Il est un natif né et élevé de la Grande Ming, sans aucune ascendance Sému. Puis-je vous demander de nous apporter de l’eau chaude, mademoiselle ? »

La jeune femme comprit qu’elle était poliment éconduite. Bien qu’elle fût réticente à partir, le regard et l’expression de Sui Zhou étaient si hostiles qu’elle se résigna et s’en alla, se retournant de temps à autre en chemin.

Tang Fan en profita pour plaisanter. « Tu vois ? Elle ne me regarde pas seulement, mais toi aussi. De toute évidence, tant qu’un homme est séduisant, elle l’apprécie. »

« As-tu peur que je te punisse encore plus sévèrement ce soir ? » rétorqua Sui Zhou.

Cette question inattendue faillit faire ressortir le thé que Tang Fan avait dans la bouche par son nez, le faisant tousser violemment.

Sui Zhou tapota nonchalamment son dos. « Bois normalement. Es-tu distrait par quelque chose ? »
Et qui est la cause de cette distraction ?
Tang Fan leva la tête pour lui lancer un regard féroce.

*

Chaque fois qu’un nouvel Empereur montait sur le trône, il devait toujours introduire de nouvelles politiques. Même si ce n’était que de la façade, il fallait qu’il montre un renouveau, comme si ne pas le faire prouvait un manque de sagesse.

L’Empereur actuel ne faisait pas exception, mais ses nouvelles politiques se concentraient principalement sur le nettoyage des désordres laissés par son père. Il bannit les moines démoniaques, et ceux coupables de crimes graves, comme Ji Xiao, furent condamnés à la décapitation pour servir d’exemple.

Sur la suggestion du Cabinet, les monastères construits à grands frais furent arrêtés. Si leur construction avait commencé mais n’était pas achevée, les matériaux devaient être démontés, puis utilisés soit pour réparer divers bureaux de la capitale, soit stockés pour servir plus tard à réparer des halls du palais, afin de ne pas gaspiller davantage d’argent. Quant à ceux qui étaient déjà terminés, les moines en furent expulsés, les subventions impériales furent coupées, et toutes les terres octroyées furent récupérées.

En ce qui concernait la clique Wan et les personnes qui en dépendaient, elles furent traitées au cas par cas. Wan An, qui avait changé de camp à la dernière minute et possédait à la fois des torts et des mérites, fut autorisé à prendre sa retraite de son propre gré ; l’Empereur lui accorda de l’or et lui permit de retourner dans sa ville natale pour y vivre ses vieux jours, préservant ainsi tous ses titres et son intégrité. Mais pour Yin Zhi, Peng Hua, et les autres, il n’y eut pas de telles politesses : l’Empereur leur retira directement leurs chapeaux d’officiels et les chassa de la capitale, tandis que ceux comme Li Zisheng furent purement et simplement expulsés de la ville.

Quant à Liang Fang, le Grand Eunuque qui avait conspiré avec la clique Wan et la société du Lotus Blanc, il fut traîné à Caishikou pour être interrogé puis exécuté.

(NT : Caishikou (菜市口) servait de lieu d'exécution pour les criminels condamnés à mort sous les dynasties Ming et Qing)

Une fois tout cela réglé comme il se devait, tout le monde poussa enfin un soupir de soulagement.

Comparé aux Empereurs précédents de cette dynastie, Hongzhi faisait déjà preuve d’une grande générosité. La mort de sa mère biologique était un mystère dans lequel les frères et sœurs Wan étaient fortement impliqués, mais après son ascension, il n’imita pas les Empereurs passés en exécutant toute la famille ; il choisit de passer outre, de manière modérée.

À travers le temps, là où il y avait des luttes, il y avait des conflits d’intérêts. Une fois qu’un parti tombait, l’autre en récoltait les bénéfices. Il n’y avait jamais eu d’exception à cela. Peu importait la noblesse des justifications ou des origines initiales d’un individu, une fois que ses propres intérêts entraient en jeu, personne ne restait pur ou irréprochable.

Pour cette raison, la chute de la faction Wan suivait la même logique. Alors que beaucoup insistaient pour que le nouvel Empereur riposte, il prit le contrôle, ne les poursuivit pas davantage, et respecta même la dernière volonté de l’Empereur défunt : il ne toucha pas au cercueil de Consort Wan, conserva son titre posthume et laissa sa famille tranquille.

Le Cabinet soutint bien sûr sa décision.

Peu importait à quel point leur inimitié envers la faction Wan avait été grande, les fonctionnaires compétents et les fonctionnaires intègres étaient fondamentalement différents. Les premiers avaient des choses qu’ils acceptaient et refusaient de faire, conservant leurs principes tout en agissant de manière appropriée selon les circonstances, tandis que les seconds étaient prêts à tout pour défendre la justice, cherchant à éradiquer toute obscurité.
Mais l’obscurité ne pouvait jamais être entièrement éradiquée. Elle se cachait seulement dans les recoins lorsque la lumière prenait l’avantage, trop effrayée pour se manifester.

L’objectif ultime des actions de Tang Fan et des autres était simplement de rendre le pays meilleur, plutôt que d’encourager des luttes entre factions. Un Empereur enchaîné par la haine et obsédé par la vengeance ne pouvait guère apporter beaucoup de bienfaits au pays ou à son peuple. Un Empereur généreux et compatissant était une condition nécessaire pour une ère prospère et bien gouvernée.

