MISVIL - Chapitre  67 - La goutte d'eau perce la pierre

 

(NT : Une goutte d'eau, à force de tomber toujours au même endroit, finit par percer une pierre dure. L’idiome signifie que la persévérance peut venir à bout de quelque chose de solide ou de difficile)



"Wuhuan, j’ai vu l’espoir."



Yue Wuhuan utilisait de l’Encens Tissage de Rêve, par groupes de trois bâtonnets, progressant par étapes. Lorsqu’on en respirait l’arôme, la mer spirituelle entrait en confusion, s’ouvrait entièrement, permettant à celui qui maniait l’encens de la modifier ou de la contrôler à sa guise. Son usage était cependant limité : il ne pouvait être employé sur un cultivateur au niveau supérieur à celui de l’utilisateur, sous peine de contre-attaque mentale. Et parfois, face à une volonté exceptionnellement ferme, l’effet pouvait échouer.

Rong Ye, lui, ne possédait ni volonté de fer, ni un haut niveau de cultivation – il n’était encore qu’au stade du raffinage du Qi. Il était une proie parfaite, facile à manipuler.

Yue Wuhuan excellait dans l’art du supplice mental. Il pouvait pousser quelqu’un au suicide, ou le transformer en simple d’esprit.

Un traître ayant autrefois vendu la Vallée de la Médecine, après avoir respiré le troisième bâton d’encens, sombra dans la folie. Il s’était écorché vif de ses propres mains, puis s’était fracassé le crâne contre un mur.

Qing Luan avait enterré son corps dans le jardin médicinal. Elle avait vomi à plusieurs reprises, hantée ensuite par des cauchemars.

Heureusement, Rong Ye s’était repenti à temps…

Yue Wuhuan lui avait laissé une échappatoire, une chance de se repentir.

Grâce à un traitement combiné de pilules apaisantes et de décoctions calmantes, Rong Ye parvint peu à peu à distinguer rêve et réalité, et finit par revenir à lui. Il ouvrit les yeux sur Qing Luan assise au bord de son lit, veillant sur lui avec tendresse. En repensant à ses pensées stupides, il fut pris de honte, de culpabilité et de peur. Il n’osait affronter personne, et s’enfouit sous la couverture, pleurant à chaudes larmes.

Qing Luan, voyant son état, demanda un congé pour lui, afin qu’il puisse se reposer convenablement.

Sous la couverture, Rong Ye demanda à voix basse : « Qing Luan-jie, quand est-ce que je pars pour le Pavillon de la Technique céleste? »

Depuis qu’il était arrivé dans le monde de la cultivation, il n’avait jamais quitté les Monts Yanshan ni la Vallée de la Médecine. L’idée d’aller au Pavillon de la Technique Céleste l’effrayait. Il redoutait d’y devenir apprenti artisan. Mais il savait aussi qu’il avait commis une faute grave, et que cette opportunité était la seule voie de salut que Qing Luan avait pu lui obtenir.

Il n’avait pas le droit de refuser.

« Tu partiras une fois que tu seras rétabli. Je vais en informer le Maître Suprême », répondit doucement Qing Luan. Elle ajouta pour le rassurer : « Le Pavillon de la Technique Céleste est un bon endroit. Cette fois-ci, l’ancienne Liao qui recrute les disciples est une cultivatrice très talentueuse. Devenir son élève, c’est une belle opportunité. Tu n’aimes pas vraiment l’alchimie, mais avec elle, tu pourras davantage exprimer tes talents. »

Rong Ye répondit par un sanglot étouffé, acceptant à demi-mots.

*

Le lendemain, Qing Luan informa Song Qingshi du départ prochain de Rong Ye vers le Pavillon de la Technique Céleste.

Song Qingshi gardait une bonne impression de ce jeune élève vif et joyeux. Il se souvenait que la veille encore, Rong Ye avait voulu étudier auprès de Yue Wuhuan et avait même pris une montagne de devoirs. Et voilà que maintenant il voulait quitter la Vallée ? Aurait-il été découragé par la difficulté de ses leçons ?

Qing Luan lui sourit pour dissiper ses doutes : « Rong Ye a toujours aimé construire des mécanismes. En apprenant que l’Ancienne Liao du Pavillon de la Technique Céleste recrutait des apprentis issus du monde mortel, il s’est précipité pour s’inscrire. On peut dire que c’est le destin. »

Ming Hong, qui connaissait bien le caractère de Rong Ye, doutait de cette version et comprit rapidement la vérité.

