!
Song Jincheng voulut appeler à l’aide, mais Feng Jun forma un mudra (NT : geste scellant un point d’énergie), et sa gorge refusa de laisser échapper le moindre son.
Il comprit que Feng Jun n’avait pas encore attaqué Song Qingshi, et tenta désespérément, par gestes et mimiques, de lui révéler la vérité sur le monstre qui dévorait les humains.
Song Qingshi réfléchit un instant, puis déclara : « Tu as faim ? Tu veux que je déjeune avec toi ? »
Song Jincheng en fut si furieux que les larmes lui montèrent aux yeux. Il avait envie de frapper cet imbécile.
« Qingshi, tu n’as pas assez dormi cette nuit. Repose-toi encore un peu, » dit Feng Jun en entrant tranquillement, après avoir remis ses gants de soie légère, un sourire paisible aux lèvres. «Justement, Xiao Bai a faim lui aussi. Je vais les emmener tous deux chercher à manger. »
Xiao Bai à ses côtés se jeta immédiatement sur le bras de Song Jincheng, tira la langue et dit d’un ton câlin : « J’ai faim. »
Qu’est-ce qu’un serpent géant mange lorsqu’il a faim ?
Song Jincheng fut glacé d’effroi en croisant ces pupilles dorées, pures et sans malice, et en voyant cette langue fourchue s’agiter. Il fut saisi de vertige. Incapable de résister à la force terrifiante qui le tirait par le bras, il fut traîné à travers la porte sous les vœux innocents de Song Qingshi : « Mange bien et à ta faim. »
Song Jincheng fut jeté dans l’abri à bois. Feng Jun posa ensuite une barrière pour isoler l’endroit du reste du monde.
Song Jincheng se rappela les enseignements de la Vallée de la Médecine. Il décida d’accepter le martyre et de mourir en héros.
Feng Jun alluma un encens étrange.
Song Jincheng sentit une odeur bizarre. Sa vue se troubla, et il s’évanouit.
Lorsqu’il se réveilla, il était enfermé dans un cachot, entouré de montagnes de livres et de rouleaux, sans rien d’autre. Monsieur Yue apparut devant lui, lui annonçant qu’il avait commis trop d’erreurs et qu’il était renvoyé à la Vallée de la Médecine pour y réfléchir. Il devrait réciter l’ensemble des traités médicaux avant de pouvoir sortir.
Il étudia sans relâche pendant dix ans, fit des exercices pendant dix ans, perdit tous ses cheveux, sans parvenir à retenir le contenu…
Song Jincheng, accablé, se prit la tête dans les mains et éclata en sanglots. Ses pleurs brisèrent même son cauchemar.
À son réveil, Feng Jun se tenait devant lui, un énorme serpent blanc enroulé à ses pieds, remplissant tout l’abri de sa masse, les yeux flamboyants fixés sur lui, deux crocs effilés brillant dans sa gueule écarlate. Sa longue langue effleurait presque le visage de Song Jincheng.
Celui-ci porta d’abord la main à sa tête : ses cheveux étaient toujours là.
Feng Jun leva de nouveau une seconde tige d’encens onirique, prêt à l’allumer…
Sans la moindre hésitation, Song Jincheng se jeta à genoux : « J’ai eu tort ! Tant que je n’ai pas à étudier, je ferai tout ce que vous voudrez ! »
Même être dévoré par un serpent géant valait mieux que de retourner dans ce cachot réciter les livres.
Feng Jun, qui avait tant joué avec cet encens tisseur de rêves, n’avait jamais rencontré un individu aussi pitoyable. Le cauchemar qu’il avait conçu pour durer trois ans avait été prolongé à dix ans sans qu’il puisse en sortir, jusqu’à ce qu’il se réveille de force. Amusé, il observa cet étrange spécimen, hésitant à tester sur lui un cauchemar de dix, voire cent ans.
Le serpent, trouvant l’abri à bois trop exigu, reprit forme humaine et se blottit sagement aux pieds de Feng Jun.
Soudain, Song Jincheng se souvint de lectures interdites qu’il avait dérobées à ses parents : sous les ordres du Seigneur Divin du Pic Inextinguible vivait un serpent spirituel… Il s’entraînait depuis des millénaires, possédait un corps immense et une nature féroce. Il avait autrefois avalé un éléphant marin vivant, étranglé un tigre des Nuées Azurées, et accompli d’innombrables exploits. Certains cultivateurs l’avaient vu : un serpent géant blanc capable de se transformer en enfant, afin d’attirer ses proies. Il ressemblait à celui qu’il avait sous les yeux.
Un serpent aussi terrible obéissait humblement à Feng Jun, le suivant avec la plus grande dévotion.
Quelle était donc la véritable identité de Feng Jun ?
On disait que le Seigneur Divin du Pic Inextinguible avait des milliers d’avatars dans le monde…
Une pensée effrayante naquit dans l’esprit de Song Jincheng, et ses jambes fléchirent. Depuis des millénaires, toute secte ayant offensé le Pic Inextinguible avait été anéantie. La moindre parole ou action irréfléchie risquait de condamner toute la Vallée de la Médecine. En pensant à ses parents, à ses maîtres, à ses camarades, il fut saisi d’une terreur sans nom. Les larmes ne venaient même plus. Il regretta amèrement de s’être inquiété pour une chose aussi insignifiante que Song Qingshi attirant l’attention d’un démon mâle.
