Chenghua -Chapitre 106 – Un beau jade orné d’un cordon de soie.

 

Tang Fan réfléchissait attentivement aux paroles de sa sœur, sentant qu'elles étaient lourdes de sens, comme si elles cachaient une intention particulière.

En réalité, depuis la dernière fois où Tang Fan était rentré ivre du manoir de Wang Zhi, jusqu'à maintenant, plus de la moitié d'une année s'était écoulée en un clin d'œil.

Pendant cette période, Sui Zhou était souvent parti en mission à l'extérieur et n'avait guère eu l'occasion de rester tranquillement à la maison plusieurs jours d'affilée. Quant à Tang Fan, il avait lui-même des fonctions au sein de l’Inspection. Et, comme ces deux dernières années le Ministère manquait cruellement de personnel, les tâches à répartir parmi les membres étaient d'autant plus nombreuses, surtout lorsqu'on avait pour supérieur un professeur aussi exigeant que Qiu Jun.

Même en restant à la capitale, Tang Fan partait souvent tôt le matin et ne rentrait que tard le soir. Il était donc difficile pour eux de retrouver les jours d'avant, à Datong, où ils vivaient ensemble du matin au soir.

Pourtant, au fond de lui, Tang Fan pensait toujours à cette affaire. Il se souvenait que Sui Zhou avait dit qu'il allait se marier au printemps. Même si, par la suite, Tang Fan avait vaguement entendu Sui Zhou, alors qu'il était ivre, dire qu'il ne se marierait plus, il n'avait pas eu l'occasion de l'interroger à ce sujet.

L'affaire avait donc été laissée de côté. Les deux semblaient avoir un accord tacite pour ne pas aborder ce sujet.

Jusqu'à aujourd'hui, où les paroles de sa sœur, Tang Yu, lui firent enfin prendre la décision d'en discuter clairement avec Sui Zhou dès son retour de service.

Mais après avoir attendu longtemps, jusqu'à la tombée de la nuit, Tang Fan n'avait toujours pas vu de signe de lui. Un peu pressé, il se rendit directement au Bureau du Bastion Nord pour le chercher.

À sa grande surprise, on lui informa que Sui Zhou avait reçu une mission extérieure de dernière minute et qu'il se préparait à partir pour Tongzhou cette nuit même. Il venait juste de partir et Tang Fan, s'il se dépêchait, pourrait encore le rattraper.

Pris par une soudaine impulsion, Tang Fan emprunta un cheval au Bureau du Commandant et se précipita en direction de la porte de la ville.

À ce moment-là, le ciel s'assombrissait déjà, et les portes de la ville allaient bientôt se fermer.

Accélérant sa course, il finit par apercevoir un groupe de personnes qui semblaient s'apprêter à quitter la ville. Tang Fan cria aussitôt : "Sui Guangchuan !!!"

Il n'était pas sûr que Sui Zhou soit là, mais à son cri, le groupe se retourna, et, effectivement, Sui Zhou était parmi eux.

Sui Zhou échangea quelques mots avec ses compagnons et leur demanda de poursuivre leur route sans lui, puis fit faire demi-tour à son cheval pour s'approcher.

"Y a-t-il un problème ?" demanda Sui Zhou en voyant Tang Fan essoufflé. Par habitude, il voulut sortir un mouchoir de sa poche pour essuyer le visage de Tang Fan. Mais à peine avait-il levé la main qu'il s'arrêta net, dissimulant parfaitement ses gestes, sans laisser paraître la moindre émotion.

En fait, depuis plus d'une demi-année, il avait scrupuleusement respecté les distances, comme s'ils étaient revenus au temps où ils venaient tout juste de se rencontrer. Bien qu'ils vivent sous le même toit, Sui Zhou n'avait jamais prononcé un mot ambigu ni fait un geste déplacé.

Cela aurait dû apaiser Tang Fan, mais, curieusement, il ne se sentait pas aussi soulagé qu'il l'aurait cru.

Avec plein de choses à dire, mais les mots coincés dans la gorge, il ne put finalement que poser une question : "Pourquoi repars-tu encore en mission ?"

Sui Zhou acquiesça : "Je pars pour Tongzhou sur ordre de Sa Majesté, j'ai une mission à accomplir."

Laconique, il n'ajouta rien, même pas un mot sur le but de sa mission.

