MISVIL - Chapitre 87 - L'Ombre de la beauté Serpent

 

Peut-on dissimuler cette affaire ?



Le baiser, tel une tempête déchaînée, s’abattit violemment sur son cœur, houle après houle, soulevant un tumulte d’eaux profondes, sans fin, sans repos…

Song Qingshi ne pouvait plus le supporter. Il gémit : « Arrête… arrête… »

Feng Jun finit par desserrer ses lèvres, les glissa plus bas et, tel un châtiment, emprisonna sa pomme d’Adam dans sa bouche. Il en fit deux cercles avec le bout de la langue, y apposa férocement une marque rougeâtre, puis relâcha lentement la pression de ses doigts.

« Ah… » Song Qingshi, malgré lui, se cambra légèrement et laissa échapper un souffle. Il s’empressa de retirer sa main et repoussa l’homme qui voulait continuer à le goûter. « Je ne suis pas prêt. »

« Pourquoi ? » demanda Feng Jun, le regard rivé sur lui, ses yeux injectés de sang, brillant d’un éclat inquiétant. Sa raison était à son extrême limite. Une mauvaise réponse, et la folie le submergerait.

Song Qingshi remit sa robe en ordre, ajusta ses vêtements, lissa ses cheveux en bataille, et soupira avec contrariété : « Ce genre de chose est importante. Une fois faite, elle engage à une union de dao. J’ai l’impression de t’aimer, mais mes souvenirs sont un chaos sans nom. Il y a trop d’incertitudes. Je dois d’abord comprendre avant de pouvoir te toucher. »

Et si, durant son amnésie, il avait par mégarde contracté quelque dette sentimentale, agi comme un homme indigne, voire commis quelque crime ? Avec un passé aussi obscur, comment pourrait-il prétendre à une union avec Feng Jun ? Ce serait profiter injustement de lui.

Par ailleurs, il jugeait qu’une affaire aussi sérieuse devait être mentionnée à Monsieur Yue. Ce dernier avait toujours été d’une bonté extrême envers lui, comme s’il était un proche très cher. Il ressentait envers lui une confiance et une affection instinctives.

Feng Jun, tout en sentant son désir contrarié, en oublia presque sa colère. Il demanda, abasourdi : «Tu as perdu la mémoire, et pourtant tu m’aimes encore ? »

Pourquoi donc ? Il avait changé d’apparence, s’était même vêtu de manière féminine.

« Je ne sais pas, mais j’ai un ressenti à ton égard », dit Song Qingshi en déposant un baiser sur sa joue. En se souvenant des sentiments notés dans ce carnet, il sourit. « Peut-être… peu importe combien de fois je perds la mémoire, peu importe à quoi tu ressembles, je tomberai toujours amoureux de toi au premier regard. » Il était destiné à rester dans sa paume : dès qu’il le voyait, il voulait s’y plonger.

Feng Jun resta longuement silencieux. Il effleura la marque sur sa gorge, puis dit avec remords : « J’ai été trop brusque. Je… » Il ne comprenait pas pourquoi il avait agi ainsi. Il voulait pourtant avancer doucement, et cependant, face à cette opportunité, il avait profité de la faiblesse de l’autre pour aller trop loin, presque jusqu’à tout engloutir.

Song Qingshi répondit : « Ce n’est rien. J’ai aimé ça. »

Feng Jun savait que Song Qingshi avait tendance à prononcer inconsciemment des paroles troublantes. Il ravala tout son désir. Il voulait lui dire que ce qu’ils avaient fait n’était pas une première, qu’il n’y avait pas de mal à avoir oublié. Il suffisait de reconnaître les faits, de repartir à zéro, de contracter leur union de couple taoïste , puis d’aborder le reste.

Mais… comment faire valoir cette dette ?

Il hésita un instant…

Song Qingshi demanda alors, sans détour : « Feng Jun, qui es-tu vraiment ? J’ai l’impression que tu as un autre nom. Que s’est-il passé entre nous ? Comment nous sommes-nous rencontrés ? Pourquoi nous sommes-nous séparés ? »

Feng Jun, devant la limpidité de son regard, ressentit un étouffement qu’il n’avait pas connu depuis longtemps.

Comment pourrait-il répondre : Je suis ce Yue Wuhuan, que le monde a souillé, au nom infâme. Nous nous sommes rencontrés dans ce repaire infernal du Pavillon du Phénis d’or, où j’étais un esclave au service des hôtes, et c’est toi qui m’as sauvé d’une tentative de suicide ? Je suis un admirateur fou et obsessionnel, malade dans l’âme, prêt à commettre mille excès ? Mes sentiments t’ont détruit ton Ame naissante, brisé ton dantian, fait tout perdre… et si nous avons été séparés, c’est parce que tu m’as choisi, moi, la mauvaise réponse, et que le système t’a puni en effaçant ta mémoire ? Et aujourd’hui, je cherche à remplacer la nouvelle cible de ta mission ?

