La flamme la plus pure du monde se reconstitua pour former le corps le plus parfait sous les cieux, et la beauté la plus éclatante.
Vallée de la Médecine, centre d’élevage des souris blanches.
Yue Wuhuan nettoyait soigneusement les cages, changeait la nourriture, et vérifiait l’état de santé de chaque petite souris. Au fil des années, pour créer les souris spéciales souhaitées par Song Qingshi, il avait abandonné les méthodes de reproduction classiques consignées dans les ouvrages et avait tenté de combiner pilules et formations magiques. Il avait essuyé de nombreux échecs avant de mettre au point une méthode efficace. L’une des souris spéciales était enceinte ; elle donnerait peut-être naissance à davantage de petits aux caractéristiques uniques, assurant ainsi une production stable.
Cette portée de bébés souris serait le cadeau de fiançailles qu’il offrirait à Song Qingshi.
Yue Wuhuan aurait voulu passer ses douze heures de veille dans la salle d’élevage pour veiller sur la souris gestante, de peur qu’un incident ne survienne.
Soudain, la porte du centre s’ouvrit.
Yue Wuhuan se figea. Le centre d’élevage de la Vallée de la Médecine comptait plusieurs pièces similaires, la plupart abritant des souris ordinaires soignées par les apprentis. Mais celle-ci, dédiée aux souris spéciales, était une zone interdite : désinfectée de manière rigoureuse, maintenue propre, et seuls Song Qingshi, Qing Luan et lui-même étaient autorisés à y pénétrer.
Song Qingshi était sorti.
Qing Luan, elle, n’aurait jamais franchi la porte de manière aussi brusque.
Ni le brouillard toxique ni la barrière protectrice n’avaient réagi ; la liane de sang dissimulée par Yue Wuhuan non plus. Impossible de percevoir la moindre présence.
Dans le monde de la cultivation, cela ne pouvait signifier qu’une chose : l’arrivée d’un danger.
Un regard terrifiant se posa sur lui, l’observant sans retenue comme une proie magnifique sur le point de mourir. Un sifflement moqueur s’échappa.
Yue Wuhuan, en entrant dans le centre, s’était soigneusement désinfecté. Il portait une blouse blanche, et son masque doré était resté sur l’étagère à l’extérieur. L’attaque avait été si soudaine qu’il n’avait pas eu le temps d’activer sa technique du Jade Froid ni d’utiliser les toxines pour couvrir ses traits.
Il ne put qu’incliner la tête, exposant son visage éclatant, et demanda doucement : « Puis-je sortir ? »
Un étranger se tenait devant lui. Un cultivateur grand et séduisant, vêtu d’une tunique noire aux plumes dorées, couvert de talismans, une épée précieuse attachée à la taille qui brillait d’une lumière spirituelle — un objet d’une grande valeur. Il le regardait comme une plaisanterie, puis relâcha soudain une pression spirituelle immense, emplie d’intentions meurtrières, dans le but d’écraser ce simple cultivateur du stade de la fondation.
C’était un cultivateur de l’Âme divisée.
Yue Wuhuan parvint à peine à se tenir debout. À ses côtés, les petites souris blanches, frappées par l’onde de choc, poussèrent des cris stridents de douleur.
C’étaient les souris les plus précieuses aux yeux de Song Qingshi. Elles ne pouvaient être blessées.
Affolé, Yue Wuhuan activa une barrière enchantée pour protéger les cages et supplia : « S’il vous plaît, ne me tuez pas ici. Vous saliriez les lieux. Sortez pour me tuer. »
Le cultivateur de l’Âme divisée le regarda avec surprise, voyant qu’il ne fléchissait pas. Il aperçut alors les souris protégées par la barrière, fronça les sourcils avec dégoût, claqua des doigts : plusieurs lames de vent tranchèrent le toit, détruisirent les murs, projetant poussières et gravats sur les cages et le matériel. Des centaines de souris moururent ou s’enfuirent, anéantissant des années de travail…
Yue Wuhuan serra contre lui la cage contenant la souris enceinte, protégeant le tout de son corps.
Son chignon se défit, ses longs cheveux noirs se déployèrent, ses organes internes furent gravement endommagés sous la pression, et une traînée de sang coula au coin de ses lèvres…
Assis à terre, Yue Wuhuan regardait la scène devant lui, incrédule.