Tang Fan s'inclina légèrement et dit d'une voix un peu étouffée : "Alors, je te souhaite bon voyage et un retour rapide."

Sui Zhou hocha la tête : « Merci beaucoup. »

Cela dit, il tourna son cheval et s'apprêta à partir.

Quelques mots succincts, plus rien à dire.

Depuis quand leur relation était-elle devenue aussi distante ?

Tang Fan se sentit inexplicablement très mal à l'aise. Voyant que la silhouette de l'autre semblait se fondre dans l'obscurité, il s'avança impulsivement sans réfléchir. Avant même de parler, il se pencha pour attraper le bras de l'autre, mais faillit être entraîné et tomber de cheval.

Heureusement, Sui Zhou réagit rapidement. Il se retourna immédiatement et saisit ses deux bras, le soulevant complètement sur son propre cheval.

Sui Zhou, quant à lui, descendit de cheval et tira ensuite Tang Fan en bas.

« Mais qu'est-ce que tu fais ? » gronda-t-il froidement, avec une pointe de colère dans la voix. «Si je n'avais pas fait attention tout à l'heure, tu serais tombé de cheval ! »

Tang Fan sourit d'un air embarrassé : « J'ai été distrait un moment ! »

Sui Zhou resta silencieux un instant : « S'il n'y a rien d'autre, je vais prendre congé. »

Tang Fan ne put plus retarder les choses. Il toussota légèrement, sortit de sa poche un objet et le tendit : « Je l'ai vu tout à l'heure dans la rue, il m'a plu, alors je l'ai acheté. Prends-le pour t'amuser ! »

Sans attendre la réaction de Sui Zhou, il se retourna, remonta sur son cheval et s'éloigna en galopant.

Sui Zhou, un peu perplexe, baissa les yeux à la lumière de la lune et examina l'objet dans sa main. C'était un morceau de jade, au toucher doux, mais de qualité inférieure, comme s'il avait vraiment été acheté au hasard dans la rue.

En regardant de plus près, il remarqua que le cordon noué autour du trou du jade, tout de travers, semblait bien être l'œuvre d'A dong.

Il le porta à son nez et le renifla. Il n'avait pas de parfum, mais sentait plutôt l'aubergine braisée.

Et il se souvenait clairement que, lors du dîner de la veille, A dong et les autres, à côté, avaient justement mangé de l'aubergine braisée.

Sui Zhou : « ... »

Quel genre de stratagème était-ce ? !

Il quitta la ville, tenant le morceau de jade avec perplexité ; les autres l’attendaient au relais de poste à la périphérie de la ville.

Il était trop tard pour continuer le voyage, mais s'ils ne quittaient pas la ville, le départ tôt le matin serait retardé par la fermeture des portes de la ville. Alors, ils décidèrent de se reposer quelques heures à la station de relais en dehors de la ville et de repartir à l'aube.

Avec eux se trouvait également Yu Zijun, le ministre des Finances (NT : petite incohérence de l’auteur, il était Ministre de la guerre dans un chapitre précédent. Ou alors il a été muté). En voyant le morceau de jade dans la main de Sui Zhou, il plaisanta : « On dirait que le Censeur Tang a demandé à l’envoyé Sui Zhou de remettre un gage d'amour à quelqu'un? »

Sui Zhou eut une expression perplexe et répondit vaguement « hmm ». En effet, il n'avait jamais vu un ‘gage d'amour’ avec une odeur d'aubergine braisée.

D'ailleurs, le fait que Tang Fan lui ait soudainement donné une pièce de jade devait certainement avoir une signification.

Sachant que Yu Zijun, issu des rangs des lauréats des examens impériaux et un érudit accompli, pourrait l'aider, il lui demanda humblement : « Puis-je vous demander, Ministre Yu, s'il y a une signification particulière à cela ? »

Yu Zijun lui demanda : « Aviez-vous offert quelque chose à l'autre personne auparavant ? »

Sui Zhou répondit : « Non. »

Offrir une belle pièce de jade avait en réalité une signification assez simple. Depuis l'Antiquité, il y avait un dicton : « Pour un coing offert, je répondrai par une pierre précieuse », mais il avait l'impression que ce n'était pas ce que Tang Fan voulait dire. Sinon, Tang Fan aurait pu offrir une pièce de jade qu'il possédait lui-même, alors pourquoi utiliser celui de A dong ?

