Chenghua -Chapitre 138 - Wei Mao est aveuglé

 

Vénus, également appelée "l'Étoile de Tai Bai" , était associée à des présages néfastes lorsqu’elle traversait le disque solaire, phénomène connu sous le nom de "Tai Bai Ling Ri" (NT : litt. Vénus passant devant le soleil). Cette configuration était censée annoncer des conflits, des calamités nationales, des périodes de déclin, voire des complots pour usurper le trône.

Le Kaiyuan Zhanjing de la dynastie Tang disait également : "Quand une comète pénètre dans la constellation de la Grande Ourse, le palais impérial devient vide."

(NT : Le Kaiyuan Zhanjing (开元占经), "Classique des Divinations de l'Ère Kaiyuan", est un ouvrage majeur de l'astrologie chinoise compilé sous la dynastie Tang.)

La Grande Ourse représentait l’empereur, et l’apparition d’une comète était toujours vue comme un signe de trouble depuis l’Antiquité. Que le palais impérial fût "vide" signifiait que l’empereur avait quitté son palais, ce qui n’arrivait que lorsque l’empereur était contraint de fuir précipitamment.

Ces deux phénomènes astrologiques ne présageaient rien de bon, et leur survenue à quelques jours d’intervalle ne pouvait que semer des doutes et des conjectures.

Depuis toujours, les empereurs attachaient une grande importance aux signes astrologiques, et les courtisans aimaient utiliser ces phénomènes célestes pour exprimer leurs préoccupations. Par exemple, l’apparition d’une comète pouvait servir à exhorter l’empereur à gouverner avec diligence et à aimer son peuple. Il arrivait même que des empereurs rédigent des édits d’autocritique pour implorer le pardon des cieux.

Cette fois ne fit pas exception. Les deux phénomènes ayant eu lieu, la cour impériale fut instantanément en émoi. Avant même que l’observatoire impérial ne puisse fournir une interprétation officielle, les censeurs se précipitèrent pour soumettre des mémoires. Ils exposèrent leurs diverses opinions sur le Tai Bai Ling Ri et la comète dans la Grande Ourse, la plupart cherchant à effrayer l'empereur afin qu’il renonce à sortir du palais.

Cependant, en raison de leur empressement, ils n’avaient pas coordonné leurs discours avant de soumettre leurs mémoires, ce qui donna lieu à une cacophonie de points de vue contradictoires. L’empereur, déjà fatigué, perdit patience après en avoir lu deux ou trois et les écarta d’un geste, sans l’envie de continuer.

Plutôt que d’écouter ses ministres, il préférait entendre l’avis de certains individus en qui il avait davantage confiance.

« Grand maître Guangshan, ces derniers jours, mon cœur est tourmenté par l’inquiétude !»

L’empereur Chenghua prononça ces mots en étant à moitié avachi sur son siège. Il plissait les yeux pour regarder Ji Xiao, vêtu de sa robe safran et rouge, affichant l’aura calme et noble d’un grand moine. Une pointe d’envie traversa son esprit.

Si quelqu’un sortait un portrait peint de l’empereur quelques années auparavant pour le comparer à aujourd'hui, il serait évident qu’il avait encore maigri, et sa silhouette en paraissait affaiblie.

Pourtant, plus sa santé déclinait, plus il semblait croire aux arts mystiques et aux pratiques spirituelles. Une tendance commune, semble-t-il, à tous les souverains, qu’ils soient brillants ou médiocres.

Ji Xiao demanda avec douceur : « Les troubles du cœur sont tous dus à des démons intérieurs causant des méfaits. Pourquoi donc, Majesté, ressentez-vous cette agitation ? Votre corps impérial, protégé par les cieux, ne saurait être troublé par de simples démons. Pourquoi craindre de tels tourments ? »

L’empereur soupira longuement.

Bien qu’il n’ait pas atteint un âge avancé — il approcherait seulement la quarantaine l'année suivante — il n’avait pas eu une vie difficile en tant qu’empereur. Depuis son avènement, les choses s’étaient déroulées sans trop de heurts. Les problèmes d’héritiers qui l'avaient jadis inquiété étaient désormais réglés. Les désastres naturels, bien que parfois présents, étaient gérés efficacement par ses ministres. Même les raids des Tatars, autrefois une menace constante, avaient cessé. Jamais, sous son règne, des troupes étrangères n’avaient atteint les portes de la capitale, comme cela était arrivé sous son père ou son oncle.

