Chenghua - Extra 13 - Wang Zhi

 

Tu es quelqu’un qui ne se satisfait pas de passer inaperçu.

Lorsque Wang Zhi entra pour la première fois dans le palais, il n’avait que neuf ans. Contrairement à ces enfants issus de familles pauvres qui entraient volontairement au palais pour échapper à la misère et chercher la fortune, Wang Zhi venait d’un tout autre contexte. Sa famille, des Yao du Guangxi, avait pris part à une rébellion. Après la défaite, ils furent capturés, et en tant que descendant de prisonniers de guerre, Wang Zhi fut impliqué. Avec d’autres enfants de sa communauté, il fut envoyé au palais pour devenir un eunuque.

Ce jour-là, Wang Zhi et d’autres enfants qui venaient d’être intégrés au palais se tenaient en ligne, attendant qu’un haut fonctionnaire eunuque – présenté comme l’homme le plus influent du palais – vienne choisir ses apprentis. Accompagné de son cortège, cet homme passa devant eux, scrutant leurs visages d’un regard perçant. Finalement, son regard s’arrêta sur Wang Zhi. Il prononça alors cette phrase :

"Tu es quelqu’un qui ne se satisfait pas de passer inaperçu.."

Wang Zhi resta figé. Il était encore si jeune qu’avant son arrivée à Pékin, il ne comprenait même pas le mandarin officiel. S’il n’avait pas intensément étudié après son entrée au palais, il n’aurait peut-être même pas compris ce que cet homme disait.

Mais même en comprenant ses paroles, il n’en saisissait pas encore le véritable sens. Avec un visage empreint de confusion, il fixa l’homme, sans mot dire.

"Je vois l’ambition dans tes yeux", continua l’homme.

Wang Zhi resta toujours aussi déconcerté.

Ou peut-être qu’au fond, il avait compris, mais il feignait de ne pas comprendre.

Après tout, sa vie avait déjà été bouleversée par le drame familial, et le sort tragique de sa communauté l’avait contraint à parcourir un millier de kilomètres, du Guangxi à la capitale. Ce voyage avait été une épreuve suffisante pour lui apprendre plusieurs leçons essentielles :

Savoir dissimuler ses pensées.

Feindre l’ignorance.

Se montrer humble et discret.

L’homme eut un sourire, ne dit rien de plus, et désigna Wang Zhi ainsi que quelques autres enfants. Il s’adressa alors à l’eunuque responsable de leur supervision : "Ce sera eux."

L’eunuque hocha la tête en s’inclinant avec respect, puis emmena Wang Zhi et les autres enfants choisis.

Dans les mois qui suivirent, Wang Zhi ne revit pas cet homme qui avait échangé quelques mots avec lui ce jour-là.

Ce n’est que plus tard qu’il apprit que cet homme se nommait Liang Fang, un grand eunuque chargé de sceller les documents à la Direction des cérémonies impériales.

Contrairement à ce que son titre suggérait, il ne s’occupait pas d’un sceau officiel, mais de l’examen des édits impériaux – une tâche qui lui conférait une influence immense.

Même sans une connaissance approfondie de son rôle, il suffisait d’entendre parler de lui pour comprendre à quel point Liang Fang détenait du pouvoir.

Wang Zhi se souvenait de ce jour, où cet homme était accompagné d’un cortège impressionnant de serviteurs et semblait encore plus imposant que les plus hauts fonctionnaires qu’il avait croisés jusqu’alors.

Un jour, pourrai-je être comme lui ?

Puisque je suis devenu un eunuque, alors je dois devenir le plus puissant des eunuques.

Un homme véritable doit aspirer à être un héros parmi les hommes vivants, et une âme illustre parmi les esprits des morts.

Les jours à l’Académie interne passèrent rapidement. Wang Zhi, doté d’un esprit vif, progressait plus rapidement que beaucoup d’autres. Pourtant, conscient des intrigues et de la noirceur du palais, il savait qu’un arbre trop visible serait le premier à être abattu par le vent.

Malgré son tempérament ambitieux, il se contraignait à rester discret. Il jouait habilement le rôle d’un jeune garçon humble et réservé. Bien qu’il reçût quelques éloges de la part de ses professeurs à l’Académie interne pour son intelligence, il savait se garder de provoquer l’envie ou la jalousie des autres.

