MISVIL - Chapitre 54 - Festival des fleurs de Nanhai

 

 

Alors, Maître, ne les regarde pas. Regarde moi seulement, d'accord ?

 

L’ensemble des disciples de Chiyun furent convoqués pour s’agenouiller dans le temple ancestral. Les paumes de Niannian étaient rougies par les coups de son maître, et elle pleurait à chaudes larmes.

Tous les livres inappropriés furent brûlés, un enseignement rigoureux fut imposé, l’attitude envers l’apprentissage rectifiée, et la vision du monde corrigée.

Song Qingshi était très satisfait de la manière dont Xianjun Yan Yuan avait traité l’affaire. Il demanda à Yue Wuhuan d’offrir à la petite Niannian une collection complète de manuels de mathématiques et de lui envoyer régulièrement des exercices par oiseau messager. Il comptait surveiller ses progrès, organiser des contrôles et l’aider à aller plus loin sur la voie des formations et des talismans.

Xianjun Yan Yuan en fut ravi et le remercia à plusieurs reprises.

Lan Shijie et ses sœurs promirent également d’aider l’Immortel Roi de la Médecine à superviser les études de l’enfant, jurant de ne plus tolérer ses caprices.

Niannian pleura encore plus fort. Son maître avait raison : derrière une apparence douce se cachait un véritable démon. L’Immortel Roi de la Médecine était un homme cruel et impitoyable. Elle ne voulait plus rêver de l’épouser en grandissant, c’était bien trop effrayant ! Yue Wuhuan était bien mieux—son tempérament était doux, son sourire chaleureux, et il l’avait même défendue en demandant à son maître de ne pas être trop strict. Il disait qu’un enfant devait apprendre à son rythme, qu’il choisirait des manuels plus simples pour rendre son apprentissage plus agréable.

Elle se dit que, plus tard, elle préférerait épouser un homme comme Yue Wuhuan.

Après avoir vérifié l’état de santé de Xianjun Yan Yuan et s’être assuré qu’il n’avait rien de grave, Song Qingshi se prépara à partir avec Yue Wuhuan.

Yue Wuhuan s’inquiéta : « Si nous partons, qu’arrivera-t-il à grand frère An ? Il disait avoir envie de boire, mais il n’est pas venu en ville. Où a-t-il bien pu aller ? »

« Il est probablement parti faire des bêtises, » répondit Song Qingshi en riant. « Ce n’est pas un enfant, et il maîtrise les sorts de traque. S’il a besoin de nous, il saura nous retrouver. Il a toujours été imprévisible, et parfois, au beau milieu d’une mission, il disparaissait sans prévenir, ce qui était extrêmement agaçant. D’ordinaire, je le laisse simplement se débrouiller… Ne t’inquiète pas, s’il y a un problème, il nous enverra un message. »

Yue Wuhuan, un peu déçu, abandonna l’idée de le chercher.

Tous deux partirent à cheval pour Nanhai Cheng. Cette ville jouissait d’un printemps éternel, où fleurs et splendeurs ne fanaient jamais. Le Festival des Fleurs battait son plein et avait transformé toute la ville en un véritable royaume floral. Chaque maison était ornée de fleurs éclatantes, leur parfum flottait partout dans l’air. Les restaurants proposaient des plats à base de fleurs, et les jeunes filles comme les jeunes garçons portaient des fleurs à leurs tempes, riant et jouant dans les rues. Même les grands-mères de soixante-dix ou quatre-vingts ans ne résistaient pas à l’envie d’accrocher quelques petites fleurs blanches parfumées à leur poitrine.

Song Qingshi n’avait jamais assisté à un Festival des Fleurs et trouvait tout cela très intéressant.

Discrètement, il jeta un coup d’œil à l'aide-mémoire caché dans sa manche, confirma ses réponses et s’apprêta à expliquer les coutumes locales à Yue Wuhuan.