« Je vais me présenter : je m’appelle Zhao Ye, ou tu peux m’appeler Vénérable Immortel Yuanyang. (NT : canard mandarin)» L’homme s’avança, arracha violemment la cage des bras de Yue Wuhuan, la souleva entre ses doigts et dit avec mépris : « Quelle merde. C’est sale. »
Il lança la cage en l’air, relâcha plusieurs lames de vent qui la déchirèrent en morceaux, puis, appréciant l’expression choquée de Yue Wuhuan, traça un sceau. Un feu ardent surgit, réduisant en cendres les taches de sang et les cadavres. Il rit : « Maintenant, tu peux me regarder ? »
Yue Wuhuan tourna difficilement la tête, sur ses gardes : « Le Vénérable Immortel Yuanyang s’est enfermé en méditation il y a huit cents ans. Qui es-tu vraiment ? Quel est ton différend avec la Vallée de la Médecine ? »
Lorsqu’un cultivateur échoue à progresser, il entre en méditation finale, une forme de retraite dont il ne ressort qu’en cas de mort ou de percée. Les archives de la Vallée faisaient mention du cultivateur Yuanyang : un maître de l’Âme divisée connu pour sa volonté inébranlable. Il était réputé pour avoir disparu depuis longtemps. Pourquoi réapparaîtrait-il maintenant, sans avoir avancé dans sa cultivation, pour s’en prendre à lui ?
Zhao Ye éclata de rire. « Hahaha, huit cents ans ? Voilà pourquoi ce corps a une odeur bizarre, et des champignons qui lui poussent dessus. J’ai cru que c’était une momie. Reprenons : je suis l’agent temporel numéro 081. Je reviens du monde sauvage et j’ai reçu un ordre temporaire du système pour nettoyer les conneries causées par une recrue. »
Yue Wuhuan le fixait, hébété, sans comprendre un seul mot.
Zhao Ye se gratta la tête. Il avait une personnalité exécrable. Après sa mort, son âme avait été absorbée dans un système et il avait été sélectionné comme agent. Il avait accompli de nombreuses missions avec un excellent taux de réussite. Cette fois, la tâche avait été si urgente que le système avait implanté à la hâte un demi-livre de connaissances dans sa mémoire, lui ordonnant d’éliminer un figurant ayant bouleversé la trame du destin et de sauver le vrai protagoniste shou… avec une étrange condition supplémentaire :
Le système voulait obtenir le désespoir de Yue Wuhuan.
Ce genre de missions avec bonus rapportait gros, et Zhao Ye aimait les accepter. Celle-ci était simple comme des vacances.
« Le gars qui était chargé de te sauver, c’est Song Qingshi, hein ? Je n’ai jamais vu un bleu aussi débile, » dit Zhao Ye en s’accroupissant, souriant. « C’était une mission ultra-facile protégée contre l’échec. Il devait juste sauver le protagoniste shou. Et il a ramené une chair à canon comme toi ? »
Yue Wuhuan émergea lentement de la douleur causée par la destruction du centre. Il laissa apparaître une peur calculée, saisissant l’essentiel : « Qu’est-ce qu’un protagoniste shou ? »
Zhao Ye répondit : « Bai Zihao. C’est l’enfant du destin de ce monde. »
Yue Wuhuan réfléchit, puis demanda : « Et moi ? »
« Toi, tu es quelqu’un qui aurait dû mourir depuis longtemps. » Zhao Ye fulminait. « Ce bleu doit avoir un grain. Un protagoniste shou, c’est censé être pur, pas encore souillé par un homme, non ? Comment a-t-il pu confondre avec ce genre de débauché crasseux comme toi? »
Yue Wuhuan se mit à trembler.
Zhao Ye vit sa peur et frappa pendant que le fer était chaud. Il se mit à décrire avec force détails les scènes du livre : Bai Zihao le regardant se faire soumettre, les poses obscènes, les paroles impudiques… et son visage empli de honte. Il s’exclama avec jubilation : « Tu es vraiment une belle petite ordure. »
Mais quelle beauté, cette petite ordure…
Zhao Ye avait déjà mené ce genre de missions. Il préférait les protagonistes shou : propres, mignons, faciles à amadouer, un rien naïfs. Il suffisait de les sauver des griffes du méchant, les traiter avec douceur, les chérir, les combler… et la mission se terminait avec une note élevée.
Il n’aimait pas les beautés décadentes comme Yue Wuhuan. Pourtant, en voyant ce grain de beauté sous ses yeux phénix, ses traits somptueux, sa taille fine… un désir naquit en lui. Même sans bonus, il voulait l’écraser, le forcer au désespoir le plus profond… puis le tuer.
