« J’ai l’impression d’avoir déjà vu cette fille quelque part. »
Comment était-on censé jouer le rôle d’une adorable fille ?
Le Seigneur divin du Pic Inextinguible fut confronté à un problème épineux sans précédent. Il y réfléchit longuement, puis ordonna à Kong Muhua de se présenter.
Kong Muhua était une curiosité du Pic Inextinguible … C’était un démon paon mâle, général d’avant-garde sur les champs de bataille, maniant deux haches géantes, semant la mort sur son passage. Mais sous forme humaine, il trouvait que les vêtements et bijoux des hommes manquaient de raffinement. Il préférait se déguiser en femme gracieuse. Il était d’une grande beauté, avec des yeux profonds comme l’eau d’automne, une silhouette souple et ondoyante, marchant comme un saule fragile battu par le vent, oscillant à chaque pas, avec l’élégance d’un reflet dans l’eau. Il adorait rivaliser de beauté avec les autres, excellait à faire la coquette, à jouer les séducteurs, si bien que peu de gens savaient qu’il était en réalité un homme.
Depuis des années, il figurait en tête des classements : rêve absolu des cultivateurs masculins, et cible numéro un sur la liste des renardes spirituelles des cultivatrices jalouses.
Ce jour-là, Kong Muhua, convoqué soudainement par le Seigneur divin, était un peu nerveux. Il craignait d’avoir commis une faute.
Le Seigneur divin congédia tout le monde, s’approcha de lui et l’examina en détail, de ses ornements capillaires à ses vêtements, de sa silhouette à ses mains et ses pieds, scrutant même la coiffure et les sourcils qu’il avait dessinés, écoutant sa voix, le faisant marcher quelques pas, puis sourit… avant de lui demander ce qu’aimaient les femmes.
Kong Muhua en resta pétrifié, tout son être de paon abasourdi.
Il avait l’impression que le Pic Inextinguible allait accueillir une Maîtresse.
Le Seigneur divin avait un goût irréprochable, un œil des plus exigeants. La beauté qui était parvenue à le séduire devait être d’une perfection inimaginable…
Kong Muhua était au bord des larmes. Il savait bien qu’il ne rivalisait pas avec la beauté du Seigneur divin. C’est pour cela qu’il avait opté pour le travestissement, prenant une voie détournée, cherchant l’originalité pour se démarquer. Mais désormais, même ce stratagème ne lui permettait plus de surpasser la future Maîtresse… Il avait l’impression que sa carrière de paon perdait tout son éclat, que faire la roue n’avait plus aucun sens. Il avait un besoin urgent de se blottir dans les bras d’un homme doux et séduisant pour y chercher du réconfort, partager un lit et, si possible, forcer un mariage — avec quelqu’un comme Bai Xianzun, par exemple…
Les quelques illusions que les autres nourrissaient encore à l’égard du Seigneur divin allaient devoir être abandonnées.
Peut-être que Bai xianzun accepterait enfin de devenir son compagnon taoïste?
À cette pensée, Kong Muhua laissa de côté sa tristesse et courut joyeusement répandre la nouvelle.
*
À la Tour Wutong, derrière les lourdes tentures de perles.
Le Seigneur divin ôta son manteau de plumes de neige, se lava soigneusement, puis se posta devant un miroir, examinant avec exigence son apparence. À partir du stade de la Division de l’esprit, un cultivant peut modifier son apparence et son corps. Se déguiser n’était pas difficile ; ce qui l’était, c’était de se déguiser selon les goûts de cette personne.
Il y réfléchit, puis adopta son apparence à l’âge de quatorze ans : une taille idéale, des traits ambigus, une taille fine que l’on aurait pu tenir d’une seule main. Il affina encore ses épaules, réduisit un peu l’ossature de ses membres, supprima sa cultivation jusqu’au stade de la construction des fondations, et obtint ainsi l’allure d’une beauté fragile.
Il se remémora les caractéristiques communes des cibles de mission dans la mémoire de Zhao Ye, repensa aussi à l’art impeccable du travestissement de Kong Muhua, ajusta les détails, dissimula sa pomme d’Adam, adoucit les contours de son regard, troqua sa flamboyance pour une douceur paisible. Seule la petite tache de naissance à la commissure de son œil, empreinte de séduction mondaine, ne put être masquée.