Il ne voulait plus être Yue Wuhuan. Il ne voulait plus affronter le passé, ni porter le fardeau des erreurs. Il voulait recommencer, vraiment…

« Je ne sais pas », murmura Feng Jun, agrippant sa manche avec douleur, la tête baissée, suppliant, «Ne pose plus de questions… s’il te plaît… Je t’aime. Vraiment. Tu m’as dit que j’avais le droit d’être volontaire… »

À quel moment avait-il sombré dans une telle avidité ? Il voulait tout : un soi pur, un adolescent pur, un amour pur. Même s’il fallait l’obtenir par le mensonge, cela lui importait peu.

Il afficha un sourire presque cruel : « J’ai tout oublié du passé. Il ne reste rien. »

N’importe qui aurait reconnu ce mensonge. Mais il voulait forcer Song Qingshi à l’accepter.

« Ne sois pas triste. Tu as le droit d’être volontaire », répondit tendrement Song Qingshi, comprenant son cœur. Il ne posa plus de questions. « Si mes souvenirs te font souffrir… alors laissons-les de côté.»

Feng Jun demanda d’une voix douce : « On recommence à zéro ? »

« On recommence à zéro », confirma Song Qingshi avec certitude.

Puisque l’autre voulait recommencer, alors il lui ferait la cour de nouveau, sincèrement, pas à pas. Et quand les ombres du doute se seraient dissipées, il achèterait une bague, ferait sa demande en bonne et due forme, et s’efforcerait d’être un bon compagnon.

Feng Jun goûta à nouveau à une joie extrême. En humant le parfum de son cou, il maîtrisa sa respiration : « Je peux encore patienter. »

Puisqu’il était si heureux, il renonça pour l’instant à son plan final. Ces deux idiots encombrants, il pouvait les gérer avec un peu plus de douceur.

Song Qingshi sortit papier et pinceau, et se mit à écrire.

Feng Jun jeta un œil, vit que la lettre était adressée à Monsieur Yue, et s’exclama, surpris : « Pourquoi lui écrire ? »

« Il est très proche de moi. Un aîné digne de confiance. Je l’aime beaucoup », répondit Song Qingshi en mâchonnant doucement son pinceau. « Maintenant que j’ai trouvé quelqu’un avec qui m’engager sérieusement, je veux lui en parler. Quand viendra le moment de nous unir, il faudra bien un témoin, non ? »

Feng Jun chuta brutalement de son nuage de bonheur…

Il se dit qu’une fois la vérité révélée, tout serait peut-être fini.

S’il “éliminait” Monsieur Yue à l'avance… pourrait-il camoufler cela ?

Mais comment “l’éliminer” ?

Et si Song Qingshi en souffrait ?

*

Song Jincheng, allongé dans son lit, tremblait sous sa couverture.

S’il était peu doué pour beaucoup de choses, sa vue et sa capacité d’observation étaient pourtant hors du commun… tout comme sa malchance. Ce fut ainsi qu’en se levant pour aller aux latrines, il aperçut une étrange silhouette à la fenêtre d’en face.

Il avait pourtant bien vu demoiselle Feng Jun traîner le petit Xiao Bai dans la chambre… puis la fenêtre avait tremblé, et une ombre immense de serpent avait envahi la pièce. Il avait failli crier, croyant que demoiselle Feng Jun s’était fait dévorer par un serpent, mais… l’ombre de la demoiselle était toujours là, à côté de celle du serpent, et elle grandissait, prenant une forme d’homme. De nombreuses lianes sinistres se détachaient de lui et enserraient le serpent à l’endroit le plus vulnérable de son corps…

L’ombre d’un homme et d’un serpent disparut en un instant.

Il se cacha derrière la fente de la fenêtre, se frotta les yeux longuement, doutant d’avoir mal vu.

Après un long moment, la porte s’ouvrit, et demoiselle Feng Jun sortit avec calme. Song Jincheng allait enfin relâcher son souffle, lorsqu’il remarqua qu’en refermant la porte, une immense queue blanche de serpent semblait osciller dans la pièce — exactement comme le serpent qu’ils avaient rencontré le jour même.

Mais aucune ombre de serpent ne se dessinait sur la fenêtre.

Était-ce… un champ de force ?

Qui était donc cette demoiselle Feng Jun ?

