Chenghua -Chapitre 124 - Une attitude différente

 

Cette réception de bienvenue, malgré le léger incident causé par Xu Bin, fut globalement agréable pour tout le monde.

Sur ordre du préfet Fan, les notables à l'extérieur n'osèrent pas entrer pour les déranger, et après le repas, chacun se dispersa. À leur table, Tang Fan et les autres avaient animé la soirée avec un jeu d'alcool, et à la fin du banquet, tout le monde était un peu éméché.

Le préfet Fan aida personnellement Tang Fan à monter dans la voiture et rappela au cocher de veiller à bien ramener l’encoyé impérial au relais de poste.

Le cocher, peu habitué à ce qu'un préfet daigne lui parler, répondit avec des mots confus, tout en hochant la tête avec empressement.

Tang Fan, en réalité, n’était pas si ivre que ça ; il avait simplement simulé l'ivresse pour écourter le banquet.

Une fois monté dans la voiture, il lâcha la main de Lu Lingxi et ses yeux, qui semblaient auparavant embrumés, retrouvèrent leur clarté.

« Yiqing, tant que les gens ne sont pas encore trop loin, va rattraper le palanquin du magistrat Ji et dis-lui de me retrouver au relais de poste, je veux lui parler. »

Lu Lingxi protesta : « Mais tu as déjà bien discuté pendant le banquet, pourquoi continuer ? »

Tang Fan lui tapota le crâne. « Tout à l’heure, c’était de la politesse ; là, j’ai des affaires sérieuses à lui demander. »

Bien qu’un peu contrarié, Lu Lingxi n’eut d’autre choix que d’obéir et descendit du véhicule pour aller chercher Ji Min.

Peu de temps après, il revint accompagné de Jcelui-ci.

Tang Fan souleva le rideau du véhicule et dit en souriant : « Ziming, si cela ne te dérange pas, que dirais-tu de venir passer la nuit au relais de poste ? Nous ne nous sommes pas vus depuis longtemps et j’ai beaucoup à te dire. »

Ji Min sourit à son tour : « Ça tombe bien, moi aussi, j’ai beaucoup de choses à dire à Votre Honneur. La voiture peut-elle encore accueillir un passager de plus ? »

Tang Fan lui fit signe d’approcher. « Un ? Elle pourrait en contenir bien plus, allez, monte, nous venons de boire et le vent souffle, il ne faudrait pas attraper froid ! »

Sans chichis, Ji Min prit la main de Tang Fan et se glissa dans la voiture.

Le préfet Fan, ayant mis tout son zèle à faire plaisir à Tang Fan, avait fait en sorte que la voiture soit confortablement aménagée. Entre autres choses, trois épais matelas en coton tapissaient le plancher pour éviter les secousses ; comme c’était l’été, un tapis en bambou avait été placé par-dessus. Non seulement on ne ressentait pas les cahots de la route, mais le confort était tel qu'on s’y trouvait bien.

L’intérieur était en effet spacieux, assez pour qu’un homme adulte puisse s’y allonger en travers sans être à l’étroit. Y ajouter Ji Min ne posait donc aucun problème.

Tang Fan jeta un regard à Lu Lingxi, qui s'apprêtait à s'asseoir dehors avec le cocher, et lui demanda, surpris : « Que fais-tu là ? Pourquoi ne viens-tu pas à l'intérieur ? »

Lu Lingxi avait pensé que, puisque Ji Min venait de monter, Tang Fan souhaitait sûrement lui parler en privé, et pour éviter d’être renvoyé, il avait pris les devants en sortant de la voiture. À sa grande surprise, Tang Fan l'invitait à entrer, ce qui le laissa d’abord interdit, avant qu’il ne réponde joyeusement par un « d’accord ! » et qu’il saute habilement dans la voiture.

Ji Min sourit et dit : « Le jeune maître Lu est-il un expert en arts martiaux ? »

Lu Lingxi répondit : « Pas vraiment, j’ai juste appris quelques mouvements étant enfant avec mes aînés, pour entretenir ma forme. »

Ji Min plaisanta : « Le jeune maître Lu est aussi perspicace que doué ; on peut vraiment dire qu’il est aussi brillant dans le domaine des lettres que des arts martiaux. Je me demande s’il passera un jour les examens civils ou militaires ? »

Lu Lingxi baissa la tête en souriant et se cacha à moitié derrière Tang Fan, comme s’il était un peu embarrassé.

