Bien qu'il soit un bon à rien, le jeune maître Shen avait au moins la chance d'avoir un père respectable.
Shen Kunxiu, qui espèrait que son fils réussirait, l’emmenait partout avec lui et l’avait inscrit dans des académies réputées pour qu'il soit influencé positivement et finisse par changer de comportement. Avant de se rendre à l’Académie Bai Lu Zhou, Shen Si avait déjà fréquenté presque toutes les académies notables de Nanchang, mais son attitude insupportable faisait que personne ne voulait plus de lui. Ne voulant plus s'imposer là-bas, Shen Kunxiu emmena donc son fils à Bailuzhou, espérant que loin de ses compagnons peu recommandables, il pourrait se consacrer aux études.
Mais Shen Kunxiu devait déchanter. Au lieu de se réformer, Shen Si se lia d’amitié avec Xu Sui, un jeune fils de famille également dissipé. Leur ressemblance était telle qu'ils se sont entendus comme des frères perdus de vue depuis toujours.
Dans les académies, tout comme ailleurs, on observe souvent des groupes se former en raison de divergences de personnalité ou de statut, et ceux-ci peuvent devenir rivaux. Le groupe de Xu Sui, composé de quelques riches héritiers, ne supportait pas Lin Zhen. Bien que lui aussi issu d'une famille de fonctionnaires, Lin Zhen se tenait de côté et ne s’associait pas à leurs écarts, leur donnant l'impression qu'il se croyait supérieur.
De son côté, Lin Zhen méprisait Xu Sui, ce qui rendait leurs relations tendues mais sans confrontation directe. Cependant, Xu Sui n’était pas un fils de marchand ordinaire. Son père, Xu Bin, avait rapidement trouvé un nouvel appui politique puissant auprès du Premier Ministre après la chute de son ancien soutien. Fort de cette influence, Xu Sui ne craignait donc pas le père de Lin Zhen, sous-préfet de sixième rang, et passait son temps à chercher des moyens de tourmenter Lin Zhen.
Avec l'arrivée de Shen Si, Xu Sui avait enfin trouvé un allié. Shen Si, connaissant les rancunes familiales de son père envers les Lin, n’aimait pas davantage Lin Zhen. Les deux compères unirent donc leurs forces pour élaborer de multiples stratagèmes afin d’humilier Lin Zhen. Ce dernier ne se laissait pas faire, et les deux côtés devinrent rapidement comme de l'eau et du feu.
Peu avant les examens provinciaux, une altercation entre Lin Zhen et Xu Sui dégénéra en bagarre générale. Comme Lin Zhen avait bonne réputation auprès des professeurs, il se plaignit auprès d’eux, ce qui conduisit à la punition de Xu Sui et de Shen Si, tandis que Lin Zhen échappa aux sanctions. Xu Sui et Shen Si, furieux et humiliés, décidèrent de se venger.
À l’approche des examens, Lin Zhen semblait assuré de réussir, ses études étant sérieuses. Cela contrariait d'autant plus Xu Sui et Shen Si, dont les chances de succès étaient pratiquement nulles. Xu Sui concocta alors un plan pour faire échouer Lin Zhen. Il commença par pousser Shen Si à demander les sujets d'examen à son père, mais Shen Kunxiu refusa fermement et sermonna violemment son fils.
Ne se laissant pas décourager, Xu Sui élabora une autre ruse. Il organisa une scène où deux personnes discutaient de manière "fortuite" de l’arrivée récente d’un certain "Taoïste Taiping" à la maison de thé Qingfeng. Ce dernier, disaient-ils, avait la réputation d’aider les gens à prédire les examens avec une précision infaillible.
Le message était clair : Lin Zhen, sensible à la tentation, succomba et alla consulter le soi-disant Taoïste Taiping, en réalité Shen Si déguisé. Celui-ci lui vendit, pour cent taels, les mots "Grande réalisation" comme présage de succès.
Lin Zhen, inquiet de se faire prendre seul, partagea l’information avec des camarades proches, espérant que, si l’affaire venait à éclater, le nombre de complices le protégerait. Cela joua en faveur de Shen Si, qui réalisait là une opération doublement profitable : se venger de Lin Zhen tout en amassant une belle somme. En effet, seize étudiants tombèrent dans le piège et Shen Si amassa ainsi mille six cents taels, plus que le salaire annuel de son père.