Il ne lui avait rien caché parce qu’il avait perçu la fierté dans ses os. Ce genre de fierté qu’il rêvait de détruire. Il allait le dépouiller de tout ce qu’il aimait, briser ce qu’il chérissait…
Et ensuite, le tuer.
Il l’humiliait habilement, phrase après phrase, cherchant les faiblesses dans le cœur de son adversaire.
Yue Wuhuan ne répondit que par : « Je n’y crois pas. »
Une chose aussi absurde, comment y croire ?
Zhao Ye était bien préparé. Lorsqu’il avait accepté la mission supplémentaire, il avait récupéré les données du jeune débutant. À présent, il utilisa une technique de rideau d’eau pour les montrer à Yue Wuhuan.
Dans l’image projetée par la technique, on voyait Song Qingshi au moment où il acceptait la mission du système. Bien qu’il ait été malade durant de longues années, amaigri au point d’en être méconnaissable, les cheveux courts et vêtu d’habits étranges, Yue Wuhuan reconnut tout de suite ces yeux d’une clarté limpide — c’était bien le garçon qu’il aimait…
Dans cet espace étrange, Song Qingshi prêtait serment devant une sphère curieuse :
« J’ai lu des dizaines de milliers de livres, j’ai une excellente mémoire, je possède de solides connaissances en médecine et en soins infirmiers, j’ai suivi des cours de psychologie, je peux résoudre tous les traumatismes physiques et mentaux du protagoniste passif, et en plus… j’ai beaucoup d’expérience en amour, j’aime communiquer, je… je peux absolument accomplir cette mission ! »
*
Les yeux grands ouverts, Yue Wuhuan resta figé. Ce ne fut qu’après la disparition de la projection qu’il revint à lui. Pris de panique, il supplia : « Je n’y crois pas… Je veux voir Qingshi… Je veux lui poser la question moi-même ! »
« Tu ne le verras plus, » répondit Zhao Ye avec un sourire cruel. « Il a commis une grave erreur, il a échoué dans sa mission, et il a été ramené de force pour être puni. »
Yue Wuhuan, abasourdi, demanda : « Quelle punition ? »
« J’ai échoué une fois, moi aussi, et on m’a effacé la mémoire. Je ne me souviens plus des détails, mais ça devait être très douloureux, » répondit Zhao Ye, inclinant la tête comme s’il essayait de s’en souvenir, sans succès. Il sourit : « N’y pense plus. Il ne reviendra pas te sauver. Tu ferais mieux de me supplier. Peut-être que je me montrerai magnanime et t’épargnerai. »
Dans les livres que le système lui avait donnés, Yue Wuhuan était décrit comme une beauté superficielle et écervelée. Son corps, inapte à la cultivation, n’avait atteint le stade de la fondation que grâce à des pilules. Maintenant que Song Qingshi avait été capturé, cet insecte qu’il pouvait écraser d’un doigt ne valait pas la peine qu’on s’y attarde. En revanche, les ébats décrits dans les romans étaient intrigants. Zhao Ye voulait vérifier si ce personnage voué à mourir était vraiment aussi séduisant et habile que dans les histoires. Si le service était bon, il pourrait lui accorder quelques jours de répit, puis le tuer une fois lassé.
Yue Wuhuan baissa la tête et, tremblant, dit : « Je supplie l’Immortel de m’épargner… »
Le feu dans la salle d’élevage était presque éteint, ne laissant derrière lui que des cendres noires et des étincelles dansant au vent.
Zhao Ye s’approcha, releva doucement le menton de Yue Wuhuan et murmura avec ambiguïté : « Voyons comment tu vas t’y prendre. »
Yue Wuhuan resta figé un moment, puis, tremblant, tendit les doigts vers la ceinture de la tunique de plumes dorées.
À peine l’avait-il touchée que Zhao Ye lui attrapa la main, l’examinant dans sa paume : «Quelle jolie paire de mains, parfaites pour servir un homme. Dommage qu’elles soient un peu calleuses. Tu devrais en prendre soin. »
Dans ses loisirs les plus dépravés, Zhao Ye aimait jouer avec les mains des beautés. Celles de Yue Wuhuan étaient les plus belles qu’il ait jamais vues. Rien qu’avec ces mains, il aurait pu s’amuser pendant deux semaines.
