Strong winds - Chapitre 34 - C’est vraiment impressionnant !

 

Liu Hengchang courut deux jours d’affilée jusqu’au pavillon au bord de l’eau avant de finir par comprendre la pile épaisse d’ordonnances écrites par Liu Xian’an. Et encore, il ne comprenait que très vaguement, ce qui ne fit que renforcer l’admiration qu’il avait pour le second jeune maître, qu’il vénérait désormais comme un immortel de la médecine vivant à l’écart du monde. Il se demandait en secret : comment pouvait-il exister un homme aussi aussi libre et sans retenue ? Par nature désinvolte, détaché des règles et des relations mondaines, il entretenait pourtant un lien profond, secret et harmonieux avec le plus haut commandant de toute la dynastie.

Il supposait que Son Altesse le prince Xiao devait aussi tenir le jeune maître en très haute estime. Autrement, pourquoi serait-il resté assis tout un après-midi dans ce petit jardin, les yeux fermés, écoutant paisiblement la musique céleste, l’air totalement détendu ? Cela correspondait parfaitement à la célèbre image de « chaque fois qu’il joue, Zhong Ziqi en saisit tout le sens ». A-Chang réussit à y voir une amitié d’âmes sœurs, ce qui le toucha profondément.

(NT : Lorsque Boya, un joueur de qin, jouait, Zhong Ziqi comprenait immédiatement ce qu’il exprimait. Leur lien profond reposait sur une compréhension mutuelle sans mots. À la mort de Ziqi, Boya brisa son qin et jura de ne plus jamais jouer, car personne d’autre ne pouvait le comprendre aussi bien.)

Grâce à la coopération de Liu Hengchang et du maître du manoir Liu, le plan se déroula sans accroc. Au début, les gens constatèrent seulement la disparition soudaine d’A-Chang. Il ne semblait pas qu’il avait été appelé d’urgence, car il laissait derrière lui tout un tas de tâches inachevées. Tous allèrent donc questionner le jeune maître en visite, mais les réponses étaient toujours vagues et évasives. Et dans ce monde, ce n’est pas la vérité qui effraie, mais le secret : plus on cache, plus les gens cherchent. Ainsi, la rumeur enfla rapidement : A-Chang aurait profité des achats de plantes médicinales ces dernières années pour détourner une belle somme. Et avec l’affaire récente des jujubes noires, tout aurait été découvert et il aurait été chassé.

Tout le monde en fut très surpris. Un jeune homme si travailleur, comment avait-il pu être aussi cupide ?

Mais après les soupirs, la vie reprit son cours. Chacun avait ses propres affaires, et les malades affluaient de toutes parts. Les disciples du du village de montagne de Baihe, eux, étaient habitués à voir la vie et la mort comme des poussières du vent ; le départ d’un seul homme ne les émouvait guère.

Liu Hengchang, sac sur le dos, monta seul à cheval et quitta la ville de Baihe.

Au loin, d’épais nuages noirs roulaient, lourds de tonnerre.

*

Laisser partir A-Chang n’était déjà pas simple, mais pour le maître Liu, savoir que Son Altesse voulait en plus emmener son second fils, cela devenait une autre paire de manches. Madame Liu n’était pas non plus d’accord. Au départ, ils avaient voulu qu’il sorte un peu, et voilà qu’il avait failli se faire tuer par des bandits. Quels parents auraient l’esprit tranquille après ça ?

Et puis, partir pour la capitale, c’était un long voyage, et surtout… n’allait-il pas y revoir la princesse ? Madame Liu était très inquiète : « Tu sais comme moi quel est le caractère de Xian’an. Si la princesse veut l’épouser, il dira sûrement “ça peut se faire”. Mais franchement, il n’est pas fait pour être prince consort. La famille impériale a tellement de règles, qui le supporterait à rester allongé toute la journée ? »

Le maître Liu était également perplexe. Tout le monde savait que Son Altesse était accaparé par ses responsabilités militaires. Il n’aurait normalement pas de temps pour flâner. Or, son fils, à part flâner justement… pour être honnête, même ça, il fallait souvent le porter en litière. Alors pourquoi Son Altesse voulait-il absolument l’emmener avec lui ?

Après une longue discussion sans conclusion, le couple décida au moins d’une chose : mieux valait qu’il ne parte pas pour la capitale.

Madame Liu alla donc en personne au pavillon, voulant demander à son fils de faire semblant d'être malade. Mais en entrant, elle vit d’abord plusieurs plans de voitures luxueuses étalés sur la table. Et A-Ning, penché sur une liste de bagages, écrivait sans relâche, comme s’il voulait déménager l’ensemble du pavillon.

