Strong winds - Chapitre 41 - Ce jour finira sûrement par arriver.

 

Une fois que l’armée de Yan franchirait les portes de la ville, l’issue de cette bataille ne serait plus un mystère. Le deuxième jeune maître Liu se tenait sur la falaise, regardant l’armée avancer d’abord comme une marée noire s’engouffrant dans la ville, puis se diviser en différents bras pour continuer à balayer les rues dans toutes les directions. Le ciel était couvert de nuages sombres, et de temps en temps un grondement de tonnerre se faisait entendre. Un soldat à côté dit : « Deuxième jeune maître Liu, il va bientôt pleuvoir très fort ici, rentrons vite. »

Le deuxième jeune maître Liu répondit du bout des lèvres, mais son corps traînait, et il étira le cou pour observer un long moment, jusqu’à ce que les nuages noirs soient presque sur sa tête, avant de descendre la montagne en trottant avec A-Ning et les soldats.

Il avait hâte d’aller à Qingyang, alors il refusa la proposition de « se mettre à l’abri dans une grotte » et courut sous la pluie battante jusqu’au petit chariot. La pluie était violente dans la montagne, et les éclairs retentissaient presque comme s’ils allaient percer le toit du chariot. Le cocher, portant un chapeau conique et un manteau de pluie, leva le fouet pour guider le cheval, emportant le deuxième jeune maître Liu dans la tempête.

Même A-Ning ne pouvait pas monter, le petit chariot ne pouvant contenir deux personnes.

À leur arrivée, la bataille touchait déjà à sa fin.

Des troupes de Yan gardaient les côtés de la porte de la ville. Le deuxième jeune maître Liu tendit la tête hors du chariot et demanda : « Où est le Prince ? »

« Là-bas. » Un jeune soldat montra le chemin puis murmura avec précaution : « Mais le Prince semble… de mauvaise humeur. Deuxième jeune maître Liu, si ce n’est pas urgent, il vaut mieux attendre demain. »

Le deuxième jeune maître Liu ne comprenait pas : après une victoire, pourquoi serait-il de mauvaise humeur ? Après avoir remercié, il laissa le cocher continuer dans la ville. La pluie continuait de tomber, et la fumée n’avait toujours pas disparu. L’air était saturé de l’odeur piquante de l’huile de feu, donnant des frissons. En tournant dans une rue, le cheval du cocher s’effraya, hennit, et fit de grands pas en l’air avant de retomber, piétinant nerveusement sur place.

Le cocher resserra les rênes. Le deuxième jeune maître Liu souleva le rideau du chariot et vit que la rue était jonchée de cadavres, hommes et femmes, vieux et jeunes, empilés, tous les yeux grands ouverts, le sang coulant encore de leurs blessures, colorant toute la ville en rouge vif.

Soudain, le deuxième jeune maître Liu comprit d’où venait ce frisson étrange : le silence. C’était trop silencieux, pas une voix humaine, même pas de pleurs ni de supplications.

Liang Shu se tenait à l’autre bout de la rue et vit le chariot. Fronçant les sourcils, il voulut envoyer ses gardes sortir le deuxième jeune maître Liu, mais celui-ci sauta hors du chariot. Le véhicule ne pouvant passer, il franchit lui-même les cadavres, traînant son manteau blanc dans le sang, qui devint rapidement d’un rouge aux nuances variées. Liang Shu contracta les pupilles. Gao Lin, horrifié, courut avec un parapluie pour le récupérer, et demanda à voix basse : « Deuxième jeune maître Liu, pourquoi êtes-vous venu ? »

Puis, encore plus bas, il murmura en grinçant des dents : « Ces fils de… n’ont même pas affronté nos forces de front. »

Après que l’attaque des Vautours muets ait perturbé leur plan, le commandant rebelle, voyant qu’il était impossible de défendre la ville, retourna dans celle-ci et fit deux choses pendant que les troupes de Yan n’avaient pas complètement pénétré la ville :

Brûler toutes les provisions.

Tuer tous les habitants.

Sous la haine extrême, la colère et la peur, l’humanité se révèle fragile. Quand le feu s’est allumé et le couteau levé, les civils innocents ne furent pour les rebelles qu’un outil pour intimider l’armée de Yan. Plus absurde encore : ces massacres pouvaient leur donner un sentiment de fierté et de succès dans leur résistance. On ne peut pas expliquer la glace à des insectes d’été.

(NT : ie. Les insectes ne vivent pas assez longtemps pour voir l’hiver. Idiome signifiant que quelqu’un est incapable de comprendre des choses qui dépassent son expérience ou sa capacité).

Lorsque l’étroitesse d’esprit ou l’ignorance se heurtait à de grandes vérités ou réalités, comme la cruauté que la prétendue « grande cause » pouvait engendrer, même les pluies les plus torrentielles ne pouvaient laver ces crimes.