L’Académie interne, créée spécialement pour les eunuques, ne se contentait pas de leur enseigner la lecture et l’écriture. Les élèves devaient également étudier en profondeur les Classiques confucéens, s’immerger dans les écrits moraux et apprendre les doctrines confucéennes. Wang Zhi avait entendu dire que, depuis sa fondation, tous les eunuques qui s’étaient distingués dans le pays avaient été d’excellents élèves de cette académie.

Le but de cette éducation n’était évidemment pas de leur permettre de passer des examens impériaux comme les lettrés, mais de les moraliser par les enseignements confucéens afin de les transformer en individus loyaux et dignes de confiance.

En plus des études littéraires, certains enfants soigneusement sélectionnés à l’Académie interne étaient formés aux arts martiaux. Wang Zhi fit partie de ce groupe. Les professeurs étaient des gardes impériaux ou des eunuques expérimentés maîtrisant les arts martiaux. Parfois, le grand eunuque Liang Fang passait inspecter les cours et, s’il repérait un élève prometteur par son talent ou sa compréhension, il n’hésitait pas à lui donner des conseils. Wang Zhi fut celui qu’il guida le plus souvent. Liang semblait voir en lui un futur talent et le considérait presque comme son apprenti. Mais à la surprise générale, les progrès de Wang Zhi dans les arts martiaux furent lents, au point que Liang perdit son intérêt et cessa de s’investir davantage dans son apprentissage.

C’est également durant cette période d’apprentissage que Wang Zhi entendit parler d’un homme légendaire : Zheng He.

Zheng He ne portait pas à l’origine ce nom, mais celui de Ma. Il n’était pas d’ethnie han, mais musulman hui. Capturé lors d’une guerre, il fut envoyé à Nanjing, où il entra par le hasard des circonstances au service de l’empereur Yongle, alors encore le prince de Yan. En suivant Yongle dans ses campagnes militaires, il se distingua par ses exploits, gagna la confiance de l’empereur et reçut le nom de Zheng. Plus tard, il fut chargé de diriger sept expéditions maritimes, naviguant sur des océans inconnus, éblouissant les nations étrangères et attirant des émissaires de nombreux pays. Sa vie, aussi glorieuse que mouvementée, était encore aujourd’hui objet de louanges et de critiques.

Quel destin si similaire, quelles expériences si proches !

Comme Wang Zhi, Zheng He était d’origine étrangère et avait été contraint d’entrer dans le palais impérial. Pourtant, Zheng He, le légendaire "eunuque aux trésors", laissa une empreinte glorieuse dans l’histoire. Sa vie surpassa même celle de nombreux érudits et nobles.

Dans le cœur de Wang Zhi naquit une aspiration secrète.

Peut-être qu’un jour, il pourrait devenir comme Zheng He ?

Être eunuque, était-ce un destin amer ?

Évidemment.

L'incomplétude physique, les humiliations incessantes, les intrigues perfides du palais où la moindre erreur pouvait coûter la vie... Même Wang Zhi, avec sa précocité et sa ténacité, ne pouvait réprimer un sentiment de peur au plus profond de lui-même. Souvent, il se réveillait en sursaut au milieu de la nuit, revivant dans ses cauchemars le long trajet de son arrestation jusqu’à Pékin.

Parfois, lorsqu’il croisait un fonctionnaire dans les couloirs du palais, il pouvait lire dans leurs regards une méprisante condescendance, comme s’ils étaient purs et que lui n’était qu’impureté.

Eunuques et servantes n’étaient que des esclaves.

Esclaves pour la vie. Cette voie n’avait jamais été son choix initial, mais était-ce vraiment impossible de renverser son sort ?

Non, Wang Zhi n’était pas du genre à se résigner.

S’il ne pouvait choisir un autre chemin, alors il tracerait une voie royale sur celui qu’il avait emprunté.

Porté par cette détermination, Wang Zhi travailla d’arrache-pied. Là où d’autres fournissaient cinq parties d’efforts, lui en donnait sept, huit, voire neuf.

Un an plus tard, en raison de ses bonnes performances à l’Académie interne, Wang Zhi fut affecté au palais Zhaode pour servir la noble concubine impériale Wan.

Avec son éloquence et sa diligence, Wang Zhi gagna rapidement la faveur et la confiance de la consort Wan. À ses yeux, ce jeune eunuque, vif d’esprit et compétent, méritait d’être cultivé comme un allié fidèle.