Et pourtant, il se sentait mélancolique. Et plus sa santé déclinait, plus ce sentiment d’anxiété s’intensifiait.

Il commençait enfin à comprendre pourquoi des figures historiques comme l’empereur Qin Shi Huang ou l’empereur Wu des Han, malgré leur génie et leurs exploits militaires, avaient été captivés par la quête de l’immortalité. Car, bien qu’un empereur puisse posséder tout ce qu’il désirait, la durée de sa vie restait hors de son contrôle. Lorsque tout semblait à portée de main sauf un élément insaisissable, ce dernier devenait une obsession.

Et ces phénomènes célestes récents ne faisaient qu’aggraver son angoisse.

Son visage, suivant le fil de ses pensées, refléta une inquiétude visible : « Je suppose que le maître a entendu parler des événements célestes récents. Mon trouble intérieur provient justement de là. »

Ji Xiao hocha la tête : « Votre Majesté fait sans doute référence au Tai Bai Ling Ri et à la comète dans la Grande Ourse. »

L’empereur hésita un instant, puis répondit : « …C’est exact. »

Rien que d’entendre ces termes suffisait à lui faire battre le cœur plus vite. Il ne voulait ni les mentionner ni même les entendre.

Ji Xiao joignit les mains en un geste de prière : « Les cieux manifestent leur volonté par des signes. Ces événements ne sont pas anodins et méritent une réflexion approfondie. L’observatoire impérial est chargé d’interpréter les astres, et vos ministres, pleins d’érudition, doivent avoir des opinions pertinentes. »

L’empereur secoua la tête avec irritation : « Nous (NT : le nous impérial, ‘zhen’ en chinois) sommes fatigué de leurs discours ! Chacun dit quelque chose de différent. Comment pourrions-nous savoir à qui faire confiance ? Certains prétendent que le Tai Bai Ling Ri annonce une guerre à venir ; d’autres disent que la comète est un avertissement céleste contre mon intention de quitter le palais. Quelle absurdité ! Depuis quand un empereur provoque-t-il la colère des cieux simplement en sortant du palais ? Selon leur logique, nous devrions passer notre vie entière enfermé ici ! »

Puis il fixa Ji Xiao avec insistance : « C’est pourquoi je veux entendre votre avis, maître. Ces phénomènes sont-ils réellement un avertissement des cieux à notre égard ? »

Sans se presser, Ji Xiao répondit : « Votre humble serviteur a une perspective différente. Ces deux phénomènes célestes étant survenus coup sur coup, ils ne peuvent être interprétés séparément. Ils doivent être considérés dans leur ensemble. »

L’empereur, intrigué, redressa légèrement sa posture : « Oh ? Expliquez-vous. »

Ji Xiao poursuivit : « Votre Majesté a-t-elle déjà entendu parler des "étoiles invitées" ? »

L’empereur répondit : « Les étoiles invitées sont des astres inhabituels. Leur apparition dans le ciel annonce toujours des événements extraordinaires. »

Ji Xiao hocha la tête : « En effet, en théorie, Vénus n’est pas une étoile inhabituelle, mais face au soleil, elle devient comme une étoile étrangère. C’est pourquoi le passage de Tai Bai devant le soleil contient l’idée de “l’invité qui usurpe la place de l’hôte”. Quant à l’entrée d’une comète dans la constellation de la Grande Ourse(Hui Ru Bei Dou), elle obéit au même principe : la comète agit comme un invité face à un hôte. L’intendant Zhou Shufu des Zhou disait : ‘D’ici sept ans, les souverains de Song, Qi et Jin périront dans le chaos.’ »

Ji Xiao jouissait des faveurs de l’empereur et avait été élevé au rang de maître national, non pas seulement grâce à deux ou trois tours de magie mystérieuse, mais aussi parce qu’il était versé dans les textes classiques.