He Qingyun, lui, ne comprenait pas du tout. Il s’écria, anxieux : « Ah Ye veut devenir artisan ?! »

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase : Ming Hong lui écrasa violemment le pied, lui arrachant un cri de douleur.

« Qing Luan-jie ne nous ferait jamais de mal », dit Ming Hong en posant la main sur l’épaule de ce crétin et en lui pinçant fort le bras, lui soufflant à voix basse : « Rong Ye aime les travaux manuels. C’est lui qui a choisi cette voie. »

He Qingyun comprit enfin, changea aussitôt de ton et fit mine d’approuver, l’air misérable : « Oui, il adore le bricolage. »

Song Qingshi observa leur manège, puis sourit : « Chacun suit sa propre voie. C’est très bien ainsi. »

Après avoir vérifié rapidement les devoirs et s’être assuré que chacun avait bien travaillé, il quitta la salle d’étude, disant qu’il allait au laboratoire pour poursuivre ses recherches.

Qing Luan, voyant que le Maître ne s’intéressait pas au sort de Rong Ye, poussa un soupir de soulagement. En se retournant, elle croisa les regards obstinés de He Qingyun et de Ming Hong, qui brûlaient de savoir ce qu’il s’était vraiment passé. Elle comprit que ces garçons étaient ses amis, qu’elle ne pouvait pas leur cacher la vérité, mais qu’il fallait aussi préserver la dignité de Rong Ye. Elle leur expliqua alors avec tact que Rong Ye avait commis une faute, qu’il devait quitter la Vallée pour un temps, et les encouragea à bien le raccompagner ces prochains jours. Si Rong Ye parvenait à apprendre un métier au Pavillon de la Technique Céleste et à achever son apprentissage, ils auraient sans doute l’occasion de se revoir.

Elle était la grande sœur de cette bande de jeunes. Tous avaient confiance en elle.

Chacune de ses décisions, chacun de ses choix, étaient guidés par le désir de leur assurer le meilleur avenir possible.

En pensant au départ de Rong Ye, les autres furent gagnés par la tristesse.

Qing Luan elle-même avait le cœur serré. Après quelques mots de réconfort, elle décida de se plonger dans l’étude pour se changer les idées. Depuis que le Maître s’était intéressé à ses recherches, Yue Wuhuan lui avait fourni une quantité astronomique de ressources, avec une douceur surprenante, l’encourageant à travailler dur. Elle comprit aussitôt son intention et redoubla d’efforts, exploitant chaque heure du jour au maximum, peinant à atteindre à peine le niveau d’exigence fixé.

Ce jour-là, un atelier de concoction de pilules était prévu. Tous les apprentis se trouvaient à la salle d’étude. La bibliothèque, elle, était déserte et silencieuse.

Qing Luan trouva rapidement le livre de médecine dont elle avait besoin, puis s’assit à son bureau et, imitant les habitudes du Maître, recopia les points essentiels dans ses notes.

Elle était complètement absorbée par son étude, oubliant le passage du temps, la lumière et les ombres qui changeaient.

Soudain, les chants d’insectes et d’oiseaux à l’extérieur s’évanouirent, le vent cessa, et toute la bibliothèque devint silencieuse, comme coupée du monde. Peu à peu, une chaleur brûlante imprégna l’air. Cette sensation effrayante… Où l’avait-elle déjà ressentie ?

Secte Yan Shan ? La mort de Xie Que ?

Une ombre terrifiante l’envahit.

Qing Luan comprit que quelque chose n’allait pas. Paniquée, elle laissa tomber ses documents et voulut s’échapper de la bibliothèque.

Mais il était trop tard.

La bibliothèque tout entière était enveloppée dans une barrière de flammes, toutes les issues étaient coupées.

Derrière elle, elle entendit doucement le bruissement d’un livre que l’on feuilletait.

Elle se retourna lentement… et vit le Lotus de Feu et le Feu fantôme du Monde souterrain s’épanouir dans les airs. Les fleurs de lotus rouge et noir portaient avec eux l’odeur de la mort. La scène de la mort de Xie Que lui revint en tête, et elle comprit enfin que le véritable maître de Vallée de la Médecine était cet homme debout devant le bureau, en train de feuilleter sérieusement ses notes.

Un visage juvénile, une nature douce, jamais une parole sévère…

Elle savait pourtant qu’il était un tigre effrayant, mais s’était quand même laissé tromper, encore et encore, perdant peu à peu toute lucidité.

