L'empereur n'évoqua plus la question de destituer le prince héritier. À l'exception de ceux qui cherchaient à saisir l'opportunité pour acquérir richesse et pouvoir, tous les autres poussèrent un soupir de soulagement.
Le prince héritier avait été désigné pour le Palais de l'Est dès l'âge de cinq ans, cela faisait maintenant plus de dix ans. Il avait reçu toute l'éducation que l’on attend d'un héritier, savait tout ce qu'il devait ou ne devait pas faire, et se montrait humble et courtois, ne se servant jamais de sa position pour maltraiter autrui. Il respectait ses maîtres et faisait preuve de grande tolérance envers ses subordonnés. Pour beaucoup, il représentait l’idéal du futur souverain éclairé.
(NT : d’après wikipedia il fut en effet un des meilleurs empereurs de la dynastie Ming, sous le nom de Hongzhi. Son enfance telle que racontée dans ce roman, est fidèle à la réalité historique)
Il n’était peut-être pas aussi brillant et ambitieux que l'empereur fondateur, ne nourrissait pas l’ambition d’étendre l’empire, mais cela n’était pas un problème. En effet, l'empire, après tant de siècles de développement, disposait déjà d'un système bien établi et mature. Même sans les décrets impériaux, l’empire fonctionnait, grâce à l'administration du cabinet et des fonctionnaires locaux. Par conséquent, le rôle de l’empereur était mieux joué en restant inactif.
Comme le dit le proverbe : "Le sage empereur gouverne en se retirant." C’était une sagesse intemporelle.
Lorsque l’empereur avait insisté pour destituer le prince héritier, beaucoup avaient exprimé leur désapprobation, bien que silencieusement. Le prince de Xing n'avait jamais été élevé pour le rôle de successeur depuis le début - l'éducation qu'il avait pu recevoir différait de celle du prince héritier. De plus, le prince de Xing étant proche de la concubine Wan, cela avait alimenté la méfiance. Cependant, l'empereur avait persisté dans sa décision, renforcé par des signes célestes, et aucune opposition n’avait pu l’arrêter.
Maintenant, même le ciel semblait mécontent des perturbations de l’empereur, utilisant le tremblement de terre du mont Tai comme avertissement, ce qui obligeait l'empereur à ne plus ignorer les signes. Les événements avaient pris un tour décisif, et on ne pouvait s’empêcher de se demander si la position du prince héritier était réellement le résultat d’un destin céleste, car malgré les nombreuses tribulations, sa place n’avait jamais été ébranlée.
Avec la fin de la lutte autour de la destitution du prince héritier, Liu Jian, Tang Fan et les autres espéraient sincèrement que l’affaire était close. Si cela était possible, ils auraient même voulu aller voir l’empereur pour lui dire : "Majesté, vous avez suffisamment perturbé les choses, pourquoi ne pas profiter maintenant d'une période de tranquillité ?"
Mais si empereur ne perturbait pas l’ordre des choses, il ne semblerait pas fidèle à sa nature.
Quelques jours plus tard, il reprit son vieux refrain et proposa de quitter le palais lors de l'inauguration du Palais de la Longévité pour prier. À ces mots, les ministres réagirent de manière prévisible avec une vive opposition.
Ils n’étaient pas seulement préoccupés par le coût et la perturbation qu’entraînerait la sortie de l’empereur, mais aussi par sa santé, qui n’était pas au meilleur. Si quelque chose de mal se produisait durant son absence, cela pourrait créer encore plus de complications. Par conséquent, ils s’opposèrent fermement, suivant le principe de minimiser les risques.
Cette fois, l’empereur ne persista pas, et au lieu de cela, il fit un compromis. Il déclara qu’il était prêt à laisser le prince héritier le remplacer et prier à sa place. Étant donné les avertissements célestes comme la comète et le tremblement de terre du mont Tai, il était possible que l’empereur, en renonçant à sortir, ait envoyé un signal de soutien au prince héritier. Peut-être que, dans cette perspective, le ciel pourrait l'aider à se rétablir.
