Chenghua -Chapitre 146 - C’est mieux de laisser telles préoccupations ennuyeuses à Tang Maomao !

 

L'homme qui intercepta Tang Fan n'était autre que Zhou Jing, et il n'était pas une figure insignifiante.

Zhou Jing était l'époux de la princesse de Chongqing et actuellement responsable des affaires du Bureau des Arbres Généalogiques Impériaux, ce qui faisait de lui l'un des parents impériaux les plus respectés de l'époque.

Dans cette dynastie, les princesses impériales, semblables à celles de la dynastie Song précédente, avaient une faible présence publique. Nombre d'entre elles, une fois mariées, vivaient dans l'ombre, et certaines finissaient même par mourir dans la tristesse après des relations conjugales désastreuses. La princesse de Chongqing était toutefois une exception. Elle était également la fille de l'impératrice douairière Zhou, ce qui faisait d'elle la sœur cadette de l'empereur actuel. Ce lien de parenté suffisait à susciter l'admiration et le respect.

Son destin avait également été clément. Elle avait épousé un homme de bonne nature, lettré et talentueux, qui n'avait rien à envier aux érudits de la cour. Jeune, il avait été un élégant jeune homme, très apprécié par le défunt empereur. Le couple avait entretenu une relation harmonieuse pendant plus de vingt ans, devenant un modèle envié de bonheur conjugal au sein de la famille impériale.

« Comment allez-vous, seigneur Zhou ? La dernière fois que nous nous sommes croisés, c'était au Grand Conseil. À vous voir si alerte, j'imagine que tout se passe bien ? »

Zhou Jing n'était certainement pas un parent impérial opportuniste comme Wan Tong, et même Tang Fan ne pouvait se permettre d'être irrespectueux en sa présence. Il descendit donc de son palanquin pour le saluer.

Cependant, il n'en était pas moins perplexe. Bien qu'ils se connaissaient, ils n'avaient guère de contacts réguliers. Zhou Jing, homme prudent, prenait rarement des initiatives aussi inhabituelles que d'intercepter quelqu'un en pleine rue.

« Alerte ? » Zhou Jing esquissa un sourire amer et entraîna Tang Fan à l'écart. «Cosneiller Tang, je viens vous demander votre aide ! »

Tang Fan, encore plus surpris, répondit : « Ce sont des mots lourds, seigneur Zhou ! »

Zhou Jing poussa un soupir. « Soyons directs, le temps presse. Je ne vais pas tourner autour du pot : il s'agit d'un problème chez moi. »

Tang Fan haussa un sourcil. « Dans le palais de la princesse ? »

Zhou Jing acquiesça. « Exactement. Ces derniers jours, à cause d'une affaire, la princesse et moi avons eu une grosse dispute. J'ai entendu dire que vous étiez un maître dans l'art de résoudre les différends, alors je suis venu vous demander de juger pour nous. Je ne veux pas être accusé injustement par la princesse ! »

Bien que la princesse de Chongqing jouissait de grands privilèges, elle s'était montrée respectueuse envers ses beaux-parents après son mariage et n'avait jamais abusé de sa position. Elle avait gagné l'estime de tous. Entendre dire qu'elle s'était querellée avec Zhou Jing, au point que ce dernier sollicite l'aide de Tang Fan, était pour le moins étonnant.

Tang Fan, bien qu'amateur de mystères, ne souhaitait pas se mêler des affaires de couple des autres. Selon le dicton, même un juge impartial peine à résoudre les conflits familiaux. Si les deux se réconciliaient après une dispute, c'était lui, le médiateur, qui risquait d'en pâtir. Aussi répondit-il en souriant : « Je crains de ne pas pouvoir vous aider. Il vaut mieux chercher une personne plus compétente ! »

Sur ce, il essaya de retirer sa manche de la prise de Zhou Jing pour filer.

Mais Zhou Jing fut plus rapide, lui agrippant fermement le bras avec une telle force que Tang Fan pensa que son habit officiel risquait d'être déchiré s'il insistait. Il s'immobilisa donc. « Seigneur Zhou, vous et la princesse êtes mari et femme. Pourquoi ne pas discuter calmement ? Une fois la tempête passée, tout ira mieux. Je crains de ne pouvoir être d'aucune utilité dans cette situation.»