Dans ce monde, y avait-il vraiment des cultivateurs du niveau de l’Âme naissante si faciles à duper ?

Le visage pâle, Qing Luan se força à rester calme, s’inclina et dit : « Maître, avez-vous des ordres à me donner ? »

« Rien de spécial », répondit Song Qingshi en refermant le carnet, avec un sourire. « Il y a des choses que je voulais te demander depuis longtemps, mais je n’avais jamais trouvé l’occasion. Aujourd’hui, les gens du Pavillon de la Pluie Nocturne sont venus faire les comptes, Wuhuan est occupé à les recevoir. J’ai eu un moment de libre, alors je me suis dit que je viendrais bavarder avec toi. »

Qing Luan avala sa salive. En voyant les lotus dans les mains de Song Qingshi, elle comprit qu’il n’était pas venu les mains vides, et que ce qu’il voulait savoir, c’était le secret de Yue Wuhuan. Si elle parlait, elle n’en sortirait pas indemne ; si elle ne parlait pas, elle n’en sortirait pas vivante non plus. Elle se mit à réfléchir frénétiquement : comment traverser cette crise sans y laisser sa peau ?

« Je n’aime pas obtenir des informations de cette manière », dit Song Qingshi avec gêne, «mais cette affaire est trop importante pour moi. Je dois comprendre. Dis-moi : que s’est-il passé entre Yue Wuhuan et Rong Ye ? Pourquoi Rong Ye est-il parti au Pavillon de la Technique céleste ? »

Qing Luan répondit avec un sourire : « Hier soir… Frère Wuhuan a parlé à Rong Ye de la sélection d’apprentis au Pavillon, et l’a encouragé à aller y apprendre un métier. »

Song Qingshi réfléchit un instant : « Donc… Rong Ye était si content qu’il en est tombé malade ? »

Qing Luan força un sourire, puis ajouta : « Il était triste de devoir partir… »

Song Qingshi la fixa un long moment. Les lotus dans sa main tournoyaient doucement. Il rappela froidement : « Tu te souviens ? Je peux lire les âmes. »

Qing Luan resta figée. Elle l’avait vu de ses propres yeux lire la mémoire de Xie Que dans sa mer spirituelle, et y découvrir le mot de passe du Sceau de l’Acacia.

« Ne me cache rien. La sensation d’une fouille d’âme est très désagréable, et il y a un risque de dommage à la mer spirituelle. Même le suicide ne sert à rien, on peut encore lire les derniers souvenirs après la mort », dit finalement Song Qingshi, relâchant toute la pression spirituelle d’un cultivateur de l’Âme naissante. Ilt ordonna froidement : « Ne fais pas de choix stupide. Dis tout. »

Le tigre ouvrit les yeux, sortit ses griffes et déchira les mensonges, ne tolérant plus aucune duperie.

Qing Luan s’effondra au sol. Elle savait qu’il n’était plus possible de cacher quoi que ce soit. Elle raconta donc tout, honnêtement : les pensées cachées de Rong Ye envers le Maître, les erreurs qu’il avait commises, et la leçon qu’il avait reçue de Yue Wuhuan. Elle fit de son mieux pour minimiser les faits, en présentant tout comme une erreur de jeunesse de Rong Ye, punie et corrigée à temps, avec une fin heureuse.

Mais Song Qingshi releva encore plus d’indices suspects : « Le cachot ? Dans le coin du jardin ouest ? Celui que j’utilisais autrefois pour cultiver des champignons vénéneux ? »

Quand il dirigeait la Vallée de la Médecine, le cachot n’était qu’un décor. N’ayant pas utilisé les champignons récemment, il avait totalement oublié cet endroit.

Qing Luan aurait voulu se gifler. Instaurer une prison secrète, désobéir à son supérieur, manipuler le pouvoir, éliminer les opposants… Tout ce que Yue Wuhuan avait fait ne supporterait aucune inspection dans les autres sectes. Même s’il avait sauvé le Maître, ses instincts de contrôle terrifiant et son obsession possessive, une fois révélés… Dans sa tête, les proverbes historiques tels que « l’oiseau abattu, l’arc est rangé ; le lièvre mort, le chien est cuit» surgissaient (NT : idiome exprimant qu’une fois que quelqu’un ou quelque chose devenu inutile, on s’en débarrasse, même si cette personne a été loyale et méritante). Les larmes lui montèrent aux yeux, la peur l’envahit totalement.