Dans le palais Zhaode, Wang Zhi observa et apprit encore beaucoup.

Sa chance ne s’arrêta pas là. Il attira également l’attention de l’empereur Chenghua, qui, influencé par la consort Wan, développa une opinion favorable à son égard.

Mais l’ambition de Wang Zhi n’était pas là.

Beaucoup se seraient contentés de la faveur de la consort Wan et de leur position privilégiée au palais Zhaode. Mais pas Wang Zhi.

Son objectif n’avait jamais été la consort Wan, ni même l’empereur.

Qu’importe être le chef des eunuques du palais Zhaode ou un fonctionnaire de la Direction des cérémonies impériales.

Wang Zhi aspirait à se hisser bien plus haut. Il rêvait de posséder un pouvoir immense, d’avoir une vie éclatante et légendaire comme celle de Zheng He, surpassant tout le monde.

C'est la seule vie que je veux vivre.

Bientôt, l’occasion tant attendue se présenta.

Une affaire connue sous le nom de "l’affaire du renard démoniaque" plongea la cour dans la tourmente. L’empereur, hanté par des cauchemars où il se sentait observé dans l’ombre, était profondément inquiet. Le dépôt de l’Est et la garde impériale de Brocart, chargés de l’enquête, échouèrent à identifier le soi-disant instigateur, ce qui leur valut de sévères remontrances de l’empereur.

À ce moment-là, Wang Zhi se porta volontaire. Il s’adressa à l’empereur et demanda à être chargé de résoudre l’affaire.

L’empereur, à moitié convaincu, finit par lui accorder le droit de circuler librement dans le palais.

Wang Zhi ne déçut pas. Il mena l’affaire avec brio, allant jusqu’à capturer le sorcier Li Zilong. Il nettoya le palais de nombreuses personnes corrompues, profitant de la méfiance de l’empereur envers le Dépôt de l’Est pour créer le Dépôt de l’Ouest, dont il devint le redoutable chef.

Ce jeune homme, qui accéda si rapidement au pouvoir et connut une ascension aussi fulgurante, se laissa griser par ce succès éclatant. Même Wang Zhi, pourtant rusé et calculateur, perdit son équilibre. Trop impatient de consolider et d’étendre le pouvoir du Dépôt de l’Ouest, il attira rapidement de nombreuses critiques.

Les fonctionnaires civils devinrent extrêmement méfiants et hostiles envers le Dépôt de l’Ouest. Les responsables du Dépôt de l’Est, tels que Shang Ming, jaloux de voir leur influence réduite, commencèrent à le saboter en secret. Même l’empereur et la consort Wan, qui l’avaient initialement soutenu, changèrent peu à peu d’attitude à son égard.

Wang Zhi, avec sa sensibilité aiguisée, perçut qu’il était en train de se retrouver isolé.

En apparence, il conservait une immense autorité et une réputation impressionnante. Lorsqu’on évoquait le Dépôt de l’Ouest, la peur qu’elle inspirait surpassait même celle de celui de l’Est.

Tout cela était le fruit de ses efforts acharnés. Mais ce fruit, arrivé à maturité trop vite, risquait de pourrir avant d’avoir été pleinement savouré.

‘J’ai été trop impatient. J’ai avancé trop vite,’ se dit Wang Zhi, le front plissé.

Aussi intelligent soit-il, il restait prisonnier du jeu politique, sans mentor pour le guider. Ses manœuvres précipitées l’exposaient au risque inévitable d’une fin désastreuse.

Tel était le sort final de presque tous les eunuques qui accédaient au pouvoir. Mais Wang Zhi refusait de l’accepter.

Le ciel, pourtant, ne ferme jamais toutes les portes. Alors qu’il était dans une période de confusion et de désarroi, un homme fit son apparition.

Cet homme était Tang Fan, fonctionnaire de sixième rang au tribunal de Shuntian.

Son poste insignifiant n’avait aucun poids à Pékin, mais une remarque de Pan Bin éveilla l’intérêt de Wang Zhi pour ce personnage.

Pour résoudre le problème de Pan Bin, Tang Fan, par l’intermédiaire de ce dernier, proposa deux idées à Wang Zhi :

Quitter le camp de la consort Wan et se rallier au prince héritier.

Abandonner tout ce qu’il possédait et investir dans des opportunités extérieures, comme acquérir des mérites militaires.