Même si Tang Fan et les autres trouvaient cette idée ridicule, l’empereur avait déjà fait deux concessions, et ils craignaient que trop de pression ne provoque une réaction contraire de sa part, ce qui pourrait donner lieu à des décisions encore plus choquantes. Ils cessèrent donc de s’opposer.
Le 2 janvier de la 23e année du règne de Chenghua, le prince héritier partit pour prier au Palais de la Longévité.
C’était la première fois que le prince héritier quittait le palais. L'ensemble des ministères et des fonctionnaires se tenaient prêts, avec le ministère des Rites se souciant particulièrement de chaque détail pour éviter le moindre incident en cours de route. La procession était impressionnante, en particulier le carrosse conçu sur mesure pour le prince, spacieux et confortable. Non seulement il pourrait s'y asseoir, mais il pourrait même s'y allonger et se reposer sans difficulté.
Le trajet du palais au Palais de la Longévité prenait environ deux heures à cheval, mais en carrosse, cela durerait plus longtemps, car de nombreux serviteurs et membres du personnel suivaient le cortège. Puisqu’il s’agissait d’une sortie pour prier, et non pour fuir, les manières des serviteurs et leur rythme étaient calmes et majestueux, afin que les citoyens puissent observer l’autorité de l’empereur.
C’est pourquoi le carrosse devait être aussi spacieux et confortable que possible, afin d’assurer que le prince héritier ne souffre pas d’épuisement au cours des près de huit heures de voyage aller-retour.
Tang Fan et les autres avaient d’autres préoccupations. Ils n’étaient pas totalement confiants dans la soudaine coopération de la faction Wan. Après avoir appris que le prince héritier allait sortir pour prier, beaucoup avaient envisagé que, peut-être, la faction Wan tenterait de profiter de cette occasion pour attaquer le prince héritier.
Cependant, cela était peu probable. Dès que le prince héritier descendrait du carrosse, il serait entouré d’une garde impériale d’élite prête à sacrifier sa vie pour protéger le prince. Des experts comme Sui Zhou et Wang Zhi étaient déjà parmi les meilleurs combattants de l'époque, mais même eux ne pourraient pas accomplir une tâche aussi difficile que d’assassiner le prince héritier. Il était bien plus probable que toute tentative échouée les épuiserait avant même qu’ils n’aient une chance de s’approcher du prince.
Depuis l’Empire Ming, aucun empereur ni prince héritier n’était mort dans une tentative d’assassinat, précisément parce que la tâche était presque impossible à accomplir. Toute personne qui tenterait de tuer un empereur ou un prince héritier ferait un acte stupide.
Cependant, ce n'est pas parce que la voie de l'assassinat était forcément impossible à prendre qu'il n'y avait pas d'autres méthodes. En effet, la construction du Palais de la Longévité avait été entièrement supervisée par la faction Wan, et Tang Fan ainsi que les autres craignaient que la faction Wan n'en profite pour commettre des actes sournois après que le prince héritier soit entré dans le temple. Ils restèrent donc extrêmement vigilants, et Wang Zhi proposa même de l'accompagner personnellement tout au long du processus, une suggestion que l’empereur accepta finalement.
Avec la garde de Wang Zhi, il semblait que le prince héritier ne risquait aucun danger.
Cependant, des failles subtiles pouvaient encore exister.
Par exemple, selon le protocole établi, il y avait presque une heure durant laquelle le prince héritier devrait rester seul dans une salle de prière pour implorer le ciel de préserver la santé de l’empereur et la paix du royaume. Ce processus ne devait être interrompu par personne, même Wang Zhi et les autres ministres ne pouvaient qu’attendre à l'extérieur de la salle.
Pendant cette heure, personne ne saurait ce qui se passait dans la salle.
Liu Jian, Tang Fan et les autres auraient bien aimé sauter cette étape, permettant au prince héritier de simplement prier en public et de retourner au palais immédiatement. Mais l’empereur, estimant avoir déjà fait trop de concessions, refusa fermement de réduire la cérémonie.
En tant que fils, le prince héritier ne pouvait bien sûr pas s’y opposer, et il devait même rédiger un document pour exprimer sa volonté de prier pour la santé de son père.
