MISVIL - Chapitre 85 - Un gentleman rigoureux

 

« ? »

Song Qingshi demanda avec perplexité : « Feng Jun, c’est un surnom ? »

« C’est un surnom. » La jeune fille en rouge, qui s’était présentée sous le nom de Feng Jun, attrapa doucement sa manche et répondit d’un ton plaintif : « Je me souviens vaguement que ma mère m’appelait ainsi, mais j’ai affreusement mal à la tête, je ne me rappelle rien d’autre… »

Song Qingshi trouvait que la blessure à la tête de Feng Jun n’était pas assez grave pour affecter la mémoire, mais en pensant à ses propres pertes de mémoire sans raison apparente, il hésita. Peut-être que dans ce monde de cultivation, l’amnésie partielle était quelque chose de courant ?

Feng Jun avait des origines mystérieuses, et sa beauté comme son aura éveillaient en lui une sympathie inexplicable. Elle avait un parfum doux et sucré, au point qu’il avait presque envie de la serrer dans ses bras et de la chérir.

Song Qingshi se concentra. Dans ses souvenirs, il n’y avait que de la médecine et de la recherche, jamais il n’avait eu ce genre de pensées étranges envers une fille, même très jolie… Se pourrait-il que dans les souvenirs qu’il avait perdus, il ait aussi changé de caractère, fait des choses indignes et honteuses ?

Soudain, une image vague lui traversa l’esprit.

Il semblait qu’il avait déjà, en pleine nuit, plaqué une beauté et l’avait embrassée de force, sans tenir compte de sa résistance ? La pauvre pleurait presque…

C’était bien un comportement de débauché, non ?

Song Qingshi paniqua un peu…

Feng Jun gardait la tête baissée, jetant de temps à autre un regard furtif à l’expression de Song Qingshi, comme si elle réfléchissait silencieusement. À côté, Song Jincheng avait depuis longtemps cédé à la beauté : il ne cessait de parler pour ne rien dire, se frappant la poitrine pour garantir que tous deux étaient de bonnes personnes.

Song « pensées inappropriées » Qingshi se sentit de plus en plus coupable, se redressa et tenta de se donner une contenance vertueuse.

La créature divine rouge sur son épaule s’était envolée on ne savait quand.

Soudain, un craquement de branches retentit dans la forêt, suivi de souffles discrets.

Feng Jun devint instantanément pâle et saisit le bras de Song Qingshi : « Fuyons vite ! »

Song Qingshi perçut lui aussi le bruit étrange et demanda : « Qu’est-ce que c’est ? »

« Un serpent… un serpent yao, » répondit Feng Jun, tremblant de peur, « Je me souviens maintenant, j’étais poursuivie par ce serpent démoniaque, et je suis tombée de la falaise. Partez vite… »

Dans la vallée de la Médecine, on élevait beaucoup de serpents venimeux pour en extraire du poison à des fins médicinales, et les disciples savaient tous les capturer.

Song Jincheng n’avait pas peur. Il sortit son épée spirituelle de sa bourse et se plaça devant la beauté avec panache : « Pas de souci ! Ce n’est qu’un vulgaire serpent yao. Regardez un peu comment ce jeune maître va s’en occuper ! »

Des fourrés surgit un énorme serpent blanc. Ses écailles argentées étaient couvertes de mousse, ses yeux rouges brillaient comme des lanternes, et sa langue, longue de plusieurs mètres, fouettait l’air en sondant l’odeur, visiblement excité.

Song Qingshi, bien qu’il n’ait pas peur des serpents, n’en avait jamais vu d’aussi terrifiant. La gueule béante du monstre, capable d’avaler un éléphant, lui fit perdre contenance : « Jincheng, t’es sûr que tu peux le gérer ? »

L’épée de Song Jincheng tremblait dans sa main, tout comme ses jambes, et des larmes de panique coulaient déjà de ses yeux.

