Panguan - Chapitre 10 - Commutation des corps

 

Il sentit quelqu’un tendre la main vers lui et lui couvrir légèrement les yeux.



Wen Shi énonça les caractères qu’il pouvait déchiffrer, les assemblant tant bien que mal pour comprendre le contenu de cette feuille volante.

« Donc… donc cet enfant est un esprit-marionnette ? » demanda Xia Qiao.

« Oui. » Wen Shi ne leva même pas la tête et continua à feuilleter les pages suivantes.

« Pas étonnant que ce soit effrayant. » Xia Qiao, se tenant les bras, frotta une chair de poule inexistante, et plus il y pensait, plus il en avait peur. « Un enfant aussi terrifiant, le vieil homme a vraiment pu l’élever ? »

« Je ne sais pas. » répondit Wen Shi.

Après un moment, il se rendit compte que son ton était inhabituellement froid pour quelqu’un de normal. Il tenta d’imaginer : « Peut-être qu’il a développé de l’affection au fil du temps. »

« Il peut ressentir de l’affection ? » Xia Qiao réfléchit un instant : « Le vieil homme est quelqu’un de bien. »

« Les choses dans la cage donnent un effet illusoire et amplifié. À quoi ressemble ce petit dans la réalité, qui le sait ? » remarqua Wen Shi.

Xia Qiao commença à comprendre : « D’accord… »

Alors que Wen Shi feuilletait les pages, il sentit soudain quelqu’un le regarder.

Il s’arrêta, leva les yeux et aperçut l’ombre de Xie Wen dans le miroir, si floue qu’il était impossible de discerner son expression.

« Tu me regardes ? » demanda Wen Shi, fronçant les sourcils, intrigué.

Xie Wen parut surpris un instant, puis dit lentement : « Tu es sensible. Je ne te regardais pas, mais les papiers dans tes mains. Tu as trouvé d’autres informations ? »

Ce ton… ressemblait à celui d’un contremaître.

Wen Shi ne répondit pas et retourna à sa lecture.

Quelques secondes plus tard, Xie Wen demanda : « Que dit la quatrième ligne de la deuxième page ? »

Wen Shi pinça les lèvres et lut : « Cette marionnette ne reconnaît ni les objets ni les gens, elle est probablement traumatisée, car elle s'est instantanément rétractée dans un coin quand je l'ai ramenée. »

« Oh. » Xie Wen reprit la parole. « Et la dernière ligne ? »

« … »

La poupée aux traits inexpressifs baissa les yeux : « Quelques caractères au milieu sont flous et illisibles, il a saisi mes vêtements. Qu’importe, il n’a nulle part où aller, on laisse tomber. »

Xie Wen acquiesça : « Alors, la troisième page… »

« Tu la regardes toi-même. » Wen Shi perdit enfin patience, attrapa la troisième page et la claqua sur le miroir.

Il avait un sacré tempérament.

Xie Wen allait parler quand ampoule à l’ancienne suspendue dans le débarras vacilla soudain, projetant des halos de lumière sombre, illuminant l’espace de façon incertaine.

Ils se turent immédiatement.

Dès que personne ne parlait, le silence absolu accentuait la sensation de mort.

Wen Shi réalisa que la porte grinçante était immobile et que les membres mutilés à l’extérieur s’étaient silencieusement arrêtés.

Au milieu de ce silence, il perçut un bruit plus faible — un frottement léger, comme quelque chose rampant le long du mur.

« C’est quoi ce bruit ? » Xia Qiao ne bougea pas, chuchotant d’une voix haletante.

« Chut. » intima Wen Shi.

Il tourna vivement la tête vers les étagères noires derrière lui.

Là, parmi les objets entassés et couverts de poussière, sous la lumière vacillante, un visage blanc apparaissait à peine.

Mon dieu !

Xia Qiao plaqua une main sur sa bouche pour étouffer un cri.

Wen Shi grimpa vers le visage, et chuchota : « Un masque. »

C’était un masque simple dessiné par l’enfant, avec deux trous noirs pour les yeux. Les bords étaient abîmés, il avait été abandonné depuis longtemps.

Xia Qiao souffla de soulagement, mais le bruit léger du rampement persista.

Wen Shi sauta et heurta des objets à côté, plusieurs petites choses tombèrent. Parmi elles, des billes de verre roulèrent près du miroir.

En les ramassant, il remarqua qu’au centre d’une bille noire se trouvait un iris, avec de longs cils attachés.

Ce n’était pas une bille, mais un œil tombé !

L’air sembla se figer instantanément.

Ils levèrent presque simultanément les yeux vers l’endroit d’où l’œil était tombé.

Un visage humain à la bouche grande ouverte s’était glissé dans le plafond en bois par un trou, un œil était un trou noir, l’autre grand ouvert.

Puis, le plafond commença à se fissurer, les craquelures se propageant comme s’il ne pouvait supporter le poids au-dessus.

L’endroit où se trouvaient les membres mutilés dehors était évident.

Le visage s’allongea, les fissures se multiplièrent.