Tang Fan, bien qu’il connaisse bien le véritable caractère de Lu Lingxi, choisit de ne pas le contredire et prit sa défense : « Yiqing est le fils d’un de mes vieux amis. Il est encore jeune et souvent espiègle, alors sa famille l’a confié à moi pour qu’il découvre le monde. Je le considère comme un petit frère. »

Ce qui sous-entendait que Lu Lingxi n’était pas un étranger.

Ji Min soupira : « Après toutes ces années, Runqing est toujours le même, si attentionné envers ses amis ! »

Tang Fan éclata de rire : « Tu me flattes, Ziming. Un ami mérite d’être traité avec sincérité. Cela dit, cela fait bien cinq ou six ans que nous ne nous sommes pas vus, non ? »

Ji Min acquiesça : « Cela fait plus de cinq ans que j’ai quitté la capitale. »

Sans les autres, comme le préfet Fan, Tang Fan put observer Ji Min ouvertement. Il remarqua que ce dernier avait bien changé depuis son époque dans la capitale, où il semblait souvent abattu. Bien qu’il ait deux ans de plus que Tang Fan, il semblait inchangé, avec des cheveux d’un noir brillant. Peut-être était-ce aussi l’effet de l’uniforme officiel qui conférait une certaine allure de jeunesse.

Tang Fan plaisanta : « On dirait que le climat du Jiangxi te fait du bien. Depuis que tu es ici, tu sembles même plus en forme qu’avant ! »

Ji Min éclata de rire et avoua franchement : « C’est surtout parce que j’ai du travail. Quand on est occupé, on a moins le temps de penser à tout et à rien. Avant, je ratais sans cesse les examens, ce qui me rendait amer, tout m’agaçait et je pensais que tout le monde m’en voulait. Mais maintenant, avec davantage d’expérience, je me rends compte que tout cela n’était qu’une chimère. C’est presque embarrassant. Je ne sais même pas si mes amis, comme Yu Qiao, se souviennent encore de moi. La prochaine fois que je retournerai dans la capitale, si je les y retrouve, je me devrai de m’excuser ! »

Tang Fan répondit : « Bien sûr qu’ils se souviennent de toi ! À l’époque, tu traversais une période difficile, et chacun peut comprendre cela. À ta place, n’importe qui aurait eu le moral en berne. La réussite aux examens dépend aussi de la chance. Nous avons seulement eu la chance de réussir un peu avant toi. Maintenant que tu as surmonté tout ça, Yu Qiao et les autres seront assurément heureux pour toi ! »

Ji Min esquissa un sourire : « Tu sais toujours comment bien parler... »

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. La voiture fit soudain un violent cahot et s’arrêta brutalement. À l’extérieur, on entendit le hennissement des chevaux, tandis que l’intérieur du véhicule se mit à osciller fortement. Tang Fan et les autres durent s’accrocher aux parois pour garder l’équilibre.

« Restez dans la voiture, messire ! Jeune maître Lu, protégez bien monsieur ! » cria Shi Ming depuis l’extérieur.

Ji Min, stupéfait, demanda : « Que se passe-t-il ? »

Sans attendre les instructions de Shi Ming, Lu Lingxi avait déjà dégainé son épée et écoutait attentivement les bruits venant de l’extérieur.

Les cliquetis des armes se firent entendre, mêlés aux voix de Shi Ming et de ses compagnons : « Bandits ! Vous osez attaquer en pleine rue ? Si vous avez du courage, montrez-vous et déclinez votre nom ! »

Sans surprise, les assaillants ne répondirent pas. D’après les bruits provenant de l’extérieur, le combat semblait plutôt intense.

Tang Fan, bien que visiblement calme, prit le temps de rassurer Ji Min : « Ziming, ne t’inquiète pas. Shi Ming et les autres sauront gérer. »

Bien qu’il prononce ces mots rassurants, il ne put s’empêcher de froncer les sourcils.

Il fallait savoir que les quatre de Shi Ming étaient autrefois des élites du dépôt de l'Ouest. Connaissant le caractère de Wang Zhi, il était certain qu'il ne leur aurait pas confié cette mission s'ils n’étaient pas des combattants d’élite. Même Lu Lingxi avait dit un jour que s'il affrontait les quatre ensemble, il n’aurait pas tenu plus de quelques passes face à eux.

