MISVIL - Chapitre 82 - Attachement profond

 

« Je te hais. »

 

Rendre l'argent emprunté est une règle céleste et morale.

Song Qingshi détestait devoir de l’argent, et encore plus lorsqu’il s’agissait d’une dette de vie. Il s’efforça de s’expliquer avec sincérité, espérant que cet homme, probablement un aîné de Song Jincheng, comprenne qu’il avait le sens de l’honneur et qu’il n’était pas du tout du genre à fuir ses dettes médicales. Qu’il s’agisse d’alchimie, d’exploration de domaines secrets, de petits boulots ou de vente à l’étalage, il ferait tout pour gagner de quoi rembourser !

Il n’était pas très éloquent, et bégaya longtemps pour s’exprimer...

L’aura de M. Yue devenait de plus en plus sombre. Même à travers son masque, on sentait clairement qu’il n’était pas content.

Song Qingshi paniqua encore plus. Les pierres spirituelles de haute qualité étaient une monnaie extrêmement précieuse. Un simple cultivateur au stade de la fondation, sans chance exceptionnelle ni talent particulier, n’en gagnait que quelques dizaines par an. Song Jincheng était un fils de bonne famille ignorant les réalités de la vie, c’est pourquoi il avait pu sortir un élixir aussi précieux valant huit cents pierres spirituelles. Mais maintenant que l’aîné venait le confronter, s’il le prenait pour un escroc, que faire ?

Il se rappelait que dans le monde de la cultivation, il n’existait aucune loi pour vous protéger : un arnaqueur pouvait se faire tuer sans recours.

« Ne t’inquiète pas », dit Song Jincheng, bien que ses jambes tremblent devant son grand-oncle, il trouva le courage de défendre son patient, « la Vallée de la Médecine ne tue pas les gens pour une dette de soin. Et d’ailleurs, le médicament m’appartenait. Personne ne te réclamera cet argent. Mon grand-oncle martial n’est pas là pour toi, il est venu m’attraper... »

M. Yue finit par lui jeter un regard : « Explique. »

« Ce petit frère, je l’ai rencontré à Minshan. Il pleuvait ce jour-là, et il était grièvement blessé », raconta Song Jincheng, sachant qu’il ne pourrait pas échapper à la punition. Il tenta d’alléger sa faute en mettant en avant son bon cœur et ses compétences, espérant sauver ses cheveux. « J’ai diagnostiqué précisément ses blessures, lui ai donné mon précieux Élixir des Huit Trésors pour protéger son cœur, et je lui ai sauvé la vie. Ses blessures étant trop graves, je ne pouvais pas rentrer à la Vallée de la Médecine… je suis donc resté ici pour le soigner. Grand-oncle martial, j’ai juste raté un examen, j’étais déprimé et suis sorti me promener. J’ai simplement rencontré un blessé incapable de se déplacer. Je ne fuyais pas l’école ! »

Rater un examen, partir avec bagages et économies pour « se promener », sans envoyer de nouvelle via oiseau messager pendant plusieurs jours ? Prenait-il ses aînés pour des idiots ?

Dire la vérité allégeait la peine ; mentir l’aggravait.

Depuis que le mot « petit frère » avait franchi les lèvres de Song Jincheng, l’aura de M. Yue s’était assombrie davantage, comme prête à exploser.

Inconscient, Song Jincheng continua à lutter : « Grand-oncle martial, j’ai eu tort. »

Voyant son air désespéré, Song Qingshi, pris de compassion, tenta de détourner la conversation : «Jincheng, cette personne est... ? »

Song Jincheng réalisa soudain qu’il n’avait pas présenté son grand-oncle martial. Il se hâta de le faire, passant sous silence son étrange passion pour les souris blanches, vantant au contraire ses vertus, sa sagesse et sa bienveillance. Il le décrivit comme un aîné respecté et vénéré de la Vallée de la Médecine, espérant qu’avec tant de louanges, ce dernier lui épargnerait une punition trop sévère...