Après un certain temps de tension, un compromis fut trouvé : au lieu de rester une heure, le prince héritier ne devait passer qu’un temps limité, soit le temps de brûler un bâton d’encens, et avant son entrée dans la salle, la Garde impériale inspecterait soigneusement l’intérieur et l’extérieur du temple pour s’assurer qu’aucune personne suspecte n’était présente.
Après ces préparatifs minutieux, enfin arriva le 2 janvier.
Puisque le prince héritier allait prier au nom de l’empereur, les fonctionnaires de troisième rang et au-dessus se joignaient à lui, et Tang Fan faisait partie.
Cependant, les ministres et le prince héritier étaient séparés par une longue procession de domestiques, et ils ne se rejoindraient qu'au moment où la cérémonie de prière commencerait.
En chemin, de nombreux citoyens, ayant appris que le prince héritier serait présent, sortirent pour l’acclamer et rendre hommage.
La Garde impériale formait une barrière humaine pour les tenir à distance, permettant seulement une observation à distance, mais les citoyens, intimidés par la solennité du cortège et inspirés par l'atmosphère, ne purent s'empêcher de crier “Vive l’Empereur !” et “Longue vie au Prince héritier !”, certains étaient même en larmes, incapable de contenir leur émotion. La scène était extraordinairement animée.
C’était sans aucun doute une scène que tout empereur apprécierait et dont il profiterait, car l’humain a en lui une forme de vénération innée pour la puissance, raison pour laquelle les trônes ont toujours été un objet de désir. Malheureusement, sous la pression des ministres, l’empereur Chenghua ne réalisa jamais ce projet, sinon, en voyant de telles scènes, il aurait sûrement voulu que cela devienne une routine mensuelle.
Le prince héritier se comporta tout au long de la cérémonie de manière irréprochable. Si un autre jeune de son âge avait été dans la même situation, il est probable qu’il aurait été incapable de résister à l’envie de regarder l’agitation autour de lui. Mais le prince héritier n’était pas un jeune homme ordinaire. Il portait sur ses épaules le futur du pays et avait traversé une enfance pleine de souffrances, ce qui le rendait exceptionnellement calme et posé, ne commettant aucune faute dans ses manières et parlant avec mesure. En comparaison avec l’empereur actuel, dont l’imprévisibilité était bien connue, le prince héritier incarnait l’espoir du futur, ce qui émut profondément ceux qui l’observaient.
Contrairement à de nombreux fonctionnaires qui, n'ayant pas souvent eu affaire au prince héritier, furent agréablement surpris, Liu Jian, Tang Fan et les autres restèrent nerveux, craignant que des événements inattendus ne surviennent.
Cependant, contre toute attente, la cérémonie se déroula sans accroc. Aucun des incidents envisagés ne se produisit. La seule surprise fut qu’au moment où le prince héritier quitta le temple, une petite pluie commença à tomber. Cela mouilla tout le monde, et le froid rendit l’expérience encore plus pénible. De nombreux fonctionnaires tombèrent malades après cela, et Tang Fan ne fit pas exception.
Cela l’obligea à prendre un congé et à rester chez lui, sous la surveillance de Sui Zhou, qui lui fit prendre des médicaments amers, une épreuve difficile qu’il n’aurait pas souhaité à autrui.
“Je vais vraiment mieux, je n’ai plus besoin de médicaments. Regarde mon visage, ne vois-tu pas la différence par rapport à il y a quelques jours ?” dit Tang Fan en s’enveloppant dans un manteau épais, qu’il avait été contraint de porter sous les ordres de Sui Zhou.
Il était rare que quelqu’un réussisse à exprimer un tel mélange de frustration, de souffrance, de désespoir, et de demande à travers une seule expression faciale, mais Tang Fan y parvenait.
Malheureusement, Sui Zhou ne montra aucun signe de pitié : “Je peux te nourrir.”
Avec quoi ? Bien sûr, pas une cuillère.
Le visage de Tang Fan se coucha d’une légère rougeur.