Pourtant, le temps s'écoulait inexorablement, et le combat à l'extérieur ne montrait aucun signe d'arrêt. Au contraire, le bruit des armes entrechoquées devenait de plus en plus intense, comme une tempête furieuse.

La nuit était déjà tombée dehors. Bien que la ville de Luling ne soit pas une petite zone, il n’y avait sûrement plus âme qui vive dans les rues la nuit, mis à part quelques patrouilleurs. Les soldats de la garde, attirés par l’agitation, arrivèrent rapidement pour trouver une calèche arrêtée au milieu de la rue, avec deux groupes d'hommes inconnus s'affrontant violemment, sans intention de se retenir. À côté de la calèche gisaient plusieurs corps, dont certains semblaient être le cocher et des gardes de la préfecture.

Les soldats échangèrent des regards inquiets, sachant qu'une calèche aussi bien protégée devait forcément contenir un haut fonctionnaire. Ils n'osèrent ni reculer ni intervenir dans la mêlée. Ils envoyèrent un messager pour demander des renforts et se contentèrent de crier de loin : « Qui ose se battre ici ? Savez-vous que les soldats arrivent ? Déposez vos armes et rendez-vous immédiatement ! »

Les assaillants, déterminés à atteindre la calèche, ne prêtèrent aucune attention aux cris des soldats, concentrés sur Shi Ming et ses compagnons autour du véhicule.

Depuis l'intérieur de la calèche, une voix s’éleva : « Je suis Ji Min, magistrat de Luling, et dans la calèche se trouve également un émissaire impérial. Que quelqu'un aille vite informer les autorités ! »

En entendant cela, les soldats furent si effrayés que leurs âmes se sont envolées.

Luling, étant le chef-lieu de la préfecture de Jian, recevait les nouvelles plus rapidement que les autres régions. Ils savaient qu'un émissaire impérial était venu enquêter sur une affaire de fraude aux examens impériaux. Mais voilà que l'émissaire venait à peine de franchir les limites de Luling, et des assassins l’avaient déjà attaqué. En cas de blâme, les premiers punis seraient certainement eux, les soldats présents.

Les soldats, hésitant à prendre part au combat, décidèrent finalement de s’approcher de la calèche avec prudence, de peur d'être pris dans le combat et de finir comme les blessés gisant au sol.

Cependant, des experts de cette envergure ne laissaient aucune chance aux soldats de s’interposer.

Huit assaillants en noir s’étaient lancés dans l’attaque nocturne, et les quatre hommes menés par Shi Ming défendaient chacun un côté de la calèche, en grande difficulté face à leurs adversaires.

Tandis que les bruits de combat devenaient de plus en plus intenses et que les renforts tardaient à arriver, Lu Lingxi ne put s'empêcher de dire à Tang Fan : « Grand frère Tang, je vais aller les aider, » avant de dégainer son épée et de bondir hors de la calèche.

Avec son aide, la pression sur Shi Ming et les autres diminua légèrement, mais la situation restait néanmoins critique.

Sans parler de Lu Lingxi, qui avait appris les arts martiaux au temple Shaolin et parcouru les routes du pays avec une certaine expérience des combats, les trois hommes et Shi Ming étaient aussi des experts de haut niveau. Pourtant, même ces cinq combattants peinaient face à leurs assaillants.

Les huit hommes masqués en noir, venus d’on ne savait où, se battaient sans pitié, visant directement à tuer. Shi Ming et ses hommes furent pris de court, presque acculés, mais ils savaient que les personnes dans la calèche étaient incapables de se défendre. Ils se battaient donc avec acharnement pour protéger le véhicule, coûte que coûte.

À l'intérieur de la calèche, Tang Fan et Ji Min avaient l'impression que le temps s'étirait à l'infini.

Pour ne pas gêner Shi Ming et les autres, ils évitèrent de jeter un œil à l'extérieur, se contentant d’échanger des regards inquiets.

Depuis ses années d'aventures, Tang Fan avait affronté de nombreuses situations dangereuses, et celle-ci n’était pas la plus périlleuse. Il restait donc relativement calme, bien que son front se plisse d'inquiétude pour la sécurité de Lu Lingxi et des autres.

Ji Min, déterminé à ne pas montrer de faiblesse devant Tang Fan, gardait son calme malgré son teint pâle, les poings serrés.