L’accession au trône de l’Empereur Hongzhi annonçait sans aucun doute l’avènement imminent d’une époque où la lumière prendrait le dessus.

Au cours de la deuxième année de Hongzhi, ceux qui devaient quitter le Cabinet étaient partis, et Liu Ji était resté. En raison de son changement soudain de comportement, au lieu de continuer à mener des actions médiocres et inutiles comme il l’avait fait sous la période Chenghua, il devint diligent et audacieux, n’hésitant pas à exprimer son opinion. Hongzhi avait initialement envisagé de l’envoyer suivre le même chemin que Wan An en le priant de prendre sa retraite et de rentrer chez lui, mais maintenant qu’il était passé d’un fonctionnaire médiocre à un fonctionnaire loyal, il n’y avait plus de prétexte pour l’exclure. L’Empereur n’eut d’autre choix que de le laisser continuer à occuper le poste de Premier Ministre.

L’un des avantages à ce que Liu Ji conserve son poste était que, dans le but de s’attirer les faveurs de l’Empereur, il montrait qu’il était véritablement différent d’autrefois. Ne pouvant plus continuer sur sa voie de médiocrité, il devait au moins démontrer un peu de courage en tant que Premier Ministre. Les nouvelles lois proposées par Tang Fan, ainsi que l’utilisation de la force contre les Tartares défendue par Liu Jian, furent adoptées une à une au cours de cette période.

La Cour sous Hongzhi finit réellement par instaurer une nouvelle atmosphère, mais un événement véritablement majeur se produisit au cours de la troisième année de son règne.

Au printemps de cette année-là, un petit groupe de pirates japonais débarqua dans le Zhejiang. Ils incendièrent, massacrèrent et pillèrent les citoyens tout le long de la côte, allant jusqu’à envahir la ville de Shaoxing. Ce ne fut qu’à l’arrivée des troupes menées par l’Envoyé commandant métropolitain du Zhejiang que les pirates se retirèrent calmement par la mer, emportant avec eux une immense quantité de richesses et de femmes.

En l’espace d’une seule journée, la ville de Shaoxing avait été mise à sac. Profitant de la surprise générale et de l’incapacité de quiconque à organiser une contre-attaque à temps, les pirates avaient frappé les premiers, massacrant la plupart des soldats et vidant presque toutes les riches demeures de la ville. En outre, le magistrat préfectoral de Shaoxing avait été enlevé et avait choisi de se suicider pour préserver son intégrité.

Lorsque la nouvelle de cet incident parvint à la capitale, elle provoqua immédiatement une onde de choc dans tous les milieux de la société. Tout le monde trouvait difficile de concevoir que ces pirates féroces, qui ne comptaient pas plus d’un millier d’hommes, aient pu envahir la préfecture de Shaoxing.

Cependant, après enquête, tout le monde apprit que les pirates avaient utilisé de fausses identités de de porteurs d'hommages japonais pour détourner un navire gouvernemental de la Grande Ming qui se rendait au Japon pour y commercer. Ils s’étaient ensuite fait passer pour des Ming, retournant le navire vers les côtes de la dynastie Ming. En collusion avec des habitants de la Grande Ming, ils avaient appris que les défenses de la ville de Shaoxing étaient quasiment inexistantes et en avaient profité pour l’attaquer sans difficulté. Craignant que l’armée gouvernementale ne se présente rapidement, les pirates ne s’étaient pas attardés, se contentant de piller tous les objets de valeur, d’enlever plusieurs femmes, de secouer la poussière de leurs vêtements, puis de disparaître.

Depuis l’ère Xuande, la Cour avait progressivement mis en place une interdiction de la navigation maritime. Ces puissants navires de guerre de la Grande Ming avaient disparu, de nombreux chantiers navals étant même abandonnés. Les rares navires gouvernementaux restants possédaient une capacité de combat limitée, et leurs soldats étaient rarement préparés de manière efficace aux batailles navales. Comment pouvaient-ils espérer rattraper les pirates, qui naviguaient en mer depuis des années et disposaient d’une vaste expérience ? Sans compter qu’ils disposaient d’informateurs qui leur fournissaient des renseignements : bien avant que l’armée Ming n’arrive, les pirates avaient déjà embarqué et pris la mer à toute vitesse, laissant l’armée impuissante les regarder s’échapper.

Le commerce sous traité était devenu le seul moyen officiel d’échanger entre la dynastie Ming et le reste du monde après l’interdiction maritime. Il était courant que des pirates japonais s’attaquent à des navires commerciaux gouvernementaux, mais il était pratiquement inédit qu’ils osent piller la Grande Ming de manière aussi flagrante !

Au final, était-ce les pirates qui étaient trop arrogants, ou bien l’armée qui était trop incompétente ? Allait-on sévir sévèrement contre les pirates, ou bien mettre fin à ces traités commerciaux, coupant ainsi totalement la Grande Ming du reste du monde, tout en dissuadant le monde extérieur de convoiter ses richesses ?

La Cour se disputait sans fin sur ces questions.

 

Traducteur: Darkia1030