Une telle scène se répétait presque tous les jours, et elle se terminait presque toujours par la défaite de Tang Fan.
Mais ce n’était pas sa faute. Le médicament était vraiment amer, et si Sui Zhou devait le prendre, il en aurait probablement refusé aussi. Cependant, Sui Zhou était en excellente santé. Il avait lui aussi été sous la pluie ce jour-là, mais n’était pas tombé malade.
En revanche, les fonctionnaires civils avaient eu bien plus de mal, surtout ceux du cabinet. À l’exception de Tang Fan, presque tous les autres avaient plus de quarante ans. Maintenant, à part les deux assistants principaux, Liu Ji et Xu Pu, qui continuaient de travailler au cabinet, tous les autres avaient été terrassés par la pluie, y compris le premier ministre Wan An, qui, selon les rumeurs, était encore alité.
Tang Fan s’en sortait plutôt bien : il n’avait pris qu’un jour de congé, et s’il n’y avait pas d’imprévu, il retournerait travailler le lendemain.
Car s’il ne revenait pas bientôt, Liu Ji et Xu Pu ne tiendraient plus. Normalement, sept personnes s’occupaient de ces affaires, mais maintenant tout reposait sur les épaules de deux personnes. À midi, Liu Ji était même venu lui demander s’il pourrait retourner au cabinet l’après-midi pour les aider.
Si cela signifiait qu’il ne devrait pas prendre de médicament, Tang Fan serait bien entendu ravi, mais s’il faisait cela, il risquait de souffrir encore plus le soir.
Après avoir avalé le médicament d’un coup, Tang Fan se retrouva avec une sensation amère dans la bouche et son visage se contracta en une grimace.
“Est-ce qu’il y a du sucre ?” demanda-t-il à Sui Zhou.
Sui Zhou répondit : “Quel genre de sucre veux-tu ?”
Tang Fan : "… Peu importe, du sucre à l’osmanthus ou du sucre de malt, c'est bon."
La réponse de l'autre ne tarda pas à arriver, le bloquant immédiatement avec un baiser passionné, puis serrant fermement sa taille pour l’empêcher de reculer, jusqu'à ce que Tang Fan manque presque de souffle, avant de relâcher et de dire : "J'ai mangé du sucre de malt tout à l'heure, c'est bon comme ça ?"
Tang Fan : "…"
En entendant cela, Tang Fan avait vraiment l'impression que sa bouche avait un léger goût de sucre de malt.
Mais cette manière de faire…
Le visage de Tang Fan devint rouge.
Sui Zhou le regarda, amusé, en observant sa réaction.
Son visage pâle était maintenant d'un rouge éclatant, et ses yeux, légèrement embués par le manque d'air, semblaient à la fois irrités, honteux et désireux de riposter, mais sans savoir comment.
Peu importe combien de fois cela se produisait, il en tirait toujours une grande satisfaction.
"La dernière fois, j'ai vu dans le roman d’amour que tu as écrit, la description dedans n'était-elle pas assez explicite ? Alors pourquoi deviens tu toujours si timide ? Hmm ?" dit-il en attrapant son menton, se penchant presque jusqu'à poser ses lèvres près de celles de Tang Fan.
Une légère fragrance de prunier flottait dans le corridor. Les deux étaient si proches que Sui Zhou n’hésita pas à l’attirer entièrement contre lui, les deux maintenant face à face, Tang Fan assis sur ses genoux, les jambes écartées.
En plein jour, et avec la cour à l’extérieur, cette position était…
Suffisamment provocante pour que les gardiens de la morale les condamnent !
Tang Fan voulait se débattre, mais il n’avait pas même besoin de réfléchir : non seulement il était encore malade, mais même en temps normal, il ne réussirait pas à échapper à l’étreinte de Sui Zhou.
"Il fait plus chaud comme ça, je vais te protéger du vent," dit Sui Zhou avec un air tout à fait naturel.
Tang Fan : "…"
Il ne put plus supporter cela : "Pourquoi dès que je prends un congé, tu en profites pour paresser ?"
Sui Zhou répondit très sérieusement : "Moi aussi, j’ai pris un congé."