Yue Wuhuan tremblait de plus en plus. Il retira doucement sa main, s’y reprit à plusieurs fois, puis parvint enfin à détacher la ceinture et à désactiver la barrière défensive de la robe magique. Il leva alors un regard suppliant vers Zhao Ye, et sa voix douce contenait une pointe d’excitation sensuelle : « Wuhuan connaît bien des techniques… Il saura faire plaisir à l’Immortel. »
Quelle voix envoûtante. Elle devait être encore plus délicieuse lorsqu’il gémissait au lit.
Zhao Ye tendit la main, prêt à savourer pleinement cette beauté fatale.
Mais Yue Wuhuan recula de deux pas avec un sourire : « Pas si vite. »
Soudain, d’innombrables lianes rouge feu jaillirent du sol, s’enroulant frénétiquement autour du corps de Zhao Ye.
Ce dernier comprit que la petite souris comptait encore se défendre. Mais à quoi bon ? Face à une telle différence de puissance, se déshabiller ou non ne changerait rien. Il ricana, déchira aisément les lianes, qui tombèrent dans le feu et se mirent à brûler, émettant des gerbes d’étincelles. D’autres lianes de sang jaillirent, tentant de l’empêcher d’avancer. En vain. Il s’avança pas à pas vers ce figurant en pleine résistance, le regard glacial : « Je voulais être doux, mais tu ne sais vraiment pas saisir ta chance. »
Yue Wuhuan recula lentement, paraissant misérable, tenant fermement le col de sa robe. Ses magnifiques yeux de phénix débordaient de supplication, mais il ne disait rien, excitant encore davantage les pulsions sadiques de l’homme en face.
Zhao Ye, grisé par l’excitation, ne remarqua pas ce qui se passait derrière lui. Une sublime papillon doré et rouge s’échappa du feu, se mêla discrètement aux étincelles flottantes, se posa silencieusement sur la nuque de Zhao Ye… l’engourdissant aussitôt. Le poison se répandit, son corps, pourtant si puissant, commença à se décomposer, ses membres tombant un à un…
Yue Wuhuan se redressa. L’expression de détresse sur son visage avait disparu, remplacée par un sourire fou et avide de sang.
Zhao Ye comprit enfin : ce n’était pas un idiot décadent comme l’indiquaient les données. Toute sa peur et sa faiblesse n’étaient qu’un jeu d’acteur, pour affaiblir sa vigilance, effondrer ses défenses… et attendre le moment fatidique.
Le papillon du Nirvana avait enfin trouvé son cobaye.
« Immortel… Cette technique vous plaît-elle ? »
« Immortel… Avez-vous pris votre pied ? »
« Immortel… »
Le corps de Yue Wuhuan tremblait encore légèrement. Il regardait les morceaux de chair pourrissante suintant un liquide noir et nauséabond, sans la moindre compassion dans les yeux, seulement du dégoût. Il évita soigneusement les éclaboussures impures, enferma l’âme pécheresse dans une lanterne spirituelle spécialement conçue, et dit avec un sourire :
« Cette lanterne, je l’avais faite pour Qingshi. Dommage que tu l’aies souillée. Elle ne m’intéresse plus. »
L’âme de Zhao Ye se débattait furieusement dans la lanterne, cherchant à en sortir pour tuer ce fou.
« Dans ses paroles et ses gestes, Qingshi montrait tant de décalage avec ce monde… Il ne cherchait même pas à le cacher, » dit doucement Yue Wuhuan, tenant la lanterne dans ses mains. « Je savais depuis longtemps qu’il n’était pas d’ici… Mais j’avais peur. Peur que si je posais la question, il disparaisse. »
« Alors j’ai fabriqué cette lanterne. Si jamais il quittait ce monde, je pourrais le récupérer, le garder pour toujours à mes côtés… Je serais très doux avec son âme, je ne le blesserais pas.»
Il hésita un instant, puis demanda à Zhao Ye : « Est-ce que… c’est maladif ? »
Zhao Ye, piégé dans la lanterne, fulminait intérieurement, maudissant ses ancêtres sur dix-huit générations.
*
La barrière du Royaume Secret d’Outre-Tombe l’empêchait de sentir le sang de phénix, mais à cet instant précis, Song Qingshi devrait être déjà revenu.