Comme prévu, l’empereur, également érudit, comprit immédiatement : « C’est une citation des Annales des Printemps et Automnes . » (NT : l'un des Cinq Classiques (五经, Wujing) du confucianisme. Elles retracent les événements politiques et militaires des États de la Chine centrale durant la période des Printemps et Automnes )

Ji Xiao acquiesça : « Exactement. Ainsi, qu’il s’agisse de Tai Bai Fan Ri ou de Hui Ru Bei Dou, ces deux phénomènes ne parlent en réalité que d’une seule et même chose. »

L’empereur, pressé, demanda : « Mais de quoi s’agit-il exactement ? »

Ji Xiao fixa son regard sur lui avant de répondre : « Les secrets célestes ne peuvent être divulgués. L’humble moine en a dit assez. Votre Majesté, érudit des cieux et de la terre, doté d’une grande mémoire, saura sans doute trouver la réponse. Depuis l’Antiquité, les débuts des troubles dans les familles impériales viennent toujours d’un invité qui usurpe la place de l’hôte. Puisque le ciel a envoyé un avertissement, que Votre Majesté le prenne en compte avec prudence et vigilance. »

Plus Ji Xiao semblait hésitant, plus l’empereur trouvait ses paroles profondes et insondables.

Après le départ de Ji Xiao, l’empereur congédia sa suite et resta seul dans l’immense palais, plongé dans ses pensées.

Un invité usurpant la place de l’hôte, une étoile étrangère supplantant l’étoile maîtresse… Qui pouvait bien être l’hôte ? Cela devait évidemment désigner l’empereur.

Et l’“invité” alors ?

Serait-ce un traître qui projetait de se rebeller ?

Cela semblait peu probable. Depuis la fondation de la dynastie sous l’Empereur Taizu, les erreurs des Tang, avec leurs seigneurs féodaux, et des Song, qui favorisaient excessivement les lettrés, avaient été corrigées. Il n’existait plus les conditions nécessaires pour que des fonctionnaires civils fomentent une rébellion ou que des généraux militaires provoquent un coup d’État. D’ailleurs, le royaume n’était pas en proie au chaos, et quiconque tenterait un soulèvement serait aussitôt écrasé.

Les princes féodaux, autrefois source de menace, avaient également perdu leur pouvoir depuis l’époque de l’Empereur Yongle. Même s’ils se soulevaient, leur portée serait limitée à des régions locales et ne menacerait pas le pouvoir central.

Si ce n’était aucun de ces cas, alors de quoi s’agissait-il ?

L’empereur baissa les yeux. Le sol, avec ses dalles polies, reflétait son image, floue et indistincte.

Il inspira profondément, et une pensée inquiétante surgit dans son esprit.

Se pourrait-il que…

*

« Se pourrait-il qu’il ait finalement pris sa décision ? » L’empereur ignorait qu’ailleurs, quelqu’un murmurait ces mêmes mots.

Celui à qui cette question était adressée laissa échapper un rire sourd. Un sourire se dessina sur son visage large et bouffi, tandis qu’il frottait ses mains : « Il semblerait que cette fois, même les cieux soient de notre côté ! »

Après ces paroles, Wan Tong nota que les deux autres personnes présentes ne partageaient pas son enthousiasme. Il modéra alors son rire : « Quoi ? Vous deux, éminents conseillers, ne pensez-vous pas que c’est une excellente nouvelle ? »

Wan An répondit : « À mon avis, malgré les paroles du Maître Guangshan, l’empereur aura du mal à se décider. Après tout, le prince héritier n’a pas commis de faute grave… »

« Comment peut-il n’avoir commis aucune faute grave ? » Wan Tong interrompit brusquement, sans égard pour le statut de premier ministre de son interlocuteur. « Il a même attiré une comète ! Si ce n’est pas une faute majeure, qu’est-ce que c’est ? Cela prouve que même les cieux considèrent que nommer Zhu Youcheng comme prince héritier était une énorme erreur ! Je suis curieux de voir quels arguments ses partisans vont encore inventer pour le défendre cette fois-ci ! »

Wan An esquissa un sourire amer : « Mon cher frère, tout cela n’est qu’une question d’interprétation des signes célestes. Leur explication dépend des intentions des hommes, après tout. »