Il y réfléchit longtemps, puis abandonna l’idée de la faire disparaître.
Certes, la majorité des missions du système exigeaient une allure pur et innocent. Mais il savait que Song Qingshi préférait la séduction et la flamboyance. Il ne pouvait donc pas effacer entièrement la prestance de Yue Wuhuan… Il tenta alors un sourire devant le miroir, faisant renaître dans ses yeux de phénix un éclat de désir réservé à une seule personne.
C’est justement cette séduction dissimulée dans une aura pure, cette impudeur occasionnelle dans une attitude glaciale et sainte, qui pouvait entraîner un homme dans les abysses. Comme ce que Song Qingshi lui avait fait au lit : une jouissance inégalée.
Même en cas d’amnésie, la promesse devait être tenue.
Song Qingshi lui avait demandé de l’épouser, et il avait accepté. Ils étaient donc des partenaires taoistes à qui il manquait simplement la cérémonie officielle, sans aucune possibilité de reniement.
Il ne comptait pas forcer l’autre à faire quoi que ce soit. Mais il ne comptait pas non plus jouer les gentlemen face à un homme amnésique. Il utiliserait tous les moyens nécessaires.
Il ne voulait pas penser si ces moyens étaient fous ou pathologiques. Ses sentiments avaient déjà dépassé toute limite.
Song Qingshi lui avait dit, lors d’un traitement, que le désir n’était pas une honte, qu’il ne fallait pas réprimer ses instincts corporels, mais les exprimer pleinement, ce qui aidait à guérir.
Il espérait qu’il tiendrait parole, et ferait de son mieux… pour bien se soigner.
*
Monsieur Yue resta constamment aux côtés de Song Qingshi, ne quittant jamais sa chambre, lui administrant innombrables pilules et élixirs.
Les blessures de Song Qingshi guérirent rapidement, mais il avait un mauvais sommeil. Chaque matin, il se réveillait allongé sur les genoux de Monsieur Yue, avec les lèvres gonflées et gercées. Même après deux décoctions pour éliminer le feu interne, l’effet restait nul. Sans doute à cause du climat sec et de sa constitution affaiblie.
Monsieur Yue trouvait les décoctions trop amères, alors il lui fit boire du miel pour que ce soit plus agréable.
Song Qingshi lui en était extrêmement reconnaissant, le couvrait chaque jour d’éloges, le qualifiant de bonne personne.
Song Jincheng observait tout cela, convaincu que leur relation n’était pas une simple amitié intergénérationnelle. Même son propre père n’avait jamais été aussi attentionné envers lui quand il était malade, encore moins lui avait-il donné autant d’argent de poche sans compter ! Donc… Song Qingshi devait être le fils illégitime du grand-oncle Martial ! Et pour certaines raisons, ils ne voulaient pas le divulguer.
La dernière fois, les commissions du grand-oncle Martial l’avaient occupé jusqu’à minuit. Il était revenu en pleurant, puni face au mur.
Cette fois-ci, il devait saisir l’occasion, bien le servir, gagner sa faveur, et éviter de finir comme ses shixiong — même s’ils avaient retrouvé leurs cheveux grâce à des remèdes, ils étaient devenus la risée de la vallée et n’avaient toujours pas trouvé de petite amie.
Avec une grande ambition, Song Jincheng courait dans tous les sens pour acheter à Song Qingshi tout ce dont il avait besoin pour sortir.
Enfin, tout fut prêt.
Monsieur Yue déclara qu’il avait une affaire à régler et devait s’absenter. Avant de partir, il sortit une robe de cérémonie blanche à larges manches, disant qu’il l’avait commandée en urgence à l’atelier Qiao Yifang il y avait quelques jours, comme cadeau d’adieu.
La robe de Song Qingshi était depuis longtemps en mauvais état. En voyant ce vêtement à son goût, il en fut ravi, l’enfila sur-le-champ et remercia à plusieurs reprises.
Monsieur Yue sourit, remit de l’ordre dans ses mèches en désordre, puis prit congé.