Zhou Jing rétorqua, furieux : « Vous n'avez même pas écouté ce que j'avais à dire ! Comment savez-vous que vous ne pouvez pas aider ? »

Tang Fan, impuissant, tenta une dernière fois : « Regardez, je suis encore malade. Je rentrais justement me reposer. Ne pourrions-nous pas en parler un autre jour ? »

Quelle idée d'aller s'impliquer dans une querelle conjugale de princesse et de son époux !

Mais Zhou Jing insista : « Ce n'est pas compliqué. Venez chez moi maintenant. Je ferai préparer un excellent banquet, et je vous expliquerai tout. Aujourd'hui, puisque je vous ai croisé, vous devez m'aider à trouver une solution ! Seigneur Tang, je vous en prie. Si cela continue, et que cela s'ébruite, je n'aurai plus aucune dignité ! »

Face à cette alternance de supplications et de pression, Tang Fan ne pouvait qu'en rire et pleurer. Impossible de refuser, car Zhou Jing tenait toujours fermement sa manche.

Tang Fan soupira. « Vraiment, je n’ai pas le choix ? »

Zhou Jing répondit catégoriquement : « Non! »

Tandis qu'ils se tiraient et se poussaient dans la rue, attirant les regards curieux, leur statut particulier menaçait de provoquer une scène si cela continuait. Les gardes de la ville allaient bientôt intervenir. Résigné, Tang Fan fit signe à ses porteurs de rentrer chez lui prévenir de son retard, puis monta dans le carrosse de Zhou Jing.

Le carrosse de la princesse était spacieux, largement suffisant pour deux hommes. Son intérieur, garni de coussins de soie épais, amortissait parfaitement les cahots de la route. Cependant, Tang Fan n'était pas d'humeur à apprécier le confort. Après avoir affronté le vent froid dehors, il éternua dès qu'il se retrouva dans la chaleur du carrosse, le visage couvert de larmes et de morve.

Zhou Jing le regarda, visiblement préoccupé : « Seigneur Tang, vous êtes encore jeune, prenez soin de votre santé ! »

Tang Fan, la bouche couverte de son mouchoir, roula des yeux discrètement.

Qui a insisté pour que je sois ici ?

Zhou Jing, comme s'il avait perçu son mécontentement, eut un rire gêné : « Je n’avais vraiment plus d’autre solution, je vous demande pardon, conseiller Tang. »

Tang Fan, impuissant, demanda : « Puis-je savoir quel est exactement le sujet du différend entre le prince consort et la princesse ? »

Maintenant qu’ils étaient dans le carrosse, loin des oreilles indiscrètes, Zhou Jing devint soudain évasif : « Ce ne sont que des broutilles, des affaires sans importance. Une fois arrivés à la résidence, je vous expliquerai tout. »

Tang Fan trouva cela étrange.

Zhou Jing avait un excellent caractère, et la princesse de Chongqing n’était pas une femme autoritaire ou capricieuse. De surcroît, ils n’étaient pas de jeunes époux encore en phase d’adaptation. Imaginer qu’un désaccord majeur ait pu éclater entre eux semblait improbable. Pourtant, si ce n’était pas une affaire importante, pourquoi Zhou Jing avait-il intercepté un haut fonctionnaire comme Tang Fan en pleine rue pour lui demander d’intervenir ? Leur relation n’était pas assez étroite pour que Zhou Jing l’invite à juger une affaire domestique, et encore moins une affaire impliquant la princesse et son époux.

Réfléchissant à cette anomalie, Tang Fan baissa son mouchoir. Sa voix, toujours un peu nasillarde en raison de son rhume, prit une tonalité plus sérieuse : « Le prince consort aurait-il quelque chose d’autre à me confier ? »

Lorsque Tang Fan devenait solennel, peu de gens pouvaient soutenir son regard perçant sans se troubler. Zhou Jing ne fit pas exception. Il détourna instinctivement les yeux et répondit : «Conseiller Tang, vous le saurez bientôt. Je vous en prie, ne posez pas d’autres questions pour l’instant. »

Le carrosse s’arrêta devant la résidence de la princesse. Les domestiques, en voyant le prince consort arriver avec un jeune homme inconnu, mais traité avec beaucoup de respect, ne purent cacher leur curiosité. Ils se demandaient qui cela pouvait bien être. La réponse vint rapidement, car Zhou Jing l’appela «conseiller» .