Puisqu'il avait voulu jouer avec Lin Zhen, il ne devrait pas laisser les choses inachevées, et accepter de l'argent n'était qu'accessoire. Xu Sui utilisa l’influence de Shen Si pour intimider les correcteurs et les pousser à coopérer avec eux. Mais le plan ne s'arrêtait pas là : après l’annonce des résultats, ils lancèrent la rumeur que les vingt premiers du classement avaient triché, déclenchant un scandale qui ne fit que croître.
L'intention initiale de Shen Si et Xu Sui n'était que de faire de Lin Zhen la risée de tous, au point de le discréditer pour qu'il ne puisse plus jamais passer les examens impériaux. Mais Shen Si n'avait jamais imaginé que la situation dégénérerait à ce point, au point même d’impliquer son propre père dans le scandale.
On pourrait dire que, même si Xu Sui n'était pas doué pour les études, il excellait à fomenter des complots retors, tandis que Shen Si, naïf, se laissait constamment mener par le bout du nez.
Quand la mort violente de Lin Zhen survint, Shen Si prit enfin conscience de l’ampleur de la situation, réalisant qu’elle lui échappait complètement. Après de longues hésitations, il dut se résoudre, la mort dans l'âme, à avouer toute l'affaire à son père.
À ce moment-là, Shen Kunxiu avait déjà rédigé une pétition pour que les titres académiques des étudiants impliqués soient révoqués lordque survint la mort de Lin Zhen, ajoutant un retournement de situation tragique qui ne l'avait pas trop inquiété. Lorsque son fils vint tout lui avouer, Shen Kunxiu, pris de rage, sentit sa vue se troubler sous l'effet de la colère et faillit en cracher du sang sur place.
Pour d'autres, avoir un fils signifiait transmettre une lignée plus brillante que la sienne ; pour Shen Kunxiu, il semblait que son propre fils n'était là que pour le ruiner. Comment pouvait-il supporter une telle épreuve ?
Mais que pouvait-il faire ?
Shen Kunxiu, après une longue vie, n’avait qu’un seul fils. Si quelque chose arrivait à Shen Si, la lignée des Shen s’éteindrait avec lui. S'il avait eu le courage, il aurait pu tuer son fils et présenter son cadavre à la cour, gagnant ainsi une réputation de loyauté et de droiture, et mettre un terme à l'affaire. Mais il n’en eut pas la force ; alors, il décida de couvrir les erreurs de son fils.
Devant son père, Shen Si éclata en sanglots et confessa tout, affirmant que la mort de Lin Zhen n’était pas de son fait. Il raconta alors en détail tous les méfaits qu’il avait commis avec Xu Sui.
Il est fréquent que des parents, malgré leur colère face aux erreurs de leurs enfants, attribuent la faute à de mauvaises influences. Shen Kunxiu, bien qu'il fût un officiel respecté, ne fit pas exception. Bien que furieux, il crut que sans l’influence et la manipulation de Xu Sui, Shen Si, avec son esprit limité, n’aurait jamais pu commettre un méfait aussi grave. Maintenant qu’un scandale éclatait, il ne semblait pas juste que lui et son fils en soient les seuls à souffrir, tandis que la famille Xu restait intouchée.
Conscient de l’influence de la famille Xu et de leur lien avec la faction puissante des Wan, Shen Kunxiu pensa que Xu pourrait endosser la responsabilité de cette affaire. Il alla donc trouver Xu Bin pour lui expliquer la situation.
Xu Bin, bien que surpris par l’audace de son fils, savait que son soutien au Premier Ministre lui assurait une certaine protection. Il suggéra donc à Shen Kunxiu de relâcher les cinq correcteurs impliqués et de ralentir autant que possible l’enquête de l’émissaire impérial, puis de faire passer la mort de Lin Zhen pour un suicide par pendaison dû à sa peur de perdre ses titres.
Face à cette proposition, Shen Kunxiu n’eut pas d’autre choix que de suivre le plan de Xu Bin.