Feng Jun observa prudemment leurs expressions et suggéra : « Et si on s’enfuyait ? »

« Fuyons ! » ordonna Song Qingshi sans hésiter. Il n’eut pas le temps de réfléchir davantage, attrapa Feng Jun et le souleva dans ses bras pour la poser avec précaution sur le cheval spirituel, monta à son tour, la tenant bien fermement pour éviter toute chute, et lança sa monture au galop pour fuir la zone de chasse du serpent yao.

Feng Jun entoura sa taille, se blottissant profondément dans ses bras, inspirant le parfum des herbes médicinales, tremblant d’excitation. Il adorait cette sensation d’être protégé comme un trésor.

Song Qingshi le sentit trembler et la rassura : « N’aie pas peur, je te sauverai. »

Feng Jun prit une profonde inspiration pour contrôler ses émotions et répondit doucement : «D’accord. »

Song Jincheng bondit aussi sur un cheval et s’enfuit à toute allure, regrettant que sa monture n’ait pas huit jambes.

Trois mille ans plus tôt, après qu’An Long soit devenu démon, il rompit son pacte avec Haolong, sa bête spirituelle, et l’abandonna dans la forêt sans plus s’en soucier. Lorsqu’il renaquit au Pic Inextinguible en tant que Seigneur divin, Yue Wuhuan, pensant que Song Qingshi tenait à ce serpent blanc, ne le tua pas. Au contraire, il le nourrit et l’entraîna en le forçant à combattre des bêtes démoniaques de niveaux supérieurs sur les champs de bataille pour en améliorer la puissance. Aujourd’hui, Haolong était devenu un célèbre démon dans le monde de la cultivation.

Haolong, peu intelligent, ne comprenait pas ce que faisait Yue Wuhuan. Épuisé par la torture, il ne rêvait que d’hiberner.

Yue Wuhuan lui disait toujours : « Si tu es sage, quand Qingshi reviendra, il te prendra comme animal de compagnie. »

Haolong avait cru à cette promesse et supportait les entraînements infernaux, travaillant dur pour Yue Wuhuan.

Il rêvait de devenir le meilleur serpent domestique du monde.

Hier, Yue Wuhuan lui avait demandé de créer des blessures avec sa puissance divine. Il avait obéi sans discuter. Mais en y repensant, quelque chose clochait. Même si le corps d’un Seigneur divin était difficile à blesser, pourquoi lui demander de le faire ? Ne pouvait-il pas se blesser lui-même ? Était-ce pour éviter que cela ne ressemble à de l’automutilation ? Qui aurait le pouvoir de faire cette distinction ?

Haolong n’avait jamais été aussi malin de sa vie. Il suivit Yue Wuhuan à la trace, en cachant son aura.

Et il découvrit… que Song Qingshi était revenu !

Il reconnut son odeur, en fut bouleversé et voulut se jeter dans ses bras. Mais Song Qingshi, sous l’influence de Yue Wuhuan, s’enfuyait ! Même pas un câlin après toutes ces années de séparation. Il ne comprenait rien aux genres humains et avait vu toutes les incarnations de Yue Wuhuan ces dernières années, y compris en habits féminins, sans y prêter attention. Donc il ne remarqua rien d’étrange…

Cette apparence de Yue Wuhuan, c’était forcément pour jouer les femmes fatales qui causent la perte d’un royaume, pour saboter sa relation avec Song Qingshi !

Dévasté, Haolong se lança à leur poursuite…

Song Jincheng pleurait à chaudes larmes, se croyant condamné à finir en casse-croûte de serpent : «Je suis un fils indigne ! Mes parents devront enterrer leur propre enfant ! »

Feng Jun soupira doucement : « Ils n’ont qu’à en faire un autre… »

Autrefois, lorsqu’il avait dit adieu à Qing Luan, il lui avait promis de veiller sur ses descendants. Mais la lignée de Qing Luan était désormais très réduite. Il ne restait plus que cet idiot de Song Jincheng. Sa mère venait d’un clan immortel et avait formé un noyau doré. Si Song Jincheng mourait, la lignée de Qing Luan serait définitivement éteinte, sans le moindre remplaçant.