Yue Wuhuan s’était rongé les ongles jusqu’à les arracher, mordant ses doigts jusqu’à en faire couler des filets de sang, tentant de se calmer. Mais la douleur ne faisait qu’attiser son angoisse. De plus en plus agité, il déchira furieusement cette âme haïe avant de la reconstituer : « Rends-moi Qingshi ! Il est à moi ! »
Il savait parfaitement comment torturer une âme, la déchirant encore et encore, la recomposant sans répit.
Zhao Ye souffrait à en perdre la raison. Son âme, constamment affaiblie, finit par se fissurer.
Yue Wuhuan en profita pour s’y infiltrer et lire directement ses souvenirs.
Mais… il n’avait pas menti…
Cette histoire invraisemblable était vraie. Song Qingshi avait accepté une mission du système : sauver le shou principal du roman, Bai Zihao. Pourtant… pour une raison inconnue, il s’était trompé de personne. Il avait sauvé Yue Wuhuan à la place, provoquant ainsi l’échec de la mission. Et l’échec signifiait : retour dans l’espace système, punition et effacement de la mémoire… avant de recommencer une nouvelle mission.
Il ne parvenait pas à localiser le système…
Il ne parvenait pas à retrouver Song Qingshi…
Yue Wuhuan fut pris d’une terreur absolue. Il s’entailla les poignets avec ses ongles, traçant des sillons sanglants, luttant désespérément pour se convaincre de ne pas céder à la peur.
Qingshi l’aimait.
Qingshi lui avait promis que, lorsque les souris spéciales seraient élevées, ils deviendraient partenaires spirituels. Mais… où étaient passées les souris blanches ?
Hésitant, Yue Wuhuan se retourna et contempla les ruines calcinées encore fumantes. Il se jeta dedans sans la moindre précaution, ignorant la chaleur brûlante, renversant poutres effondrées et décombres, à la recherche des petites souris encore en vie, ou des recherches de Qingshi sur les souris blanches.
Ses mains furent couvertes de cloques brûlées, son corps entièrement brûlé, mais il continuait, fouillant sans relâche. Chaque effort ne lui apportait que plus de désespoir.
Un pressentiment d’apocalypse s’installa peu à peu dans son cœur.
Ses petites souris n’existaient plus…
Son partenaire… avait-il disparu lui aussi ?
Le bonheur n’était-il qu’un mirage, un rêve naïf et insensé ?
Soudain, Yue Wuhuan se souvint de quelque chose. Il sortit de sa bourse magique la plaque de vie de Song Qingshi. Elle était couverte de fissures, sur le point de se briser. Il rassembla toutes sortes de matériaux pour tenter de la stabiliser, d’empêcher sa destruction. Mais les fissures ne cessaient de croître, devenant de plus en plus nombreuses, de plus en plus profondes…
Le collier d’attachement à son cou céda sous la pression du désespoir, se retournant contre lui.
L’amour qu’il avait contenu si longtemps jaillit avec violence, pulvérisant les fils fragiles qui maintenaient sa raison.
Plus il aimait, plus son désespoir était abyssal.
Yue Wuhuan serra la plaque presque brisée contre lui. Incapable de se tenir debout, il s’écroula sur les ruines. Il sentit soudain une humidité au coin de ses yeux. De curieuses gouttelettes tombèrent sur le sol noirci. Pleurait-il ? Il toucha du doigt cette humidité, la porta à sa bouche et goûta… C’était si amer qu’il en eut un haut-le-cœur.
C’était… ses larmes ?
Il pouvait encore pleurer ?
Quel ridicule…
La respiration de Yue Wuhuan devint chaotique, de plus en plus rapide, jusqu’à ne plus pouvoir respirer. Son cœur se tordait de douleur, sa tête s’embrouillait. Il savait qu’il était au bord de la rupture. Il savait qu’il devait croire en Qingshi, qu’il devait l’attendre, qu’il ne devait pas sombrer dans ses pensées, mais les souvenirs tirés de l’âme de Zhao Ye revenaient sans cesse, l’assaillant, inévitables.
Song Qingshi avait mal compris la mission, sauvé la mauvaise personne, offert sa tendresse à la mauvaise cible.
Bai Zihao était la bonne réponse. Lui, Yue Wuhuan, était la mauvaise.
Comment Song Qingshi traitait-il les erreurs ?
Quand son ancêtre se trompait, il corrigeait soigneusement…
Quand ses amis se trompaient, il les abandonnait sans pitié…
Quand son propre cœur de Dao s’égarait, il le détruisait proprement…
Et maintenant… il était devenu cette erreur.