Wan Tong, irrité, s’exclama : « Frère Yuan, vas-tu te dérober au dernier moment ? N’oublie pas que tu es déjà lié à la famille Wan. Si le prince héritier monte sur le trône, le premier qu’il cherchera à éliminer sera toi, le premier ministre ! »

Son regard sombre balaya Wan An et Peng Hua. Il déclara d’un ton glacial : « Permettez-moi de vous avertir : ma sœur et moi ne pourrons jamais coexister pacifiquement avec le prince héritier. Ma sœur, en particulier, nourrit une haine irréconciliable à son égard. Et pourtant, il continue de se montrer respectueux envers elle, dissimulant ainsi sa nature hypocrite et sournoise. Si un tel homme venait à régner, nous ne connaîtrions plus un jour de tranquillité. Peu importe le prix à payer, nous ne pouvons pas le laisser s’asseoir sur ce trône ! »

Peng Hua, voyant l’atmosphère s’alourdir, tenta d’apaiser la situation : « Cher frère Wan, frère Yuan ne voulait pas dire cela. Il craint seulement que l’empereur, indulgent et hésitant par nature, ne se laisse influencer par les paroles d’autres conseillers et ne change d’avis. Les propos du Maître Guangshan suffiront peut-être à semer le doute chez l’empereur, mais pas nécessairement à le convaincre de destituer le prince héritier. »

Wan Tong grogna : « Frère Yuan, cela fait tant d’années que tu es premier ministre, et tu n’es même pas capable de museler les censeurs et les mandarins ? Je me souviens qu’il y a quelques années, personne n’osait nous contredire. Comment se fait-il qu’ils aient gagné en audace ces deux dernières années ? »

Wan An, piqué au vif, se sentit légèrement embarrassé et répliqua avec amertume : «N’est-ce pas à cause de ce vieux renard de Liu Mianhua, qui insiste pour me contrarier à tout bout de champ ? Résultat, cela a profité à cette bande menée par Tang Fan. Ne cherche pas à me provoquer, je souhaite tout autant que toi que le prince de Xing hérite du trône. Mais que veux-tu ? Mon autorité en tant que premier ministre est bien inférieure à celle des chanceliers des dynasties Tang ou Song ! Si seulement l’empereur laissait entendre la moindre volonté de destituer le prince héritier, le cabinet se désunirait immédiatement. Une fois le cabinet divisé, les censeurs et mandarins, enhardis, s’abattraient en masse. C’est là que résiderait notre véritable problème ! »

Peng Hua soupira : « Oui, frère Wan a raison. Yuanweng n’a pas le choix. Depuis la fondation de notre dynastie Ming, nous avons toujours respecté la règle de légitimité par la primogéniture. Actuellement, le prince héritier est l’aîné, ce qui le rend légitime. Tant que ses partisans s’accrochent à cet argument, ils resteront inattaquables. »

Wan Tong ricana, indifférent : « Ces censeurs, on ne peut pas s’en débarrasser ? Exiler un ou deux d’entre eux, et les autres se tairont bien vite ! Ne me faites pas croire qu’ils sont aussi courageux qu’ils veulent le paraître. Rappelez-vous, il y a quelques années, quand Ji Xiao fut accueilli au palais par l’empereur. Combien ont couru pour le dénoncer, et qu’est-il arrivé ? L’empereur a fait enfermer Lin Jun dans une prison impériale, et les autres ont immédiatement cessé de parler ! Hmpf, ils ne sont qu’une bande d’opportunistes, prêts à vendre leur âme pour survivre ! »

Peng Hua répondit : « Tant qu’aucun meneur ne se manifeste, ils ne sont effectivement qu’une bande de mouches sans tête. Mais dès qu’un leader émerge, comme Yuanweng l’a dit, ces gens n’hésiteront pas à avancer en rangs serrés. C’est là que les choses deviendront vraiment problématiques. Même si ce qu’ils disent est insignifiant, l’empereur lui-même ne pourra pas les ignorer. »

Wan Tong, avec un éclat de cruauté dans les yeux, lança : « Alors abattez le meneur ! »