Se soumettre, ce n’était rien !
Un homme digne de ce nom… il suffit de fermer les yeux et c’est fini, non ?
Il devait courir aussitôt convaincre Song Qingshi de céder.
Song Jincheng dit, obséquieux : « J’ai remarqué que Qingshi vous aime beaucoup. Vous êtes sans doute celle qu’il cherche depuis tout ce temps. »
Feng Jun haussa légèrement les sourcils.
« Lorsque je l’ai trouvé, il avait perdu une partie de sa mémoire, mais il se souvenait d’une personne qu’il aimait profondément. Il l’avait noté dans un carnet, auquel il tenait énormément, et voulait la retrouver, » déclara Song Jincheng, décidé à sacrifier son ami pour sauver la Vallée. Il déballa sans retenue tous les détails consignés dans le carnet, insistant pour que Feng Jun se fasse passer pour cette déesse. « Cette personne aimait le rouge et le blanc, l’escrime, l’alchimie, la lecture, la collection de pierres précieuses… Son anniversaire est quelque part en février, il me semble… »
Feng Jun demeura un instant stupéfait : « Le quatorze février ? »
Song Jincheng répondit : « Oui ! »
Après un long silence, Feng Jun fit signe à Hao Long d’enseigner à cet imbécile la discipline et l’obéissance, leva la barrière et quitta l’abri à bois.
*
Song Qingshi, après avoir veillé presque toute la nuit, dormait d’un sommeil léger. Il sentit une chaleur parfumée s’insinuer dans sa couverture, et l’enlaça d’instinct. Il enfouit son visage dans ce corps tiède, le serrant très fort, comme s’il craignait de le perdre.
En réalité, ce qu’il cherchait, ce n’était pas un simple objectif de mission, mais… lui-même.
Feng Jun contempla longuement l’homme dans ses bras.
Chaque fois qu’il consultait les souvenirs de Zhao Ye, il souffrait. Dans toutes ces missions de «sauvetage» de protagonistes malheureux, Zhao Ye se dévouait inlassablement à eux : fidèle, tendre, puissant, attentionné. Il murmurait des mots doux, se sacrifiait pour eux, allait jusqu’à recevoir les coups à leur place, frôlant parfois la mort… Tous finissaient épris de lui, corps et âme, devenant siens.
Mais à chaque nouveau monde, Zhao Ye effaçait ses sentiments, acceptait une nouvelle mission, rejouait sans fin la même histoire d’amour avec un nouveau protagoniste.
Était-ce un salut… ou un jeu cruel ?
Une colère incontrôlable montait en lui, mêlée de peur.
Feng Jun glissa doucement une main sur la poitrine de Song Qingshi, écoutant les battements de son cœur. Dans ses pires moments, il avait songé à lui arracher ce cœur si jamais Song Qingshi osait traiter un autre comme il l’avait traité lui. Il voulait faire de son corps une marionnette, cacher son âme, l’enfermer pour toujours, afin de ne plus jamais entendre de mots tendres destinés à un autre, ni voir de regards doux adressés à un autre.
C’était une obsession maladive, destructrice.
Il s’efforçait de se contrôler. Certaines choses, même au prix de la mort, ne devaient jamais être faites.
Heureusement, Song Qingshi ne l’avait jamais déçu.
Les dernières rancunes et les sentiments noués en lui s’évanouirent comme la brume du matin chassée par la brise, laissant place à un ciel limpide.
Feng Jun se mit à rire sans pouvoir se retenir. D’innombrables lianes de sang jaillirent de partout, entourant Song Qingshi, l’enveloppant dans ses bras. Il lui déposa un baiser. Song Qingshi ouvrit les yeux et aperçut son sourire éblouissant. Il en fut totalement ensorcelé, comprenant enfin ce qu’on appelait une beauté capable de détourner un souverain de ses affaires d’État…
Bien que ces lianes rouges fussent étranges, que ses bras et jambes soient si étroitement liés qu’il ne pouvait bouger, que certaines glissent dans ses vêtements pour s’enrouler autour de sa taille, chatouillant sa peau…
Tant que Feng Jun était heureux, cela lui suffisait !
Feng Jun lécha doucement le lobe de son oreille et demanda : « Puis-je voir ta bourse ? »
Song Qingshi la lui remit docilement : « Elle est à toi. »
Les finances devaient toujours être confiées à la personne qu’on aimait. Lui, il se contenterait de son argent de poche.
Feng Jun fouilla longuement dans son sac de stockage, et finit par retrouver, sous une pile de pierres spirituelles, le carnet en question. Il en tourna quelques pages, puis demanda en souriant : « Jincheng a dit qu’il était décrit ici la personne que tu aimais ? Dis-moi, de qui s’agit-il ? »
Song Qingshi tressaillit violemment, complètement réveillé. Il voulut récupérer le carnet, mais il était toujours entravé, incapable de bouger.