Dans la dynastie des Ming, ce titre n’était pas un simple surnom. Seuls sept hommes dans tout l’empire pouvaient être appelés ainsi, une distinction équivalente à celle de premier ministre, plaçant son détenteur directement sous l’empereur et au-dessus de tous les autres.

Bien que cette fonction fût moins stable qu’un titre héréditaire ou celui d’un parent impérial, souvent sujette à des rotations fréquentes, il était indéniable que quiconque accédait à cette position détenait un immense pouvoir au cœur même du gouvernement, influençant directement les décisions impériales et le destin de l’empire.

Or, le jeune homme qui accompagnait Zhou Jing semblait à peine avoir une vingtaine d’années. Si c’était bien lui le «conseiller», cela signifiait qu’un homme si jeune occupait une position de pouvoir inimaginable.

Certains domestiques, au fait des rumeurs et des nouvelles, firent rapidement le lien avec une personne en particulier : Tang Fan, le jeune prodige politique. Son âge correspondait à celui de cet homme élégant et raffiné qu’ils avaient devant eux. Mais ils ne s’étaient pas attendus à ce que le célèbre conseiller Tang, connu pour son talent et sa précocité, soit également un homme aussi séduisant et plein de grâce.

Cependant, ils remarquèrent également que Tang Fan gardait un mouchoir sur la moitié inférieure de son visage, suggérant qu’il n’était peut-être pas en pleine forme.

Tang Fan, pour sa part, n’avait aucune envie de prêter attention aux réactions des domestiques. Zhou Jing, de son côté, semblait pressé et préoccupé. Il conduisit Tang Fan rapidement à travers la résidence, sans un mot, et même sans son sourire habituel. Cela amena Tang Fan à se demander si la princesse avait peut-être un problème grave.

Ils arrivèrent finalement dans l’arrière-cour, plus précisément dans le bureau.

L’accès à l’arrière-cour, et surtout à une pièce comme le bureau, était généralement réservé aux intimes, car ce lieu était hautement privé. Pour une famille de haut rang, le bureau pouvait contenir des lettres importantes ou d’autres documents précieux. Même les enfants des propriétaires n’étaient souvent pas autorisés à y entrer.

Cependant, Zhou Jing y fit entrer Tang Fan sans hésitation.

En ouvrant la porte, Zhou Jing déclara : « Ah Shu, je l’ai amené. »

La personne à l’intérieur ne pouvait être autre que la princesse de Chongqing.

Bien qu’elle eût dépassé la quarantaine, elle conservait une beauté raffinée et une grâce intacte. Elle paraissait à peine plus de trente ans, un âge qui ne laissait qu’un faible écart avec celui de Tang Fan.

Tang Fan, bien qu’étant plus jeune, n’osa pas se montrer négligent. Il joignit les mains en signe de respect et salua : « Je salue Votre Altesse la Princesse. Que la paix soit avec vous. »

La princesse de Chongqing lança un regard à son époux, qui comprit immédiatement et dit: « Je vais faire un tour à l’extérieur, discutez tranquillement. »

À ce stade, même un Tang Fan peu perspicace aurait compris que la situation était loin d’être ordinaire. Et Tang Fan était tout sauf peu perspicace.

Pour que le prince consort fasse lui-même le guet à l’extérieur, ce dont la princesse voulait parler devait être une affaire de la plus haute importance.

Ainsi, Tang Fan ne posa pas de questions immédiatement, attendant que la princesse prenne la parole.

La princesse de Chongqing esquissa un sourire amer : « Seigneur Tang, pardonnez à mon mari et à moi-même de vous avoir invité jusqu’ici. Nous n’avions pas d’autre choix. Bien que je n’aie jamais eu l’occasion de vous fréquenter, j’ai souvent entendu parler de vos talents. C’est pourquoi j’ai pris la liberté de vous déranger. Je vous prie d’excuser mon audace. »

Son ton, doux et modéré, confirmait ce que l’on disait d’elle : aucune arrogance princière dans ses manières. Dès les premiers mots, elle s’excusait humblement, ce qui dissipa toute éventuelle contrariété que Tang Fan aurait pu ressentir.