Au moment où le plafond en bois s’effondra, Wen Shi tira brusquement sur son poignet, et la porte verrouillée s’ouvrit dans un « bang ». Il n’eut pas le temps de dire un mot, donna un coup de pied à Xia Qiao, attrapa le miroir et sauta en bas.

Xia Qiao voulut se lever, mais n’y parvint pas. Il roula jusqu’en bas de l’escalier. En s’effondrant, il demanda : « Pourquoi sont-ils encore plus fous aujourd’hui qu’hier ? »

« C’est une question inutile, c’est parce que j’ai pris ce carnet ! » dit Wen Shi.

« Ne contient-il pas simplement le passé du garçon ? Est-ce que cela justifie tout ça ? » Les pleurs de Xia Qiao ralentirent et ses petites jambes courtes s’agitèrent à une vitesse fulgurante.

La cordelette de Wen Shi s’enroula autour d’un groupe de membres détachés, les ligotant comme un filet entrecroisé. Ils s’agitaient et se débattaient dans leur lien, un spectacle véritablement répugnant.

Mais d’autres choses encore rampèrent depuis les fentes des fenêtres, du plafond et des murs.

« Ces choses peuvent entrer de n’importe où, que faire, Wen-ge ? »

Ce qu’il fallait faire ?
Distrayez le maître de cage, attaquez son point vital.

En lisant ce carnet, il était clair que le point vital pour ce maître de cage était ce sinistre petit garçon.

Alors que Wen Shi esquivait, il vit une silhouette surgir de derrière l’escalier. Aussitôt, Wen Shi attrapa le pied de la chaise et se laissa glisser par-dessus.

Le petit garçon était en train d’attraper le poinçon sur la table à l’ancienne, lorsque Wen Shi bondit par-dessus ! Il avait initialement prévu de se hisser grâce à la cordelette autour du cou du garçon, mais il s’accrocha accidentellement à sa chemise.

Les épaules du petit garçon étaient étroites, donc lorsque le col de sa chemise fut tiré vers le bas, il révéla une grande partie de ses épaules et de son dos.

Immédiatement, Wen Shi remarqua la marque sur le côté gauche de sa poitrine. Effectivement, comme l’indiquait le carnet, il s’agissait d’une marionnette.

Mais contre toute attente, ce marquage était extrêmement faible et pratiquement méconnaissable. C’était presque comme si… à mesure que le petit garçon grandissait et ressemblait de plus en plus à un humain, ce symbole allait finir par disparaître.

Ce genre de marionnette existait ?

Wen Shi fut brièvement surpris.

Son état de stupeur dura moins d’une seconde, mais cela donna au petit garçon l’occasion de se relever et d’attaquer.

À l’instant où Wen Shi guida sa cordelette dans le symbole, le poinçon du petit garçon avait déjà percé directement la poitrine de la poupée en peluche depuis le milieu de son dos.

De la même manière, ce geste pouvait s’appliquer à toute créature possédant un point vital similaire.

La première réaction de Wen Shi fut : « C’est vraiment embarrassant d’échouer à une tâche aussi facile. »

Puis il sentit une force s’abattre sur lui et son corps se vida avec elle.

Il cligna des yeux une fois, très légèrement, et vit la poupée qu’il contrôlait à l’origine s’effondrer sur le sol, ses yeux en forme de perles de verre toujours ouverts alors qu’elle devenait une créature inerte.

La sensation de se séparer d’un objet possédé était très désagréable, et on avait l’impression d’avoir été frappé à la tête par un bâton.

Alors que Wen Shi était physiologiquement étourdi, il sentit quelqu’un tendre la main vers lui et lui couvrir doucement les yeux.

C’était peut-être une illusion, mais il sentit l’odeur insaisissable du gel et de la neige d’un hiver froid.

Après cela, sa vision s’assombrit.

*

C’était vrai, sa vision s’assombrit à nouveau.

C’était un processus extrêmement familier, donc sans même avoir à demander, Wen Shi sut que Xie Wen l’avait tiré dans un autre objet.

Peu de temps après, la scène suivante apparut dans la salle de bain du premier étage :

Un petit miroir ovale fut posé à la verticale près du lavabo, avec la silhouette de Xie Wen à l’intérieur. Un miroir carré fut cloué au mur, avec la silhouette de Wen Shi à l’intérieur.

Une poupée portant une petite robe rose était agenouillée devant les miroirs, en sanglotant.

Ce que craignaient le plus les lâches ? Être abandonnés à eux-mêmes.

Avant cela, Xia Qiao pouvait simplement rebondir derrière Wen Shi ; peu importait où Xia Qiao se cachait, quelqu’un était là pour lui tenir compagnie, il y avait donc une limite à la peur qu’il ressentait.

Mais maintenant…

Tous les braves étaient entrés dans les miroirs, et leur mobilité était restreinte, ce qui signifiait que les déplacements lui incombaient désormais. Courir seul dans cette maison hantée… à quoi bon être encore en vie ?

« Depuis combien de temps pleure-t-il ? » demanda Wen Shi, la tête lui faisant mal.