Il hésitait profondément…

À présent, cet idiot était devenu le sauveur de Song Qingshi, ce qui le rendait encore plus difficile à tuer. Peut-être qu’à l’avenir, une fois de retour à la Vallée de la Médecine, il faudrait l’enfermer à l’arrière de la montagne, et ne lui permettre de sortir voir du monde qu’après s’être débarrassé de cette aura d’imbécillité ?

Feng Jun était allongé sur Song Qingshi, dérangé par les hurlements incessants à côté, tout en planifiant cela sérieusement...

Song Qingshi remarqua soudain que la poitrine de cette jeune fille était aussi plate que la sienne. Quand il l’avait soulevée plus tôt, elle semblait peser une bonne centaine de catties, sans que l’on sache où elle avait pu cacher tout ce poids. Il trouvait cela un peu étrange...

Il était curieux, mais n’osait ni poser de questions ni y réfléchir. Sa grande sœur lui avait bien dit que c’était une zone interdite pour les filles : poser des questions là-dessus, c’était du harcèlement, et on risquait de se faire battre à mort.

Plus il pensait, plus Song Qingshi doutait de sa propre moralité.

Les deux chevaux spirituels galopaient comme des fous vers l’avant, poursuivis par l’énorme serpent, traversant trois chaînes de montagnes. Finalement, l’oiseau immortel rouge revint, donna un coup de griffe au serpent idiot et se mit à le rouer de coups, mettant enfin un terme à cette course-poursuite.

Les chevaux étaient si épuisés qu’ils écumaient de bave, sur le point de s’effondrer.

Devant eux apparut une petite bourgade. Song Qingshi, voyant le ciel s’assombrir, mena le groupe jusqu’à une auberge pour se reposer. Cette ville, bien que petite, était animée du fait de sa position sur un axe très fréquenté. Il confia les chevaux à un garçon d’écurie de l’auberge et, profitant de leur aisance financière, lui demanda aussi d’acheter quelques herbes médicinales pour revigorer les montures.

Le patron de l’auberge les accueillit avec un large sourire : « Il nous reste justement deux chambres.»

Song Qingshi sauta sur l’occasion pour démontrer sa vertu : « Deux hommes et une fille, deux chambres, ça convient parfaitement. Je partagerai la mienne avec Jincheng. »

Song Jincheng frappa aussi sa poitrine en jurant qu’il ne profiterait jamais d’une demoiselle.

Feng Jun resta un instant interdit après avoir entendu l’arrangement, puis sourit doucement. Il déclara qu’il voulait aller à la cuisine chercher de quoi manger pour tout le monde. En chemin, il remonta lentement ses cheveux et enfila des gants de fine mousseline.

Environ trois quarts d’heure plus tard, plusieurs cultivateurs descendirent en trombe, le visage blême, bafouillant qu’ils partaient en méditation dans la nature, sous les cieux et à même la terre, pour comprendre les mystères célestes. En bref : ils ne resteraient pas à l’auberge, et ce même s’ils devaient renoncer à leurs chambres, sans remboursement.

Le patron, voyant leur air affolé, crut un instant que l’auberge était hantée.

Song Jincheng, peu regardant sur l’argent, déclara qu’il ne voulait pas partager une chambre avec un autre homme. Song Qingshi en profita alors pour demander trois chambres haut de gamme, adjacentes. Feng Jun revint en traînant sa robe, tenant un bol de soupe sucrée qu’il tendit à Song Qingshi avec espoir : « Les ingrédients étaient limités en cuisine, je n’ai pu préparer que quelque chose de simple... Cela fait si longtemps que je n’ai pas cuisiné, mes gestes sont maladroits, j’espère que tu ne m’en tiendras pas rigueur. »

Song Qingshi vit que ses yeux, d’un doré sombre, étaient remplis d'étoiles. Il les trouvait encore plus envoûtants que le bol de soupe. Hésitant, il vit Feng Jun sourire et, avec des gestes fluides comme une danse bien répétée, il souffla doucement sur la cuillère avant de lui porter la soupe directement à la bouche.