« Votre Altesse n’a pas à s’excuser. Cet humble fonctionnaire est là pour écouter. », répondit Tang Fan.

Cependant, il ne put s’empêcher de sortir à nouveau son mouchoir, toussant légèrement tout en se mouchant. Il adressa un sourire gêné à la princesse : « Mon rhume persiste, veuillez excuser mon manque de tenue. »

La princesse comprit. En vérité, c’était plutôt elle et son mari qui étaient en tort d’avoir sollicité un homme malade, allant même jusqu’à l’intercepter en chemin. Mais ils étaient véritablement à court de solutions, ce qui les avait poussés à prendre cette décision.

Elle fronça légèrement les sourcils, non pas envers Tang Fan, mais en réfléchissant soigneusement à ses paroles, hésitant visiblement sur ce qu’elle devait ou pouvait dire.

Tang Fan ne la pressa pas. Ils restèrent silencieux, assis face à face, tandis que les bruits légers des pas de Zhou Jing résonnaient à l’extérieur de la pièce.

Après un long moment, la princesse parla enfin : « Hier, alors que je me rendais au palais pour rendre visite à ma mère, j’ai appris que le prince héritier était malade. J’ai donc décidé d’aller le voir. »

À ces mots, Tang Fan adopta une expression encore plus sérieuse, prêt à écouter la suite.

La princesse poursuivit : « À ce moment-là, rien ne m’a semblé anormal. Le prince héritier, souffrant, avait peu d’énergie. Je ne suis pas restée longtemps, environ un quart d’heure, avant de prendre congé. Cependant, après mon retour, je me suis souvenue de quelque chose qui m’a paru étrange... Vous devez savoir, seigneur Tang, que le prince héritier a connu une enfance marquée par de nombreux déplacements et difficultés dans le palais. Je suppose que vous en avez entendu parler ? »

Tang Fan hocha la tête. La princesse évitait de mentionner directement la consort Wan, mais cet épisode était bien connu dans et hors du palais.

La princesse continua : « Lorsqu’il avait trois ans, il a un jour trébuché sur un seuil, faute de surveillance. Il s’est blessé au front, laissant une marque qui est encore visible aujourd’hui. Je n’étais pas présente à l’époque, c’est ma mère qui m’a raconté cet incident par la suite. Cependant, peu de gens savent que, lors de cette chute, le prince héritier s’est également blessé à l’auriculaire de la main gauche. Une écharde s’était enfoncée dans sa chair, causant une coupure qui a laissé une cicatrice légère mais permanente. »

Elle inspira profondément avant d’ajouter : « Hier, lorsque j’ai vu le prince héritier, j’ai remarqué par hasard son auriculaire, mais je n’ai trouvé aucune trace de cette cicatrice ! »

Ses paroles semblaient factuelles, mais la signification sous-jacente avait de quoi glacer le sang.

Tang Fan fronça les sourcils : « Votre Altesse est-elle certaine que cette cicatrice était encore visible jusqu’à récemment ? »

La princesse esquissa un sourire forcé : « Je ne suis pas certaine de ne pas m’être trompée, mes yeux ne sont peut-être plus aussi bons qu’avant. Mais cette affaire est si grave que je n’ose pas retourner au palais pour vérifier. Pourtant, il y a un mois à peine, lorsque j’ai vu le prince héritier, je suis sûre d’avoir encore aperçu cette cicatrice. Comment une blessure d’enfance pourrait-elle disparaître en si peu de temps ? »

Tang Fan demanda alors : « Et la marque sur son front ? »

La princesse répondit : « Elle est toujours là. »

Tang Fan réfléchit un moment avant de poser une autre question : « Quand Votre Altesse est entrée dans les quartiers du prince héritier, y a-t-il eu quoi que ce soit d’inhabituel ? »

La princesse réfléchit et secoua la tête : « Rien qui m’ait frappée. »

