Chenghua - Extra 6 – Le mariage d'Ah-Dong
En un clin d'œil, Ah Dong avait grandi, passant d'une petite fille potelée à une jeune fille gracieuse et élégante.
En vérité, si l’on faisait le calcul, cela ne faisait que cinq ou six ans qu’elle était arrivée chez les Tang, et que Tang Fan l’avait prise pour sœur. Pourtant, ces cinq ou six années avaient été si riches en événements que Tang Fan avait à peine eu le temps de s'en rendre compte. Et voilà que sa petite sœur était déjà en âge de se marier.
Oui, se marier.
Ah Dong avait atteint l’âge de l’épingle à cheveux (NT : à sa majorité la jeune fille pouvait porter une épingle à cheveux, qui symbolisait la transition de l'enfance à l'adulte) l'année précédente et avait désormais seize ans. Bien qu’elle ne possédât pas la beauté renversante de Xiao Wu, elle était tout de même une jeune fille charmante, aux traits délicats.
Certes, cette jeune fille avait une force physique impressionnante (elle pouvait échanger une trentaine de coups avec Sui Zhou, défoncer la porte de quelqu’un d’un seul coup de pied, ou soulever Tang Cheng sans effort). Mais pour Tang Fan, il n’y avait évidemment pas de meilleure jeune fille que sa sœur.
De surcroît, Ah Dong, élevée dans l’atmosphère bienveillante des Tang, s’était épanouie en une jeune femme au caractère franc et ouvert, pleine de vivacité et de générosité, gagnant immédiatement la sympathie de quiconque la rencontrait.
Compte tenu du statut de la famille Tang et de la réputation d'Ah Dong, les demandes en mariage avaient commencé à affluer bien avant ses quinze ans.
Mais la majorité des prétendants étaient des officiers militaires ou issus de familles de soldats, ce qui ne satisfaisait pas Tang Fan. Après tout, dans les yeux d’un frère, sa sœur mérite toujours ce qu’il y a de mieux. Tang Fan allait jusqu'à penser qu’un mariage avec l’empereur lui-même ne serait pas digne d’elle ! (Cela dit, l’empereur était déjà marié et n’avait certainement aucune intention en ce sens).
Certains prétendants, bien que de bonne moralité, avaient des familles problématiques. D’autres avaient des belles-mères exigeantes ou des fils médiocres et sans ambition. Bref, Tang Fan et Tang Yu examinaient toutes les propositions, mais aucune ne leur semblait idéale.
Pour Tang Fan, la belle-famille idéale n’avait pas besoin d’être immensément riche ou puissante, ni d’appartenir à une noblesse trop élevée – ce qui risquerait d’exposer Ah Dong à des conflits dans l’arrière-cour. Il souhaitait simplement des personnes de bonne moralité et de caractère, avec de bonnes traditions familiales. Même si la famille était modeste, cela n’avait aucune importance : grâce aux bénéfices qu'Ah Dong avait accumulés en travaillant dans leur commerce, elle aurait largement de quoi vivre confortablement après son mariage. Sans compter qu'elle avait une sœur entrepreneuse et un frère haut placé, ce qui dissuaderait quiconque de la maltraiter.
Mais les plans ne vont jamais comme prévu. Avant que Tang Fan n’ait trouvé un mari convenable, Ah Dong en avait déjà choisi quelqu’un.
Il s’agissait d’un employé de la pâtisserie qu’ils fréquentaient régulièrement.
Le hasard faisait que cette pâtisserie était l’une des enseignes favorites de Tang Fan.
L’homme s’appelait Yang Rui et travaillait dans la boutique depuis trois ans. Tang Fan l’avait déjà rencontré : c’était quelqu’un de très honnête, incapable de mentir.
Un jour, Tang Fan était allé acheter des pâtisseries et avait choisi des gâteaux de haricots verts. Yang Rui, avec son honnêteté naturelle, lui avait dit franchement que ces gâteaux avaient été fabriqués la veille et qu’il faudrait attendre la prochaine fournée pour avoir des gâteaux frais. Ce n’était pas une attention particulière pour Tang Fan : Yang Rui disait la même chose à tous les clients, laissant à chacun le choix d’acheter ou non. Tang Fan, bien sûr, avait préféré choisir autre chose.
Quand le gérant de la boutique avait appris cela, il avait failli licencier Yang Rui sur-le-champ. Ce fut Tang Fan qui plaida en sa faveur, lui permettant de garder son emploi.
Cet homme, parfait pour une amitié, ne plaisait cependant pas du tout à Tang Fan comme futur beau-frère.