Après avoir fini de préparer ses affaires, Song Qingshi s’apprêtait à partir quand il se rendit compte qu’il avait oublié de prévoir un moyen de transport. Song Jincheng avait séché les cours en douce et n’osait pas utiliser les navires spirituels ou montures de la Vallée de la Médecine. Le bourg où ils se trouvaient étant assez reculé, peu de cultivateurs y passaient ; il n’y avait ni porte des bêtes spirituelles, ni navires spirituels de haut niveau.
Debout au milieu de la rue, Song Qingshi et Song Jincheng se regardèrent en silence. Après de longues recherches, ils réussirent enfin à acheter deux chevaux spirituels relativement rapides. Après avoir consulté la carte, ils décidèrent de chevaucher trois jours jusqu’à la ville de Ruinan, où ils pourraient louer un navire auprès de la secte des bêtes spirituelles.
Ils enfourchèrent leurs montures et partirent dans un nuage de poussière.
Dès qu’il sortit de la ville, Song Qingshi sentit un regard posé sur lui. Il se retourna pour chercher du regard, et aperçut à nouveau ce bel oiseau immortel rouge qu’il avait déjà vu il y a quelques jours : il était revenu et ne cessait de le suivre.
Il lui fit signe.
L’oiseau descendit et se posa affectueusement sur son épaule, picorant doucement son oreille comme pour faire des câlins.
« Cet oiseau est vraiment magnifique, » dit Song Jincheng en riant en voyant leur interaction. Il sortit des graines de tournesol pour le taquiner. « Allez, viens, laisse ton grand frère caresser ta queue. »
L’oiseau écarlate tourna lentement la tête, le regarda un instant d’un air glacial, puis cracha brusquement une boule de feu en pleine figure. Les vêtements et les cheveux de Song Jincheng prirent feu. Pris de panique, il se débattit frénétiquement, projetant des étincelles dans tous les sens. La queue du cheval spirituel s’enflamma à son tour, le faisant sursauter de terreur. La monture bondit et s’élança droit devant, emportant un Song Jincheng hurlant de douleur.
Song Qingshi resta pétrifié. Il tourna lentement la tête vers l’oiseau rouge sur son épaule, comprenant enfin qu’il s’agissait là d’un redoutable prédateur, tout sauf docile.
L’oiseau frotta encore une fois sa joue, puis baissa la tête pour lisser ses plumes d’un air innocent, comme si rien ne s’était passé.
Les hurlements de Song Jincheng devinrent plus forts : « Qingshi, viens vite ! »
Son intonation montait d’un cran à chaque syllabe, au point que les deux dernières en devenaient méconnaissables.
Song Qingshi, sentant que quelque chose clochait, lança son cheval au galop. Arrivé sur les lieux, il vit une jeune fille en robe rouge, blessée et évanouie au bord d’une falaise. Il semblait qu’elle avait fait une chute depuis la montagne. Deux entailles saignantes barraient son front, ses bras et jambes étaient éraflés, et sa cheville semblait foulée.
La jeune fille était d’une beauté exquise : une peau légèrement dorée comme du miel, des traits dignes d’une peinture, pas un seul détail de son visage qui ne soit séduisant. Ses longs cils tremblaient doucement comme des ailes de papillon, et un petit grain de beauté rouge au coin de l’œil gauche lui donnait un charme particulier. Sa robe en voile de soie glacée rouge était déchirée à plusieurs endroits, son col entrouvert révélait un cou élancé et un soupçon de clavicule. Ses épingles de cheveux étaient de travers, ses mèches noires aussi douces que de la soie, légèrement ondulées aux pointes, répandues sur l’herbe émeraude…
Song Qingshi sentit son cœur s’embrouiller. « J’ai l’impression d’avoir déjà vu cette fille quelque part.»
Song Jincheng approuva : « Moi aussi, chaque fois que je vois une belle fille, j’ai ce sentiment de déjà-vu. »
Song Qingshi en resta bouche bée. Il se rendit compte un peu tard que ses paroles sonnaient comme celles d’un débauché. Il secoua la tête pour chasser toutes les pensées déplacées, puis s’accroupit pour examiner les blessures de la jeune fille.
« Les blessures à la tête sont assez graves. Il pourrait y avoir une légère commotion cérébrale. Il faut intervenir rapidement pour éviter que ça n’empire. » Song Qingshi sortit des aiguilles d’or, en planta plusieurs avec dextérité, utilisa son énergie spirituelle pour dissiper les caillots, puis prit une pilule Qingming, la dilua dans de l’eau et la lui administra.