Tang Fan poursuivit : « Le comportement ou le discours du prince héritier étaient-ils différents de d’habitude ? »

La princesse répondit : « Nous n’avons échangé que deux ou trois phrases. Il était alité, et je n’ai rien remarqué d’étrange. »

Tang Fan reprit : « Et les personnes qui l’entourent ? Ont-elles changé récemment ? »

La princesse répondit après un instant de réflexion : « Je ne crois pas, mais je ne vois pas le prince héritier souvent, et je fais rarement attention à son entourage. »

Voyant que Tang Fan restait silencieux, la princesse poussa un soupir : « Je sais que cette affaire paraît vraiment absurde, difficile à croire. Si je me suis trompée, alors soit, je subirai quelques réprimandes. Mais si cela s'avère vrai, les conséquences seraient inimaginables. Mon mari et moi avons beaucoup réfléchi à cette situation, mais nous n'osons pas ébruiter l'affaire. C'est pourquoi nous avons prétexté une querelle pour vous faire venir. Selon vous, comment devrions-nous traiter cette situation ? »

Tang Fan esquissa un sourire amer : « Je n’ai jamais vu le prince héritier de près. Il m’est donc difficile d’émettre un jugement. »

La princesse s'excusa : « Je comprends bien que cela vous met dans une position délicate.»

En effet, tout cela reposait uniquement sur les soupçons de la princesse de Chongqing, et la seule preuve qu'elle pouvait avancer était l'absence d'une cicatrice minime sur un doigt.

Le fait qu’elle n’ait pas vu la cicatrice ne prouvait en rien que le prince héritier était un imposteur. Peut-être était-ce un simple effet de lumière qui avait induit la princesse en erreur.

D'autant plus que falsifier un prince héritier constituait une affaire d'une gravité extrême. Si jamais une telle conspiration était révélée, non seulement les instigateurs risqueraient leur tête, mais cela entraînerait aussi un vaste scandale impliquant de nombreuses personnes.

Même la princesse de Chongqing n'osait pas en parler à voix haute. Tout ce qu’elle avait pu faire, c’était demander à Zhou Jing d’aller chercher Tang Fan en toute discrétion pour discuter de la situation.

La princesse proposa : « Ne vaudrait-il pas mieux que je retourne au palais pour en parler à ma mère ? »

Tang Fan secoua la tête : « La grande impératrice douairière ne voit pas forcément le prince héritier plus souvent que vous. De plus, le palais est rempli de bavards, et si cette affaire venait à s’ébruiter, les conséquences seraient graves. Je propose ceci : laissez-moi envoyer quelqu’un se renseigner discrètement avant de tirer une conclusion. »

La princesse poussa un soupir de soulagement : « Ce serait sans doute le mieux. J’espère que je me suis trompée. »

*

La nuit tombait lentement. C'était le quatrième jour du Nouvel An lunaire, et les fonctionnaires étaient toujours en congé. À Pékin, toutes les administrations restaient fermées.

Cependant, les rues de la capitale ne s’animèrent pas davantage en raison des festivités. Seule la zone du marché des lanternes et ses environs était bruyante et bondée. Ailleurs, la ville était aussi calme que d’habitude et tombait dans le silence dès la tombée de la nuit.

Un modeste palanquin recouvert d’un tissu bleu s’arrêta discrètement devant la porte arrière d’une maison tout aussi anodine. Un porteur s’approcha de la porte et frappa légèrement, produisant un son assez faible pour ne pas alerter le voisinage.

Après un moment, la porte s’ouvrit de l’intérieur.

Un homme d’âge moyen, au visage dur et déterminé, apparut.

Le porteur murmura quelques mots à l'homme, puis retourna au palanquin. Il se pencha légèrement et prononça une phrase inaudible. Peu après, une personne descendit du palanquin et entra dans la maison.

Environ le temps d’une bougie qui se consume, la personne ressortit, monta dans le palanquin, et celui-ci s’éloigna rapidement.

Mais moins d’un quart d’heure après leur départ, la porte s’ouvrit à nouveau. L’homme d’âge moyen sortit précipitamment et disparut rapidement dans l'obscurité.

Ce qu'il ignorait, c’est que toute cette scène avait été observée par quelqu’un de particulièrement attentif.