"Il est trop honnête," pensait Tang Fan. "Et si Ah Dong était maltraitée et qu’il n’osait pas la défendre ? Et s’il se faisait lui-même marcher dessus, obligeant Ah Dong à intervenir pour le protéger ? Et s’il était incapable de subvenir aux besoins du foyer, forçant Ah Dong à puiser dans sa dot ?"
Tang Fan trouvait mille raisons pour lesquelles Ah Dong ne devait pas épouser Yang Rui.
Mais cela n'avait aucune importance. Aux yeux d'Ah Dong, tous les défauts que Tang Fan voyait étaient des qualités.
Face à l’entêtement de sa sœur, Tang Fan était déconcerté :
"Comment vous êtes-vous rencontrés ? Et pourquoi si vite ? Qu’est-ce que ce Yang Rui a de si spécial ? Je suis sûr que je peux te trouver mieux !"
Ah Dong, les yeux rieurs, répondit innocemment : "N’est-ce pas toi, grand frère, qui me demandais toujours d’aller acheter des pâtisseries pour toi ? Sinon, je ne l’aurais jamais rencontré !"
Tang Fan en resta sans voix.
Ah Dong s’accrocha à son bras, prenant un ton cajoleur : "Grand frère, est-ce que c’est parce que tu méprises les origines de Yang Rui ?"
Tang Fan répliqua fermement : "Bien sûr que non ! Je m’inquiète simplement que tu souffres en te mariant avec lui."
Ah Dong rit doucement : "Mais je suis née dans la misère, non ?"
Tang Fan lui donna une légère tape sur la tête : "Ne dis pas ça. Tu es la sœur de Tang Runqing !"
Tous deux se promenaient dans le jardin de la résidence de Tang Yu. Grâce à ses affaires florissantes, Tang Yu n'était plus la jeune épouse timide et méprisée de sa belle-famille. Elle avait même ouvert une succursale de sa boutique de cosmétiques dans le Jiangnan, gérée par Qian San, tandis qu'elle se concentrait sur le nord. De manière inattendue, l'un des hommes de confiance de Sui Zhou, Xue Ling, et Tang Yu s’étaient rapprochés au fil du temps et s’étaient mariés à la fin de l’année dernière.
Maintenant, cette maison était celle que Tang Yu venait d'acheter. Auparavant, elle appartenait à un ancien ministre adjoint, qui, après avoir pris sa retraite et quitté la capitale, avait vendu la propriété. Elle n’était pas très loin de chez Tang Fan, ce qui leur permettait de se soutenir mutuellement. Xue Ling, qui était vu à l'extérieur comme un homme dur et sans pitié, était dans la maison un mari qui obéissait à sa femme. Il n’avait pas du tout l'impression que Tang Yu se mettait en avant pour le rendre incompétent, sinon elle n’aurait pas accepté de l’épouser après ses avances persistantes.
Tang Cheng, quant à lui, ne déméritait pas. À un jeune âge, il avait déjà réussi l'examen d’honoré du comté et suivait la voie de son oncle, partant en voyage à travers le pays. À quinze ans, il avait déjà visité toute la région de la capitale et se trouvait encore en déplacement, se préparant à l'examen impérial de l'automne de la deuxième année de Hongzhi.
"Je sais que grand frère me chérit, et que sœur aussi m’aime!" Ah Dong se blottit contre le bras de Tang Fan, un sourire satisfait sur le visage. "Je ne me dévalorise pas. En réalité, si ce n’était pas pour grand frère, je ne vivrais pas comme je le fais maintenant. Comment pourrais-je me laisser gâcher ? Cela ne ferait que te faire plus de peine!"
"Ce que j'aime chez Yang Rui, c'est sa sincérité. Peu importe qu'un homme soit riche ou qu'il ait du succès, ce qui compte vraiment, c’est son cœur et sa capacité à être généreux."
"Mon prince charmant, celui que je rêve d'avoir, doit être comme grand frère, doux à l'extérieur, mais ferme à l'intérieur, flexible mais avec des principes. Yang Rui n'a peut-être pas les mêmes qualités que toi, grand frère, mais ce qui m’attire chez lui, c’est qu’il a un cœur aussi large et généreux que le tien, et c’est ce qui compte pour moi."
Quel frère ne serait pas flatté par des paroles aussi aimables de la part de sa sœur ?
Même si Tang Fan avait quelques réserves sur Yang Rui, ces mots lui apportèrent un petit sentiment de satisfaction.
"Je pensais que, maintenant que tu avais un amoureux, tu m’avais oublié, moi ton grand frère!"
Ah Dong tira la langue en riant : "Comment ça ? Si grand frère ne l'aime pas, je n'insisterai pas. Ce qui compte le plus pour moi, c’est grand frère!"