Song Qingshi demanda d’un ton perplexe : « Et mes champignons vénéneux ? Vous les avez mis où ? »

Qing Luan répondit en sanglotant : « Frère Wuhuan leur a construit une nouvelle salle de culture… »

Song Qingshi fut soulagé : « Ah, tant mieux. »

Qing Luan cessa de pleurer : « ??? »

Avait-elle mal compris ce qui était important ?

« Allez, ne pleure plus », dit Song Qingshi en voyant à quel point elle était effrayée. Il rangea précipitamment les deux lotus de feu, et dit avec gêne : « Désolé, je voulais juste te faire peur. Je n’aurais pas vraiment fouillé ton âme. »

La fouille d’âme était une chose extrêmement risquée, et elle ne permettait de retrouver que des fragments de mémoire. Il était impossible de lire de façon complète tous les souvenirs d’une vie.

Il n’avait jamais eu l’intention de blesser Qing Luan. Il avait seulement peur qu’elle ne dise pas la vérité, alors il avait mis en scène cette démonstration pour lui faire peur.

Et si même ainsi il n’obtenait pas de réponse… il n’aurait eu d’autre choix que de laisser tomber.

Heureusement, ceux qu’on peut le plus facilement tromper dans ce monde… ce sont ceux qui ne mentent jamais.

Qing Luan repensa à la scène qui venait d’avoir lieu, et se rendit compte que Song Qingshi n’avait même pas menti. Et pourtant, elle était tombée dans le piège. Elle ne savait pas si elle devait se réjouir d’avoir survécu, ou regretter d’avoir dit la vérité. Son cœur était en désordre, incapable d’exprimer ce qu’elle ressentait, et elle se remit à pleurer, tout à fait bouleversée.

C’était la première fois que Song Qingshi se montrait dur avec une fille. Il se sentit un peu coupable, et lui tendit rapidement un mouchoir en disant d’un ton sec : « Je ne te ferai plus peur à l’avenir. »

Qing Luan prit le mouchoir, regarda sa douceur et sa bienveillance, pensa à sa propre bêtise… et éclata en sanglots encore plus fort.

Song Qingshi bredouilla : « J’ai observé Rong Ye en cachette, et j’ai deviné ce qu’il s’était passé. Ça m’a rendu heureux, et je suis venu vers toi pour confirmer. »

Qing Luan, confuse, demanda : « Heureux ? »

Song Qingshi sourit : « Avant d’avoir le fin mot de l’histoire, tu pensais que Wuhuan allait épargner Rong Ye ? »

Qing Luan réfléchit longtemps, puis secoua la tête : « Même moi, je ne pouvais pas supporter les idioties que Rong Ye a dites. Il a mis le doigt sur la blessure la plus profonde de Wuhuan. Son manque de respect envers le Maître, c’était comme une provocation directe pour Wuhuan. J’avais vraiment l’impression qu’il allait allumer trois bâtonnets d’encens Tissage de Rêve, et torturer Rong Ye à mort. Je ne sais pas pourquoi il a changé d’avis… peut-être à cause de son jeune âge, de son ignorance… »

« De l’ignorance ? Vous êtes restés trop longtemps à l’abri dans la Vallée, » dit Song Qingshi en souriant. « Le monde de la cultivation est rempli de dangers, de meurtres pour des trésors, de combats à mort pour les mystères des terres secrètes. Est-ce que Xie Que a épargné quelqu’un parce qu’il était jeune et ignorant ? Moi-même, quand je voyageais à l’extérieur, j’ai tué de nombreuses personnes qui m’étaient antipathiques. Ai-je seulement discuté avec elles ? » Il réfléchit un instant, et ajouta, un peu vexé : « Bon, en même temps, je ne suis pas très bon pour discuter non plus… »

En tant que cultivateur solitaire, il suffisait de montrer un peu de faiblesse pour être dévoré vivant par les bêtes sauvages.

Le monde de la cultivation n’avait pas de lois. Si on était tué, personne ne réclamerait justice.

Song Qingshi n’avait pas demandé en détail ce que Yue Wuhuan avait fait ces dernières années, car ce n’était pas nécessaire. Un simple disciple de niveau de construction de la fondation qui avait réussi à se procurer tant d’herbes médicinales rares, qui avait acquis la réputation d’un fou redouté par tous… Ce n’était pas par intelligence ou éloquence, mais par une cruauté gravée dans ses os, et les mains couvertes de sang.