Que ce soit dans le monde moderne ou dans celui des cultivateurs, un grand maître en médecine restait toujours une montagne qu’on regarde avec respect.

Song Qingshi, de plus en plus impressionné, adopta la posture d’un jeune saluant un ancien.

M. Yue, à bout de patience, le coupa net : « Tais-toi ! »

Il craignait que s’il continuait d’écouter, il finisse par céder à sa colère et découpe ce neveu stupide en huit morceaux à accrocher au sommet de l’Inaltérable.

Song Jincheng, ne comprenant pas son erreur, se tut, vexé.

M. Yue vit que Song Qingshi tentait de sortir du lit pour le saluer. Oubliant l’imbécile, il s’élança et le soutint doucement, empêchant tout mouvement inutile. Il prit une profonde inspiration, puis dit d’une voix douce : « Pas besoin de formalités. Laisse-moi examiner tes blessures. »

Song Qingshi trouva sa voix très belle. Lorsqu’il parlait doucement, elle prenait une teinte étrangement envoûtante, presque séduisante, qui chatouillait le cœur. Il avait l’impression de l’avoir déjà entendue quelque part, mais impossible de se souvenir où.

M. Yue le vit perdu dans ses pensées, sourit légèrement, puis utilisa directement sa conscience divine pour l’examiner.

Bien qu’il se soit préparé au pire, voir le dantian de Song Qingshi vide, son âme naissante disparue, de multiples fractures, d’innombrables blessures internes et externes… lui brisa le cœur. Il en voulait à l’univers, au système, à tous ceux qui avaient permis cela, au point de vouloir les réduire en miettes.

La seule consolation : le corps de Song Qingshi était intact, ses talents et ses deux feux spirituels encore présents. Il pourrait un jour lui rendre sa cultivation, quel qu’en soit le prix.

Les compétences médicales de de Song Qingshi étaient excellentes, mais faute de médicaments, la guérison serait lente, et il devrait endurer des souffrances prolongées...

M. Yue sortit une petite bouteille de porcelaine de sa pochette, en tira une pilule et la glissa dans la bouche de Song Qingshi. Pris au dépourvu, ce dernier sentit sa langue effleurer le bout des doigts de l’homme. Il comprit trop tard ; le médicament fondait déjà sur sa langue, glissait dans sa gorge.

C’était une Pilule d’Essence Osseuse de Niveau Dix — l’un des meilleurs remèdes pour guérir les blessures physiques, capable de ramener à la vie tout être encore respirant.

Bien qu’il sache en fabriquer, la pilule nécessitait le noyau interne d’une Bête Dorée, une créature rare, féroce, difficile à capturer. Et le processus de fabrication, complexe, prenait plusieurs jours.

Lors des ventes aux enchères, un noyau de Bête Dorée valait plus de dix mille pierres spirituelles. Les ingrédients secondaires coûtaient aussi plusieurs milliers. En ajoutant le travail…

Il venait donc d’avaler une pilule valant plus de vingt mille pierres, simplement pour soigner des blessures qui auraient guéri en quelques jours ?

Mais la pilule agissait déjà. Son corps guérissait, preuve qu’il ne s’agissait pas d’un faux.

Song Qingshi, réalisant que sa dette venait de grimper de plus de vingt mille, fut bouleversé. Il agrippa la manche de M. Yue, incapable de parler. Une dette aussi énorme… même s'il se vendait, il ne pourrait jamais la rembourser. Il balbutia : « Je suis vraiment pauvre en ce moment… je vais devoir travailler longtemps pour rembourser, petit à petit… »

Le Lotus Sanguin de Neuf Tours, l’Essence des Dix Mille Âmes… et tant d’autres élixirs, tous bien plus précieux qu’une simple pilule.

Autrefois, lorsqu’il s’agissait de lui, avait-il jamais hésité ?

« N’aie pas peur, tout cela t’appartient », dit M. Yue en voyant l’inquiétude de Song Qingshi. Il avait envie de sourire, mais n’y arrivait pas. Son cœur n’était rempli que d’amertume. Cet homme avait tout donné sans rien garder pour lui… Il cacha sa tristesse et dit doucement : « Tout ce que tu veux, je te le donnerai. »

Cent fois, mille fois, dix mille fois plus encore.