Il venait à nouveau de tomber sur une question fatale ! Une mauvaise réponse et, au mieux, il serait battu ; au pire, abandonné !
Song Qingshi répondit sans hésiter : « C’est toi. »
Feng Jun agita le carnet et demanda de nouveau : « Puisque tu sais que c’est moi, sais-tu s’il s’agit d’un homme ou d’une femme ? »
Song Qingshi répondit docilement : « Un homme. »
Feng Jun lui releva le menton, feignant la colère : « Et comment le sais-tu ? »
« En regardant le bassin, » expliqua rapidement Song Qingshi. « J’ai disséqué de nombreux corps de professeurs, et j’ai étudié la structure osseuse des hommes, des femmes, des jeunes et des vieux. Le bassin masculin est étroit et haut, tandis que celui des femmes est large, court et bas. La structure physiologique influence la démarche : chez les hommes, le bassin bouge peu en marchant, alors que chez les femmes, il oscille davantage. »
Au début, il avait été aveuglé par sa beauté, puis troublé par l’apparition du grand serpent, si bien qu’il n’avait pas réfléchi. Mais une fois arrivés à l’auberge, il s’était rendu compte que quelque chose clochait dans la silhouette. En y repensant un peu, il avait compris. Après tout, dans la société moderne, il existait de nombreux hommes travestis. Ce n’était ni rare ni surprenant.
Feng Jun resta figé un moment. Le point de vue d’un étudiant en médecine était décidément trop particulier, à mille lieues de ce qu’il aurait pu imaginer. Après un long silence, il demanda : «Pourquoi ne m’as-tu pas démasqué ? »
Song Qingshi répondit, avec un brin de plainte : « C’est ton loisir personnel. Te démasquer aurait été malvenu. »
Certes, c’était un peu étrange, mais chacun a ses propres centres d’intérêt. Lui-même aimait étudier les cadavres et les organes, ce que beaucoup trouveraient étrange aussi. Puisque Feng Jun appréciait les vêtements féminins, et qu’il les portait magnifiquement, avec élégance, il n’y avait pas lieu de le juger. Song Qingshi n’était pas du genre à rejeter les choses nouvelles.
Il se frappa la poitrine pour affirmer sa loyauté : « Je peux tout à fait accepter les vêtements féminins ! C’est très beau ! J’aime beaucoup ! Tu peux en porter autant que tu veux ! »
Feng Jun le regarda, le cœur plein d’un étrange étouffement.
Song Qingshi poursuivit ses louanges : « Bien que j’aie été surpris de découvrir que j’aimais un homme, comme ton gabarit est plutôt menu, je ne ressens aucune pression. C’est facile à accepter. »
Feng Jun sentit son cœur se serrer davantage : « Tu n’aimes donc pas les hommes grands ? »
Son véritable corps était pourtant parfait, plus grand et plus puissant que même le Yue Wuhuan d’autrefois...
Song Qingshi avait toujours déploré sa propre silhouette frêle. Par projection, il pensait que Feng Jun pourrait être complexé par son apparence. Il s’empressa donc de réaffirmer sa loyauté : « Ne t’inquiète pas. Je n’aime pas les hommes grands et musclés. Je préfère les silhouettes douces et adorables comme la tienne. »
Feng Jun réfléchit longuement, puis demanda avec prudence : « Est-ce parce que tu as peur de ne pas pouvoir le supporter ? »
Song Qingshi répondit avec assurance : « Oui, je ne le supporterais pas. »
Son visage était trop juvénile. S’il se tenait à côté d’un homme grand et mature, il risquait d’être pris pour un enfant, ce qui heurterait son amour-propre.
Le cœur de Feng Jun semblait prêt à déborder. Il renonça temporairement à retrouver sa véritable apparence, choisissant de conserver une apparence juvénile. Il verrait plus tard pour changer, une fois Song Qingshi habitué. Qu’il porte des vêtements masculins ou féminins, peu importait, du moment que Song Qingshi l’aimait. Il se contenterait d’alterner.
Song Qingshi avait accepté de se rendre à la secte Tianwu avec lui. Il n’était donc pas question de laisser les choses inachevées.
« Je suis désormais devant toi. Ce carnet n’a plus de raison d’être, » déclara Feng Jun après réflexion. Il reprit le carnet dans lequel Song Qingshi avait consigné ses souvenirs de Yue Wuhuan. Il voulut le déchirer, mais, voyant le regard légèrement réticent de Song Qingshi, il le rangea dans son propre sac. Il lui tendit ensuite un carnet vierge et dit en souriant : « Puisque tout est différent à présent, commence un nouveau carnet. »
Même si l’intention était touchante, il ne pourrait être véritablement rassuré qu’après avoir effacé tous les souvenirs liés à Yue Wuhuan…
Song Qingshi réfléchit un instant, puis acquiesça.
Il écrivit soigneusement sur la première page : « Aime les vêtements féminins. »
Feng Jun : « … »
Traduction: Darkia1030
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