Strong winds - Chapitre 87 - « Oui, c’est justement moi. »

 

Une fois les deux partis, la jeune fille en robe jaune s’approcha à son tour de l’étal de bijoux et se mit à trier, choisir, comparer.
Les deux femmes qui l’accompagnaient semblaient pressées par quelque affaire urgente ; elles ne cessaient de lui souffler à voix basse de se hâter, ajoutant : « Si le Maître apprend que nous sommes encore sorties en cachette, il explosera de colère. »

« J’ai compris. » La jeune fille en robe jaune prit une épingle d’argent incrustée d’un papillon, la fit tourner dans sa main. « Allons-y, rentrons. »

Les deux compagnes, soulagées comme si un grand poids venait de leur être ôté, payèrent rapidement et la tirèrent hors du marché.

Leurs pas se firent de plus en plus rapides, de plus en plus précipités, jusqu’à finir presque en course. Ce n’est qu’après s’être assurées que personne ne les suivait qu’elles tournèrent dans une ruelle et pénétrèrent dans une demeure.
La jeune fille en robe jaune ôta le masque de son visage : c’était Wumeng Yunle.
La servante qui l’accompagnait reprit : « Mademoiselle, laissez-moi ranger l’épingle pour vous. Les gens du Maître vont arriver d’un instant à l’autre, nous devons vite vous faire changer de vêtements. »

Tout en parlant, sans attendre sa réponse, elles s’avancèrent ensemble pour l’entourer : l’une défit ses cheveux, l’autre son vêtement. Chacune accomplissait sa tâche avec ordre et méthode, comme si elles préparaient une poupée délicate incapable de parler.
La servante, voyant que sa maîtresse ne quittait pas l’épingle des yeux, ajouta : « Ces gemmes frivoles et vulgaires, qu’ont-elles donc de si belles ? Ce ne sont que des babioles bon marché qu’on trouve partout. La Sainte Vierge manque-t-elle de bijoux ? »

Wumeng Yunle dit : « Je les ai déjà vus deux fois. Avec cette fois-ci, cela fait la troisième. »

La servante ne comprit pas : « Quels “deux fois” ? »

« Leur apparence était différente chaque fois, mais leur dos était le même. Ou plutôt, même s’ils avaient déguisé jusqu’à leur silhouette, en se courbant et voûtant les épaules, c’était toujours eux. » Wumeng Yunle semblait songeuse. « Ainsi donc, c’était eux depuis le début.»

Les servantes se regardèrent, sans comprendre le sens de ces paroles.
À ce moment, des pas se firent entendre dans la cour. Une voix appela : « Mes sœurs, nous avons amené la personne. »

« Faites-la entrer. » ordonna une servante d’une voix douce.

On installa Wumeng Yunle sur un siège. Elle portait toujours sa robe blanche, pareille à une nuée immaculée et sacrée.

Un grincement retentit : la porte de bois s’ouvrit.
Un homme entra — un homme semblable à des dizaines de milliers d’autres fidèles du culte Baifu — avec, dans le regard, un mélange de ferveur ardente et de terreur contenue.
Dans un bruit sourd, il tomba à genoux devant la Sainte Vierge.

Autour, tout était plongé dans la pénombre. Même la lumière semblait ténue à l’extérieur.

*

Liu Xian’an dit : « Tu vois ? Je te l’avais bien dit, tout le monde cherche à éviter le Prince. »

Liang Shu en conçut un grand sentiment d’injustice : Je n’ai pourtant offensé personne — ne peut-on même pas se promener pendant la fête du Nouvel An ?

Liu Xian’an sourit en lui prenant doucement la manche : « Allons, nous avons presque tout acheté, rentrons au yamen. »

Liang Shu fit mine de ne pas entendre, continuant à marcher à grandes enjambées. Non, il ne rentrerait pas : il venait à peine de sortir.

Liu Xian’an trottina d’abord à sa suite, puis, bientôt, le perdit de vue — surtout par paresse : trop fatiguant.
Liang Shu, après quelques pas, se retourna en n’entendant plus de bruit. Il vit que l’autre s’était déjà glissé dans une boutique pour faire la queue et acheter des gâteaux.
À la fois irrité et amusé, il revint sur ses pas, attrapa le ruban blanc attaché à ses cheveux :
« C’est intolérable ! »

Selon la rumeur parmi le peuple, lorsqu’il arrivait que Son Altesse Royale le Prince Xiao prononce ces mots — « C’est intolérable » — toutes les têtes présentes risquaient fort de tomber. C’était réputé redoutable.
Mais, à ce moment précis, l’atmosphère n’avait rien de menaçant.
Liu Xian’an, visiblement préparé à cette éventualité, recula de deux pas sans la moindre panique, riant même un peu. Liang Shu le rattrapa juste à temps, le soutenant par la taille pour l’empêcher de dévaler les marches : « Attention. »