Shen Kunxiu avait déjà envisagé que si les accusations de tricherie contre Shen Si étaient confirmées, son fils risquait au mieux l'exil, sinon l'exécution. Mais si lui-même bloquait l’enquête, empêchant Tang Fan de mener son investigation, il ne risquerait au pire qu'une révocation de son poste. Pour Shen Kunxiu, échanger sa carrière contre la vie de son fils paraissait un compromis acceptable.
De plus, afin d'empêcher que quelque chose n'arrive à Xu Sui, les Xu feraient certainement tout ce qu'ils pourraient pour gêner Tang Fan.
Après l'écoute de cette confession, Tang Fan resta impassible et demanda : « Donc, selon vous, la mort des cinq correcteurs n’a rien à voir avec vous et votre fils ? »
Shen Kunxiu répondit : « En effet. »
Tang Fan déclara : « La nuit même de mon arrivée à Ji’an, j’ai échappé de peu à une tentative d’assassinat. Les armes de ceux qui ont essayé de me tuer étaient identiques à celles utilisées pour assassiner les cinq correcteurs. Selon vous, tout cela est également l'œuvre des Xu ? »
Shen Kunxiu resta silencieux un moment avant de répondre : « À l'époque, vous m'aviez demandé de vous livrer ces correcteurs, mais je les avais déjà relâchés. Inquiet que vous n’obteniez des informations de leur part concernant mon fils, je suis allé consulter Xu Bin. Il m'a assuré qu'il n'y avait rien à craindre. Peu après, j’ai appris que ces hommes avaient été tués, mais quant à savoir si cela est directement lié à Xu Bin, je n’en ai aucune certitude. »
Dans la salle, chacun échangea des regards troublés. Le préfet Fan regretta vivement d’être venu ce soir, se disant qu’il aurait mieux fait de trouver une excuse pour éviter d’apprendre ces détails compromettants.
Quand il avait organisé la réception pour accueillir Tang Fan, il avait justement invité Fang Huixue et Xu Bin, en raison de leur influence considérable. Fang Huixue était devenu puissant en mariant sa fille au vice-gouverneur de la province, tandis que Xu Bin s’appuyait sur la faction Wan. Tant que l'impératrice Wan conserverait son pouvoir, la faction Wan ne risquait rien, ce qui rendait ses membres intouchables.
Si Tang Fan abandonnait l’enquête par peur de la faction Wan, tous ici présents seraient témoins de l’incompétence d’un envoyé impérial. Mais s'il décidait de s’opposer à cette faction, les spectateurs de cette confrontation risquaient aussi d'être entraînés dans la tourmente. Le préfet Fan, qui souhaitait surtout la tranquillité, n’avait aucune envie de se retrouver impliqué dans une affaire aussi compliquée.
Heureusement, Tang Fan semblait compréhensif et ne comptait pas les forcer à rester. Après avoir entendu Shen Kunxiu, il se tourna vers le préfet Fan et les autres officiels : « La nuit est avancée. Vous pouvez rentrer ; je prendrai la suite. Assurez-vous seulement que le corps de Lin Fengyuan soit examiné de près, sans la moindre négligence. »
Le préfet Fan, soulagé, s’excusa brièvement avant de s’empresser de quitter la salle, entraînant avec lui Ji Min, qui semblait vouloir dire quelque chose.
Mais juste au moment où ils allaient partir, Tang Fan les interpella : « Attendez. »
Le préfet Fan, le cœur battant, se retourna avec un sourire forcé : « Y a-t-il autre chose, Monsieur ? »
Tang Fan répondit : « Laissez les hommes de la préfecture de Shuntian ici, et allez voir le commandant Tan pour emprunter une centaine d’hommes. Que la demeure des Xu soit encerclée. »
Le préfet Fan resta bouche bée. « Euh… Monsieur, cela ne serait-il pas quelque peu inapproprié? »
Tang Fan le dévisagea : « En quoi cela serait-il inapproprié ? »
Le préfet Fan n’osait pas avouer qu’il redoutait de s’attirer les foudres de Xu Bin, alors il tenta d’adoucir son propos : « Ne devrions-nous pas mener une enquête plus approfondie avant de tirer des conclusions hâtives, au risque de nous tromper de cible… »
Tang Fan répondit froidement : « Si erreur il y a, j’en serai responsable. Je ne vous demande pas d’y aller. »
Le préfet Fan fit une grimace. Quand Xu Bin verra les hommes de la préfecture de Shuntian, il saura très bien que c’est moi qui les ai envoyés !