« Tu es vraiment gentil avec moi, est-ce qu’on se connaît ? » Song Qingshi sentit de nouveau une aura familière. Il pensa que l’homme devant lui était sans doute celui qui lui donnait de l’argent de poche. Puis, se rappelant ses récentes discussions avec Song Jincheng, il conclut que ce n’était sûrement pas son père biologique, ni même un proche parent. Il risqua alors une hypothèse audacieuse : « Tu es mon parrain ? »

Monsieur Yue : « ??? »

Song Jincheng fut pris de panique : « Grand-oncle Martial, c’est ton filleul ? »

Il venait d’espionner discrètement depuis le côté et avait trouvé l’ambiance étrange. Son maître était d’ordinaire sévère et froid, jamais doux avec qui que ce soit. Or, à présent, il faisait preuve de mille attentions envers ce jeune homme. Leur relation était manifestement anormale. En plus, il lui donnait de l’argent, des médicaments… Et si le maître n’était pas venu ici pour le punir, mais pour retrouver son filleul en détresse ?

S’il avait sauvé le filleul du maître, peut-être sa punition serait-elle allégée… peut-être même que ses cheveux seraient épargnés ?

Song Jincheng reprit espoir de survivre !

Monsieur Yue se retourna de nouveau et lui lança un regard glacial. Il comprit rapidement l’origine du malentendu et fut pris d’une furieuse envie de faire taire cet idiot. Pourtant, Song Qingshi n’était encore qu’au stade de construction de la Fondation. Il était incapable de reprendre en main la gigantesque Vallée de la Médecine. S’il annonçait soudainement que l’Immortel Médecin était sorti de sa retraite, cela ne ferait que provoquer des troubles et du danger inutiles. Il valait mieux attendre que sa cultivation atteigne de nouveau le stade de l’Âme naissante avant de lui rendre la Vallée.

Il ne voulait pas non plus que Song Qingshi se souvienne de quoi que ce soit lié à Yue Wuhuan. Il devait donc trouver un autre prétexte pour continuer à lui offrir des choses : pierres spirituelles, herbes médicinales, trésors magiques... sans oublier Pic Inextinguible et lui-même.

Le mot « parrain » était un peu trop provocant. Il préférait qu’un tel titre ne soit utilisé que dans des jeux intimes, pas dans une réalité familiale chaotique.

Heureusement, ce n’était qu’un avatar. Il pourrait toujours l’abandonner après usage…

Il comptait bien le faire disparaître à la première occasion.

Mais Monsieur Yue se sentait toujours contrarié. Il ne pouvait pas réprimander Song Jincheng devant Song Qingshi. Il enfila alors ses gants noirs, s’approcha, attrapa Jincheng par le col, ouvrit la fenêtre, et le jeta sans ménagement par celle-ci. Puis il ordonna : « Va m’acheter deux livres d’os de tigre, deux livres d’herbe en granulés et deux livres de pilules d’araignée bleue à la pharmacie du marché est ! Ensuite, trois talismans de feu à la boutique de symboles du marché ouest ! Puis, rapporte cinq livres d’eau de source du Cœur Souverain à Minshan ! Et cueille quatre liang de pistils de lotus au lac Inconnu ! Maintenant dégage ! »

Song Jincheng s’écrasa au sol, abasourdi. Sa tête et son visage étaient couverts de poussière et tout son corps souffrait. Entendant les ordres du maître et voyant que la nuit tombait, il craignit de se faire punir davantage s’il traînait. Il se releva à toute vitesse et partit accomplir les tâches.

Le monde retrouva enfin son calme après le départ de ce bavard.