« Tu sais ce que tu fais ? » demanda Song Jincheng, très inquiet. Il trouvait les techniques d’acupuncture de Song Qingshi étranges, comme jamais vues auparavant. Il craignait qu’il ne fasse semblant de s’y connaître et qu’il ne transforme cette jolie fille en idiote. Mais Song Qingshi agit avec rapidité et assurance, si bien qu’il n’eut pas le temps de l’arrêter. Il ne put que supplier, inquiet : «Emmenons-la plutôt dans une clinique, laissons un vrai médecin s’en occuper. »
Après avoir terminé les soins et pansé les plaies, Song Qingshi répondit, un peu perdu : « Pourquoi chercher un médecin ? Je suis médecin. »
Song Jincheng lui fit remarquer d’un ton grave : « Tu n’as pas l’air fiable. »
Song Qingshi, à nouveau remis en doute sur sa compétence, était légèrement vexé. « Je suis très bon en médecine. »
Song Jincheng insista, sérieux : « Tu connais la suture du moineau jaune ? Les dix-huit aiguilles de Dame Dong ? La méthode d’ostéopathie des Huang ? Ce sont des techniques transmises depuis près de mille ans, tous les médecins les maîtrisent. »
Song Qingshi demeura perplexe…
Song Jincheng soupira, secouant la tête.
Voyant que son image de médecin était sur le point de s’effondrer, Song Qingshi se justifia rapidement : « Je connais les quatre-vingt-huit aiguilles des esprits. »
« Les quatre-vingt-huit aiguilles des esprits ? Le plus grand art d’acupuncture, mystérieux et insaisissable ? » Song Jincheng faillit éclater de rire. « Frère, ça c’est un mythe ! Même la Vallée de la Médecine n’en a aucune trace. Tu l’as appris où, ce truc ? »
« Je ne m’en souviens plus. » Song Qingshi porta la main à son front. Cette technique semblait ancrée dans sa mémoire, instinctive, naturelle, comme s’il l’avait toujours pratiquée. « Mais je la connais vraiment… »
Il avait simplement oublié comment il l’avait apprise…
Song Qingshi y réfléchit longuement. Convaincu de ne pas être un charlatan, et voyant que Song Jincheng n’avait pas de meilleure idée, il s’accroupit à nouveau et utilisa ses aiguilles d’or pour réguler les méridiens de la patiente et favoriser sa guérison.
Le sang coagulé se dissipa. La jeune fille en rouge ouvrit lentement les yeux. Ses pupilles brumeuses se posèrent sur les deux garçons. Elle ramena discrètement son col pour couvrir les déchirures de sa robe, puis fixa Song Qingshi longuement avant de demander d’une voix douce : « C’est toi qui m’as sauvée ? »
« Nous ne faisions que passer, » répondit Song Qingshi, craignant d’être pris pour un malfaiteur. Il s’empressa de se présenter, ainsi que Song Jincheng, en tant que médecins. « Comment vous appelez-vous ? De quelle secte venez-vous ? Nous allons vous raccompagner. »
La jeune fille réfléchit longuement, secoua la tête et dit tristement : « Je ne sais pas. »
Song Jincheng s’exclama, surpris : « Toi aussi, t’as perdu la mémoire ? »
Il jeta un regard accusateur à Song Qingshi, soupçonnant que c’étaient ses aiguilles qui avaient causé des dommages au cerveau.
« Une commotion peut provoquer une amnésie temporaire. La situation de cette demoiselle est plus grave que prévu, il vaut mieux la garder en observation, » répondit Song Qingshi, très embarrassé sous son regard. Pour prouver la qualité de ses soins, il décida d’hospitaliser la jeune fille. Il sortit un carnet pour établir un dossier, mais ne connaissant pas son nom, ne put le remplir. Il réfléchit un instant, puis proposa : « On va l’appeler Xiao… »
La jeune fille en rouge, pressentant le danger, répondit précipitamment : « Je crois que je m’appelle Feng Jun. »
Song Qingshi resta figé, ratura le nom déjà griffonné dans le carnet — il pensait l’appeler Xiao Hong.
(NT : Feng Jun : noble phoenix ; Xuao Hong : petite rouge)
Traduction: Darkia1030
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