*

Au palais impérial, la Cité Interdite.

Les pas de Wang Zhi étaient exceptionnellement rapides ce soir, bien que cela soit difficile à remarquer. Le jeune serviteur à l’arrière avait cependant du mal à suivre.

Il n’osa pas se plaindre et accéléra silencieusement, priant pour que la lanterne qu’il portait ne s’éteigne pas en chemin.

Malheureusement, comme pour contredire ses espoirs, une rafale de vent glacé souffla, faisant vaciller la flamme de la lanterne qui semblait prête à s’éteindre.

Terrifié, le jeune serviteur jeta un coup d'œil à Wang Zhi devant lui. Celui-ci ne se retourna même pas.

Pour être honnête, si Wang Zhi n'avait pas voulu rester discret, il aurait marché encore plus vite.

Mais il ne pouvait pas se le permettre.

Depuis le départ de Huai En, presque tout son personnel avait été remplacé par des hommes de Liang Fang, même au Palais de l'Est. Chen Zhun, qui n'avait pas encore eu le temps de s’installer confortablement à son poste de chef des espions, avait rapidement été transféré à un poste insignifiant pour nourrir les moustiques à la prison impériale.

Quant à Liang Fang, il semblait étonnamment confiant et n’avait pas l’air de craindre le moindre reproche de l’empereur. Il était évident que quelqu'un de puissant le soutenait.

Quant à Wang Zhi, c'était un peu difficile pour lui d'applaudir d'une seule main (NT : métaphore indiquant une situation déséquilibrée, compliquée à gérer seul, sans aide ou soutien).

S'il n’avait pas été aussi adroit dans ses relations et s’il n’avait pas pris soin de ne pas afficher un soutien trop évident au prince héritier et aux lettrés, il aurait probablement été éliminé comme Huai En. De plus, Wang Zhi avait été personnellement promu par la consort Wan. Après le départ de Huai En, il avait prudemment affiché un certain rapprochement avec le parti Wan, une attitude qui avait permis de tromper ses adversaires et de lui épargner une élimination immédiate.

Cependant, ce compromis avait un prix : il avait dû quitter ses postes stratégiques au Bureau des Rites et au Bureau des Coursiers impériaux, pour être relégué au Bureau des Trésors.

Wang Zhi avait toujours quelques hommes sous son commandement, mais la plupart étaient des subalternes qu’il avait formés depuis son retour au palais. Ils n’avaient pas encore atteint des postes d’importance et manquaient de pouvoir pour exercer une réelle influence.

Dans l’atmosphère impitoyable du palais, encore plus cruelle que celle du monde extérieur, beaucoup s’étaient empressés de tourner le dos à Wang Zhi lorsqu’ils avaient vu son influence décliner. Mais Wang Zhi n’était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Sous son apparente discrétion, il nourrissait une rancune tenace et inscrivait soigneusement ces traîtres sur sa liste noire mentale.

Cependant, quiconque penserait que l’eunuque Wang menait une vie misérable au palais se tromperait lourdement.

Un chameau même affaibli reste plus imposant qu’un cheval : l’eunuque Wang conservait une certaine influence. Huai En lui avait même transféré une partie de ses hommes avant de partir, ce qui contraignait Liang Fang à ne pas lui mettre trop de pression. Après avoir évincé Huai En, Liang Fang avait choisi de fermer les yeux sur Wang Zhi. En effet, s'il poussait simultanément deux eunuques puissants et bien enracinés à bout, cela risquerait de les pousser à unir leurs forces pour se retourner contre lui, ce qui ne se solderait que par des pertes des deux côtés.

Wang Zhi n’avait jamais mentionné ces difficultés à Tang Fan. Aussi talentueux que ce dernier soit, son champ d’action restait limité, d’autant plus qu’un fonctionnaire extérieur ne pouvait intervenir dans les affaires du palais, une règle strictement observée. Depuis le retour de Wang Zhi au palais, leurs échanges avaient délibérément été réduits au strict nécessaire. Ils ne faisaient appel à leur réseau commun que lorsqu’il n’y avait vraiment pas d’autre choix.

Les rares fois où ils avaient repris contact avaient toutes concerné le prince héritier.