Monsieur Yue vit dans les yeux de Song Qingshi une affection profonde et respectueuse. Cela fit naître en lui une sensation de suffocation qu’il n’avait pas ressentie depuis des millénaires. Il réfléchit rapidement, puis expliqua : « Inutile d’être si formel. Nous nous connaissons depuis longtemps. Toi et moi sommes de vieux amis, je ne suis pas ton aîné. »

Song Qingshi était perplexe : « Une amitié intergénérationnelle ? »

« Une relation plus profonde que cela », répondit Monsieur Yue avec un soupir. Ce terme était moins déroutant que d’autres, alors il ne le nia pas. Puis il demanda : « Qingshi, aurais-tu des troubles de mémoire ? »

Song Qingshi saisit la perche et répondit : « J’ai l’impression d’avoir oublié beaucoup de choses, y compris notre rencontre. Tu peux me raconter ? »

« Je suis désolé. J’étais en isolement à la Vallée de la Médecine depuis longtemps, je ne sais pas ce qui t’est arrivé. Tu viens de prendre une Pilule d’Essence Osseuse de dixième niveau. Son effet secondaire provoque un état de faiblesse mentale. Tu devrais dormir un peu. » Monsieur Yue sourit avec regret, alluma un encens apaisant, puis demanda l’air de rien : « Au fait, peux-tu me dire ce que tu as oublié ? »

L’encens Doux rêves n’était pas nuisible au corps et aidait à calmer l’esprit. Song Qingshi sentit que l’arôme contenait une formule légèrement différente, rendant son esprit confus et somnolent. À moitié endormi, il raconta ses récentes analyses et réflexions, évitant soigneusement les sujets liés à son voyage dans un autre monde ou au système.

Il parla longtemps, de nombreuses choses, sans savoir au final ce qu’il disait exactement.

Dans un demi-sommeil, il entendit Monsieur Yue lui murmurer à l’oreille, comme dans un rêve : « Tu as une nouvelle mission ? »

Song Qingshi, comme hypnotisé, répondit honnêtement : « Oui. »

Il sembla qu’on lui demanda aussi quelle était cette mission ? Mais lui-même ne comprenait pas vraiment ce que c’était. Il réfléchit longtemps, prudemment…

Mais il n’eut pas le temps de répondre. Il perdit totalement conscience, sombrant dans le sommeil.

Monsieur Yue, voyant qu’il s’était endormi, retira le masque d’argent de son visage, révélant des traits d’une grande beauté. Il s’approcha lentement, caressa doucement ce visage tant désiré, voulant l’enlacer mais craignant de le blesser.

Il ne pouvait se résoudre à utiliser le moindre médicament nocif ou méthode brutale sur lui. Il ne pouvait qu’essayer d’extraire quelques fragments de vérité à travers un simple rêve induit.

Bien que Song Qingshi ait évité de révéler les détails, c’était déjà suffisant…

C’était la réponse qu’il attendait.

Monsieur Yue écarta doucement le col de sa tunique pour vérifier ses blessures, et découvrit sur sa poitrine une trace de morsure encore visible… Le corps de Song Qingshi marquait facilement durant les moments intimes. Il n’avait jamais pu s’empêcher de mordre fort, de laisser sa marque, des jours durant.

Aujourd’hui encore, la position pâle mais persistante de cette trace était exactement la même que celle de leur dernière nuit ensemble.

Il n’était pas allé ailleurs pour accomplir une mission de salut.

Il n’avait aimé personne d’autre.

Il n’avait pas passé trois mille ans à souffrir de l’attente — il était revenu rapidement dans ce monde après sa disparition.

Une goutte d’eau tomba sur la trace de morsure.

Était-ce de la joie ou de la douleur ? Il ne le savait pas.

Il avait attendu trop longtemps… si longtemps qu’il ne savait plus comment exprimer ce sentiment complexe et profond.

« Je te hais. » Il baissa la tête, embrassa les lèvres qu’il n’avait cessé de désirer, savourant leur douceur, répétant encore et encore :

« Je te hais. Je te hais… »

Il releva la tête. Son visage était déjà couvert de larmes.

« Mais puisque tu es revenu… alors je te pardonne tout. »

 

Traduction: Darkia1030