Tang Fan tenta de le rassurer : « Ne t’inquiète pas, Yiqing et les autres sont très compétents. »

Ji Min esquissa un sourire forcé, puis fronça de nouveau les sourcils : « Luling a toujours été une ville paisible, sans histoire de bandits. Comment se fait-il que tu arrives et des assassins apparaissent aussitôt ? Est-ce que quelque chose de similaire est arrivé à Suzhou? »

Tang Fan secoua la tête : « Non. »

Ji Min supposa : « Se pourrait-il que cela ait un rapport avec l’affaire sur laquelle tu viens enquêter ? »

Un doute traversa l'esprit de Tang Fan.

Si quelqu'un ne voulait pas qu'il mène cette enquête, ce ne pouvait être que Shen Kunxiu. Mais comment un simple superviseur académique pourrait-il être lié à ces assassins ?

Y aurait-il un secret caché dans cette affaire ?

Alors qu'il réfléchissait, des bruits de sabots et des cris lointains se firent entendre.

Les soldats qui avaient observé la scène de loin aperçurent des torches se rapprocher, et leur visage s’illumina d’espoir.

Les renforts arrivaient enfin.

L’émissaire impérial et le magistrat de Luling étant tous deux coincés dans la calèche, les soldats envoyés demander de l’aide n’avaient eu d’autre choix que de se rendre directement auprès du préfet Fan Lezheng de la préfecture de Jian.

Le banquet venait juste de se terminer, et le préfet Fan, complètement ivre, rentrait à son bureau. Il arrivait à peine aux portes lorsqu’il aperçut un soldat de la patrouille, essoufflé, lui annoncer que l’émissaire impérial avait été attaqué sur le chemin du retour, avec le magistrat de Luling à ses côtés dans la calèche.

Bien que très éméché, le préfet Fan retrouva immédiatement ses esprits en entendant ces nouvelles et se précipita pour s’y rendre.

Heureusement, l’un de ses conseillers eut la présence d’esprit de l’arrêter : « Si vous y allez seul, cela ne servira à rien ; non seulement vous ne pourrez pas secourir l’émissaire, mais vous risqueriez aussi de vous faire capturer. Mieux vaut aller chercher du renfort. »

Le préfet Fan comprit et se tourna alors vers la caserne du capitaine Tan, qui commandait la garnison de Jian.

La garnison de Jian n’était pas affiliée aux gardes Brocart, mais bien à la direction militaire de Jiangxi. Malgré cette indépendance, le capitaine Tan, informé que l’émissaire impérial avait été attaqué dans sa juridiction, se hâta de rassembler ses hommes pour partir en renfort.

Sachant que les attaquants étaient nombreux et particulièrement habiles, le capitaine Tan amena avec lui une petite escouade de soldats armés de mousquets, ce qui causa quelques délais.

Heureusement, Shi Ming et ses compagnons avaient réussi à tenir bon. Ils savaient que si quelque chose arrivait à Tang Fan, ils seraient tenus pour responsables de cet échec et risqueraient une sanction sévère de la part de l’empereur, même si Wang Zhi lui-même ne leur en voudrait pas. Les quatre se battaient donc avec acharnement pour défendre la calèche, leurs corps déjà couverts de blessures.

Les assaillants n’étaient pas en meilleur état, chacun des huit hommes masqués ayant été blessé. Bien que leur cible se trouvât dans la calèche, ils devaient éviter de se faire capturer et d’exposer leur identité. En voyant les troupes arriver en masse, ils comprirent que leur chance de tuer leur cible était passée et qu’il leur serait désormais impossible de trouver une nouvelle opportunité.

L’un d’eux, qui semblait être le chef, fit un signe, et les sept autres s’enfuirent immédiatement dans la direction opposée à celle des soldats, puis s’évanouirent rapidement dans l’obscurité de la nuit.

Lu Lingxi s’apprêtait à les poursuivre, mais Shi Ming le retint fermement : « Veux-tu mourir ? »

Il était clair que les assaillants étaient d’un niveau supérieur à Shi Ming et ses hommes. Tous les cinq avaient subi de sérieuses blessures, dont deux étaient grièvement blessés. Les huit assaillants, bien qu'ayant quelques blessures légères, étaient toujours en état de combattre. Si Lu Lingxi les poursuivait, il risquait fort de ne jamais revenir.