Yu Zijun dit : « Laissez-moi voir. »

Sui Zhou lui tendit le jade.

Yu Zijun ne se sentit pas à l'aise de dire que le cordon était vraiment laid, alors il choisit des mots plus agréables : « Hmm, la qualité est moyenne, mais cela reste un geste sincère de la part de cette jeune fille... Tiens, pourquoi y a-t-il une odeur d'aubergine braisée ? »

Sui Zhou : « … »

Yu Zijun examina le jade un moment, puis le rendit à Sui Zhou, en souriant : « Le Commissaire Sui a-t-il déjà lu un poème de Po Qin ? »

Sui Zhou, bien qu'il comprenne les documents littéraires, n'était pas vraiment un lettré, il n'avait donc pas étudié ces sujets en détail. En entendant cela, il secoua la tête.

Yu Zijun récita :

« Je suis sorti par la porte pour me promener.
Sur le chemin, j'ai rencontré quelqu'un.
Je pense à toi dans ma chambre solitaire.
Je tiens et ajuste tes vêtements pour toi.

Il n'y a pas de serment sous le mûrier,
Nous ne sommes que des personnes rencontrées en chemin.
Je suis fasciné par sa belle apparence.
Et toi aussi, tu apprécies mon visage.

Que puis-je offrir pour montrer mon amour sincère ?
Je glisse à tes  bras des bracelets d'or.
Que puis-je offrir pour montrer mon attachement ?
Je mets des bagues d'argent à tes doigts.

Que puis-je offrir pour montrer mon affection ?
Je te donne des perles brillantes pour tes oreilles.
Que puis-je offrir pour exprimer mes sentiments ?
Je te donne une pochette parfumée.

Que puis-je offrir pour exprimer notre lien ?
J’enroule deux longs rubans autour de tes poignets.
Que puis-je offrir pour sceller notre amour éternellement?
Je te donne un beau jade orné d'un cordon de soie.»

(NT : du poème ‘Chanson sans paroles’ attribué à Po Qin (阮籍), un poète chinois de la dynastie des Trois Royaumes).

En entendant la phrase « Que puis-je offrir pour sceller notre amour éternellement ? Je te donne un beau jade orné d'un cordon de soie », Sui Zhou ne put s'empêcher de ressentir un choc.

Avec un message aussi clair, comment pourrait-il ne pas comprendre ?

Mais était-ce vraiment ce que Tang Fan voulait dire ?

Ce garçon de bois aurait-il enfin compris quelque chose ?

Pendant ce temps, Yu Zijun continuait : « Il semble que cette jeune fille soit profondément éprise de l’envoyé Sui, mais, gênée, elle n'ose pas le dire directement, et ne peut que passer par ce moyen pour s'exprimer. Son amour sincère est touchant. L’envoyé Sui a vraiment de la chance ! »

Voyant que Sui Zhou ne semblait pas particulièrement joyeux, Yu Zijun pensa à l'odeur d'aubergine braisée et comprit peut-être quelque chose. Il se dit que les efforts de la jeune fille seraient probablement vains et décida de ne plus plaisanter. Après quelques mots, il partit se reposer.

Il ignorait que, dans le cœur de Sui Zhou, une tempête faisait rage. Il aurait voulu faire demi-tour immédiatement, attraper la personne en question, et lui demander clairement ce qu'elle voulait dire.

Mais il avait encore des affaires à régler, et les portes de la ville étaient déjà fermées. Il dut donc réprimer son cœur brûlant et se concentrer sur son travail, remettant à plus tard ses réflexions.

*

Tang Fan, quant à lui, ignorait la réaction de Sui Zhou. Sur le chemin du retour, il se demanda si offrir un morceau de jade n'était pas un geste trop subtil. Avec les talents littéraires de Sui Guangchuan, il était fort probable qu'il ne devinerait pas le poème derrière ce geste.

Et puis, dans la précipitation, il avait pris le jade de A dong avant de partir. Ce n'était pas grand-chose d'en acheter un autre pour le remplacer, mais une fois que Sui Zhou reviendrait et qu'A dong verrait son propre jade sur Sui Zhou, qui sait quelle serait sa réaction ?