« Tu veux goûter ? » demanda Liu Xian’an en lui tendant le paquet de papier huilé. « Des gâteaux de riz glutineux. »

Liang Shu répondit : « Trop sucrés, trop gras, durs au point de casser des pierres. »

Mais Liu Xian’an lui en fourra quand même un dans la main. Liang Shu fronça les sourcils et en croqua un morceau.
Les gens autour, témoins de la scène, avaient envie de rire mais n’osaient pas.
Ce n’est que lorsque le Prince et le Médecin miracle se furent éloignés que les jeunes présents osèrent souffler : « Le Prince n’a pas l’air si distant ni si sévère qu’on le dit. »

Tous acquiescèrent.
Ce n’était pas seulement qu’il n’était pas cruel : il paraissait d’une grande simplicité.
Et le Second Jeune Maître Liu n’était pas aussi paresseux que dans les récits.
Regardez-le : il marche lui-même, il a parcouru tout le marché — quelle endurance.

Ils en étaient encore à le louer lorsque le premier paresseux du Dayan déclara qu’il n’avait plus envie d’avancer.
Debout sur les marches, il regardait autour de lui, à gauche, à droite.
Liang Shu demanda : « Tu comptes dormir ici, encore une fois ? »

Liu Xian’an répondit : Ce n’est pas impossible.

Liang Shu se détourna : « Monte. »

Le Second Jeune Maître Liu s’installa sur son dos, de la manière la plus naturelle du monde, à la stupéfaction générale des passants.
Mais l’immortel endormi ne se souciait guère du choc des autres : tenant toujours son gâteau de riz, il sombrait déjà dans ses rêves — rêves dans lesquels un autre Prince Xiao, immergé dans les eaux chaudes d’un bassin, goûtait à son tour à ces pâtisseries.

Lorsqu’il raconta ensuite cette scène à l’intéressé, Liang Shu, les dents serrées, répliqua :
« Où que j’aille, je n’échappe donc jamais à ces choses-là ? »

Liu Xian’an, debout près de la table, se versait calmement du thé : « Il n’y a pas vraiment de quoi “échapper” — dans les trois mille mondes, le Prince y goûte toujours de lui-même, sans que j’aie besoin d’intervenir. »

Liang Shu passa un bras autour de la taille de l’homme qu’il aimait, l’attira contre lui et ordonna : « La prochaine fois, fais-moi entrer dans ton rêve — que je l’éduque un peu, ce double ridicule, au lieu qu’il ait l’air d’un rustre qui n’a jamais mangé de bonne chose. »

À la porte, Gao Lin s’arrêta juste à temps : « Tu vois ? Je te l’avais dit, il ne tient pas en place, toujours à bondir de tous côtés. »

Mais, bondissant ou non, les affaires sérieuses n’en restaient pas moins à faire.
Il était venu rapporter que l’article officiel était rédigé : il serait affiché dès le lendemain matin.

Cet article détaillait les causes de l’explosion survenue à Baïtouding, mentionnant également Song Changsheng — et comment sa famille autrefois heureuse avait été menée pas à pas vers la tragédie par les séductions de la secte Baifu.
Les autorités locales du Sud-Ouest étaient passées maîtresses dans l’art d’écrire ce genre de récits : un long texte, pathétique à souhait.

Tellement pathétique que, dans toute la ville, les habitants, après lecture, ne parlèrent plus que de cela.
Et, grâce à la subtile direction du Prince Xiao, Song Changsheng devint bientôt, dans l’esprit de tous, le premier héros loyal et courageux à s’être sacrifié pour détruire une secte maléfique.

Les habitants, émus, commencèrent à envoyer à l’administration poissons séchés, œufs, fleurs, gâteaux : si bien que la cour du yamen en était presque remplie.
Chang Xiaoqiu dut contourner ces offrandes pour passer, demandant encore : « Pourquoi tant de vacarme dehors ? »

« Ce sont les voisins. Après avoir déposé leurs présents, ils ne veulent plus partir, et demandent des nouvelles du Maître Song : son empoisonnement, ses blessures, est-ce grave ? »

Grave, oui — ses os avaient été brisés à plusieurs endroits par l’explosion.
Le portier du yamen, les mains dans les manches, décrivit la scène avec grand détail au peuple assemblé.
Mais, ajouta-t-il, puisque les gens de la Résidence de Baihe (白鹤山庄) sont là, il guérira sûrement.
Aussi, inutile de s’inquiéter.