Tang Fan haussant un sourcil : "Tu es malade ?"
Sui Zhou : "Non, je m'occupe d’un membre de ma famille malade."
Tang Fan : "…"
Où est donc ta dignité !
Les deux se chamaillèrent un peu, et à ce moment-là, un bruit de frappe à la porte se fit entendre : "Est=ce la résidence du Conseiller Tang, y a-t-il quelqu'un ?"
Tang Fan en profita pour se libérer de l’étreinte de Sui Zhou et alla ouvrir la porte.
Devant lui se tenait un homme d’une quarantaine d’années, semblant être un domestique. En voyant Tang Fan, il s'inclina rapidement : "Monsieur, je viens de la maison du Conseiller Liu."
Tang Fan le reconnut. Cet homme était un serviteur de Liu Jian.
"Votre maître a-t-il besoin de moi ?"
"Oui, il vous attend à l'angle de la rue. Monsieur, veuillez le rejoindre."
Tang Fan, surpris, se demanda pourquoi Liu Jian, qui avait annoncé qu’il était malade, était maintenant dehors. Il donna un signe de tête à Sui Zhou, et suivit le domestique. Ils virent Liu Jian, emmitouflé dans un manteau épais, se tenir dans un coin en tapotant ses pieds et en frottant ses mains pour se réchauffer. Il n’avait pas l’air malade du tout.
"Maître Hui'an ?" dit Tang Fan en s’approchant pour le saluer. "Puisque tu es déjà là, pourquoi ne pas entrer et nous rendre visite ?"
"Non," répondit Liu Jian en tirant Tang Fan un peu plus près de lui. "Si tu n'as rien à faire, viens plutôt avec moi au palais. Il faut qu’on aille voir le prince héritier."
Voyant l’air mystérieux de Liu Jian, Tang Fan demanda immédiatement : "Que se passe-t-il avec le prince héritier ?"
Liu Jian expliqua : "Tu sais que le prince héritier est tombé malade après la cérémonie de prière, n’est-ce pas ?"
Tang Fan acquiesça.
Il était au courant de cela. Après la pluie, beaucoup de personnes étaient tombées malades, et le prince héritier en faisait partie. Lors du retour, bien qu'il ait eu une voiture pour le ramener, contrairement à d'autres qui avaient dû marcher sous la pluie, il y avait une section de marches en jade blanc entre le temple et la voiture, qu'il avait dû monter à pied.
Même si Wang Zhi avait déployé son manteau pour protéger la tête du prince héritier, il ne pouvait éviter que ses cheveux et ses vêtements ne se mouillent. En revenant au palais, tout comme les autres, il attrapa un rhume.
Cependant, à l'époque, la pluie n'était pas très forte, et même ceux qui, comme Tang Fan, étaient restés sous la pluie sur leur cheval, eurent besoin de boire deux bols de médicament amer. De plus, la plupart des gens avaient utilisé leurs manteaux pour se couvrir, ce qui, même en cas de maladie, rendait généralement la situation moins grave.
Et personne ne pouvait accuser la faction Wan cette fois.
Après tout, même si la faction Wan souhaitait la chute du prince héritier, personne ne pouvait prévoir qu’il pleuvrait ce jour-là. Même si la pluie avait été anticipée, il était impossible de savoir que le prince héritier serait malade à cause de cela. Si quelqu’un avait pensé qu’ils pouvaient l’éliminer ainsi, c'était vraiment absurde.
Le prince héritier avait été malade pendant deux jours. Hier, Tang Fan avait posé la question, et il semblait que la maladie n'était pas grave. Les médecins n’avaient prescrit que du repos. Cependant, lorsque Liu Jian mentionna cela, Tang Fan ressentit une gêne au fond de son cœur, un mauvais pressentiment s'empara de lui.