Tang Fan s’impatienta : « Un envoyé impérial mandaté par l’Empereur pour enquêter a le pouvoir de trancher les injustices, même si cela signifie agir avant de rendre compte. Pourquoi tergiversez-vous ? Craignez-vous vraiment un simple marchand ? »
Mais ce marchand est soutenu par la faction Wan ! Si vous n'avez pas peur, moi, si ! pensa le préfet, désespéré.
C’est alors que Ji Min, à côté de lui, intervint, enfonçant le clou : « Monsieur, si le préfet ne se sent pas à l’aise, le district de Luling dispose de quelques officiers qui pourraient être mobilisés. Je suis prêt à apporter mon humble contribution ! »
L’attitude volontaire de Ji Min mettait le préfet Fan dans l’embarras. Ce dernier n’eut pas d’autre choix que d’accepter : « Veuillez excuser mon hésitation, Monsieur, je m’en occupe immédiatement ! »
Le préfet pensa, dépité : Après tout, Chen Luan aussi avait des soutiens puissants, mais Tang Fan l’a quand même fait tomber à Suzhou. Tang Fan ne manque certainement pas d’appuis. Impossible de ménager les deux camps ; les seuls à souffrir seront des gens comme moi.
Une fois le préfet parti, Tang Fan se tourna vers Shen Kunxiu et dit : « Tenter d’assassiner un envoyé impérial pour des rancunes personnelles, réduire au silence des correcteurs... de tels actes sont d'une gravité sans nom ! Consul Shen, consentiriez-vous à m’accompagner pour appréhender Xu Bin et son fils ? »
Shen Kunxiu, comprenant que Tang Fan voulait sa présence pour témoigner contre les Xu, répondit : « Je suis prêt à coopérer. J’implore seulement votre indulgence pour épargner la vie de mon fils. »
Shen Kunxiu n’avait plus la même attitude arrogante qu’auparavant. Il devenait évident que son comportement précédent n’avait été qu’une tentative pour dérouter Tang Fan et détourner son attention. Mais, au final, cela n’avait servi à rien.
Tang Fan soupira : «Consul Shen, si vous saviez ce que cela entraînerait, pourquoi avoir agi ainsi ? »
Shen Kunxiu sourit amèrement : « On dit qu’un père est responsable des fautes de son fils lorsqu'il n’a pas su l’éduquer. Je voulais tant qu’il devienne quelqu’un de respectable. Mais comme le dit le proverbe, "le cœur des parents est empli de compassion." Quand vous aurez des enfants, Monsieur Tang, vous comprendrez. »
Tang Fan répondit : « Shen Si est certes coupable, mais ses fautes ne méritent pas la peine de mort. Lors de mon rapport à la cour, je mentionnerai cette circonstance. »
Shen Kunxiu s'inclina respectueusement : « Merci infiniment. »
Autrefois, il était une personne si fière, mais aujourd'hui, pour sauver son fils, il était prêt à courber l'échine. Une tragédie en soi.
Tang Fan secoua la tête sans commentaire.
Le préfet Fan, quant à lui, ne perdit pas de temps ; en l’espace d’une heure, il était déjà revenu avec le commandant Tan.
Le commandant Tan, qui résidait à Ji’an, connaissait bien les Xu et leurs appuis. En entendant qu’ils allaient encercler la résidence des Xu, il réagit de la même manière que le préfet Fan : avec hésitation et appréhension.