« Probablement parce que tu as été poignardé par un enfant de sept ou huit ans et que tu es tombé au sol. » Xie Wen ajouta chaleureusement : « Je pensais qu’il pleurait ta perte, mais il semble que ce ne soit pas le cas. »

« Toi- »

Wen Shi fronça les sourcils.

N’était-il pas un fouineur ? Il fallait absolument qu’il évoque l’incident humiliant de quelqu’un et qu’il en parle.

« Moi ? » demanda courtoisement Xie Wen.

Wen Shi pinça les lèvres et ressentit une forte envie de l’insulter. Cependant, il finit par éluder la question. « Où est le garçon ? »

S’il se souvenait correctement, il avait également percé la marque du petit garçon. Bien qu’il avait été indulgent et ne l’avait pas complètement transpercé de part en part avec le fil, cela devait tout de même produire un certain effet.

Dans ses souvenirs, la dernière chose qu’il avait vu avant de fermer les yeux fut le petit garçon agenouillé sur le sol, s’évanouissant comme si toute vie lui avait été arrachée.

Et maintenant ?

Xie Wen dit : « Le vieil homme l’a emmené dans la chambre pour prendre soin de lui. »

Wen Shi posa une autre question : « Qu’est-il advenu de ces têtes et de ces membres ? »

Xie Wen répondit : « Ils se sont dispersés. »

Wen Shi fit un « mn » et pensa : ‘C’est bien alors.’

À l’origine, ces membres arrachés cherchaient désespérément à les tuer, le subconscient du maître de cage réagissant à la panique. À ce moment-là, toute son attention s’était portée sur le petit garçon inconscient, ce qui lui permit naturellement d’ignorer les intrus.

Mais Wen Shi ne comprenait toujours pas vraiment…

Le vieil homme avait recueilli un enfant ; cet enfant était une marionnette. Le vieil homme se moquait de l’origine de la marionnette et l’élevait malgré tout. Et alors ? Pourquoi cette cage était-elle née ?

Dans ce monde des mortels, il était mort et avait ressuscité, vint et repartit plus de dix fois, mais il demeurait encore bien des choses qu’il ne comprenait pas. Par exemple, ce que ce vieil homme ne pouvait pas oublier.

Peut-être était-ce parce qu’il n’avait pas d’âme, ou peut-être parce qu’il avait été un panguan pendant trop d’années, pensa Wen Shi.

Privée de ces membres arrachés, l’aura sombre et oppressante de la maison diminua considérablement, mais la salle de bain demeurait un lieu étrangement animé.

Alors que Xia Qiao sanglotait sans répit, il se recroquevilla sur lui-même et se déplaça petit à petit jusqu’à se retrouver près du mur.

« Pourquoi te déplaces-tu jusque là-bas ? » demanda Wen Shi.

« Il doit y avoir quelque chose dans mon dos », répondit Xia Qiao. « Sinon, j’ai sans cesse l’impression que quelqu’un se tient derrière moi. »

« … »

Wen Shi resta muet.

Il réfléchit un instant, puis dit : « Puisque tu bouges de toute façon, pourquoi ne pas aller un peu plus loin ? »

Xia Qiao ne comprit pas. « Ah ? »

« Je veux voir ce qui se passe dans la chambre, » expliqua Wen Shi. « Replace le miroir de chevet là où il se trouvait auparavant. »

La voix de Xia Qiao trembla. « Ah ??? »

« Quand le vieil homme sortira pour changer la serviette ou aller chercher quelque chose, profites-en pour entrer : pose le miroir au chevet du lit et nous pourrons surveiller chacun de notre côté, » dit Xie Wen, apparemment d’accord.

« … »

Xia Qiao eut l’impression que ces deux hommes voulaient sa mort…

Il n’avait pourtant aucun moyen de se rebeller.

Cinq minutes plus tard, la porte de la chambre grinça ; le vieil homme fit lentement quelques pas et se dirigea vers la cuisine. Poussé par ses « démons », Xia Qiao, tenant sa jupe et portant le miroir, entra en pleurs dans la chambre.

Il n’osa pas s’attarder ; il posa le miroir sur la table de chevet et roula aussitôt — littéralement, il roula.

Hélas, il n’avait pas encore atteint l’embrasure de la porte que l’on entendit les pas du vieil homme revenant. Dans sa panique, il aperçut une fente dans une vieille armoire et, sous le coup de l’urgence, s’y précipita sans discernement.

Le vieil homme portait un bol en porcelaine blanche ; il tenait une cuillère et remuait doucement en s’approchant du lit.

Wen Shi, qui croyait d’abord qu’il apportait un remède ou quelque nourriture — la réaction habituelle face à un enfant évanoui — s’aperçut que le bol contenait en réalité une poignée de cendres d’encens humidifiées.

Il fixa ces cendres et pensa : ‘Le vieil homme n’en peut plus ; va-t-il mettre fin à la vie de ce malheureux enfant ?’

 

Traduction: Darkia1030

Check: Hent-du

 

 

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