Mais si ce n'était parce que son propre pendentif était orné d'une frange et non d'un cordon, il n'aurait pas eu recours à cette solution de dernière minute.

En y repensant, Maître Tang ne put s'empêcher de se prendre la tête, inquiet de savoir comment il allait réparer cette situation.

Tang Fan n'était pas le seul à être préoccupé ; He Lin avait également ses propres soucis.

Le fait que He Cheng ait changé de nom de famille et que le couple se soit séparé était une affaire d'une grande gravité. He Lin savait qu'il ne pourrait pas le cacher, alors dès son retour, il le rapporta à ses parents.

En apprenant la nouvelle, le vieux maître He et Madame Xu furent frappés comme par un coup de tonnerre en plein ciel ; ils restèrent totalement abasourdis.

À cette époque, un homme de bonne famille n'accepterait jamais de vivre en tant que gendre dans la maison de sa femme, car cela serait considéré comme un acte de trahison envers ses ancêtres, une grande honte. À moins d'être désespéré, aucun homme n'accepterait cela. Et il était hors de question qu'ils donnent leur petit-fils comme ça et qu’il change de lignée.

On pourrait comprendre si la famille He était dans le dénuement, mais ils étaient une famille respectable. Comment pouvaient-ils accepter que leur fils fasse une chose aussi honteuse ?

« Je l'avais dit, ces frère et sœur de la famille Tang n'avaient pas de bonnes intentions. Et maintenant, ils veulent même prendre notre petit-fils ! » Madame Xu, d'habitude si digne, ne put s'empêcher de crier avec une voix aiguë.

« Mère, ne vous énervez pas, écoutons ce que deuxième frère a à dire d'abord ! » He Xuan, accouru en entendant la nouvelle, ne pouvait s'empêcher de secouer la tête intérieurement : qu'est-ce que tout cela signifiait ?

« Que peut-il encore dire ! Est-ce que la famille He est vraiment tombée au point de devoir vendre ses petits-enfants ? Toi, He Lin, en faisant cela, n'as-tu pas pensé à la réputation de notre famille ? Où places-tu les ancêtres de la famille He ? »

Madame Xu pointait du doigt He Lin, tellement en colère que ses mains tremblaient.

Le vieux maître He, bien que plus calme, contint sa colère et dit à He Lin : « De toute façon, tout cela n'était que des paroles échangées en privé, rien n'a été officiellement déclaré. Considérons cela comme des paroles en l'air prononcées sous l'effet de l'alcool. Demain, je vais voir Tang Fan et lui demander de retirer cette proposition. Je refuse de croire qu'il n'accorderait pas de respect à un vieil homme comme moi ! »

He Lin répondit : « Vous n'avez pas besoin de le voir, j'ai déjà signé les documents pour être gendre.» (NT : He Lin ‘déménage’ dans la famille de sa femme pour que son fils puisse changer de nom, le nom scientifique est uxorilocalité).

Le vieux maître He et Madame Xu restèrent stupéfaits.

He Lin continua : « Dès que l'administration l’approuvera, Qilang pourra changer de nom de famille. Ensuite, je divorcerai de Madame Tang. Une fois le divorce prononcé, les documents pour devenir gendre seront naturellement annulés. Comment cela pourrait-il ternir la réputation de la famille He ? »

He Xuan tapa du pied : « Deuxième frère, comment peux-tu être aussi insensé ! Même si tu divorces, qu'est-ce que ça changera ? Dès que Qilang changera de nom, les gens diront que tu es incapable, que même ta femme et ton enfant ne te respectent pas. Crois-tu que cela te fera honneur ? »

He Lin répondit froidement : « Crois-tu que j'ai de l'honneur maintenant ? Tang Fan a déjà promis de m'aider à obtenir un poste officiel. »

Le vieux maître He demanda : « Que t'a-t-il promis ? »

He Lin répondit : « Enseignant à Miyun. »

Le vieux maître He, exaspéré par son manque d’ambition, s’écria : « Un simple poste d’enseignant dans le comté de Miyun a suffi à t’acheter ?! Et pour cela, tu es prêt à abandonner femme et enfant ?! »

Son visage devint rouge, et il se mit à se tenir la poitrine. Madame Xu et He Xuan s’empressèrent de venir le soutenir.