Liu Xian’an avait un morceau de fruit sec rafraîchissant dans la bouche. Ces derniers jours, il avait trop parlé avec A-Chang, et sa gorge le faisait de nouveau souffrir. Aux yeux de sa mère, cette manière paresseuse de rester allongé en mangeant des fruits était le comble de la désinvolture. Elle s’assit au bord du lit, lui prit la main avec inquiétude et dit : « On aurait dû te fiancer plus tôt. »

Liu Xian’an répondit : « Ça peut se faire. »

Madame Liu rit jaune : « N’importe qui fera l’affaire ? »

Liu Xian’an pressa le noyau de prune avec sa langue : « Oui, n’importe qui. »

Liang Shu s’était arrêté à l’entrée du pavillon.

« Si tu veux une épouse, il faudra être un peu plus actif, sinon tu vas ruiner la vie d’une pauvre fille. » Madame Liu demanda à A-Ning d’apporter un coussin pour le caler dans le dos.

Liu Xian’an expliqua : « Ce n’est pas que je veux une femme, c’est que je peux en épouser une. Mais je n’en veux pas. »

Madame Liu ne releva pas cette absurdité et poursuivit : « Et une fois marié, tu resteras allongé comme ça ? »

Liu Xian’an répondit : « On pourra rester allongés tous les deux. »

Madame Liu imagina la scène, et en sentit aussitôt la migraine lui monter au crâne. Elle était pourtant venue avec de bonnes intentions, ayant préparé quelques bonnes alliances à discuter avec lui, pour le marier tôt et éviter qu’on ne le convoite. Car malgré sa paresse légendaire, son allure était remarquable, son caractère pas complètement tordu, et il y avait le prestige du village de Baihe en plus. Bien des jeunes filles de bonne famille étaient encore prêtes à l’épouser.

Mais là, Madame Liu abandonna l’idée. Même elle n’arrivait pas à le discipliner, alors comment une épouse y parviendrait-elle ? Cela finirait mal. Elle demanda simplement : «Pourquoi Son Altesse veut-elle t’emmener à la capitale ? »

« Pour rien de spécial, » répondit Liu Xian’an. « J’ai mal à la tête depuis quelque temps, et être avec Son Altesse me fait du bien. »

Madame Liu le frappa : « N’importe quoi ! Tu as mal à la tête, pourquoi ne pas en parler à ton père ? Le prince n’est pas médecin, comment pourrait-il te soigner ? »

Liu Xian’an se redressa légèrement. Il voulait s’expliquer, mais rien qu’à l’idée de devoir ouvrir son monde intérieur si vaste et complexe, et le décrire de façon compréhensible, il se sentit épuisé. Vraiment trop fatigant. Inutile. Il se rallongea donc et éluda : « Hm. »

Madame Liu demanda : « Et comment Son Altesse te soigne-t-il ? »

Liu Xian’an répondit : « Il m’écoute parler. »

Un tel traitement paraîtrait absurde à toute personne sensée. Madame Liu n’y crut évidemment pas. Elle pensa qu’il fuyait encore la conversation par paresse. Liu Xian’an ne tenta pas de se justifier, tira la couverture pour se couvrir la tête et fit semblant de dormir avec aplomb. Une vieille ruse qu’il utilisait souvent enfant, et qui fonctionnait toujours. Madame Liu, entre colère et amusement, s’exclama : « Tu n’es plus un gamin, si ton père te voyait, tu te ferais corriger. »

Le jeune maître pensa alors : encore une raison de partir pour la capitale.

Après de longues tentatives infructueuses pour convaincre son fils, et des réponses toujours à côté, Madame Liu était épuisée. Elle s’apprêtait à insister encore un peu quand A-Ning lui glissa doucement : « Madame, Son Altesse est là. »

Liang Shu entra par la porte du jardin. Madame Liu se leva pour le saluer, jeta un œil à son fils toujours allongé et sentit une nouvelle fois sa poitrine se serrer. Avec une telle attitude, comment pourrait-il vivre à la cour ?

Elle alla droit au but, demandant au prince de laisser son fils au village de Baihe. Pour rendre la requête plus convaincante, elle inventa un prétexte : le fils aîné avait besoin de main-d’œuvre, donc le cadet devait rester l’aider.

Liang Shu n’eut pas le temps de répondre que Liu Xian’an commença déjà à avoir mal à la tête. Et pour cause : son grand frère était d’une austérité rare. Il ne riait presque jamais, restait planté comme une statue de bouddha, déterminé à sauver le monde entier. Liang Shu trouvait que Liu Xian’an avait des airs d’immortel, mais pour le peuple de Dayan, le vrai immortel du village de Baihe, c’était Liu Xianche. Tous l’admiraient profondément. Il y avait même des rumeurs délirantes selon lesquelles une chaise touchée par le grand maître pouvait guérir les malades.

Liu Xian’an avait reçu de nombreuses punitions de son frère aîné, et bien qu’il fût détaché de la vie et de la mort, il préférait tout de même éviter quelques fessées supplémentaires. Heureusement, Liang Shu n’avait pas l’intention de le marier de force ou de l’abandonner ici. Il évoqua donc un prétexte bancal de « rencontre instantanée d’âmes compatibles » et l’emmena avec lui.