Le deuxième jeune maître Liu, trempé, arriva devant Liang Shu. Ses cheveux collaient à son visage, accentuant sa pâleur. Liang Shu prit son poignet et l’emmena dans un temple désert de la ville, à l'origine l'endroit le plus délabré et le plus vide de toute la ville, devenu un lieu propre grâce à l’absence de population. Les gardes allumèrent un feu, et Liang Shu enveloppa le deuxième jeune maître Liu dans son manteau, fronça les sourcils : « Pourquoi es-tu venu ? »

« …Je voulais voir. » Le deuxième jeune maître Liu ne savait que répondre. Sur la montagne, il avait vu une bataille, émerveillé par les Vautours muets argentés, les armures noires parsemant le sol, et le rythme des tambours militaires mêlé aux éclairs et au tonnerre. Il voulait partager cela avec Liang Shu, mais maintenant il était couvert de sang.

La guerre était bien plus cruelle qu’on ne l’imaginait, même une petite attaque rapide pouvait provoquer des pertes suffisantes pour faire pleurer tout le royaume de Yan. La vie et la mort dans le Dao étaient une quête spirituelle libre : un poète pouvait être enterré sous un pêcher ou s’envoler ivre dans les nuages, mais ne pouvait mourir sous le sabre, seulement dans le désespoir.

Le deuxième jeune maître Liu serra son manteau et essuya le sang sur le visage de Liang Shu. Le feu chassa le froid, et les soldats passant autour ajoutèrent un peu d’animation. Liang Shu, le cerveau en ébullition, se força à dire : « Repose-toi ici un moment, j’enverrai quelqu’un te faire sortir de la ville. »

Le deuxième jeune maître Liu le regarda : « Ce jour finira sûrement par arriver. »

Liang Shu demanda : « Vraiment ? »

Le deuxième jeune maître Liu acquiesça.

Liang Shu soupira : « Tu as quarante-huit mille ans, ne me dis pas de mensonges. »

« Pas de mensonges. Tout le monde aura assez à manger et saura lire. » (NT : idiome signifiant que lorsque les besoins fondamentaux sont assurés et l’éducation reçue, la civilisation finit par l’emporter sur la barbarie, donnant aux gens plus de temps pour réfléchir).

Le deuxième jeune maître Liu ignorait s’il pourrait voler à quarante-huit mille zhang, mais il croyait qu’un jour quelqu’un pourrait attraper la lune et décrocher les étoiles.

Liang Shu souffrait d’un mal de tête épouvantable et n’avait aucune énergie pour réfléchir, mais entendre ces quelques mots du deuxième jeune maître Liu apaisa un peu sa pression. Le deuxième jeune maître Liu testa la température de son front avec le dos de ses doigts. Liang Shu se détourna : « Y a-t-il un moyen de soigner le mal de tête ? »

« Oui, mais seulement en urgence. » Le deuxième jeune maître Liu sortit un petit paquet d’aiguilles en argent. « Assieds-toi et ne bouge pas, ne parle pas. »

Liang Shu s’appuya contre une colonne et ferma les yeux.

Gao Lin entra et vit le deuxième jeune maître Liu tenant la tête de son prince. Il sortit sans un mot, sachant se montrer discret. Liang Shu entendit le bruit et ordonna : « Reviens ! »

Le deuxième jeune maître Liu se redressa et se retourna.

Gao Lin comprit alors : Oh , c'était de l’acupuncture.

Il ne pouvait pas en parler, sinon cela aurait aggravé la situation. Il voulait feindre un commentaire, mais Liang Shu demanda : « Où est Lu Xiang ? »

« …Il s’est enfermé pour rédiger un rapport. » expliqua Gao Lin. « Ça ne vaut probablement pas la peine d'un pet. »

Bien que Qingyang ait été prise, le massacre était si terrible que même l’empereur ne féliciterait pas. Lu Xiang, craignant d’être désigné bouc émissaire, prit les devants et détailla dans son rapport comment Son Altesse Royale le prince Xiao, malgré les conseils, avait changé l’attaque de Sanshui pour Qingyang, causant le massacre. Il termina par quelques phrases énergiques, relut plusieurs fois, jugea que c’était parfait et sortit calmement.

Gao Lin et ses hommes attendaient à la porte.