Yue Wuhuan se prit la tête entre les mains, ses mâchoires grinçant dans un craquement d’angoisse. Il poussa un cri rauque, dévasté. Il ne pouvait pas continuer à penser ainsi.
Il se recroquevilla lentement dans l’ombre, tremblant de tout son corps. Il se griffa frénétiquement les mains jusqu’à faire couler le sang, jusqu’à en arracher la chair. Il voulait détruire ces mains si belles, si bonnes à servir les hommes. Il ne voulait plus de ce corps, de ce visage, de ces cheveux, de ces yeux. Il voulait tout anéantir.
Yue Wuhuan était un fou malveillant, son corps était impur, son cœur n’était pas bon. Il ne pouvait pas être ce protagoniste shou pur et adorable que tout le monde protégeait.
Il était une erreur. Il n’avait pas le droit d’être sauvé.
« Qingshi, ne m’abandonne pas… »
*
An Long arriva à la Vallée de la Médecine à l’aube. Il constata que la barrière avait été brisée, la formation toxique désactivée de force. Tous les habitants de la vallée avaient été plongés dans un sommeil magique et dormaient éparpillés, pêle-mêle.
La vallée était devenue un trésor aux portes grandes ouvertes, livrée aux voleurs.
Heureusement, la nouvelle ne s’était pas encore trop répandue. Peu de monde était arrivé.
An Long libéra des nuées de gu parasites, qui dévorèrent vivants deux moines démoniaques. Les autres prirent la fuite, paniqués. Il scruta les environs de son esprit spirituel, et finit par localiser Yue Wuhuan. Il fronça les sourcils, sentant un malaise croissant. Il dissimula son souffle et s’approcha silencieusement.
Ce qu’il trouva, ce furent des ruines calcinées. Yue Wuhuan était recroquevillé à l’ombre des décombres. À ses côtés, un petit voleur au niveau de la Fondation, une dague courbe à la main, s’approchait furtivement. Profitant de l’inattention, il leva son arme, rempli d’une intention meurtrière, visant sa gorge.
Yue Wuhuan… ne réagit pas.
An Long ramassa négligemment une pierre et la lança — elle traversa instantanément le crâne du petit voleur. Il s’approcha à grandes enjambées, curieux de voir ce que ce fou était encore en train de faire. Mais dès qu’il vit clairement l’homme devant lui, il resta figé...
En une seule nuit, les cheveux noirs de Yue Wuhuan étaient devenus blancs. Son visage et son corps étaient couverts de blessures sanglantes. Tous ses ongles avaient été arrachés, les interstices remplis de sang séché. Sa beauté incomparable avait disparu. Et pourtant, il ne semblait ressentir aucune douleur. Il continuait à s’arracher la peau des bras avec ses doigts, comme s’il voulait s’anéantir totalement. La seule chose qu’il protégeait précieusement dans ses bras, c’était cette plaque de vie, abîmée et presque complètement brisée.
An Long ne pouvait plus supporter la scène. Il attrapa sa main pour essayer de l’empêcher de continuer cette terrible automutilation. Mais alors, les hallucinations auditives dans son esprit réapparurent, chuchotant faiblement, cherchant à raviver ses instincts meurtriers.
« Tue-le, tue-le… »
« Tue-le, tue-le… »
« C’est lui qui t’a volé la personne que tu aimais… »
« C’est lui qui t’a précipité dans l’abîme… »
« … »
An Long saisit Yue Wuhuan par le col, le tira hors de l’ombre et le jeta sous la lumière du soleil : « Lève-toi ! Dans cet état-là, je n’ai même plus envie de te tuer ! »
Yue Wuhuan, toujours serrant la plaque de vie contre lui, s’effondra au sol sans opposer la moindre résistance. Même face à une intention meurtrière monstrueuse, même face à un ennemi qu’il haïssait, il ne voyait ni n’entendait plus rien.
Cet homme était complètement brisé.
An Long, bien qu’il haïsse profondément Yue Wuhuan, devait admettre qu’il avait été doté d’une beauté bouleversante, d’un talent sans égal. Il avait été un adversaire de valeur. Mais le voir ainsi se détruire jusqu’au bout faisait étrangement disparaître la haine en lui, la remplaçant par un vide, une solitude, une sorte de désarroi.
Il tenta de le ramener à la raison : « Tu sais que Qingshi a disparu ? »
Les yeux de Yue Wuhuan frémirent légèrement.