Madame Liu, totalement dépitée, rentra chez elle et poussa un soupir qui valait six mois de découragement. Deux personnes que tout opposait – tempérament, conduite, façon d’agir –, comment pouvaient-elles être soudainement si compatibles ? D’où venait donc cette affinité ?

Même Liu Fushu n’y pouvait rien.

*

Le seul véritablement ravi était Liu Xian’an. A-Ning aussi était plutôt content, non pas parce qu’il allait pouvoir s’amuser à l’extérieur, mais parce qu’il trouvait que, lorsqu’ils étaient au domaine, tout le monde considérait son jeune maître comme un parasite paresseux qui ne faisait que manger et dormir. Certes, on le chérissait et on prenait soin de lui, mais ce n’était pas là son vrai visage ! En revanche, aux côtés du Prince, même si c’était plus fatigant, le jeune maître brillait toujours de son aura de médecin, et tout le monde le respectait et comptait sur lui sincèrement. Voilà ce qui était juste.

Mais Liu Xian’an n’était pas tout à fait d’accord avec ce point de vue. Il estimait que, quel que soit le lieu, son « moi » restait le vrai « moi ». Il tapota donc la tête du petit domestique et lui fit un exposé appliqué sur la différence entre l’utilité et l’inutilité. A-Ning répondit vaguement avec des « hmm » et des « oui oui », tout en s’accoudant à la fenêtre de la voiture pour profiter du vent frais.

La calèche flambant neuve achetée par Son Altesse le Prince Xiao était vraiment immense.

Assez grande pour que le deuxième jeune maître puisse s’y étendre de tout son long, aussi bien à l’horizontale qu’à la verticale. Parfois, le Prince y entrait aussi pour s’allonger à ses côtés, et dans ces moments-là, A-Ning allait s’installer à côté du cocher pour conduire un peu.

Petit à petit, le jeune domestique constata que plus ils s’éloignaient de la ville de Baihe, plus il passait de temps à conduire, et plus souvent il devait le faire.

Liu Xian’an demanda : « Des nouvelles d’A-Chang ? »

« Yun You ne s’est pas encore montré, mais nous avons déjà fait circuler l’information. Pour eux, A-Chang est désormais le seul médecin du village de Baihe encore en liberté à l’extérieur. C’est comme un morceau de viande juteuse sous les yeux d’une meute de loups, ils n’ont aucune raison de le laisser passer », répondit Liang Shu. « Dès qu’il se passera quelque chose, A-Yue nous transmettra les nouvelles le plus vite possible. »

Liu Xian’an acquiesça. Bien que l’automne soit déjà arrivé, la chaleur persistait. En particulier pendant la journée, le soleil tapait fort et rendait les gens somnolents. Il ne prononça que quelques mots avant de sombrer dans une torpeur.

Liang Shu prit un fruit rafraîchissant, hésita un instant, puis le mangea lui-même. Il tendit le doigt pour tapoter Liu Xian’an : « Puisque tu n’as rien à faire, tu ne comptes pas retourner construire un peu ton monde ? »

Liu Xian’an rechigna, jouant les paresseux : « J’ai mal à la tête. »

« Si tu as mal à la tête, je t’en ferai sortir », dit Liang Shu. « Si tu continues à verrouiller tout ça, les vieux barbus finiront par mourir de faim… » À ce stade de la phrase, il se dit que ce ne serait peut-être pas si mal qu’ils meurent, ça lui ferait une source d’ennuis en moins. Il changea donc de métaphore : « Les vieux barbus finiront par devenir fous, à courir partout, et moi, je ne pourrai pas les attraper à ta place. » Il valait donc mieux tout organiser à l’avance, les répartir par lots et les installer proprement dans les palais de jade et de perle, pour mieux les vénérer.

Liu Xian’an se redressa un peu à contrecœur, réfléchit un instant, et commença déjà à froncer les sourcils. Liang Shu s’assit encore plus près de lui. Son corps exhalait un parfum d’encens de bois de santal, profond et apaisant, aux effets similaires à ceux d’un remède calmant : « Ne te presse pas, prends ton temps. »

La voix pénétra doucement dans l’oreille du deuxième jeune maître, et dans un autre monde intérieur, il aperçut alors vaguement Son Altesse Royale le Prince Xiao.

Il tenait sa longue épée, adossé à un somptueux palais, et dirigeait avec impatience les anciens sages légendaires pour les faire se ranger en ordre. Il ne permettait à aucun de s’échapper, et d’un seul coup d’œil, tout était carré, parfaitement aligné — encore plus ordonné qu’une armée dans le désert.

Liu Xian’an, stupéfait, se dit : « Ça, c’est vraiment impressionnant ! »

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

 

 

Créez votre propre site internet avec Webador