Chenghua - Extra 17 - Éducation

 

"Sa Majesté est sage !"



Le jeune prince héritier était quelqu’un d’extrêmement curieux.

Dès qu’il trouvait quelque chose de nouveau et d’intéressant, il voulait absolument aller voir, et s’il pouvait l’essayer par lui-même, c’était encore mieux. Si quelqu’un venait lui dire que ce n’était pas amusant, non seulement il ne le croyait pas, mais il voulait encore plus tenter l’expérience.

Par exemple, en plein hiver, alors que la surface du lac était gelée, il tenait absolument à y aller pour patiner et sautiller dessus. Les eunuques autour de lui étaient terrifiés, lui répétant qu’il allait tomber à l’eau ou attraper froid. Le jeune prince, têtu, insista encore plus pour y aller. Résultat : il marcha vraiment sur une plaque de glace mince, qui s’effondra sous son poids, et il tomba à moitié dans l’eau. Son pantalon, ses chaussures et ses chaussettes furent trempés, et tous ceux qui étaient présents eurent la peur de leur vie. Heureusement qu’ils l’avaient repéré à temps, car si ce petit diable avait été complètement immergé, il aurait risqué de contracter un froid mortel. Vu son jeune âge, on ne pouvait même pas être certain qu’il s’en serait remis.

Après cet incident, l’empereur comprit enfin à quel point son fils pouvait être turbulent.

Il en ressentit un profond mal de tête.

Le réprimander ne servait à rien. Peu importait qu’il ait envie de hausser le ton ou non, même s’il le sermonnait sévèrement, le garçon, vif et espiègle, ne retenait rien. Il écoutait d’une oreille et laissait filer par l’autre. Pour l’instant, il était encore jeune, et ses bêtises restaient limitées, mais une fois adulte, si personne ne pouvait le contrôler, que ferait-on ? S’il jouait avec l’eau en plein hiver aujourd’hui, n’irait-il pas un jour plonger dans la mer pour capturer des dragons ? (NT : idiome chinois signifiant faire une action téméraire ou risquée)

Confier son éducation aux précepteurs ne donnait pas plus de résultats. L’empereur connaissait mieux que quiconque son propre fils. Le garçon était certes très intelligent, presque doté d’une mémoire photographique : les préceptes moraux, les classiques confucéens, il les récitait à la perfection. Mais pour ce qui était de les prendre à cœur, il n’en retenait pas la moindre miette.

À ses yeux, le monde était rempli de merveilles, et il y avait tant de choses amusantes à découvrir : du sud au nord, des oiseaux aux bêtes sauvages, et surtout, les gens étaient amusants.

D’une intelligence extraordinaire mais sans la moindre discipline, il possédait pourtant un talent surprenant pour comprendre et interpréter les intentions des autres, au point que même son père en était souvent étonné. Mais pour le jeune prince, sonder le cœur des hommes n’était qu’un jeu et non un calcul manipulateur.

Avec un tel tempérament, pourrait-il vraiment un jour porter sur ses épaules le vaste empire ?

L’empereur, réfléchissant à l’irresponsabilité de son propre père et à celle de son fils aujourd’hui, en ressentait une inquiétude profonde, malgré sa propre fiabilité exemplaire.

Ne sachant plus quoi faire, il interrogea ses proches, cherchant un moyen de corriger le caractère de son fils.

Si Huai En avait été encore en vie, cela aurait été parfait. Avec son tempérament calme et son expérience du palais, il aurait pu suivre le jeune prince jour après jour pour le guider. Huai En n’était pas aussi rigide et pédant que les autres ministres et, ayant servi dans le palais pendant de nombreuses années, éduquer le jeune prince aurait été pour lui un jeu d’enfant.