Cette fois ne faisait pas exception.

Après avoir reçu le rapport de Wei Mao, l’eunuque Wang avait rapidement trouvé un prétexte pour se rendre dans le Palais de l'Est.

Il voulait voir les choses de ses propres yeux pour être rassuré.

En temps normal, à cette heure tardive, le prince héritier serait encore en train d'étudier , mais, étant récemment tombé malade, il s’était couché tôt.

La requête de l’eunuque Wang pour une audience au milieu de la nuit était inhabituelle et, naturellement, on lui avait interdit l’entrée. Les serviteurs du palais de l’Est lui indiquèrent que le prince héritier dormait déjà.

Mais l’eunuque Wang avait plus d’un tour dans son sac. Il apportait avec lui un message de l’impératrice douairière : « Sa Majesté, en écoutant une récitation des Sūtras du Bouddha Médecin, a pensé à l’état de santé du prince héritier. Elle m’a ordonné de lui apporter ces écritures bénies, espérant qu’elles pourront accélérer sa guérison. »

Avec une telle injonction, les serviteurs n’osèrent pas s’opposer davantage et allèrent transmettre le message.

Peu de temps après, ils revinrent avec une réponse : le prince héritier était réveillé et acceptait de le recevoir.

Lorsque la nouvelle de la venue de l’eunuque Wang parvint au prince, les lampes du palais, déjà éteintes, furent rallumées. De larges chandelles éclairèrent vivement une grande partie de la chambre.

Les rideaux du lit furent légèrement relevés, révélant le prince héritier assis sur le lit, enveloppé dans ses couvertures. Il s’apprêtait à se lever pour se changer, mais l’eunuque Wang l’arrêta : « Votre Altesse, veuillez rester assis. »

Le prince obéit sans insister et lui adressa un sourire, bien que sa fatigue et sa faiblesse soient évidentes : « Merci de vous être déplacé, eunuque Wang. Je vous prie de transmettre mes remerciements à ma grand-mère. Une fois rétabli dans quelques jours, je lui rendrai visite pour lui exprimer ma gratitude en personne. »

Les paroles et le comportement du prince ne semblaient montrer aucune anomalie. Même sa façon de parler était semblable à celle qu’il avait habituellement. Wang Zhi, qui avait souvent eu affaire au prince malgré leur distance relative, ne détecta rien d’inhabituel.

Cependant, ces derniers jours, le prince héritier avait clairement maigri. Ses joues s’étaient légèrement creusées, et ses yeux étaient cernés d’ombres bleuâtres, un détail qui ne pouvait qu’inquiéter. « Votre Altesse, il n’est pas nécessaire de vous excuser. L'eunuque Huai était profondément attaché à vous. S’il apprenait que vous étiez malade, il serait certainement très inquiet ! »

Le prince sourit amèrement à ces mots : « Je suis faible. Je n’ai pas pu protéger Huai En… Je… je lui ai vraiment fait défaut ! »

Cette réponse non plus ne présentait aucune faille, pensa l’eunuque Wang.

Soudain, il vit le prince héritier se mettre à tousser de manière déchirante, une toux qui était presque terrifiante à voir.

Les serviteurs présents se précipitèrent pour soutenir le prince héritier en lui tapotant dans le dos.

L'eunuque Wang jeta un rapide coup d'œil, puis demanda : « Votre Altesse, pourquoi ne vois-je pas Cui Yong ? »

Il faisait référence à l’intendant personnel du prince héritier.

Le prince répondit : « J'ai toussé toute la nuit et je n'ai pas pu dormir. Tout à l'heure, le médecin impérial m'a prescrit des pilules pour calmer l'esprit, mais elles sont déjà épuisées. Cui Yong est allé en chercher d'autres. »

Il se tourna vers ses serviteurs : « Il n'est toujours pas revenu ? »

Les serviteurs répondirent : « Non, l’intendant Cui est parti depuis un petit moment. »

Cela ne posait aucun problème, du moins pas que l’eunuque Wang pouvait repérer. Il décida qu’après avoir quitté le Palias de l’Est, il irait à l'hôpital impérial pour voir ce qu'il en était.