Saisissant ce changement, An Long insista : « Je l’ai vu être happé par un espace étrange. Tu sais ce que c’était ? »
Il répéta la question plusieurs fois.
Finalement, Yue Wuhuan répondit d’une voix presque inaudible : « Parce que… je ne suis pas le shou principal. »
« Le shou… quoi ? » An Long ne comprit pas. Il insista, posa à nouveau la question, mais Yue Wuhuan ne répondit plus. Alors il tenta de raconter ce qui s’était passé dans le Domaine des Ténèbres : que Song Qingshi était venu pour le tuer, qu’il l’avait grièvement blessé, que Qingshi avait envisagé l’auto-destruction de son noyau… Il employa même des paroles cruelles, espérant faire réagir Yue Wuhuan, qu’il l’attaque avec son sourire éclatant, ses sarcasmes habituels, même une provocation…
Mais Yue Wuhuan ne fit rien.
Il n’était plus qu’un cadavre vivant, une coquille vide, à peine différente d’un mort.
« Tu n’as pas fini de délirer ?! » An Long perdit patience, il souleva Yue Wuhuan, voulut lui asséner quelques coups pour le réveiller. Mais face à ce corps couvert de blessures, il ne savait même pas par où commencer. Finalement, il se dégonfla et ricana : « Qingshi est vraiment un pauvre type. Aucun de ses amis n’est normal, et le gars qu’il aime encore moins. Tout ce qu’il a fait pour toi, il l’a fait pour rien. Il est mort pour rien… »
Yue Wuhuan serra encore plus fort la plaque de vie, sans un mot.
À ce stade de détérioration, une plaque de vie signifiait clairement la mort dans le monde des cultivateurs.
« Le cœur sans attachement de Qingshi est sur le point de se briser. Ma nature démoniaque devient incontrôlable. S’il ne me tue pas, toi, tu mourras de ma main. » An Long n’avait aucune envie d’expliquer les voix qu’il entendait ni de rejeter sa propre noirceur. Il connaissait Song Qingshi depuis des années, comprenait un peu sa manière de penser, et supposa : « Il n’était pas sûr de pouvoir me tuer. C’est pour ça qu’il ne t’a rien dit, qu’il a déplacé le combat hors de la Vallée de la Médecine… Il ne voulait pas mourir sous tes yeux, de peur que tu voies son cadavre et que ça aggrave ta maladie. »
« Hah, il ne supportait même pas que tu sois blessé, même au moment de mourir… »
« Sa dernière phrase avant de disparaître, c’était de me demander de ne pas te tuer… »
« Yue Wuhuan ! Relève-toi ! »
« C’est moi qui ai causé la mort de Qingshi ! Venge-toi ! »
« Où est ton poison ? Ton épée ? Tes lianes de sang ? Allez ! »
Yue Wuhuan réagit enfin lorsqu’il entendit « lianes de sang » : « Chance… »
An Long, déconcerté : « Quelle chance ? »
Yue Wuhuan ne parla plus. Après un long silence, il se leva lentement, repoussa An Long, et avec ce corps mutilé, recouvert de sang, titubant, il quitta la Vallée de la Médecine.
Qingshi lui avait un jour dit : dans le désespoir, la chance finira par venir.
Il allait chercher cet endroit… cet endroit porteur de chance.
*
An Long avait déjà examiné l’état de son corps et savait qu’il ne vivrait pas longtemps. C’est pourquoi il ne tenta pas de l’arrêter. Il s’assit, abattu, au pied d’un mur effondré, leva les yeux vers le ciel assombri, sortit une gourde d’alcool de sa bourse magique, en but une gorgée, et se mit à rire de lui-même : « Mais qu’est-ce que tout ça signifie, au juste ? »
Les voix dans son esprit s’affaiblissaient, devenaient de plus en plus confuses, mais continuaient à bourdonner :
« Ne le laisse pas partir ! »
« Tue-le vite ! Tue-le, tue-le ! »
« Il va se retourner contre toi ! »
An Long murmura : « Qingshi disait que si je le tuais, je le regretterais. »
Les voix dans sa tête répliquèrent aussitôt :
« Il te mentait ! »
« Vous êtes faits pour vous entre-déchirer ! Jusqu’à la mort ! »
« Tue-le vite ! Tue-le ! Tue-le ! »
« Deux fois… Qingshi est mort deux fois par ma faute ! » An Long jeta violemment sa gourde de vin au sol, s’appuya contre son front douloureux, un sourire grimaçant et déformé aux lèvres : « Il ne m’aimait pas, mais jamais il n’a trahi mes sentiments ! Il préférait mourir plutôt que de me mentir ! »
« C’est toi le menteur ! Tais-toi ! »
Les voix dans sa tête s’interrompirent net.