Bien qu'il sache que cette petite peste ne faisait que reculer pour mieux sauter, Tang Fan se sentit malgré tout réconforté.
Il toucha les cheveux d’Ah Dong, qui étaient désormais soyeux et pleins de volume, bien loin des mèches sèches qu’elle avait quand elle était arrivée chez les Tang.
"Je me souviens, quand tu es arrivée ici, tu étais à peine aussi haute que ça," dit-il en mesurant la hauteur de sa taille avec sa main. Il soupira : "Et voilà que tu es devenue une grande demoiselle, comment le temps passe-t-il si vite !"
"Oui!" Ah Dong rit. "Un an lors du festival des lanternes de la fête du Nouvel An, j'ai même été enlevée, puis je t'ai suivi à travers toutes sortes de dangers. C'est à partir de ce moment que j’ai décidé d'apprendre les arts martiaux, pour ne plus être un fardeau pour grand frère. Et puis je me suis rendue compte que j’étais même plus douée pour les arts martiaux que pour la littérature !"
Tang Fan feignit d’être en colère : "Tu oses dire ça ! Si tu n’avais pas accepté d’être un appât pour Wang Zhi, tu ne t’aurais jamais fait enlever !"
Pour Tang Fan, Ah Dong avait toujours été une jeune fille raisonnable. Derrière son apparence décontractée se cachait un cœur sensible. Elle avait toujours voulu aider Tang Fan, d'abord en se portant volontaire pour être un appât, puis en apprenant les arts martiaux.
Mais comme ils étaient une famille, il n’était pas nécessaire de s’attarder sur ces détails. Tout comme Ah Dong avait sacrifié pour Tang Fan, lui et Tang Yu veillaient sur leur sœur en silence.
Soudainement, Ah Dong cessa de sourire et prit un air sérieux : "Grand frère, en réalité, je te suis toujours très reconnaissante. Si ce n'était pas pour toi, je ne sais pas dans quelle situation je me retrouverais. Peut-être que je serais une autre Ah Qiu, comme l'autre sœur."
Tang Fan secoua la tête : "Tu dis des bêtises. Il n'y a pas de 'si' dans ce monde. Ce qui est fait est fait. Tu es une Tang, ma sœur, cela ne fait aucun doute."
Ah Dong sourit doucement : "Oui, c’est pour ça que j’ai toujours admiré grand frère et grand frère Sui !"
Tang Fan répondit sèchement : "…Qu’est-ce qu’il vient faire là-dedans ? Ne fais pas diversion. Je parle de Yang Rui!"
Ah Dong cligna des yeux : "Parce que j’admire l’idée que vous soyez des âmes sœurs, ensemble pour toujours, alors je veux aussi avoir quelqu’un comme ça. Grand frère ne pense pas que Yang Rui puisse être celui-là ?"
Tang Fan gronda : "S'il n'est pas capable de le faire, je l'émascule !"
Ah Dong se réjouit : "Donc grand frère accepte, alors ?"
Tang Fan grogna : "Je vais d'abord le rencontrer, et le juger par moi-même."
Pour évaluer si son futur beau-frère était digne de sa sœur, Tang Fan envoya quelqu’un dire à Yang Rui qu’il voulait le rencontrer, et demanda à Sui Zhou de rester à l'écart lors de la rencontre.
Tang Fan dit à Sui Zhou : "Utilise ton autorité de commandant des gardes Brocart pour l’impressionner, fais en sorte qu’il tremble de peur !"
Sui Zhou répondit, d’un ton dubitatif : "……Tu me prends pour quoi, un lion de porte ?"
Mais puisqu’il était sous les ordres du grand seigneur, Sui Zhou n’eut d'autre choix que de se conformer aux instructions. Lors de la visite de Yang Rui, il resta en arrière, implacable, avec une expression froide, dégageant une aura glaciale de "ne vous approchez pas".
Il n'était pas clair si Yang Rui avait le cœur trop large, mais il ne fut pas effrayé par Sui Zhou, tout comme lors de la première rencontre avec Tang Fan à la boutique de pâtisseries. Il leur offrit un sourire timide et sincère, puis salua Tang Fan et Sui Zhou comme à son habitude, mais cette fois-ci avec un peu plus de formalité dans ses gestes.
Après quelques échanges, Tang Fan apprit que Yang Rui venait d’un village en périphérie de la capitale. Ses parents étaient morts tôt, et il avait encore un frère et une belle-sœur. N’ayant pas été accepté chez lui à cause de sa belle-sœur, il avait quitté sa famille pour tenter sa chance. Il avait travaillé comme employé dans la boutique de pâtisseries pendant trois ans et avait réussi à économiser une somme modeste, environ cent taels.