Song Jincheng, terrifié comme une caille, vit la demoiselle Feng Jun entrer dans la chambre de Song Qingshi, tenant une glace. Il ignorait comment sauver son frère des griffes du démon…

Il prit son courage à deux mains et fit semblant de passer nonchalamment devant la fenêtre de Song Qingshi, puis jeta un coup d’œil par la fente de la fenêtre mal fermée. Il vit alors demoiselle Feng Jun enlacer Song Qingshi et l’embrasser avec frénésie. Ce pauvre imbécile de Song Qingshi semblait complètement ensorcelé, sans se douter du type de « belle femme-serpent » qu’il avait en face de lui.

« Frère, réveille-toi ! » se dit Song Jincheng. « C’est un démon déguisé en belle femme ! Un démon plus grand que toi d’une bonne tête, capable de maîtriser un gigantesque serpent, un homme ! Tu ne peux rien contre lui, c’est lui qui va te dévorer ! D’après ce qu’a raconté notre aînée, ce genre de démon te pousserait sur un lit pour te contraindre, faire toutes sortes d’actes cruels et indicibles, puis te dévorer après… C’est une tragédie humaine ! »

Song Jincheng faillit s’évanouir…

On ne pouvait lui reprocher de manquer de courage pour entrer sauver son frère. Même avec du courage, cela ferait deux victimes au lieu d’une.

Il ne pouvait qu’espérer en silence que ce démon se contenterait de voler sa vertu, sans lui ôter la vie. Le lendemain matin, si son frère respirait encore, il essaierait de le sortir de là, de fuir.

Hélas, quel destin misérable pour son frère Qingshi ! Amnésie, perte de ses pouvoirs, oubli du nom de la déesse, et en plus, une rencontre avec une créature aussi terrifiante… Sa malchance dépassait la sienne.

Song Jincheng tourna et retourna dans son lit, fixant la porte de la chambre de Song Qingshi jusqu’à l’aube, sans jamais voir sortir Feng Jun. Il se lamenta davantage, convaincu que son frère avait été malmené toute la nuit et n’allait pas bien.

Il réfléchit, et décida d’écrire une lettre à Monsieur Yue, lui détaillant tout ce qu’il avait vu et entendu, précisant qu’il ne savait pas s’il parviendrait à s’échapper lui-même. Si cette lettre devenait son testament, il lui demandait de transmettre ses condoléances à ses parents, de tuer le démon, et de les venger tous les deux.

Song Jincheng envoya la lettre en secret par pigeon messager, puis se cacha sous sa couverture, attendant l’arrivée de la tragédie.

Lorsque le soleil fut bien levé, Feng Jun sortit enfin de la chambre, l’air rassasié, et se dirigea vers la cuisine pour préparer le petit déjeuner.

Song Jincheng saisit sa chance pour pénétrer discrètement dans la chambre. Il vit Song Qingshi allongé de travers sur le canapé, enveloppé dans une couverture brodée, les cheveux en désordre, les yeux rouges, le regard vide, avec une profonde marque de baiser sur la pomme d’Adam. Il semblait ne pas avoir dormi de la nuit. En se mettant à sa place, Song Jincheng pensa qu’un homme dans un tel état pourrait bien avoir des envies de suicide. Il se hâta de l’encourager : « Frère Qingshi, reprends-toi, il n’existe pas d’obstacle insurmontable. »

Song Qingshi se retourna vers lui et sourit amèrement : « Ce n’est rien, juste un peu difficile… »

Song Jincheng, voyant son sourire forcé, faillit éclater en larmes : « Tu as beaucoup souffert. »

Song Qingshi le rassura : « Ce n’est rien, je peux m’y habituer doucement. »

« Ne t’habitue pas, » l’interrompit Song Jincheng en serrant sa main avec urgence. « J’ai déjà préparé les bagages et le cheval spirituel. Avant que cet individu ne revienne, il faut fuir ! »

Song Qingshi fut tiré sans comprendre. La nuit précédente, après avoir levé les non-dits, Feng Jun lui avait montré de nombreuses recherches récentes en pharmacologie et des schémas de talismans intéressants. Ils avaient passé la nuit sous la couette à étudier joyeusement. La pharmacologie lui paraissait aisée, les prescriptions expliquaient bien la théorie. Mais les schémas de talismans étaient plus complexes. Il sentait qu’il était dépassé par le temps, qu’il devait redoubler d’efforts pour rattraper son retard, apprendre à nouveau.

Song Jincheng insista : « Dépêche-toi, sinon il sera trop tard. »

Sentant son urgence, Song Qingshi prit conscience du danger : « Bien, je vais chercher Feng Jun et Xiao Bai. »

Song Jincheng faillit s’évanouir, voulant protester.

Soudain, la fenêtre s’ouvrit.

Feng Jun le regarda avec des yeux terrifiants.

 

Traduction: Darkia1030

 

 

 

 

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