Au début, Wang Zhi méprisa ces suggestions et ne leur accorda aucune attention. Mais les événements qui suivirent confirmèrent peu à peu la justesse des paroles de Tang Fan.

En y prêtant attention, Wang Zhi réalisa que Tang Fan, bien qu’il occupât un poste insignifiant, était une personne réellement remarquable et talentueuse.

Ne serait-ce que par les affaires qu’il avait résolues, Tang Fan avait prouvé sa perspicacité et son génie, suscitant l’admiration.

Prenant conscience qu’il avait sous-estimé Tang Fan, Wang Zhi commença à chercher des occasions de se rapprocher de lui.

Jusque-là, Wang Zhi n’avait jamais pensé qu’il avait besoin d’amis.

Wang Zhi admit d’ailleurs que, lorsqu’il se lia à Tang Fan, c’était par intérêt. Il soupçonnait que Tang Fan, avec son acuité, avait sans doute perçu ses intentions.

Cependant, Tang Fan ne fit aucun commentaire. Au contraire, il donna à Wang Zhi de précieux conseils, l’aidant à surmonter des crises, de l’affaire des enfants enlevés à Pékin jusqu’à celle de Weining Haizi. Plantez un saule par accident, et il deviendra assez grand pour faire de l'ombre ; cette relation grandit et se raffermit.

Ils n’étaient pas amis au sens traditionnel, mais ils se faisaient une confiance mutuelle inconditionnelle.

Les vrais gentlemen et les vrais opportunistes, lorsqu’ils interagissent, voient souvent le gentleman en sortir perdant. Pourtant, même en sachant que Wang Zhi et lui n’étaient pas faits pour suivre la même voie, Tang Fan, respectant les principes et la ligne de conduite de Wang Zhi, bien supérieurs à ceux de figures comme Shang Ming, ne refusa jamais de lui donner des conseils.

Ainsi, sans s’en rendre compte, les deux hommes avaient maintenu cette relation pendant des années.

Lorsque Wang Zhi atteignit la gloire sur les flots, égalant le renom du légendaire eunuque Zheng He qu’il avait tant admiré dans sa jeunesse, il réalisa qu’il s’était complètement écarté du chemin qu’il avait envisagé à l’origine.

Au début, tout ce qu’il voulait, c’était voir ceux qui l’avaient méprisé se prosterner devant lui.

Mais désormais, il avait obtenu bien plus que ce qu’il avait jamais osé imaginer.

Peut-être qu’un jour, lorsqu’on évoquerait son nom, ce ne serait pas pour le comparer à des figures comme Shang Ming ou Liang Fang, connus pour leurs intrigues et leurs luttes de pouvoir. On dirait plutôt : "C’était un homme parmi les hommes."

Alors, mon vœu sera exaucé.

*

"Mon Seigneur, Seigneur Tang revient bientôt dans le Jiangnan. Devrait-on préparer quelque chose ?" demanda un jeune eunuque essoufflé, arrivant en courant.

"Préparer quoi ? Il a pris sa retraite. Tu veux qu’on déploie des centaines d’officiels pour l’accueillir ?" répondit Wang Zhi en roulant des yeux.

"Mais... mais Seigneur Tang jouit encore d’un immense prestige, et on dit que le comte Ding’an l’accompagne..." murmura le jeune eunuque, hésitant.

"Ce gamin vient sûrement pour profiter des repas et des boissons gratuits. Quand ils seront près d’arriver, viens me prévenir. Pas besoin d’en faire tout un spectacle. Tu risques de ne pas bien t’en sortir et de te faire gronder en plus !"

Wang Zhi esquissa un sourire amusé. Bien que ses tempes soient légèrement grisonnantes, son visage conservait des traits fins et élégants. L’arrogance de sa jeunesse s’était transformée en une sérénité forgée par le temps, mais ses yeux restaient aussi perçants qu’autrefois.

Le jeune eunuque voulut ajouter quelque chose, mais Wang Zhi, agacé, lui fit signe de partir. Dépité, il s’éloigna.

Malgré son apparente lassitude, en entendant que cette personne arrivait bientôt, Wang Zhi ne put s’empêcher de sourire légèrement.

Sous la fenêtre à l’ouest, le vent agitait les bambous verts, annonçant l'arrivée d'un vieil ami.

Année après année, les arbres continuaient de fleurir.

 

Traducteur: Darkia1030