Lu Xiang pâlit : « Que signifie cette convocation ? »

Gao Lin répondit : « Le prince demande au commandant Lu de venir. »

Lu Xiang, voyant toutes les lames brillantes, resta figé. Après un moment, il gronda, levisage livide : « Le prince veut-il prendre ce fonctionnaire comme bouc émissaire ? Les habitants de Qingyang ont péri à cause des rebelles, l’empereur ne lui en tiendra pas rigueur. Pourquoi chercher un bouc émissaire si tôt, les gens riraient si cela se propageait.? »

Gao Lin secoua la tête : « Si les habitants n’ont pas été protégés, c’est parce que Lu Xiang a mal géré la situation depuis que Huang Wangxiang a hissé la bannière sur le mont Gaoliang, demandant de l’argent à la cour impériale. Un simple villageois a pu se développer et grandir sous les yeux de dizaines de milliers de soldats. Était-ce grâce à ses propres compétences exceptionnelles, ou le commandant Lu n'était-il pas disposé à supprimer ce dieu de la richesse venant du ciel ? Si les rebelles avaient été réprimés dès le début, comment pourrait-il y avoir maintenant le chaos dans les trois villes, et comment les gens ordinaires auraient-ils pu mourir ! »

Lu Xiang grimaça : « Gao Fujiang, ne m’accuse pas à tort ! »

Gao Lin lança devant lui une épaisse pile de registres : « Lu Xiang pensait gagner du temps, le prince a été patient tout le long. Si tu n’avais pas pris le temps de rédiger ton rapport, tu n’aurais pas pu inventer ces histoires pour la cour. Venez, saisissez-le ! »

« Insolent ! » Lu Xiang dégaina son épée. « Je suis un envoyé impérial — »

À peine avait-il fini de parler qu’il fut projeté d’un coup de pied par Gao Lin dans sa chambre. Tous deux étaient des militaires, mais l’un était gourmand et paresseux, ne pensant qu’à s’enrichir, tandis que l’autre passait ses journées à se rouler dans le vent et le sable du nord-ouest. Lu Xiang savait qu’il n’était pas de taille face à Gao Lin, mais il ne s’attendait pas à ce que l’autre devienne aussi effronté, ignorant complètement la cour. Perdu dans sa stupéfaction, il cria, menaçant : « Est-ce que le prince Xiao veut se révolter ! »

« Tu oses vraiment y penser, » rétorqua Gao Lin en s’accroupissant devant lui. « Pour être franc, toutes ces preuves de corruption ont été découvertes par les gens de l’Empereur, et des copies ont déjà été envoyées à la capitale. Commandant Lu, après la révélation de tes crimes, non seulement tu ne cherche pas à te repentir, mais tu tentes encore de semer la discorde entre Sa Majesté et le prince Xiao, ce qui est vraiment chercher la mort. »

Lu Xiang pâlit : « L’Empereur ? »

« Ce n’est pas grave si tu ne comprends pas maintenant, tu pourras y réfléchir tranquillement en prison. » Gao Lin se leva, ordonna qu’on l’attachât ses mains et ses pieds, et le fit descendre.

Même si Lu Xiang se calmait en prison, il ne comprendrait probablement toujours pas comment les hommes de l’Empereur avaient pu apparaître soudainement à Qingyang et se mettre au service du prince Xiao. Était-ce parce qu’ils le soupçonnaient depuis longtemps ?

Avec son imagination limitée, il ne comprendrait sans doute jamais que ces gros bras de la garde n’étaient initialement là que pour surveiller les rendez-vous arrangés.

Le lieutenant Li, qui avait passé la journée à couper du bois, fut également menotté et amené devant Gao Lin. Plus peureux que Lu Xiang, il avoua rapidement qu’il avait profité de la collecte de grain pour s’enrichir et dénonça toute une bande de complices. Ces parasites furent rassemblés sur une place vide de la ville, agenouillés devant un objet noir, et y restèrent trois jours : deux jours sous la pluie, un jour au soleil, jusqu’à ce que leurs lèvres se fendent et qu’ils s’évanouissent, sans savoir devant quoi ils se prosternaient.

A-Ning demanda aussi : « Qu’est-ce que c’est ? »

Le deuxième jeune maître Liu répondit : « C’est le chien du village de Xiao Zhao, tué par les soldats. »

Sans le savoir, A-Ning avait déchiré un morceau de viande grillée pour le donner à un jeune homme affamé attaché par une chaîne. Plus tard, il comprit qu'il s'agissait de son chien. La viande fut ensuite emportée par Liang Shu ; après séchage, elle ressemblait à une pierre noire, et ne pourrissait pas malgré le soleil et la pluie. Elle resta exposée sur l’estrade jusqu’à ce que les criminels aient prié pendant trois jours et que leurs têtes touche le sol. Gao Lin enveloppa alors la viande dans un morceau de tissu et l’enterra correctement.

Liang Shu ne voulait pas que le deuxième jeune maître Liu voie ces choses, mais à ce moment-là, ce dernier ne disait plus « c'est aussi bien ».

Il resta en ville, poing serré, les mains dans les manches, et refusa de partir.

 

Traducteur: Darkia1030