Le goût sucré sur sa langue éveilla une sensation de tendresse enfouie jusqu’aux os, troublant à nouveau l’esprit de Song Qingshi. Il fixa ‘la jeune fille’ avec ses yeux rieurs, un peu figé, les oreilles rougies, le cœur affolé. Il voulait refuser, mais ‘elle’ le frôla du pied sous la table…

Feng Jun sourit : « Ne me repousse pas. »

Sa voix était élégante, douce mais empreinte d’un ton qui ne souffrait aucune objection.

Song Qingshi ne pouvait rien lui refuser, et retira docilement sa main.

Feng Jun remplit à nouveau la cuillère et dit en souriant : « Tiens-toi droit. »

Song Qingshi se redressa comme si c'était un réflexe conditionné et ouvrit docilement la bouche.

Song Jincheng, dépité, demanda : « Et moi ? Je n’y ai pas droit ? »

Feng Jun lui jeta un regard et détourna lentement les yeux : « Que les gens de la cuisine te préparent quelque chose. »

Il continua à nourrir Song Qingshi en souriant, comme si lui seul existait à ses yeux.

Song Jincheng observa la déesse, ses yeux pleins de tendresse, puis Song Qingshi, les oreilles rouges, la tête baissée en train de boire sa soupe. Comment ne pas comprendre les intentions de la jeune fille ? Il en était jaloux au point d’en pleurer. Était-ce parce qu’il n’était pas assez beau ? Ou parce que sa personnalité n’était pas assez bonne ? Pourquoi les déesses ne préféraient-elles jamais les garçons beaux et ensoleillés, mais toujours ces jeunes hommes pâlichons et dociles ? Avait-il encore le temps de changer de style ? Une fois qu’il verrait Yuwen Yu, il l’attraperait pour aller boire, pleurer ses peines, et à deux, ils avanceraient main dans la main sur ce long et douloureux chemin du célibat...

Il transforma sa frustration en appétit, ordonnant au patron de l’auberge de lui servir huit grands plats qu’il dévora à pleines dents.

*

Hao Long, quant à lui, s’était remis de ses émotions.

Même si ses anciens maîtres, An Long et Yue Wuhuan, l’avaient qualifié d’abruti dont l’intelligence était remplacée par la force brute, il avait malgré tout progressé avec les années. Il avait au moins compris une chose : rester avec son ancien maître, ce bon à rien, ne lui apporterait jamais l’amour désiré. Il fallait imiter Yue Wuhuan pour espérer gagner le cœur de son nouveau maître.

Ainsi, lorsqu’il eut enfin la capacité de se transformer en humain, il choisit sans hésiter de fusionner les traits de Yue Wuhuan et de Song Qingshi, devenant un petit garçon de trois ans, aux longs cheveux noirs, aux yeux dorés de phénix, au teint de porcelaine. Un enfant absolument adorable et magnifique, irrésistible pour les humains !

Il s’était même inspiré des relations humaines et avait trouvé un moyen infaillible de forcer Song Qingshi à le prendre sous son aile.

Lorsque l’oiseau s’éloigna, Hao Long sortit discrètement de sa cachette, prit sa forme humaine, cacha son énergie démoniaque et entra dans l’auberge. Guidé par l’odeur, il trouva Song Qingshi et les autres en train de manger. Bravant l’aura terrifiante de l’avatar de Yue Wuhuan, il se jeta sans peur sur la jambe de Song Qingshi, la serra et cria en pleurant : « Papa ! »

Les baguettes de Song Qingshi tombèrent de ses mains sous le choc.

Feng Jun posa violemment son bol, le visage assombri, s’approcha et lui tira l’oreille en grondant : «Comment oses-tu parler comme ça, vilain garnement ? »

Hao Long en avait les larmes aux yeux. Après un moment de réflexion sur les relations humaines, il fit la moue, accepta de ravaler sa fierté, et murmura d’un ton plaintif : « Maman… »

 

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Note du traducteur :

J’ai choisi de mettre ‘elle’ pour Feng Jun quand c’est important dans le narratif et dans les dialogues, sinon c’est ‘il’ pour refléter qui le personnage est en réalité.

 

 

Traduction: Darkia1030

 

 

 

 

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