He Lin insista : « Puisqu’ils n’ont plus envie de rester dans la famille He, pourquoi les y forcer ? Père, croyez-vous que je ne le savais pas ? Vous refusez que je divorce de madame Tang, mais c’est uniquement pour préparer le terrain pour le troisième frère à l’avenir, n’est-ce pas ? »

Le vieux maître He s’écria de colère : « Est-ce que le troisième frère t’a fait du tort ? Il fait partie de la famille He. Si la famille He prospère, n’en profiteras-tu pas aussi ? Tu n’as pas réussi l’examen des lettrés, et tu veux empêcher ton propre frère de réussir ?! »

He Lin ricana : « Le problème, c’est que la famille Tang ne veut plus du tout avoir affaire à nous. Vous vous jetez ainsi dans leurs bras, mais avez-vous pensé à ce qu’ils pensent de nous ? Quoi qu’il en soit, je suis le père de Qilang, et j’ai déjà donné mon accord. Si madame Tang veut bien s’occuper de Qilang, qu’il change de nom ou non, il restera toujours mon fils ! »

Sur ces mots, il tourna les talons et s’en alla, sans prêter attention aux visages de ses parents et de ses frères.

He Lin avait toujours été ainsi, solitaire et renfermé. Après tant d’années, le vieux maître He s’y était habitué. Ce qu’il ne pouvait accepter ni pardonner, c’était que He Lin ait décidé de divorcer de madame Tang et de permettre à Qilang de changer de nom sans consulter personne.

Certes, la famille He n’était pas en manque de petits-enfants. L’aîné, He Yi, avait déjà trois fils, et le troisième frère, He Xuan, en avait maintenant un. Le petit nom de He Cheng, Qilang, suivait la tradition de nommer les enfants d’après leur place parmi les cousins de la même génération (NT : qui, septième, lang, jeune homme). Sans compter He Cheng, le vieux maître He avait déjà quatre petits-fils légitimes. La famille He était donc bien florissante dans cette génération. Mais la belle-famille de l’aîné et du troisième frère n’avait pas de relations aussi prestigieuses que celles de la famille Tang, représentée par Tang Fan.

Lier deux familles par le mariage ne servait pas seulement à perpétuer la lignée en ayant des enfants, mais aussi à s’entraider mutuellement. C’était une pratique courante. Pourtant, malgré deux générations de relations, tout avait été brisé par He Lin.

Le vieux maître He était tellement en colère qu’il en aurait tué ce fils indigne.

« Père, que faisons-nous maintenant ? Devrions-nous aller voir la famille Tang ? » demanda He Xuan.

Le vieux maître He fit un geste de la main, désespéré : « Si la famille Tang a monté toute cette histoire, c’est qu’ils l’ont planifiée depuis longtemps. Puisque le deuxième fils a déjà donné son accord, s’opposer ne servirait à rien. Insister ne ferait qu’envenimer les choses. Laisse tomber, qu’ils fassent ce qu’ils veulent ! »

He Xuan tapa du pied : « Comment une belle alliance a-t-elle pu être ruinée par le deuxième frère ? Ce que la famille Tang a fait est contraire aux règles ! De toute évidence, ils cherchent à se détacher de nous, comme s’ils avaient peur que nous leur demandions des faveurs. Que diriez-vous si je demandais à mes collègues de déposer une pétition pour destituer Tang Fan ? »

Le vieux maître He le réprimanda : « As-tu perdu la tête ? Si nous destituons Tang Fan, cela rehausserait-il l’honneur de notre famille ? Cette affaire reste une affaire de famille. Nous appartenons tous deux à des familles de fonctionnaires. Comment crois-tu que le gouvernement tranchera ? Ne va pas te ridiculiser ! Laisse tomber ! Ce sont des problèmes que le deuxième fils a lui-même provoqués, qu’il les résolve lui-même. Toi, concentre-toi sur ton travail. »

He Xuan hésita : « … Mais si nous en venons à nous brouiller complètement avec la famille Tang, Tang Fan ne profitera-t-il pas de l’occasion pour me mettre des bâtons dans les roues ? »