Se tournant vers Wan An, il demanda : « Qui, dans le cabinet, est actuellement opposé à nous ? Cet ancien Liu Mianhua ? »

Wan An secoua la tête : « Liu Ji me contredit effectivement à chaque occasion, mais cet homme sait toujours ménager l’empereur. S’il perçoit que l’empereur envisage de destituer le prince héritier, il ne s’opposera probablement pas ouvertement. »

Wan Tong s’impatienta : « Alors qui, au juste ? Yuanweng, parle franchement ! »

Wan An, bien que lié à la famille Wan par alliance à cause de son rapprochement avec Wan Guifei, méprisait au fond de lui des individus comme Wan Tong, qui se hissaient au pouvoir grâce à leurs relations familiales. En tant que premier ministre, il trouvait intolérable que Wan Tong, fort de l’influence de sa sœur auprès de l’empereur, ose lui parler avec tant d’insolence. Ce ressentiment, longtemps contenu, ne demandait qu’à éclater.

Voyant le mécontentement latent de Wan An, Peng Hua, plus perspicace, intervint avec un sourire conciliant : « Moi et Yuanweng sommes bien sûr dans le même camp. Mais en dehors de nous, ceux qui ne partagent pas nos idées au sein du cabinet se résument à Liu Ji, Liu Jian, Xu Pu et Tang Fan. Xu Pu est un homme discret et modéré, un gentilhomme silencieux. Même s’il s’oppose à nous, il ne saura pas argumenter longtemps. Nous n’avons pas à nous en inquiéter. Liu Jian et Tang Fan, en revanche, sont plus problématiques. Liu Jian est impétueux et toujours prêt à agir avec fracas. Quant à Tang Fan, il est d’une éloquence redoutable, capable de faire passer le noir pour du blanc. Ces deux-là soutiennent fermement le prince héritier et défendront leur cause avec ténacité. En outre, Tang Fan est bien entouré par ses pairs de la même promotion impériale, dont beaucoup sont censeurs ou académiciens. Rien que leur rassemblement constituerait une force non négligeable. »

Wan Tong semblait rester sur une vieille image de Tang Fan, celui qui avait été contraint de quitter son poste de lecteur à l’Est pour accomplir une mission en province. Il savait que Tang Fan était maintenant membre du cabinet, mais en dernière position, sans influence apparente. Il fut surpris de constater que dans le débat sur la destitution du prince héritier, Tang Fan était soudain mentionné comme un obstacle.

Peng Hua, voyant la perplexité de Wan Tong, lui rappela : « Frère Wan, n’oublie pas que Shang Ming a été disgracié et envoyé balayer les rues de Nankin uniquement grâce à Tang Fan. Ce souvenir est encore récent. Ne sous-estime pas Tang Runqing. »

Wan Tong demanda : « Et donc, que suggères-tu ? »

Peng Hua répondit : « Pour éviter de longues tergiversations, nous devons agir rapidement. Il ne faut surtout pas laisser l’affaire traîner ni la soumettre à un débat au cabinet. Le mieux serait que l’empereur prenne une décision ferme et unilatérale, en promulguant directement un édit de destitution. Une fois l’acte accompli, personne ne pourra plus rien y changer. »

Wan An secoua la tête : « C’est impossible. L’empereur n’est pas ce genre d’homme. De toute sa vie, il n’a jamais pris une décision unilatérale. »

S’il y avait une personne qui connaissait bien l’empereur, c’était Wan An. Il comprenait que si l’empereur avait été un homme résolu, il n’aurait jamais favorisé la consort Wan, ni toléré qu’elle empoisonne l’ancien prince héritier Daogong sous ses yeux. C’est précisément à cause de son tempérament doux qu’il était indécis et qu’il s’attachait à des femmes comme la consort Wan.