Cette somme n'était pas suffisante pour acheter une maison à Pékin, mais Yang Rui dit : "Je vous demande un peu de temps, Seigneur Tang. La dernière fois, j'ai créé une nouvelle pâtisserie pour mon patron, qui a eu un grand succès. Il m'a promis une prime supplémentaire. Si cette prime arrive, je pourrai acheter une petite maison pour Ah Dong."
Tang Fan lui demanda : "Quels sont vos projets pour l'avenir ? Allez-vous passer votre vie à travailler dans la boutique de pâtisseries ?"
Yang Rui se gratta la tête : "Au départ, oui, mais maintenant que je veux épouser Ah Dong, je ne peux pas continuer ainsi. Je prévois d'ouvrir ma propre boutique."
Tang Fan répondit : "Avec quel argent ?"
Yang Rui sourit sincèrement : "La prime que mon patron m'a promise est assez généreuse, je pourrai louer une boutique pour commencer."
Tang Fan, avec un air froid, rétorqua : "Vous comptez faire endurer des difficultés à Ah Dong avec vous ?"
Yang Rui sembla un peu perdu pendant un moment : "Hein ? Non, Ah Dong n'a pas besoin de m'aider à la boutique, je peux tout faire moi-même."
Tang Fan, en tant que futur beau-frère, décida de le taquiner un peu : "Et pour la lessive et la cuisine ? Ma sœur ne va pas faire ces tâches lourdes !"
Yang Rui prit un moment pour réfléchir sérieusement : "Eh bien, une fois que la prime sera utilisée pour louer la boutique, je ne pourrai pas me permettre de payer une servante. Peut-être que je pourrai faire tout ça moi-même à la maison ?"
Tang Fan se tint le front, pensant qu'il n'avait jamais vu une personne aussi honnête et naïve. Si c'était quelqu'un d'un peu plus rusé, il aurait déjà trouvé des paroles mielleuses pour contourner la situation. Mais peut-être que c'était justement cette sincérité qui avait attiré Ah Dong, après tout ?
Ah Dong, voyant la situation, murmura à voix basse : "Idiot !"
Yang Rui l'entendit et se tourna vers elle avec un sourire.
Tang Fan et Sui Zhou, témoins de la scène, échangèrent un regard, un peu perplexes.
L’un voulait frapper, l’autre voulait se faire frapper : voilà un couple de joyeux drilles, se dirent-ils. Que pouvaient-ils dire d’autre ?
Le mariage fut ainsi décidé.
Cependant, un petit incident survint pendant ce temps. Le patron de Yang Rui, apprenant qu'il allait ouvrir sa propre boutique, lui supprima la prime promise. Ce fut Ah Dong qui informa Tang Fan, qui demanda à Sui Zhou de résoudre le problème.
Plus tard, Tang Fan demanda à Yang Rui pourquoi il ne leur avait pas parlé de cela, ou pourquoi il n'était pas allé confronter son patron. Yang Rui expliqua qu'à son arrivée à Pékin, il n'avait personne pour l'aider, et c'était son patron qui l'avait accueilli. Bien qu’il ne l’ait pas traité avec une grande considération, il considérait que cela restait une dette de reconnaissance. C’était pourquoi, même après ce geste, il avait décidé de passer l’éponge, comme une manière de rembourser cette dette.
Ces paroles firent changer l'opinion de Tang Fan à son sujet, et il ne chercha plus à le critiquer.
Il s’avéra que le jugement d'Ah Dong était correct. Après leur mariage, Yang Rui loua une boutique. Beaucoup de clients, fidèles à sa réputation de sincérité, vinrent soutenir son affaire. La boutique devint de plus en plus populaire grâce à ses pâtisseries innovantes et délicieuses. En moins d’un an, il eut de quoi acheter la boutique et commença à ouvrir des succursales. Il devint un homme d’affaires prospère, connu pour son intégrité, et obtint la réputation d'un commerçant humain et respecté. Ah Dong, quant à elle, passa du statut de simple femme d'un employé de pâtisserie à celui de la maîtresse d’une grande famille riche.
Cependant, l'attitude de Yang Rui envers elle ne changea pas, peu importe la richesse ou la pauvreté.
Mais tout cela appartient à l’avenir.
Après avoir réglé le mariage d’Ah Dong, l'année s'acheva rapidement.
Sui Zhou, qui n’avait jamais été très proche de sa famille, rentra tout de même pour les fêtes, comme il le faisait chaque année, pour rendre hommage à ses parents et leur offrir des cadeaux traditionnels.
Ce retour impliquait, inévitablement, des retrouvailles avec son frère et sa belle-sœur.
Traducteur: Darkia1030
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