Les habitants accueillirent cela avec réserve, car même si la Résidence de Baihe était réputée, le Second jeune Maître Liu de la Résidence de Baihe, lui… Enfin, à bien y réfléchir, on disait aussi que Son Altesse Royale le Prince Xiao avait un visage verdâtre et des crocs acérés, né démon de malheur, se délectant chaque jour à tuer pour s’amuser. Mais en comparant cette image effrayante à celle du prince élégant qui mangeait des friandises de riz gluant au marché, il fallait bien admettre que les rumeurs étaient véritablement absurdes.

« Et pour le poison ? »

« Le poison est un peu plus compliqué, mais il peut être neutralisé. En somme, que tout le monde se rassure : Monsieur Song n’aura assurément aucune séquelle. En récompense pour avoir contribué à l’extermination de la secte Bai Fu, le Prince lui a offert des coffres entiers d’or et d’argent, et lui a concédé l’exploitation de tout l’arsenal militaire du camp du Nord-Ouest. Les bons jours sont encore à venir. »

De l’or, de l’argent et des commerces en récompense — cette nouvelle rendit les habitants follement jaloux. Certains commencèrent même à espérer croiser, par hasard, quelques sbires de la secte Baifu afin de les capturer et de venir réclamer leur prime devant le Prince. En un rien de temps, un vent puissant de « nettoyage de sectes hérétiques » souffla sur toute la ville : d’une maison à l’autre, on ne se saluait plus par « As-tu mangé ? », mais par « En as-tu eu ? ». Ceux qui ignoraient ce qu’il en était croyaient qu’on parlait de l’estomac.

Au bureau du gouvernement, Liu Xian’an était en train d’administrer de l'acupuncture à Song Changsheng. Les lignes bleutées qui, les jours précédents, se déployaient encore avec vigueur sur son visage, s’étaient maintenant atténuées. La vieille femme chargée du balayage, en voyant cela, ne put s’empêcher de le louer : le Second jeune Maître Liu était vraiment remarquable.

« Pas autant que les rumeurs le prétendent. » répondit Liu Xian’an. « Je ne sais réellement pas quel est ce poison. Je ne peux que suivre, pas à pas, la méthode que mon grand frère m’a enseignée, lentement, patiemment. Heureusement, cela produit des effets. S’il tient encore trois à cinq mois, ou, un peu plus lentement, un an, il sera certainement complètement guéri. »

La servante à côté intervint : « Un an entier ? »

« J’aimerais aller plus vite, mais on ne peut pas presser les choses. » Liu Xian’an rangea ses aiguilles d’argent. « Monsieur Song, comment vous sentez-vous aujourd’hui ? »

« Bien mieux. » répondit Song Changsheng. « Merci, Second jeune Maître Liu. »

Il paraissait en assez bonne forme, le teint acceptable ; à part le fait qu’il ne pouvait toujours pas bouger, le reste ne semblait pas trop affecté par le poison.

Dans la cuisine, A-Ning préparait la décoction. Un jeune domestique, voyant qu’il semblait fatigué, s’approcha : « Laissez-moi faire, petit maître. Vous êtes épuisé ces derniers jours, retournez vous reposer un peu. »

« Impossible. » A-Ning bâilla en secouant la tête. « Mon maître a dit que personne ne doit s’approcher du médicament de Monsieur Song. Je dois le surveiller moi-même, de peur que les gens de la secte Baifu ne soudoyent quelqu’un pour venir y verser du poison. »

Le petit domestique parut hésitant. A-Ning, l’ayant remarqué, demanda : « Quoi donc ? La secte Baifu t’aurait-elle vraiment abordé ? »

« Non, non ! » s’écria le garçon, agitant vivement les mains. « Il ne faut pas dire de telles choses ! Si quelqu’un entend ça, je ne pourrais plus me justifier. Avec le climat qu’il y a en ville en ce moment… Je… j’ai une affaire sérieuse dont je dois vous parler. »

« Cela fait plusieurs jours que je n’ai pas mis le nez dehors, comment saurais-je quel est le climat en ville ? » A-Ning reposa son éventail à feu avec un sourire. « Allons, ne t’inquiète pas, il n’y a personne ici. Quelle affaire sérieuse ? »

« J’ai un vieux livre chez moi, qui répertorie toutes sortes de poisons. » Le garçon sortit de sa manche un volume. « Je n’y ai jamais prêté attention, mais à cause de ce poison étrange de Monsieur Song, je m’en suis souvenu. »