Le vieux maître He rit de dépit : « Tu sous-estimes vraiment Tang Runqing ! S’il passait son temps à se préoccuper de ce genre de petites querelles, il n’occuperait pas aujourd’hui une telle position ! Écoute ton vieux père : tu es au ministère de la Justice, contente-toi de faire ton travail comme il se doit. Ne dis du mal de personne derrière son dos. Quand l’affaire de la femme du deuxième fils et de Qilang est survenue, il est vrai que notre famille He a d’abord failli à ses devoirs envers lui. Sa vengeance actuelle devrait suffire à apaiser sa colère, ne t’inquiète pas trop. Cependant, j’ai un conseil à te donner. »

Voyant le sérieux de son père, He Xuan se tint debout respectueusement : « Je vous écoute, père. »

Le vieux maître He continua : « Ton deuxième frère est dans cette situation à cause de ses propres actions, c’est sa nature qui l’a conduit là. Il ne peut blâmer personne d’autre. S’il parvient à obtenir un poste cette fois-ci et à repartir du bon pied, il a encore une chance de se racheter. Mais s’il échoue, alors sa vie sera gâchée. Ta mère vous a donné naissance à tous trois, mais chacun d’entre vous a une personnalité différente. L’aîné est assez stable, mais manque d’ambition. Il pourrait atteindre la position que j’occupais avant ma retraite, mais il sera difficile pour lui d’aller plus loin. »

Le vieux maître He poursuivit : « Quant au deuxième fils, c’est un autre sujet, mais toi aussi, tu n’es pas sans qualités. À ton âge, avec un diplôme de lettré, tu es justement dans la bonne période pour entrer en politique. La seule faiblesse que tu as, c’est que tu confonds souvent petite astuce et grande intelligence. C’est un grand défaut dans le monde des fonctionnaires ! Les petites astuces peuvent réussir un temps, mais elles ne sont pas faites pour durer. Comme Tang Fan, tu vois, bien qu’il ait gravi les échelons rapidement, si on t’envoyait à Datong pour souffler du sable, serais-tu content ? Pourrais-tu bien faire le travail dans de telles conditions ? Oserais-tu t’opposer aux puissants ? »

He Xuan trouva que cela avait du sens, mais il ne put s’empêcher de répondre : « Mais avec les puissants qui le pressent constamment, même Tang Fan, malgré tout son succès, aura du mal à avoir un grand avenir ! »

Le vieux maître He soupira : « Cela dépend de la manière dont on voit les choses. Il faut avoir une vision à long terme. Les puissants sont redoutables, mais est-ce que leur pouvoir est éternel ? Pour être irrévérencieux, le règne éternel des puissants est-il vraiment éternel ? »

He Xuan et Madame Xu étaient stupéfaits par les paroles sans gêne du vieux maître. Madame Xu dit rapidement : « Mon seigneur ! »

Le vieux maître He fit un geste de la main : « Il n’y a pas d’étrangers ici, je parle à mon fils. Les puissants se maintiennent grâce à celui qui est au sommet. Il semble qu’aujourd’hui personne n’ose les contester, mais chacun garde une certaine rancœur. Tang Fan semble avoir des difficultés maintenant, mais une fois que ce nuage au-dessus de lui se dissipera, son expérience actuelle deviendra son capital futur ! »

He Xuan réfléchit.

Le vieux maître He, n’ayant pas terminé, continua : « Je te demande, lorsque tu étais au ministère de la Justice, quel était le retour sur Tang Fan ? »

He Xuan répondit : « Assez bon. Il est respectueux envers ses supérieurs et amical avec ses subordonnés. »

Le vieux maître He demanda : « Personne n’a-t-il été mécontent de lui à cause de l’expulsion de Liang Wenhua ? »

He Xuan répondit : « Il y en a, mais peu nombreux, seulement quelques-uns. La plupart des gens avaient déjà une mauvaise opinion de Liang Wenhua et trouvaient qu’il était trop arrogant, donc ils avaient plutôt de la sympathie pour Tang Fan. J’ai entendu dire que l’ancien ministre de la Justice, Zhang Ling, louait beaucoup Tang Runqing. C’est grâce à son soutien que Tang Fan a osé s’opposer à Liang Wenhua. »

Le vieux maître He secoua la tête : « Sais-tu que Zhang Ling était à l’origine aussi un homme des puissants ? »

He Xuan répondit : « Vraiment ? Je ne le savais pas. »

Le vieux maître He expliqua : « Voilà le point crucial. Avant que Tang Fan n’entre au ministère de la Justice, Zhang Ling écoutait les ordres de Wan An. Après l’entrée de Tang Fan au ministère, Zhang Ling a été dégradé à Nankin à cause d’une pétition contre Wan An. Je ne crois pas qu’il n’y ait aucun lien. »

Depuis son installation à la capitale, le vieux maître He avait renoué contact avec quelques anciens amis, dont certains n’avaient pas encore pris leur retraite, ce qui lui avait permis d’avoir ses propres sources d’information.