Malheureusement, il n’existait qu’un seul Huai En dans ce monde. Quant à Wang Zhi, il était parti pour Ningbo depuis longtemps et, à ce moment précis, devait encore être quelque part sur la mer, sans que l’on sache exactement où. Les autres personnes du palais, bien que loyales, manquaient d’intelligence et de discernement. Leur confier la tâche d’éduquer le prince ne rassurait guère l’empereur.

Après mûre réflexion, il ne restait qu’une seule personne vers qui se tourner : Tang Fan.

Tang Fan était extrêmement occupé.

À ce moment-là, Liu Jian avait déjà pris sa retraite, et Tang Fan avait été promu Premier Ministre. Il croulait sous les affaires et n’avait quasiment plus de temps pour rentrer chez lui. En plus de cela, il occupait également le poste de précepteur du prince héritier. À cause de cela, Sui Zhou avait déjà rendu plusieurs visites à l’empereur, glissant à demi-mot des remarques, laissant entendre que l’empereur ne devrait pas imposer à Tang Fan un si lourd fardeau. Cela faisait rire l’empereur, mais aussi le mettait dans l’embarras.

S’il avait pu, l’empereur n’aurait pas voulu déranger Tang Fan avec de telles affaires.

Mais l’empereur découvrit qu’éduquer son fils était encore plus compliqué que de gouverner un pays. « Deux avis valent mieux qu’un », dit le proverbe, alors après avoir tourné et retourné la question, il se résolut à consulter Tang Fan.

Tang Fan, après avoir écouté le récit, se sentit également bien embêté.

La nature du jeune prince était effectivement un problème épineux. Dans une famille ordinaire, être joueur n’aurait pas été si grave ; même si l’enfant finissait par perdre la vie à cause de ses bêtises, cela ne concernait que sa famille. Mais le prince était destiné à devenir l’empereur un jour. S’il s’amusait à détruire le pays dans ses jeux…

Et même sans parler du pays, il y avait le risque qu’il joue avec sa propre vie. L’empereur actuel n’avait qu’un seul fils ; si, par malheur, le prince venait à disparaître sans avoir eu de descendants...

Stop, stop !

Cette idée effleura brièvement l’esprit de Tang Fan, et rien que d’y penser, il en eut des frissons. Bien que peu probable, elle ne pouvait pas être écartée complètement.

On peut vivre dans l’instant présent si one st une personne oridanire, mais en tant que Premier Ministre, Tang Fan devait prévoir l’avenir, penser sur plusieurs générations, et éviter toute situation imprévue qui pourrait se produire.

Mais comment guider le prince vers le droit chemin ? Voilà une question qui donnait véritablement mal à la tête.

Tang Fan échangea un regard avec l’empereur. Tous deux soupirèrent en même temps.

Ah, ces pauvres parents dans le monde…

Interdire ou réprimander sans cesse ne servirait à rien. C’était peut-être ce que faisaient beaucoup de ministres, mais Tang Fan savait que cette approche serait un échec total.

Après tout, tout le monde était passé par la jeunesse, et le processus de pensée du jeune prince n’était pas difficile à comprendre. Certes, peu de gens avaient été aussi joueurs que lui, mais l’esprit de contradiction de l’enfance restait universel. Si quelqu’un vous disait constamment : « Tu ne peux pas faire ça », il y aurait fort à parier que vous auriez envie de faire exactement l’inverse.

Tang Fan réfléchit un moment, puis dit lentement : « canaliser les choses vaut mieux que les bloquer. Puisque Son Altesse a une nature vive et aime s’amuser, le réprimer de force ne fera qu’aggraver les choses. Il vaut mieux le laisser s’amuser à sa guise. »

L’empereur cligna des yeux. « Tu veux dire… »

Tang Fan pensa que l’empereur pouvait aussi être rusé quand il le voulait. Il refusa de répondre directement et se contenta de sourire : « Ce que Votre Majesté pense, c’est également ce que je pense. »

L’empereur toussota, puis finit par dire : « Wang Zhi n’est-il pas à Ningbo ? Nous envisageons de le laisser emmener le prince là-bas pour voir un peu le monde. Peut-être qu’après cela, il saura se calmer. »

Le reste des paroles n’était pas dit à voix haute, mais Tang Fan les devina.