Wan An analysa : « Si l’empereur décide de destituer le prince héritier, il commencera par me convoquer pour en discuter, puis me demandera de sonder l’opinion des ministres. Ce n’est qu’après avoir obtenu leur avis qu’il prendra sa décision. »

Wan Tong s’exclama, agacé : « Et à quoi bon ? Tout cela prendra des mois, voire des années ! Si, entre-temps, l’empereur venait à disparaître, le prince héritier hériterait naturellement du trône. Nous n’avons plus beaucoup de temps. Il faut agir vite ! »

Peng Hua, souriant calmement, déclara : « Ne t’inquiète pas, j’ai une solution. »

Wan Tong s’empressa de demander : « Quelle solution ? Parle vite ! »

Peng Hua répondit : « Puisque l’empereur ne peut pas se décider, nous allons prendre cette décision à sa place. »

Il exposa son plan en détail.

Après l'avoir écouté, Wan Tong, ravi, frappa sa cuisse en s'exclamant avec enthousiasme :
« Quelle idée brillante ! Nous devons acculer le prince héritier, le forcer au bord du précipice, le placer sur des charbons ardents jusqu'à ce qu'il n'ait d'autre choix que de réagir. Quand il se manifestera de lui-même, le cabinet pourra alors emboîter le pas. Voyons si l'empereur hésitera encore après cela ! Et les censeurs ? Ils n'auront plus rien à dire. »

Wan An, cependant, restait hésitant :
« Mais les autres membres du cabinet... »

Wan Tong s'impatienta :
« Ces gens-là poursuivent chacun leurs propres intérêts, ils ne sont pas unis. Qu'y a-t-il à craindre ? Quand le moment viendra, je vous soutiendrai. Yuanweng, cesse donc de tergiverser ! »

Wan An jeta un regard à Wan Tong, qui affichait une confiance débordante, puis à Peng Hua, dont l'expression assurée ne laissait aucun doute sur sa détermination. Voyant qu'ils ne changeraient pas d'avis, il serra les dents et finit par acquiescer :
« Très bien ! »

Wan Tong éclata de rire, lui tapant sur l'épaule :
« Voilà qui est mieux ! Cette affaire est vouée au succès. Une fois le prince de Xing devenu prince héritier, nous aurons accompli notre grande œuvre. Yuanweng, prépare-toi à jouir des honneurs et des richesses à venir ! »

*

Peu après l’échange entre l’empereur et Ji Xiao, le 23 décembre de la 22ᵉ année de Chenghua, Zhao Yuzhi, vice-directeur de l’Observatoire impérial, présenta un rapport sur les phénomènes célestes, déclarant : « Une comète est entrée dans la constellation du Grand Chariot. Cela indique l'apparition d’une étoile intruse, signe que le trône pourrait être menacé, et cela semble concerner le Palais de l'Est. »

C'était la première fois que quelqu'un associait explicitement l’apparition de la comète et de l'étoile du matin au prince héritier.

Les paroles de Zhao Yuzhi furent comme un signal. Avant même que l’empereur ne réagisse ou que les ministres ne s'expriment, l’Observatoire impérial fit un nouveau rapport, affirmant que :
« Une comète est apparue près du soleil. »

Le phénomène, connu sous le nom de « comète gardant le soleil », était interprété comme un mauvais présage : cela annonçait chaos, guerres et conspirations visant à renverser l’empereur. Selon cette lecture, cela revenait à dire que certains attendaient la mort de l’empereur pour permettre au prince héritier de monter sur le trône.

Un tel reproche, aussi grave que le ciel qui s’effondrerait, était insupportable pour quiconque. Même si personne d’autre ne disait quoi que ce soit, le prince héritier lui-même ne pouvait rester silencieux.

Dans l’urgence, il présenta une pétition pour s’accuser, déclarant qu’il était incompétent et sans vertu, et exprimant son souhait de renoncer à son titre pour préserver la santé de son père et garantir la paix éternelle de la dynastie Ming.

Les ministres, eux aussi, se hâtèrent de présenter des pétitions affirmant leur innocence, jurant qu’ils n’avaient aucune intention déloyale, appelant le ciel et la terre à en être témoins.

Il s’agissait moins d’une reconnaissance de culpabilité réelle que d’un acte symbolique pour montrer leur loyauté et éviter toute accusation. Une manière de se protéger des critiques.

Selon les usages, après avoir reçu une telle pétition du prince héritier, l’empereur aurait dû publier un décret pour le réconforter, déclarant que ces présages célestes étaient insignifiants et que rien ne pouvait ébranler leur lien filial.