« Monsieur, cette affaire est sérieuse. Ne serait-il pas préférable d'en informer la Cour avant de prendre une décision ? »
Tang Fan, agacé, répliqua : « Les Xu seraient-ils des ministres d’État ou de nobles protecteurs du royaume pour bénéficier d’une telle clémence ? La loi impériale s’applique à tous de la même manière. Je suis ici en tant qu’envoyé de la Cour ! »
Le commandant Tan, embarrassé, répondit : « Pour être franc, Monsieur, il paraît que les Xu, en plus de leurs appuis dans les cercles impériaux, possèdent un objet particulier. »
Tang Fan haussa un sourcil : « Quel objet ? »
Le commandant Tan répondit : « Un certificat impérial de pardon, un Danshu Tiequan. »
Le Danshu Tiequan (丹书铁券), ou "talon de fer doré", était une amulette d'immunité en métal, généralement du fer ou parfois de l'or, qui conférait des privilèges spéciaux à certaines familles. Cet objet rare était octroyé par l'empereur en récompense pour des services extraordinaires rendus à l'État)
L’annonce surprit toute l’assemblée, y compris Tang Fan lui-même.
Le Danshu Tiequan, couramment appelé “carte d’immunité” dans les pièces de théâtre, était une tradition remontant à la dynastie Han. Dans cette dynastie, l’empereur fondateur avait distribué quarante-deux de ces certificats aux compagnons qui l’avaient aidé à unifier le royaume. Plus tard, lors de la campagne de Jingnan, l’empereur Yongle en avait accordé d'autres à des serviteurs loyaux. Chaque certificat, divisé en deux moitiés, garantissait théoriquement l’immunité en cas de besoin ; une moitié était conservée par la famille du récipiendaire, l'autre dans le palais impérial, et les deux moitiés devaient être réunies pour être valides.
Cependant, l’immunité n'était pas toujours garantie. Plusieurs bénéficiaires de ce privilège à l’époque fondatrice avaient fini par voir leurs familles destituées par l’empereur fondateur.
Mais pour les générations futures, ce certificat restait une certaine assurance : même si les descendants n'étaient plus dignes, les autorités locales hésiteraient à trop leur nuire par respect pour l’immunité originelle.
Tang Fan demanda alors : « Comment une famille de marchands comme les Xu en serait-elle venue à posséder un tel certificat ? »
Le commandant Tan expliqua : « On raconte que les ancêtres des Xu étaient serviteurs de la maison du duc de Dingguo. Pendant la campagne de Jingnan, un ancêtre Xu aurait protégé l'empereur en s'interposant lors d’une attaque et, pour cela, il aurait reçu le Danshu Tiequan en récompense. Cet ancêtre a été libéré de son statut servile et s’est installé ici. »
Le duc de Dingguo, ou Xu Da, était un général fondateur de la dynastie et l’ancêtre de cette lignée. Nul besoin d’entrer dans les détails ; tous connaissaient cette histoire.
Après cette explication, le préfet Fan hésita encore davantage : « Monsieur, si cela est vrai, peut-être devrions-nous réfléchir à une approche plus prudente. »
Shen Kunxiu, bras croisés, observait leurs doutes avec un sourire en coin. Son expression semblait dire : Vous voyez, vous aussi, vous craignez les Xu.
Ji Min ajouta également : « Monsieur, puisque la famille Xu ne risque pas de fuir, pourquoi ne pas attendre l’arrivée de l’autre envoyé impérial ? Cela vous éviterait d'assumer seul cette responsabilité, ce qui serait un risque inutile. »
Bien que ses mots reflètent une réelle prévenance, Tang Fan secoua la tête : « Ce qui peut être fait aujourd’hui doit l’être, afin d'éviter que la situation ne se complique. N’ayez crainte, s’il y a des conséquences, je les assumerai seul ; aucun de vous n'en sera affecté. »
En réalité, "l’autre envoyé impérial" se tenait déjà aux côtés de Tang Fan, mais il était encore prématuré de le révéler dans ce contexte.
Les autres prirent Tang Fan pour un homme obstiné qui ne voulait pas écouter les conseils, pensant même qu'il voulait s'attribuer tout le mérite, de peur que le mérite ne soit partagé lorsque l'autre envoyé impérial arriverait, ainsi que le risque.
Cependant, étant donné que Tang Fan avait l'autorité d'un envoyé impérial et qu'il insistait pour agir, les autres n'avaient pas d'autre choix que de se conformer.