Tang Fan répondit : « Faire sortir le prince du palais est déjà une grande affaire, sans parler de le laisser naviguer en mer. Les ministres vont certainement s’y opposer avec force. Votre Majesté y a-t-elle bien réfléchi ? »

L’empereur savait naturellement à quoi s’attendre. À l’époque, il n’avait fait que sortir du palais pour une cérémonie, sans même quitter la capitale, et cela avait provoqué un tollé.

Les ministres auraient voulu enfermer l’empereur dans la Cité Interdite pour toute sa vie, tout en lui demandant d’être ouvert aux critiques, d’honorer les sages et d’être diligent dans ses devoirs. Une demande aussi contradictoire relevait presque de l’impossible. Après tout, l’empereur était un être humain, pas une marionnette. Un souverain qui n’avait jamais vu le monde extérieur pourrait facilement devenir soit faible et incompétent, soit rebelle et extrême, soit négligent dans ses fonctions. Ils avaient eu une chance incroyable d’obtenir un empereur aussi équilibré que celui-ci.

Si cela avait été un autre empereur, il n’aurait absolument pas laissé ses ministres disposer de lui de cette manière. Quant au prince héritier actuel, c’était encore plus inimaginable.

En raison des expériences vécues dans son enfance, l’empereur n’avait jamais eu une santé robuste. Il craignait souvent que sa vie ne s’achève brusquement, laissant derrière lui un jeune prince au caractère encore instable. Dans ce cas, la situation actuelle, si prometteuse, risquerait de se transformer en véritable désastre. Cette pensée lui conférait un sentiment aigu de crise.

Si cela avait été quelqu’un d’autre, entendre que l’empereur voulait laisser sortir le prince pour s’amuser aurait déjà provoqué un tollé, avec des ministres bondissant de trois chis en pleurant à chaudes larmes pour s’y opposer fermement.

Voyant que Tang Fan n’avait pas rejeté son idée de manière véhémente et s’était contenté de lui faire remarquer les conséquences, l’empereur se sentit légèrement rassuré.

« Ce que tu dis, Yuanfu (NT : honorifique pour le premier ministre), nous ne l’ignorons pas. Mais si l’on ne tempère pas dès maintenant la nature effrontée du prince, nous avons bien peur que cela ne tourne au désastre à l’avenir. »

Tang Fan répondit : « Votre Majesté a parfaitement raison. Toutefois, il serait prudent de bien préparer cette affaire. Si le prince doit quitter le palais, doit-on en informer le peuple ? »

L’empereur n’hésita pas un instant : « Naturellement, non. »

Tang Fan poursuivit : « Doit-on alors en informer les ministres ? »

L’empereur déclara : « Il vaudrait mieux l’éviter également, sinon le prince ne pourra jamais quitter le palais. »

Tang Fan en conclut : « Dans ce cas, c’est donc en se dissimulant sous une fausse identité ?»

L’empereur acquiesça : « C’est exact. Nous ne souhaitons pas qu’il révèle son identité. Il changera de nom et de titre et suivra Wang Zhi. »

Tang Fan reprit : « La loyauté de Wang Zhi est, bien sûr, au-delà de tout doute, mais sa force à lui seul reste limitée, et les dangers du monde extérieur sont difficiles à prévoir. Votre Majesté a-t-elle envisagé le risque qu’un malheur arrive au prince ? »