Mais cette fois, l’empereur resta silencieux.

Face à l’absence de réponse, le prince héritier envoya une deuxième pétition. Encore une fois, elle fut comme une pierre jetée dans un puits sans fond. Aucune réaction.

Il devenait évident, même pour les plus naïfs, quelle était la position de l'Empereur. L’empereur était mécontent du prince héritier et il envisageait de profiter de cette situation pour aller dans le sens de ces accusations célestes.

Ce silence plongea la cour dans un état de confusion et de panique.

Tout cela se produisit à peine deux ou trois jours après l’apparition de la comète. Les événements se succédaient si rapidement que personne n’avait le temps de comprendre pleinement la situation.

Même Tang Fan, pourtant perspicace et prudent, se retrouvait déconcerté.

Bien qu’il soit plus clairvoyant que la plupart, cela ne signifiait pas qu’il pouvait accomplir l’impossible.

Que les présages célestes ciblent le prince héritier et que celui-ci présente une pétition d’accusation de soi-même étaient dans l’ordre des choses. Que l’empereur reste silencieux relevait aussi de son droit. Après tout, il n’avait pas encore officiellement déclaré vouloir destituer le prince héritier, et personne ne pouvait vraiment l’en blâmer.

Aussi, lorsque Wei Mao, messager de Wang Zhi, vint trouver Tang Fan pour lui demander d’intervenir, celui-ci ne put que sourire amèrement : « Votre maître Wang me prend-il pour une divinité exauçant tous les vœux ? Que puis-je faire, moi ? »

Wei Mao sourit aussi, un peu embarrassé : « Essayez de trouver une solution. L’eunuque Wang a dit que les circonstances forçaient le prince héritier à présenter ses excuses, mais qu’il fallait bien que quelqu’un donne à l’empereur une porte de sortie pour apaiser la situation. Vous êtes membre du cabinet ; cette tâche vous incombe ! »

Les mots exacts de Wang Zhi étaient sûrement bien moins polis, mais Tang Fan y était habitué. Il secoua la tête et répondit : « Si l’empereur voulait destituer le prince héritier, je serais le premier à écrire une pétition pour m’y opposer. Mais le problème, c’est que l’empereur n’a encore rien dit. Si je parle maintenant, cela ne fera qu’aggraver les choses et risquer de le contrarier. »

Wei Mao, qui ne comprenait pas grand-chose aux subtilités politiques, était simplement là pour transmettre le message. Entendant cela, il ne put s’empêcher de demander, déconcerté : « Alors, que devons-nous faire ? »



Tang Fan répondit : « Cela ne fait aucun doute, si le Bureau d'Astronomie impériale tient de tels propos, c'est sûrement sous l'influence de quelqu'un en coulisses. Sinon, pourquoi viserait-on directement le prince héritier ? Le prince héritier agit à découvert, tandis que ses adversaires sont dans l’ombre. C'est une situation désavantageuse qu'il est difficile de renverser, et c’est précisément pour cela qu’il tombe si souvent dans leurs pièges. Pour l’instant, le mieux est de ne rien dire ni rien faire. Attendons que cette tempête se calme avant d'agir. Retournez transmettre à Wang Gong et Huai Gong de ne surtout pas plaider la cause du prince héritier devant l’empereur. Cela ne ferait qu'empirer les choses. »

Puis, avec un léger sourire, il ajouta : « Et dites à Wang Zhi que Tang Fan est déjà bien assez occupé chaque jour. Qu’il ne continue pas à me harceler avec des choses qu'il peut résoudre lui-même.»

Sans même se retourner, Wei Mao savait déjà qui venait d'entrer. Qui d'autre aurait la liberté d'entrer dans le bureau de Tang Fan comme dans un moulin ? Mais il n’en resta pas moins poli : « Salutations, Marquis Sui. »

Sui Zhou inclina légèrement la tête. Vêtu de son uniforme de la Garde impériale aux motifs de qilin, il s’approcha naturellement pour masser les tempes de Tang Fan.