Tandis que les serviteurs parlaient, son regard effleura involontairement le petit doigt de la main gauche du prince. Le prince avait les jambes couvertes par une couverture, et ses mains pendaient naturellement sur les côtés, l'une tenant lâchement la couverture. Le petit doigt était donc légèrement dissimulé, et l’eunuque Wang ne pouvait tout de même pas saisir directement la main du prince pour l’examiner.

« Eunuque Wang ? »

Wang reprit ses esprits : « Votre Altesse, y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous ? »

Le prince sourit d'un air fatigué : « Tout à l'heure, je voulais vous demander si vous êtes toujours à l'aise au bureau des trésors ? Si cela ne vous dérange pas, je peux en parler à mon père pour que vous reveniez au département des écuries impériales. »

Wang secoua la tête : « Merci pour votre bienveillance, Votre Altesse, mais ce n’est pas approprié pour vous de soulever ce sujet. Pour ne pas vous causer de tracas, je vous prie de ne pas en parler. »

En entendant cela, le prince soupira, mais ne dit rien de plus.

Un serviteur murmura à côté : « Votre Altesse, il est temps de prendre vos médicaments. »

L’eunuque Wang ne pouvait décemment pas rester là plus longtemps et se dit qu'il valait mieux prendre congé.

Après tout, il n’avait pas l’intimité avec le prince héritier qu'avait Huai En — si c'était Huai En qui était là, il aurait pu mieux discerner s'il y avait quelque chose d’étrange chez le prince.

Malheureusement, Huai En était toujours à Nankin, à prier pour l’empereur et l’impératrice douairière, loin de tout cela.

Wang quitta le Palais de l’Est et se rendit à l’hôpital impérial.

Là, il trouva Cui Yong, comme prévu. Le serviteur était occupé à aider les médecins, car les pilules devaient être fabriquées sur place. Wang lui posa quelques questions, principalement sur l'état du prince héritier, mais d'après la façon de parler de Cui Yong, il n'y avait rien de suspect dans l'attitude du prince.

Cette visite n'apporta rien de nouveau.

L’eunuque Wang commença à se demander si ce n'était pas lui-même qui avait été manipulé. Après tout, il avait l'habitude de harceler Tang Fan, et peut-être que ce dernier avait décidé de profiter de l'occasion pour lui jouer un tour.

Mais cette pensée ne dura qu’un instant. Wang savait que Tang Fan n'était pas ce genre de personne. Dans les affaires sérieuses, il ne flanchait jamais.

Il ne savait pas que Tang Fan avait entendu ces inquiétudes de la part de la princesse de Chongqing, et bien qu'il n'y ait eu qu’un message indirect via Wei Mao à cause de la distance et du temps limité, il n’avait pas pu expliquer la situation en détail. Il avait seulement transmis le message pour que Wang reste attentif aux anomalies concernant le prince héritier.

À cause de ce message de Tang Fan, l’eunuque Wang s'était rendu chez l’impératrice douairière dans la nuit pour rapporter les sutras bouddhistes, qu'il avait ensuite apportés au Palais de l’Est, mais n’avait rien trouvé de suspect.

De retour dans ses appartements, l’eunuque Wang se rendit compte que la vie au palais n’était pas aussi confortable que dans les demeures extérieures. Cependant, avec son expérience et son statut dans la cour, il était tout à fait capable de rendre son logement relativement confortable.

Il donna l’ordre à un jeune serviteur de préparer de l’eau chaude, se détendit dans un bain, puis, enveloppé dans une couverture, s'assit sur son lit pour réfléchir.

Avec le temps passé aux côtés de Tang Fan, il avait appris à penser comme lui, mais après avoir réfléchi longuement, il n'en tira rien de concret.

Oublie! C’est mieux de laisser telles préoccupations ennuyeuses à Tang Maomao !

Il éteignit la lumière et se coucha pour dormir.

Ce à quoi il ne s'attendait pas, c’est qu’avant même qu’il n’ait eu le temps de transmettre ses découvertes à l’extérieur du palais, dès le lendemain, le 5 du mois, premier jour de la reprise des affaires administratives, Tang Fan fut dénoncé.

 

Traducteur: Darkia1030