Lu Lingxi se résigna à abandonner la poursuite.

Les soldats étaient déjà arrivés. Voyant l’état lamentable dans lequel se trouvaient Tang Fan et ses compagnons, le préfet Fan s’inquiéta : « Maître Tang va bien, j’espère ? »

« Je vais bien, » répondit Tang Fan, sortant de la calèche, suivi de Ji Min.

Le préfet Fan présenta alors le capitaine Tan à Tang Fan : « Voici le capitaine Tan de la garnison de Jian. Dès que j’ai appris la nouvelle, je suis allé chercher son aide. »

Ses paroles, teintées d’une certaine autosatisfaction, n’étaient pas rares dans les cercles officiels, et bien qu’en temps normal Tang Fan aurait pris le temps de lui répondre poliment, il se contenta cette fois d’incliner la tête vers le capitaine Tan : « Merci, capitaine Tan, j’accepte avec gratitude votre aide. Je viendrai vous remercier personnellement un autre jour. »

Le capitaine Tan, plus perspicace que le préfet Fan, remarqua que les compagnons de Tang Fan étaient gravement blessés. « Je connais plusieurs médecins spécialisés dans les traumatismes et les blessures de combat. Si vous en avez besoin, je peux envoyer quelqu’un les chercher immédiatement. »

Tang Fan accepta sans hésitation : « Merci, capitaine Tan. Je vous en serai reconnaissant. »

Le capitaine Tan répondit promptement : « Ne vous en faites pas, cette affaire s’étant produite dans la juridiction de Jian, c’est mon devoir de vous protéger. Permettez-moi de vous escorter personnellement. »

Le préfet Fan ne voulut pas être en reste : « Je vais également vous escorter, Maître ! »

Shi Ming et ses compagnons étaient en piteux état, deux d’entre eux à peine conscients. Tang Fan accepta leur aide, permettant à Shi Ming de soutenir ses deux subordonnés blessés et de les installer dans la calèche. Il emprunta aussi quelques chevaux au capitaine Tan pour lui-même et Lu Lingxi, afin qu’ils puissent rentrer à cheval.

Les assaillants, bien sûr, ne tentèrent pas une seconde attaque. Sous l’escorte personnelle du capitaine Tan et du préfet Fan, le groupe de Tang Fan arriva sain et sauf au relais officiel.

Shi Ming, Lu Lingxi, et les autres étaient tous blessés, deux d’entre eux grièvement. Lu Lingxi avait une entaille profonde au bras, si profonde qu’on voyait l’os. Il avait tenu bon sans se plaindre tout au long du retour, se contentant de déchirer un morceau de tissu pour arrêter le saignement. Ce n’est qu’à l’arrivée du médecin, lorsqu’il examina la blessure, que les autres purent se rendre compte de sa gravité.

Bien qu'ils aient été blessés en protégeant Tang Fan, il faut dire que cela faisait partie de leurs fonctions. Cependant, Tang Fan ne considérait pas leur sacrifice comme quelque chose d'évident. Au contraire, il céda sa propre maison pour loger les blessés graves, supervisa personnellement le médecin lorsqu'il auscultait et soignait leurs blessures, et questionna en détail Ximing et les autres sur leur état. Ce n'est qu'après avoir confirmé que leur vie n'était pas en danger qu'il leur conseilla de bien se reposer et demanda au personnel de l'auberge officielle de leur préparer pour le lendemain une bouillie de millet et de viande, facile à digérer.

Ximing et les autres observaient ces gestes, et bien qu'ils ne le montrent pas, ils en étaient intérieurement touchés.

Il y avair de nombreux fonctionnaires qui ne faisaient que des gestes de façade, et encore plus qui méprisaient même ces gestes. Quant à eux, on les appelait des experts, mais en réalité ils n’étaient que des serviteurs aux ordres des autres ; certains erraient dans les montagnes et rivières, d’autres se mettaient au service des autorités. Même en devenant généraux, leur statut restait inférieur à celui des fonctionnaires civils.

Ximing et ses compagnons avaient d'abord pensé que, vu le rang de Tang Fan, il serait du genre à avoir les yeux rivés vers le haut. Quant à leur mission de protéger un fonctionnaire civil sans défense, ils avaient aussi quelques réticences. Mais après cet incident, le comportement de Tang Fan les fit changer d’avis. Peu importait ses intentions véritables : le simple fait de faire preuve de tant de soin et d'attention suffisait pour réchauffer leur cœur.