A-Ning prit l’ouvrage jauni aux coins recourbés — le papier en était si pourri qu’il semblait prêt à se désagréger ; qu’une nuée de cafards en tombe n’eût pas été surprenant. Voyant sa moue, le domestique s’empressa d’expliquer : « Ce livre mentionne un poison très similaire à celui de Monsieur Song — des veines bleues qui poussent sur le visage. Il y a aussi les herbes nécessaires pour le contrer. Cela pourrait être utile, non ? »

A-Ning en feuilleta deux pages — en effet, c’était bien là — et s’exclama de joie : « Parfait ! Mon maître se tourmentait encore, craignant de ne pas trouver de remède, et voilà que la solution tombe du ciel sans effort ! »

« Haha, tant mieux. » Le domestique se réjouit aussi, puis demanda timidement : « Alors, si cela s’avère utile… la récompense… »

« Pas de problème pour la récompense, mais il faut d’abord que mon maître vérifie. » A-Ning serra le livre contre sa poitrine. « Allons, viens avec moi ! »

Liu Xian’an était encore dans la chambre de Song Changsheng, Liang Shu également.

A-Ning rapporta les propos du jeune homme et remit l’ouvrage à son maître. Song Changsheng, redressant un peu le torse, demanda : « C’est exactement le même poison que celui dont je souffre ? »

« Cela y ressemble beaucoup, » répondit Liu Xian’an. « Le venin de crapaud joyeux — je n’avais jamais entendu dire qu’un tel poison existait, mais les ingrédients pour le contrer, eux, me sont connus… Ce n’est pas trop difficile à rassembler. »

« Je ne m’y connais pas, » dit le domestique, « mais comme nous avions ce livre chez nous, je me suis dit qu’il valait mieux venir demander au médecin miracle. Cela peut servir ? »

« Oui. » acquiesça Liu Xian’an. « Cela vaut la peine d’essayer. »

Le garçon afficha un sourire, jetant à A-Ning un regard chargé de sous-entendu au sujet de la prime. Mais A-Ning, méticuleux, rappela encore à son maître : « Parfois, même cent poisons différents peuvent provoquer les mêmes symptômes. Le poison de Monsieur Song ne fait que ressembler à celui du livre. Êtes-vous certain de vouloir suivre le traitement du venin de crapaud joyeux? »

« Le poison n’est pas confirmé, mais les herbes pour le contrer sont toutes non toxiques, » répondit Liu Xian’an. « Se tromper n’est pas grave : en prendre une ou deux doses ne nuira pas au corps. Mais si c’est le bon remède, la guérison en sera grandement accélérée. Si on pèse le pour et le contre, il vaut mieux essayer. »

« Alors je pars tout de suite chercher les herbes. » dit A-Ning.

Liu Xian’an remercia personnellement le domestique et le fit envoyer au bureau des comptes pour recevoir sa récompense. Quand tout le monde fut parti, Liang Shu ramena Liu Xian’an dans leur chambre et lui essuya les mains avec un linge humide : « Ne touche plus à ces livres tout sales. »

« Ce ne sont pas des livres sales, » répondit Liu Xian’an, indifférent, « j’ai même déjà… hm. »

« Très bien, je sais que tu es capable, tu as écorché des crânes et ouvert des abcès intestinaux. » Liang Shu le relâcha. « Ce matin, mon frère impérial m’a envoyé un pli secret.»

« Que disait-il ? »

« Il parlait de toi. »

« De moi ? Que disait-il ? »

« Que tu n’étais pas seulement un fainéant ignorant. »

Liang Shu le prit dans ses bras et le fit asseoir sur la table, se penchant pour qu’ils soient face à face.

Leurs souffles se mêlaient presque. Liu Xian’an recula un peu : « Je suis toujours fainéant, simplement pas ignorant. »

Tout au long de cette route, le Second jeune Maître Liu avait soigné ici et là, courant du sud au nord, et les gardes impériaux, témoins de tout cela, avaient évidemment tout rapporté au palais. L’empereur Liang Yu s’en émerveilla et regretta : s’il avait su que ces rumeurs de paresse étaient fausses, il aurait accepté autrefois l’alliance matrimoniale entre la Résidence de Baihe et la princesse. Il écrivit donc lui-même une longue lettre pour réprimander son frère cadet : puisque toi et le Second jeune Maître Liu vous entendez si bien, si harmonieusement, tu aurais dû remarquer depuis longtemps qu’il est fort convenable pour le mariage. Une affaire aussi importante, pourquoi ne pas me l’avoir rapportée ?

Et il ajouta encore : « A-t-il quelqu’un dans son cœur ? »

Liang Shu prit le pinceau, traça d’un geste large des caractères grands comme des bols : «Oui, c’est justement moi. »

 

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L’auteur a quelque chose à dire :

Grand Frère  Liang : À l’aide.

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

 

 

 

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