À force de massacres répétés, l’âme se tordait de plus en plus, la folie prenait racine, et la vie n’avait plus de valeur.

Comment aurait-il pu épargner Rong Ye juste parce qu’il était "ignorant" ?

Qing Luan pensa aux cadavres enterrés dans le jardin médicinal, et son visage devint livide.

« Ce que Rong Ye a fait a directement aggravé l’état de Wuhuan. Logiquement, cela ne pouvait être toléré, » expliqua sérieusement Song Qingshi en regardant Qing Luan. « Ce que je voulais confirmer, c’est qu’il ne l’a épargné que pour te faire plaisir. »

Qing Luan murmura : « Wuhuan n’a jamais épargné personne à cause de supplications… »

Elle avait le cœur trop tendre, peu adaptée à la cruauté du monde de la cultivation. Elle avait commis beaucoup de bêtises, et ce n’est qu’après avoir été punie plusieurs fois par Yue Wuhuan qu’elle avait appris à détourner les yeux, à réparer les dégâts, à faire les choses les plus dures.

Song Qingshi constata : « Si Rong Ye était mort, tu aurais énormément souffert, non ? »

Qing Luan hocha la tête avec prudence. Rong Ye était pour elle comme un frère, un compagnon de survie. Leurs souvenirs étaient innombrables et précieux. Elle n’aurait jamais pu le regarder mourir sans rien faire. Même si l’espoir était mince, même si elle devait être sévèrement punie, elle devait essayer de le sauver. Sinon, elle en souffrirait toute sa vie.

Song Qingshi sourit : « Il a senti ta douleur, et il a reculé. C’est une bonne chose. »

Qing Luan n’avait toujours pas tout compris.

« Ça prouve que le cœur de Wuhuan est encore là. Il peut encore ressentir les émotions des autres, » dit Song Qingshi, son sourire s’élargissant. « Sa douceur n’a pas complètement disparu. Elle est seulement enfermée sous d’innombrables couches d’ombre, si profondément qu’il ne peut plus la voir lui-même. C’est pour ça qu’il a reculé face à ta douleur, et qu’il a pris une décision différente de l’habitude. »

Qing Luan avait un cœur pur, bienveillant et désintéressé. Pendant dix ans, elle avait veillé, accompagné sans jamais rien attendre en retour, aidé de tout son cœur, semant son dévouement goutte à goutte…

Finalement, goutte à goutte, l’eau avait usé la pierre.

Elle avait planté dans l’obscurité du cœur de Yue Wuhuan une minuscule graine de bonté.

Restait à savoir si cette graine pourra devenir un arbre.

« Sa folie n’est pas aussi grave que je le craignais, » se réjouit Song Qingshi. « Sinon, pour des raisons de sécurité, j’aurais été obligé de vous envoyer tous au manoir isolé, de sceller la Vallée, et de rester seul avec lui… en attendant une fin inévitable. »

Qing Luan regarda Song Qingshi, hébétée. Tout à coup, elle eut la sensation que lui non plus… n’était pas tout à fait normal.

Elle croyait que Song Qingshi ignorait à quel point Yue Wuhuan était fou… mais à présent, il semblait qu’il le comprenait même mieux qu’elle ?

Y avait-il vraiment quelqu’un en ce monde capable d’accepter une telle folie ? Capable d’aller aussi loin pour un fou ? Et si… lui aussi était fou ?

Qing Luan secoua discrètement la tête, chassant cette pensée terrifiante de son esprit, puis demanda : « Que puis-je faire pour Wuhuan ge? »

« La maladie de Wuhuan… ce n’est pas encore le moment de la guérir, et cela pourrait même devenir plus difficile à l’avenir. Ne t’en fais pas, et n’aie pas peur, » dit Song Qingshi en lui remettant les documents posés sur la table, avec sérieux. « Tu n’as qu’à rester fidèle à tes convictions, continuer tes recherches sur les médicaments que tu veux développer, suivre les idéaux de ton maître, et devenir une bonne médecin. »

Le Seigneur Immortel de la Médecine était le meilleur médecin du monde céleste. Le traitement qu’il avait prescrit à Yue Wuhuan devait être le meilleur possible.