*
Au sommet du Pic Indestructible, les flammes rugissantes capables de consumer l’âme elle-même étaient si brûlantes qu’aucun être vivant ne pouvait s’en approcher d’un pas.
Et pourtant, cet endroit mortel était devenu son unique terre de chance.
Un éclair zébra le ciel, grondant de rage, la pluie se déversa à torrents, le vent violent souffla en rafales, déracinant les arbres gigantesques, comme pour désespérément entraver sa progression.
Le monde regorgeait décidément de coïncidences.
Yue Wuhuan ne put s’empêcher de rire. Sans la moindre hésitation, il sauta une nouvelle fois dans l’abîme du Pic indestructible, plongeant droit dans la gueule de la mort. La même étrange bourrasque revint, voulant le pousser vers une fissure latérale pour lui sauver la vie. Cette fois, il refusa ce hasard salvateur…
Et il tomba enfin dans la mer de flammes.
Peau, cheveux, chair, os… toute impureté, toute souillure fut réduite en cendres. Ses canaux spirituels fragiles furent anéantis. Il accepta cette douleur suprême de son plein gré, comme s’il se trouvait dans la terre pure la plus bienheureuse. La marque de phénix dans son dos, ressentant cette allégresse, déploya enfin ses ailes, libérant son âme de l’enveloppe charnelle pour fusionner avec le feu.
Renaissance du phénix. Mourir pour mieux renaître.
La flamme la plus pure du monde se concentra à nouveau, reformant un corps parfait, l’être le plus magnifique du ciel et de la terre. Il sortit lentement des cendres, noble, puissant, inviolable. Seule une larme rouge sang au coin de l’œil persista, ajoutant à cette pureté sacrée une pointe de désir, comme une divinité tombée dans les ténèbres, souillée par l’abîme.
Les flammes du sommet s’évanouirent, la barrière se brisa, la terre trembla, les roches s’effondrèrent, et lentement, un palais somptueux émergea : des escaliers de jade blanc incrustés de perles lumineuses, de jade, de pierres précieuses sculptées formant des jardins remplis de paulownias. Au centre du palais, une tour dorée s’élevait, perçant les nuages…
Il revêtit une robe de brocart somptueuse, s’assit sur le trône en hauteur et regarda froidement le ciel.
Les nuages noirs se dissipèrent avec rage, le tonnerre gronda une dernière fois avant de se taire. Même la voie céleste ne pouvait défier cette puissance ancienne, divine. Elle dut temporairement se retirer.
Les oiseaux célestes, les créatures ailées, ressentirent l’aura du roi et accoururent des quatre coins du ciel.
Le couple d’oiseaux Biyin se posa, prenant forme humaine, devenant deux jeunes filles gracieuses, prosternées de part et d’autre du trône dans une dévotion absolue.
(NT : Biyiniao (比翼鸟), ou oiseau à ailes partagées, est un oiseau légendaire décrit comme une paire d’oiseaux mâle et femelle qui partagent une seule paire d’ailes et un seul œil chacun. Ils ne peuvent voler que lorsqu’ils sont ensemble, symbolisant l’unité parfaite et l’amour éternel entre deux êtres.)
Bifang, Xuan Niao, Peng, paons… une myriade d’oiseaux baissèrent leur fière tête, se soumettant de tout leur être. C’était une obéissance inscrite dans les os et le sang, une foi née de la nature. Ils étaient prêts à tout pour leur roi suprême.
« Divin Souverain, que désires-tu ? »
La divinité assise sur le trône couvrit légèrement son nez, trouvant l’air trop impur pour être respiré.
Ce monde devait être purifié. Il fallait effacer toute saleté, toute laideur. Il devait anéantir ce nom souillé, ce passé de haine, cette réponse erronée…
« Je veux une pluie de sang, des vents de carnage, des montagnes de cadavres et des mers de sang… »
« Je veux devenir une existence que tous craindront… »
« Je veux qu’à partir de maintenant… le nom Yue Wuhuan disparaisse à jamais de ce monde… »
Traduction: Darkia1030
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