Après s'être occupé des blessés, un ou deux heures avaient passé. Tang Fan avait déjà renvoyé le préfet Fan et le commandant Tan ; seul Ji Min était resté à l'auberge officielle.

Tang Fan s’installa alors dans l’aile secondaire, ayant cédé la cour principale à Ximing et ses hommes. Bien que le personnel de l’auberge eût fait des aménagements provisoires, les conditions étaient indéniablement moins confortables.

Tang Fan s’excusa : « Frère Ziming, j'espère que tu ne m'en veux pas. Regarde cette affaire de ce soir : non seulement tu as failli être impliqué, mais j’ai en plus négligé ta compagnie pendant une grande partie de la journée, et n’ai même pas pu te parler en privé ! »

Ji Min fit un geste de la main : « Ce n'est rien, de toute façon nous sommes en repos demain, pas besoin de se lever tôt. »

Puis il soupira : « Mais cette attaque était vraiment étrange. J'enviais ta promotion rapide, mais je n'imaginais pas que ton poste serait aussi dangereux ! Pas étonnant que tu aies des hommes experts en arts martiaux à tes côtés. Sans eux, tu serais encore plus exposé ! »

Tang Fan sourit : « En réalité, ce genre de choses n’arrive pas souvent. À Suzhou, je n'ai jamais rencontré de telles situations. »

En vérité, il en avait rencontré, mais sous forme de séductions et de pots-de-vin. Comme on dit, le vin est un poison qui ronge les entrailles, la beauté une lame qui racle les os ; c’était un autre type de danger.

À ces mots, Ji Min, incapable de cacher son inquiétude pour lui, dit : « Maintenant que le jeune maître Lu et les autres sont blessés, que feras-tu pour assurer ta sécurité dans les jours à venir ? Pourquoi ne pas affecter des hommes du bureau de district ici ? »

Tang Fan refusa poliment, sur le ton de la plaisanterie : « Merci pour ta suggestion, mais si les opposants sont aussi habiles que ceux de ce soir, peu importe combien ils sont nombreux, cela ne servirait à rien. Il vaudrait mieux que le commandant Tan me prête un détachement de mousquetaires ! »

Ji Min savait que cela était vrai et secoua la tête : « C’est moi qui manque de compétence. Quand j'ai appris que tu venais, j'étais très heureux et avais hâte de te revoir pour renouer avec toi. Mais voilà que tu subis une tentative d’assassinat dès ton arrivée dans le territoire de Luling. C'est ma faute en tant que responsable local. »

Tang Fan répondit en souriant : « Cela n’a rien à voir avec toi, pas de culpabilité à avoir. Et puis, ne pouvons-nous pas renouer maintenant ? En te voyant, j’ai justement voulu te demander : as-tu passé l'examen impérial par la suite ? Pourquoi ne m'as-tu pas cherché en arrivant dans la capitale ? »

Ji Min répondit : « Je n’ai plus repassé l’examen. De retour chez moi, j’ai rencontré un riche marchand qui appréciait ma détermination dans mes études. Il a déboursé de l’argent pour m’aider à obtenir un poste de sous-préfet à Luling, et quand le poste de préfet s’est libéré, il a recommandé mon nom. C’est ainsi que j’ai été promu à ce poste. »

Dans cette dynastie, les titulaires du titre de juren pouvaient occuper des fonctions administratives. Tang Fan avait autrefois aidé son beau-frère, He Lin, à obtenir un poste d’instructeur à Miyun pour cette raison même.

Mais connaissant la fierté de Ji Min, Tang Fan avait toujours pensé qu’il ne se reposerait pas avant de devenir jinshi.