L’empereur répondit : « Nous y avons bien réfléchi. Si c’était possible, nous ne voudrions naturellement pas que notre fils parte au loin. Mais souvenons-nous : l’empereur fondateur Taizu a conquis son empire à la force de ses poings et de ses pieds, l’empereur Yongle a repoussé les Mongols, tandis que l’empereur Jianwen, cloîtré dans le palais et limité dans sa vision, ne savait parler de guerre que sur le papier. Il a fini par s’attirer sa propre destruction. Comme l’ont dit les anciens : “On naît dans l’adversité, on meurt dans le confort.” Une vérité incontestable. Même si le prince est notre fils et l’héritier du trône, nous n’osons pas espérer qu’il puisse égaler l’empereur Yongle, mais tant qu’il ne ressemble pas à l’empereur Jianwen, nous serons déjà satisfait. »

Tang Fan en ressentit un grand soulagement. Bien que le prince fût fils unique, et que l’empereur aurait dû le traiter comme un trésor précieux, il était capable de voir loin et de parler avec une telle largeur de vue. Cela démontrait la grandeur de son esprit.

« Votre Majesté est sage. »

L’empereur poussa un soupir : « Mais le prince est encore jeune. S’il quitte le palais précipitamment, non seulement l’impératrice s’y opposera, mais elle ne pourra pas non plus s’empêcher de s’inquiéter. Yuanfu, ne devrions-nous pas envoyer davantage de gardes pour l’accompagner afin d’éviter tout incident ? »

Tang Fan acquiesça : « Cela va de soi. Son Altesse est d’une valeur inestimable. Même s’il doit s’endurcir à l’extérieur, il faut assurer sa sécurité de manière irréprochable. »

L’empereur demanda alors : « En dehors de cela, Yuanfu a-t-il d’autres suggestions ? »

Tang Fan répondit : « Oui. »

L’empereur, les yeux brillants, s’exclama : « Vite, dis-les nous ! »

Tang Fan répondit calmement : « Votre Majesté devrait engendrer davantage de descendants. »

L’empereur resta sans voix : « … »

Voyant l’empereur silencieux, Tang Fan, retenant un sourire, ajouta : « Je ne dis pas cela à la légère. Si le prince héritier avait un frère cadet, il comprendrait mieux ses responsabilités en tant qu’aîné et saurait montrer l’exemple. De plus, cela garantirait la pérennité de la lignée impériale. C’est une solution aux multiples bénéfices. Je sais que l’empereur et l’impératrice s’aiment profondément, et je n’oserais pas jouer les trouble-fête. Mais Votre Majesté est encore jeune et pleine de vitalité ; à l’avenir, vos enfants joueront à vos pieds en grand nombre. Je vous invite donc à faire des efforts dans ce sens.»

Le visage de l’empereur s’assombrit. Les muscles de sa joue tressaillirent alors qu’il lançait un regard noir à Tang Fan, incapable de trouver une réplique pendant un long moment.

L’avantage d’avoir un premier ministre qui ne s’en tenait pas aux conventions était qu’il n’est pas nécessaire de l’entendre débiter des discours stéréotypés à longueur de journée. En cas de grande décision, on pouvait également lui laisser les affaires en toute confiance. Comme aujourd’hui : dans tout le gouvernement, personne n’accepterait que le prince héritier quitte le palais, mais Tang Fan, lui, ne s’y opposait pas. Ainsi, l’empereur disposait enfin d’une personne avec qui en discuter.

L’inconvénient, cependant, était qu’il fallait parfois faire face aux propos surprenants du premier ministre, sans pour autant pouvoir y trouver à redire.

Que veut-il dire par “faire des efforts” ? Est-ce quelque chose qui se règle simplement en “faisant des efforts” ?

Bon, qu’à cela ne tienne. Un mélange de bons et mauvais côtés, il faut savoir supporter. Après tout, c’est lui l’empereur, non ?

Être empereur signifiait posséder une grandeur d’esprit encore plus large que celle d’un premier ministre. Si l’on disait que dans le ventre d’un premier ministre, on peut faire flotter un bateau, alors dans le ventre d’un empereur, il faudrait au moins pouvoir installer le mont Tai, n’est-ce pas ?

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

 

 

 

 

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