Le commandant Tan, cependant, n'avait aucune envie d'être celui à se mettre en avant et dit : «Monsieur, ce soir est la fête de Qixi, et toutes les familles sont dehors pour admirer les lanternes. La sécurité de la ville requiert davantage de personnel, et mes effectifs sont insuffisants pour répondre à votre demande. Pourquoi ne pas laisser le préfet Fan et le magistrat Ji mobiliser les hommes de leurs yamen ? Après tout, les Xu ne sont que de simples marchands et n’oseront sûrement pas résister. »
Le préfet Fan fulmina intérieurement, maudissant Tan pour vouloir se défiler et le pousser lui en première ligne. Quelle injustice ! pensa-t-il.
Il répondit alors : « Ce que dit le commandant Tan est absurde ! Puisque les Xu ont déjà osé envoyer des assassins contre monsieur, ils doivent avoir des appuis. Ces assassins sont bien entraînés, ils ont même mis en échec les gardes du maître Tang ! Nos pauvres agents du yamen n'auraient aucune chance. À mon avis, le commandant Tan devrait vraiment amener des renforts. Nous risquerions sinon de ne pas réussir à les capturer et de devenir la risée de tous ! »
Le commandant Tan répliqua : « Les assassins ont échoué la dernière fois et sont repartis blessés ; ils ont pu attaquer si facilement uniquement parce qu'ils s'en sont pris à des examinateurs sans défense. De plus, monsieur est ici pour les arrêter, non pour une bataille rangée ! S’ils osent vraiment résister, cela reviendrait pour les Xu à commettre un acte de rébellion ! »
Les deux se renvoyaient la responsabilité, et en d'autres circonstances, cela aurait été une scène divertissante. Mais Tang Fan, perdant patience, intervint : « Puisque c’est ainsi, il est inutile que vous veniez, tous les deux. »
Tan et Fan restèrent interloqués.
Tang Fan se tourna vers Ji Min : « Magistrat Ji, êtes-vous prêt à m’accompagner ? »
Ji Min répondit aussitôt : « Pour moi, c’est un honneur et un devoir ! Veuillez me donner vos ordres, monsieur ! »
On dit que les vieux amis sont toujours plus fiables dans les moments cruciaux. Satisfait, Tang Fan hocha la tête : « Vous êtes en effet loyal et courageux, magistrat Ji. Je demanderai une récompense pour vous une fois l’affaire terminée. En route ! Maître Shen, je vous en prie ! »
Sans accorder un regard à Tan et Fan, il quitta la résidence Lin aux côtés de Shen Kunxiu.
Lu Lingxi, la dame Qiao et les autres les suivirent naturellement.
Restés seuls, le préfet Fan et le commandant Tan échangèrent un regard empreint de regret. L'un se lamentait d’avoir offensé l’envoyé, l’autre regrettait d’être venu se mêler de cette histoire. S'ils avaient su, ils auraient prétexté une maladie pour éviter de venir.
Voyant Tang Fan et ses compagnons s’éloigner, ils n'eurent d'autre choix que de les suivre à contrecœur. Après tout, si Tang Fan les dénonçait à la Cour pour obstruction, ils n'échapperaient pas au blâme.
Ils se dirent que, sur place, ils n’auraient qu’à rester en retrait et se contenter de regarder sans intervenir.
Chacun avec ses propres intentions, ils arrivèrent enfin devant la résidence des Xu.
Les environs étaient étrangement silencieux ; il était impossible de savoir si tout le monde était sorti pour la fête ou déjà couché.
Tang Fan observa les lieux : deux grandes lanternes rouges, des portes laquées de rouge, deux imposants lions de pierre. L’endroit dégageait une certaine opulence ; une telle famille, si elle parvenait à maintenir cette prospérité sur quelques générations de plus ou à obtenir un poste officiel, pourrait atteindre un véritable rang de noblesse.
Ji Min, ayant décidé de suivre Tang Fan jusqu'au bout, ne recula pas et alla frapper lui-même à la porte.
La grande porte resta fermée ; au bout d’un moment, seul le portillon latéral s’ouvrit.
Un domestique passa la tête et, voyant un groupe aussi imposant dehors, parut surpris.