Comme s'il devinait sa pensée, Ji Min sourit ironiquement : « Ma mère était malade à l'époque. J’ai seulement voulu trouver un moyen de subsistance pour ne plus inquiéter mes proches. Ce n’est pas que je ne souhaitais pas te contacter, mais toi-même venais à peine de stabiliser ta position à Shuntian. Même si tu avais voulu aider, tu aurais été impuissant. C’est pourquoi je n’ai rien dit pour t’épargner de l’inquiétude. »

Tang Fan dit : « Ce qui explique pourquoi mes deux lettres sont restées sans réponse. Tu n’étais sans doute déjà plus dans ta région d'origine ? »

Ji Min soupira : « Oui, depuis mon arrivée à Luling, je n'ai pas eu une seule occasion de retourner chez moi. Je me rends compte que j’ai failli à mon devoir de fils ! »

Les congés pour les fonctionnaires étaient rares, et pour ceux du bas de l’échelle, obtenir un jour de congé était particulièrement ardu. Le cas de Ji Min était loin d’être isolé, des milliers de fonctionnaires à travers la dynastie Ming sétaient dans une situation similaire.

Ji Min dit alors : « Runqing, tu te souviens de notre pacte ? Nous voulions tous deux réussir ensemble aux examens. Mais, finalement, je n’ai pas continué mes efforts, j’ai triché et pris un raccourci. Je sais que ce n'est pas la voie juste... »

Tang Fan l’interrompit : « Je n’aime pas t’entendre parler ainsi. Ce qu’on appelle voie juste ou non ne se mesure pas aux examens. Si l’on peut se mettre au service du peuple en devenant fonctionnaire, alors c’est un chemin noble. Savais-tu qu'au début de la fondation de la dynastie, la plupart des fonctionnaires étaient issus de l’Université impériale et non des concours ? Parmi eux, certains sont devenus des ministres et des héros. Est-ce que cela signifie qu’ils ne suivaient pas la voie juste ? Ziming, tu réfléchis trop et te préoccupes à l’excès. Tant que tu restes fidèle à toi-même, nous resterons toujours des amis proches. »

Ji Min sentit une chaleur lui monter au cœur, et, ne trouvant rien de vraiment approprié à dire, baissa la tête pour dissimuler son émotion. Ce n'est qu'après avoir repris son calme qu'il demanda : « Lors du banquet d’aujourd’hui, Xu Bin n’a cessé de te cibler. Sais-tu pourquoi ? »

Tang Fan répondit : « Je trouvais cela étrange justement. Se pourrait-il que tu connaisses la raison ? »

Ji Min répondit : « J’en sais un peu… »

Il s’apprêtait à poursuivre quand on frappa à la porte.

Tang Fan fit mine de se lever pour ouvrir, mais Ji Min l’en empêcha d’une main et alla ouvrir lui-même.

De l’autre côté se tenait non pas un assassin, mais Lu Lingxi, un bras en écharpe.

Souriant, il dit : « Grand frère Tang, j’ai entendu dire que vous discutiez ici jusqu'à tard. J’ai pensé venir vous rejoindre. Je ne dérange pas, j’espère ? »

Tang Fan fronça les sourcils : « Tu es blessé. Pourquoi ne pas te reposer plutôt que de traîner ici ? Ne fais pas de bêtises ! »

Lu Lingxi répondit : « Je n’arrive pas à dormir, la blessure me fait trop mal. Laissez-moi juste rester ici un moment ! »

Son ton avait des accents de supplication auxquels on ne pouvait résister, et Tang Fan, en songeant que cette blessure avait été reçue en le protégeant, ne parvint pas à se montrer dur.

Le problème, c'est que les autres, comme Ximing et les autres hommes, restaient sages ou se reposaient dans leurs chambres sans venir se plaindre ici, alors que Lu Lingxi n’en faisait qu’à sa tête.

Il est encore trop jeune, pensa Tang Fan avec indulgence. Un vrai tempérament d’enfant. Pas étonnant que Huai En ait voulu l’envoyer pour gagner en expérience.

Avec cette pensée, Tang Fan céda un peu : « Très bien, assieds-toi ici. Si tu ressens un malaise, dis-le. »

Lu Lingxi accepta avec joie et traîna sa chaise de l’autre main pour se rapprocher de Tang Fan. Voyant le regard de Ji Min posé sur lui, il lui lança un regard un peu provocateur, ce qui fit légèrement sursauter Ji Min.

 

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L’auteur a quelque chose à dire :

Wang Zhi : C'est-à-dire que je suis un homme de statut et de position.
Sui Zhou : Cette phrase devrait être divisée en deux. La deuxième partie t'appartient, mais la partie 'homme' m'appartient.
Wang Zhi : C'est vrai, tu es un homme. Un homme qui ne vit que dans les notes de l'auteur.
Su Zhou : …

 

Traducteur: Darkia1030