« Cela ne serait pas à cause du prince héritier… »
Liu Jian percuta qu'il avait mal été compris : « Non, c'est juste que j'ai entendu dire que le prince héritier est malade, et je voulais le voir en personne pour être rassuré. C'est pour cela que j'ai pris un congé aujourd'hui. Comme j'ai entendu dire que tu étais chez toi, je me suis dit que ce serait l'occasion de te retrouver. »
Avant d'entrer au gouvernement, Liu Jian avait été chargé pendant plusieurs années de l'enseignement au palais de l'Est, et il avait des liens d'amitié particuliers avec le prince héritier, ce qui expliquait pourquoi il se préoccupait davantage de sa santé que les autres.
Tang Fan répondit : « Je suis bien sûr heureux d'accompagner le seigneur Hui’an, mais je suis encore malade. Si je me présente devant le prince héritier et que je perds toute dignité, ou pire encore, que je lui transmette mon mal, cela serait malvenu. »
Liu Jian, réfléchissant un instant, acquiesça : « Très bien, dans ce cas, je vais y aller seul. Nous en reparlerons demain au gouvernement. »
D'une nature énergique, Liu Jian dit cela, puis salua Tang Fan et partit précipitamment.
Par courtoisie, Tang Fan resta là, regardant la voiture de Liu Jian s'éloigner. Le vent glacial soufflait, et les bords de son manteau se levaient alors qu'il se tenait droit, sa silhouette d'une élégance indéniable.
Mais malheureusement…
Tang Fan, encore malade, ne put s'empêcher de renifler, aspirant rapidement le mucus qui menaçait de couler.
Puis il se retourna.
Tang Fan : « … »
Sui Zhou : « … »
Découvert ! Mon image de gentleman est ruinée !
Dans son cœur, Tang Fan rugissait intérieurement, une soudaine envie de pleurer l'envahissant.
Sui Zhou se retint de rire : « Rentrons, il fait froid dehors. »
Tang Fan toussa légèrement : « Je n'avais pas de mouchoir avec moi quand je suis sorti tout à l'heure. »
Sui Zhou répliqua : « C’est justement pour ça que tu devrais venir avec moi prendre tes médicaments. Sinon demain, au gouvernement, devant tes subordonnés, tu risqueras de perdre toute dignité, non ? »
Il n'aurait pas dû dire cela, mais dès qu'il parla, Tang Fan ne put s'empêcher d’imaginer la situation. Si demain, en plein débat avec les factions, il se retrouvait à parler avec passion, puis soudainement il sentait le mucus couler et était contraint de renifler…
Tout son autorité disparaîtrait instantanément.
Tang Fan : « … »
Regardant son visage qui devenait soudainement pâle, puis rouge, Sui Zhou se demanda si ses mots n’étaient pas mal formulés. Avant qu'il ait eu le temps d'y réfléchir davantage, il entendit Tang Fan dire, frustré : « Je vais prendre un autre jour de congé demain ! »
Bien sûr, ce souhait était irréalisable. Liu Ji et Xu Pu avaient passé une journée entière au gouvernement et étaient presque devenus fous, devant rester là pour le dîner et ne quitter les lieux qu'une fois la nuit bien avancée. Si Tang Fan prenait un autre jour de congé, ils enverraient probablement quelqu’un le chercher jusque chez lui.
Tang Fan n’eut d’autre choix que de se rendre au gouvernement, son corps toujours faible, mais avec trois mouchoirs neufs dans ses poches, au cas où.
Les autres étaient déjà arrivés, y compris le premier ministre Wan An.
Aujourd'hui, il n'y avait pas de réunion. Chacun se rendit donc dans son bureau après avoir fait son rapport du matin.
Tang Fan partageait un bureau avec Liu Jian et en profita pour lui poser une question : «Seigneur Hui’an, as-tu pu voir le prince héritier hier ? »
Liu Jian fronça les sourcils, hésitant à répondre.