Qing Luan comprit qu’elle faisait montre de ses modestes talents devant un maître, et dit avec un peu de gêne : « Je vais m’appliquer à apprendre. »

« C’est de ma faute si je t’ai fait peur aujourd’hui, » Song Qingshi, après un moment de réflexion, décida de lui offrir une compensation. « J’ai récemment concocté un nouveau lot de Pilules d’Ouverture du Qi. Avec en complément une Poudre d’Élargissement des Méridiens, cela peut améliorer la constitution physique et vous aider à atteindre le stade de la fondation. Je te les remettrai plus tard. Tu n’auras qu’à les distribuer aux apprentis selon leurs racines spirituelles. Beaucoup d’entre eux ont une constitution médiocre, ils auront besoin de ces pilules pour progresser. Une fois la fondation atteinte, leur espérance de vie s’allongera, ils ne souffriront plus des maladies humaines ordinaires, et cela leur donnera plus de temps pour étudier et faire des recherches. »

Ces derniers jours, il avait observé les constitutions des apprentis, et conclut que pour la plupart, atteindre la construction de la fondation serait déjà un accomplissement maximal.

Seul Ming Hong avait une meilleure aptitude, adapté à la cultivation, et pourrait peut-être progresser davantage grâce à l’épée.

À ces mots, Qing Luan fut si émue que des larmes lui montèrent aux yeux.

Elle savait que les pilules concoctées par le Seigneur Immortel de la Médecine étaient les plus efficaces, mais aussi très précieuses. Même les grandes sectes ne les donnaient pas à leurs disciples ordinaires à peine entrés. Et voilà que, selon les paroles de Song Qingshi, chaque apprenti recevrait une Pilule d’Ouverture du Qi sur mesure. Avec en plus la Poudre d’Élargissement des Méridiens pour ajuster leur constitution… Même avec un talent médiocre, tant qu’ils possédaient une racine spirituelle et faisaient des efforts, ils avaient une chance d’atteindre la construction de la fondation.

Qing Luan balaya aussitôt toutes ses pensées sombres et remercia encore et encore. Elle jura devant le ciel qu’elle ne gaspillerait pas les trois cents années que lui apporterait la fondation. Elle consacrerait tout ce temps à l’étude, et entraînerait avec elle tous ces enfants, pour être à la hauteur des attentes du Seigneur. Elle mènerait les recherches sur les médicaments, deviendrait une médecin compatissante et talentueuse, et propagerait à travers le monde les idéaux de son maître et la réputation de la Vallée.

Quelle autre signification peut bien avoir une vie humaine, sinon apprendre et faire de la recherche ?

Song Qingshi fut très satisfait de l’entendre ainsi.

La barrière de flammes avait été depuis longtemps dissipée, la porte de la bibliothèque était de nouveau ouverte, et une brise fraîche s’engouffrait par les fenêtres.

Qing Luan n’avait plus envie de partir. Elle se frotta les mains avec excitation, prête à se plonger dans l’étude à corps perdu.

Song Qingshi dit soudain : « Je suis vraiment heureux de t’avoir rencontrée. »

Qing Luan fut interloquée en entendant cela.

Song Qingshi sauta légèrement sur le rebord de la fenêtre, lui sourit et dit : « Merci ! »

Puis, sous les yeux ébahis de Qing Luan, il sauta du rebord et disparut.

*

Le ciel était déjà sombre, les apprentis quittèrent tous la salle de cours, les lieux étaient devenus bruyants et animés.

Yue Wuhuan le cherchait partout, le cœur plein d’inquiétude. La Liane de Sang qui le suivait avait soudain perdu le contact avec le Maître. Son esprit ne pouvait pas couvrir toute l’étendue de la Vallée, et, en plus, les cultivateurs envoyés par l’Immortel Yelin étaient très bavards, sans compter qu’une souris blanche gestante avait eu des complications… Après avoir réglé tout cela, il découvrit que le Maître n’était ni au laboratoire, ni à l’académie, ni à la bibliothèque, ni au palais Fuling… Cette disparition le rendait de plus en plus nerveux.

Song Qingshi apparut soudain devant lui, et lui prit joyeusement la main.

Il la serra très fort, refusant de la lâcher.

Yue Wuhuan poussa enfin un soupir de soulagement. Il demanda avec prudence : « Maître, tu as l’air très heureux ? »

Song Qingshi répondit gaiement : « Oui. »

Yue Wuhuan demanda : « Il s’est passé quelque chose de bien ? »

Song Qingshi s’arrêta, leva les yeux, jeta un regard méfiant au ciel qui s’assombrissait, puis sourit légèrement. D’une voix presque inaudible, il dit doucement : « Wuhuan, j’ai vu l’espoir. »

 

Traduction: Darkia1030

 

 

 

 

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