Ces derniers temps, les affaires du ministère de la Justice étaient particulièrement chargées. Peng Yichun, bien qu’en soit le ministre en titre, manquait de fermeté pour prendre des décisions, laissant tout reposer sur Tang Fan. De plus, les membres du cabinet avaient eux-mêmes leurs propres responsabilités et, lors des réunions, les discussions s'éternisaient souvent. À force de longues séances de travail, Tang Fan souffrait de maux de tête récurrents.

Sous les pressions mesurées de Sui Zhou, il se détendit aussitôt et ferma légèrement les yeux.

Wei Mao voulut dire quelque chose, mais il se tut sous le regard appuyé de Sui Zhou, se contentant de se retirer en silence.

Ce n’est qu’après avoir senti les tensions disparaître sous ses doigts que Sui Zhou cessa son massage. « Ça va mieux ? »

« Oui, beaucoup mieux, » répondit Tang Fan en souriant. « Chaque fois que ces douleurs deviennent insupportables, il suffit que tu les masses un moment et tout disparaît. Tu devrais m'apprendre cette technique. Si jamais tu n’es pas là quand cela recommence, que ferai-je ? »

Sui Zhou rétorqua d’un ton calme : « Cela n’arrivera pas. »

Puis, changeant de sujet : « Aujourd’hui, en allant au palais, l’Impératrice Douairière m’a interrogé sur ces présages célestes. »

Depuis que le prince héritier avait présenté sa pétition de culpabilité sans recevoir de réponse de l’empereur, il était évident pour tous que quelque chose clochait.

Les présages célestes étaient une affaire obscure et ambiguë. Qui peuvait garantir que l'apparition d'une étoile maléfique était réellement sans rapport avec le prince héritier ?

Comme Tang Fan l'avait dit, même si certains souhaitaient défendre le prince héritier, tant que l’empereur restait silencieux, que pouvait-on faire ?

Ainsi, tout le monde préférait garder le silence.

Mais ce silence ne durerait pas. L’apparente tranquillité dissimulait des courants tumultueux, annonçant une explosion à venir.

Tang Fan demanda alors : « Que dit l’Impératrice Douairière ? »

Avec lui, Sui Zhou n’avait pas besoin de détourner la vérité :« Elle s'inquiète naturellement pour le prince héritier, qu’elle a élevé. Mais son influence est limitée. Rappelle-toi, même lorsqu'elle avait voulu empêcher l'empereur de déposer l'impératrice, elle n’a pas pu le faire. »

Tang Fan soupira : « Je ne peux m’empêcher de penser que cette affaire est plus complexe qu’elle n’en a l’air. Est-il possible que l’empereur envisage sérieusement de destituer le prince héritier sur la base de quelques prédictions obscures ? »

Sui Zhou resta silencieux.

Le prince héritier n’avait commis aucune faute, mais sa simple existence dérangeait certains.

Le parti Wan, calculateur et tenace, ne faisait que commencer ses manœuvres.

Tang Fan conclut avec un soupir : « Espérons que cette tempête passe rapidement. »

Mais au moment où il prononçait ces mots, il ne se doutait pas qu’une tempête bien plus violente était sur le point d’éclater.

 

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Mini-théâtre de l'auteur 1 :

Relatif à l'utilisation mystique de la porte ouverte entre les ménages…
Servante de Tang (terrorisée) : Maître, lorsque cette servante est passée devant votre bureau hier soir, j'ai remarqué qu'il semblait y avoir deux personnes dans votre chambre!
Tang Fan  : C'est bon. Il n'y a pas de fantômes.
Servante de Tang (effrayée) : Mais la dernière fois que je me suis réveillé au milieu de la nuit, j'ai eu l'impression d'entendre une voix qui parlait dans votre chambre…
Tang Fan : C'est bon. Je parlais en dormant.
Servante de Tang (confuse): Ah ? Les gens halètent-ils en dormant ?
Tang Fan : …


Mini-théâtre de l'auteur 2 :

Wang Zhi : Sais-tu pourquoi je t'ai envoyé, au lieu d'y aller moi-même ?
Wei Mao : Est-ce parce que ce subordonné répond à votre ancienneté ?
Wang Zhi : Non. C'est pour ne pas être aveuglé par ces deux imbéciles.
Wei Mao : …

 

Traducteur: Darkia1030