« Que se passe-t-il ici ? »
D’un ton ferme, Ji Min annonça : « Je suis le magistrat du comté de Luling, mandaté par l’envoyé impérial pour arrêter Xu Sui et le traduire en justice ! »
Le domestique, qui n’avait pas l’air impressionné, fronça les sourcils en entendant le terme "envoyé impérial" : « Mon maître n’est pas là. Revenez demain ! »
Amusé et exaspéré, Ji Min s’écria : « Arrêter quelqu'un doit-il attendre une heure propice ? Ouvrez cette porte sur-le-champ ! »
Tang Fan jeta un regard à Xi Ming, qui comprit immédiatement et donna un grand coup de pied à la porte. Le portier, avec un cri de douleur, bascula en arrière. Xi Ming entra par la petite porte, leva le verrou depuis l’intérieur et ouvrit le portail principal.
Le portier se mit à hurler : « À l’aide ! Des intrus sont entrés ! Des voleurs sont en train de tuer! »
Tang Fan et les autres, à la fois irrités et amusés, regardèrent Lu Lingxi, qui s'apprêtait à faire taire le portier. Tang Fan l’arrêta : « Laisse-le crier. »
Les cris du portier attirèrent rapidement les habitants de la maison Xu. Les lumières furent allumées dans tout le domaine, et de nombreux domestiques, armés de bâtons, accoururent d’un air menaçant, pour se figer en découvrant le groupe d’officiers devant eux, ne sachant comment réagir.
« Que se passe-t-il ici ? » s’écria un homme d’âge moyen, d’une voix pleine d’autorité.
« Intendant Xu, ils disent qu’ils sont venus arrêter le jeune maître ! » cria le portier.
L’intendant Xu, en apercevant Shen Kunxiu aux côtés de Tang Fan, changea de visage et s’inclina légèrement en direction de Tang Fan : « Vous devez être le Seigneur Tang, je suppose? »
Tang Fan ne lui rendit pas le salut et demanda directement : « Où est votre jeune maître ? Faites-le venir. »
L’intendant Xu répliqua : « Puis-je savoir de quel crime est accusé mon jeune maître ? »
Tang Fan échangea un regard avec Shen Kunxiu, qui répondit : « Complicité avec les examinateurs, manipulation des candidats et fraude aux examens impériaux. »
L’intendant Xu éclata de rire : « Quelle absurdité ! Mon jeune maître n’a même pas réussi cet examen et ne fait pas partie des personnes impliquées dans le scandale. S’il était vraiment complice, pourquoi n’a-t-il pas d’abord obtenu des résultats pour lui-même ? »
Shen Kunxiu répondit calmement : « Inutile de discuter. Mon propre fils n’échappera pas aux sanctions pour avoir contribué à la fraude, mais Xu Sui a comploté de bout en bout. Il ne pourra pas échapper à ce crime, alors cessez de nier ! »
L’intendant Xu ricana : « Les autorités ont toujours deux poids, deux mesures. Vous inventez des prétextes pour arrêter qui vous voulez ! Pour être franc, notre maître n’est pas ici ; il a été convoqué à la capitale par un dignitaire, et il ne reviendra pas avant deux semaines. Si vous avez quelque chose à lui reprocher, revenez lorsqu’il sera de retour. Je ne peux rien décider à sa place ! »
Tang Fan répliqua : « Nous ne sommes pas ici pour demander ton avis, mais pour arrêter quelqu’un. Si tu continues à t’opposer, ne me blâme pas de passer à la manière forte. »
Il leva légèrement la main, et derrière lui, une rangée d’archers se mit en position, visant les gens de la maison Xu.
Les domestiques, n’ayant jamais vu une telle scène, reculèrent de quelques pas, effrayés. Ils avaient beau être insolents, ils n’avaient pas le courage de défier les autorités.
L’intendant Xu n’avait pas prévu que Tang Fan serait aussi intransigeant. Il savait que leur famille avait des liens étroits avec le ministre Wan, mais cet envoyé persistait à vouloir faire appliquer la loi. Un fonctionnaire aussi tenace et intrépide, c’était du jamais-vu.
Mais il aurait dû s’en douter. Si Tang Fan avait eu peur de s’attirer les foudres de la faction Wan, il n’aurait pas déjà pris des mesures contre Chen Luan à Suzhou.