He Xuan, étonné, demanda : « Vous voulez dire que Tang Fan a encouragé Zhang Ling à s’opposer à Wan An ? Il n’a pas autant de pouvoir, non ? »

Le vieux maître He répondit : « Il n’a effectivement pas autant de pouvoir, mais l’affaire est certainement liée à lui. Je ne dis pas cela pour t’effrayer ou pour renforcer les autres tout en affaiblissant ta propre position, mais pour te faire comprendre qu’il y a de la profondeur dans cette affaire. Si tu ne comprends pas bien, il vaut mieux parler moins et observer plus jusqu’à ce que tu comprennes. D’après ce que je sais de Tang Fan, il ne se vengerait pas de toi simplement à cause des conflits avec ton deuxième frère. Ce serait trop bas. Ton deuxième frère est ton frère, et toi tu es toi. Si tu en as l’occasion, tu pourrais toujours te réconcilier avec lui. Comprends-tu ? »

He Xuan apprit la leçon : « Je comprends, père. »

Une fois les obstacles de la famille He levés, les choses avancèrent beaucoup plus facilement.

Grâce à Tang Fan, l'efficacité du gouvernement fut également rapide. Bien que les affaires d’adoption suivies de divorce soient relativement rares, elles n’étaient pas si exceptionnelles que cela ; la dynastie Ming avait déjà vu tant de choses étranges que cette affaire semblait insignifiante en comparaison.

Tang Fan n’était pas quelqu’un d’insensible aux affaires du monde. Il savait que, bien que le deuxième fils He ait donné son accord, c’était surtout grâce à l’absence d’opposition significative de la part du vieux maître He que tout se passait si bien. En retour, il fit appel à d’anciens collègues du ministère de la Justice pour qu'ils apportent leur soutien à He San. Ainsi, bien que He San fût un novice dans le ministère, il ne se trouva pas complètement désorienté.

Comparé à l’affaire du divorce entre Tang Yu et le deuxième fils He, l’adoption du deuxième fils He et le changement de nom de He Cheng passèrent presque inaperçus. Les seules conséquences visibles furent la suppression discrète du nom de He Cheng dans l’arbre généalogique de la famille He.

La plupart des gens n’avaient entendu parler que du divorce entre le deuxième fils He et son épouse, se moquant en privé de son incapacité à garder sa femme. Cependant, à ce moment-là, He Lin avait déjà, avec l’aide de Tang Fan, obtenu le poste de préfet de Miyun et était en route pour son nouveau poste.

Le poste de préfet était un poste académique. Les préfets des écoles de la capitale étaient des diplômés de l'examen des jinshi, mais ceux des écoles de district pouvaient être occupés par des juren ou des gongsheng. Il y a vingt ans, He Lin, qui aspirait uniquement à la gloire des examens impériaux, n’aurait certainement pas considéré ce poste avec sérieux. Mais avec le temps et les changements, il se contentait désormais d’un poste de fonctionnaire dans une école de district et était satisfait.

La famille He, surtout le vieux maître He, n’avait pas beaucoup d’espoir pour l’avenir de He Lin, car il avait déjà déçu sa famille à plusieurs reprises. Maintenant, le voir avec un poste, plutôt que de rester chez eux à se lamenter, était un soulagement.

Cependant, le monde est changeant et les intentions des gens sont imprévisibles. Personne n’aurait pu prévoir que, quelques années plus tard, la surprise viendrait de He Lin.

Naturellement, ce sont des événements futurs ; pour l'instant, cela n'a pas beaucoup d'importance et peut être mis de côté.

Une fois les problèmes liés à He Lin réglés, les affaires familiales troublantes semblaient enfin se calmer. Cependant, peu de temps après la fin des examens du printemps, un événement se produisit.

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

 

 

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