Tang Fan : « Est-ce que le prince héritier a refusé de te voir ? »
Liu Jian : « Ce n’est pas ça, mais il semble être assez malade. On m'a dit qu'il était allongé dans son lit et qu’il ne s’est levé que quand il a su que j’étais là. »
Tang Fan s'inquiéta immédiatement : « Est-ce grave ? »
Liu Jian : « Pas vraiment. Le médecin était là, il a dit que le rhume pouvait être léger ou plus grave. Il faut que le prince héritier se repose et qu’il ne prenne pas ça à la légère. »
Tang Fan acquiesça : « C’est logique. »
Mais Liu Jian ne put s’empêcher de se laisser aller à sa frustration : « Cependant, j’ai entendu dire que pendant la maladie du prince héritier, l’Empereur ne lui a même pas rendu visite ! »
Rien que de penser à l’expression triste du prince héritier, Liu Jian ne put s’empêcher de ressentir de la peine pour lui.
Tang Fan soupira. C’était une situation difficile à juger de l’extérieur, et en tant que serviteur de l'Empire, il ne pouvait pas en parler à la légère.
De l’extérieur, on pourrait voir le prince héritier comme quelqu’un de très malheureux.
Mais l’Empereur, lui, pensait peut-être qu’il avait déjà offert au prince héritier tout ce qu’il pouvait : l'héritage impérial. Il se disait probablement que si le prince héritier endurait quelques difficultés, ce n’était pas si grave, après tout. De plus, ils étaient père et fils, et souverain et sujet. Il n'y avait pas de raison pour que le père ignore son fils, ou que le fils se rebelle contre son père.
C'était une situation complexe, difficile à résoudre, qui n’avait pas de réponse simple.
Même la consort Wan, peut-être, se sentait malheureuse, pensant qu’elle, la plus aimée de l’Empereur, ne voyait pas son propre fils hériter du trône, alors qu’un enfant d'une simple fonctionnaire de la cour, l'avait remplacé en tant que prince héritier.
Si un jour le prince héritier montait sur le trône et restait fidèle à ses principes, sans se laisser détourner par des rancunes et des intrigues, et qu’il se consacrait à gouverner le pays, ce serait véritablement exceptionnel, et cela justifierait les efforts et sacrifices qu'il avait reçus de ceux qui l’avaient soutenu, même au péril de leur vie.
Liu Jian semblait comprendre tout cela, donc après avoir partagé cette plainte privée avec Tang Fan, il n'en parla plus. Ils se plongèrent tous deux dans le travail, leurs tâches étant multiples. Ils passèrent la journée à se battre contre les affaires administratives, et ce n'est qu'en fin d'après-midi qu'ils purent en venir à bout.
"À partir de maintenant, même si je dois mourir en poste, je n'enverrai plus jamais de demande de congé !" Liu Jian secoua la tête en plaisantant. "Ce congé m’a plus épuisé que si je n’en avais pas pris !"
Tang Fan ne put s'empêcher de rire doucement, mais il se rendit vite compte que son nez coulait à nouveau. Il sortit précipitamment un mouchoir pour l'essuyer, ce qui donna à sa voix un ton un peu étouffé : « Seigneur Hui’an, ne me fais pas rire… »
Liu Jian avait manifestement remarqué sa gêne, et sans aucune pitié, éclata de rire.
Enfin, après avoir terminé les affaires urgentes, Tang Fan se hâta de quitter le palais et de rentrer chez lui.
Avant de se remettre totalement, il avait l'intention de refuser toutes les invitations. Peu importe qui venait le chercher, il ne voulait pas sortir, de peur de se ridiculiser encore plus en public.
Malheureusement, les plans de l'homme ne sont pas toujours ceux du ciel, et en chemin, il fut intercepté.
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L’auteur a quelque chose à dire:
Je ne peux pas m'empêcher d'ajouter une petite scène :
Tang Fan, avec son nez qui coule, se rend au travail, son manteau drapé sur son bras, et trois nouveaux mouchoirs dans ses poches, prêts à être utilisés en cas de besoin.
Il est à noter que ces trois mouchoirs sont chacun brodés du caractère "Sui". (NT : 隋 )
Mais ce ne sont pas les mouchoirs de Sui Zhou, mais ceux qu'il a lui-même brodés.
N’en doutez pas, même si Sui Zhou est un homme viril, il maîtrise non seulement les arts martiaux et la cuisine, mais il est aussi expert en couture.
Un véritable modèle de mari dans la grande dynastie Ming !
Traducteur: Darkia1030
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