Se mordant les lèvres, l’intendant Xu se remémora les instructions de son maître avant son départ et cria d’une voix forte : « Apportez… le Danshu Tiequan ! »
Un domestique s’approcha avec précaution, portant une boîte en bois de santal. L’intendant Xu l’ouvrit, et sous la lumière des bougies, une demi-plaque de fer, ornée d’inscriptions dorées, apparut à l’intérieur. (1)
C’était un authentique Danshu Tiequan, une amulette de pardon impérial, octroyée par l’empereur Yongle lui-même. Malgré les années, elle semblait intacte, soigneusement conservée par la famille Xu.
Bien qu’ils s’y attendaient plus ou moins, le préfet Fan et les autres ne purent s’empêcher de changer légèrement d’expression, et tous regardèrent instinctivement Tang Fan.
Voyant l'effet de surprise sur leurs visages, l’intendant Xu afficha une pointe de satisfaction : «Que tous ces messieurs sachent que les ancêtres de ma famille Xu ont accompli de grands exploits, recevant en récompense de l’empereur cette amulette d’immunité impériale, le Danshu Tiequan. Depuis lors, nous respectons scrupuleusement les lois et n’avons jamais commis d’infractions. Si je l’exhibe aujourd'hui, ce n’est pas pour m’opposer délibérément à l’envoyé impérial, mais simplement parce que mon maître n’est pas présent. Aussi, j’invite le seigneur Tang à faire preuve de patience et à attendre son retour avant d’en discuter davantage. »
Il n’était pas difficile de comprendre pourquoi l’intendant Xu voulait à tout prix que Tang Fan retarde son action. Chacun devinait que Xu Bin était parti pour la capitale dans le but d’y trouver du soutien. Si Tang Fan acceptait de se retirer aujourd'hui, la situation risquait de prendre un tout autre tournant une fois ce renfort obtenu.
Le Danshu Tiequan étant maintenant présenté, toute tentative de Tang Fan d'arrêter quelqu’un malgré tout serait vue comme une insulte à la dynastie. Des rumeurs de mépris envers l’autorité impériale pourraient aisément circuler, lui attirant des accusations des plus graves.
À quoi bon aller si loin ? Le préfet Fan ressentait une pointe de satisfaction malveillante. N’avait-il pas suggéré de prendre le temps de bien réfléchir ? Mais Tang Fan n’avait pas voulu l’écouter et était venu quand même, pour se retrouver maintenant dans une impasse ! Ah, les jeunes et leurs impulsions...
Dans cette situation, tous pensaient que Tang Fan n’avait plus d’échappatoire.
Toujours bienveillant, Ji Min proposa : « Seigneur Tang, j’ai soudainement souvenir d’une affaire urgente dont il me faut vous entretenir. Que diriez-vous de nous retirer pour le moment et de revenir demain ? »
À ces mots, l’intendant Xu esquissa un sourire narquois.
Tang Fan, cependant, répondit : « Le Danshu Tiequan n’est pas un édit impérial. Dans des circonstances ordinaires, je serais certes tenu de le respecter, mais aujourd’hui, la famille Xu est soupçonnée de complot contre l’État. Devrais-je vraiment attendre le retour de Xu Bin pour agir? Une telle indulgence serait risible ! Se pourrait-il que la position de Xu Bin soit plus élevée que celle de la Cour impériale elle-même ? »
Quoi ? Tous restèrent stupéfaits.
Un complot contre l’État ?
Quel complot ?
Comment cette affaire pouvait-il tout à coup être liée à un complot ?
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Mini-théâtre de l'auteur :
Sui Zhou : Heh… J'allais donner ce chapitre en PDA, mais l'écriture n'était pas finie. La comparution a été postposée.
Tang Fan : … Qu'appelles-tu 'PDA' ? Est-ce que ça fait peur à quelqu'un à mort ?
Sui Zhou : Si tu ne me crois pas, essaye-le.
Tang Fan (déconcerté): Essayer comment ???
Sui Zhou : Laisse-moi t'embrasser en public et tu le sauras.
Tang Fan : … Je ne ferai pas ça, merci.
(NT : PDA : public display of affection / manifestation publique d'affection)
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Note du traducteur
(1) Danshu Tiequan
(Source : onceextended.canalblog.com)
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