Mais Yue Wuhuan sourit et l’interrompit : « Seigneur, je suis déjà venu ici. »

« Quand ? » demanda Song Qingshi avant de comprendre immédiatement. Dans sa mémoire, Yue Wuhuan était toujours ce jeune homme qu’il avait recueilli dans la Vallée de la Médecine. Il oubliait sans cesse qu’il avait dormi pendant dix ans et qu’il n’avait pas suivi l’évolution de Yue Wuhuan, restant figé dans le passé.

Ce qu’il n’avait pas accompli, Yue Wuhuan l’avait fait lui-même. Là où il n’était jamais allé, Yue Wuhuan s’y était déjà rendu.

Il se trouva vraiment stupide.

« Je sors rarement, » dit Song Qingshi en souriant. « Wuhuan, veux-tu me faire visiter ? »

Pendant le Festival des Fleurs, Nanhai était bondée de visiteurs, et la foule se pressait de toutes parts.

Song Qingshi ne pouvait pas se frayer un chemin à l’aide du feu alchimique, ni utiliser ses poisons pour blesser des innocents. De plus, il se laissait facilement distraire par les nouveautés des étals, et il se retrouvait sans cesse emporté par la foule, s’égarant à plusieurs reprises.

Yue Wuhuan ne pouvait pas utiliser la Liane de Sang pour l’attraper en plein milieu de la rue. Il hésita encore et encore, jusqu’à ce que Song Qingshi, à cause de son visage juvénile, se fasse de nouveau arrêter par un vendeur ambulant qui essayait de lui vendre des fruits. Cette fois, Yue Wuhuan tendit la main, attrapa son bras et le tira vers lui.

« Il y a trop de monde, ne te perds pas. »

Song Qingshi venait d’acheter deux petits fruits bleus. Il en prit un et le lui tendit avec un sourire : « Tu veux goûter ? »

« C’est très acide, ce n’est pas bon, » répondit Yue Wuhuan en prenant le fruit. « Si tu veux essayer, je te le préparerai avec du sucre avant de te le donner. »

À peine eut-il fini de parler qu’il vit Song Qingshi essuyer le fruit et en croquer une bouchée avant qu’il ne puisse l’arrêter.

« C’est sale. »

Song Qingshi réfléchit un instant : « Je ne trouve pas ça acide, c’est plutôt bon. »

Yue Wuhuan soupira, impuissant : « C’est acide. »

Song Qingshi jeta le fruit et éclata de rire : « Je plaisante, c’est effectivement aigre. »

Le soleil était déjà haut dans le ciel. Yue Wuhuan l’entraîna dans une maison de thé propre et choisit une table près de la fenêtre. Il sortit son propre service à thé, le nettoya soigneusement plusieurs fois, puis donna une pierre spirituelle au serveur pour qu’il leur apporte des pétales de fleurs propres.

Il prépara lui-même une théière de thé aux fleurs et sortit ses propres pâtisseries, les disposant soigneusement devant Song Qingshi.

Depuis le début du voyage, dès qu’il en avait l’occasion, il faisait toujours cela.

Song Qingshi savait à quel point il était maniaque de la propreté et accepta docilement son offrande. Jetant un coup d’œil autour de lui, il remarqua que les autres clients de la maison de thé détournaient discrètement le regard, évitant de les observer. Même le couple assis à la table voisine se leva rapidement pour partir.

Seuls quelques passants curieux, fascinés par la beauté du masque de Yue Wuhuan, osaèrent le fixer en cachette.

Auparavant, lorsqu’An Long était là, tout le monde le fuyait, ce qui semblait normal—après tout, un malamute a toujours l’air féroce.

Mais maintenant qu’An Long était absent, pourquoi les gens continuaient-ils à les éviter… ?

La réputation de l’Immortel Roi de la Médecine était certes redoutable, mais il sortait rarement, et très peu de gens le connaissaient réellement. La dernière fois qu’il avait emmené Yue Wuhuan à Lecheng, il n’avait pas rencontré une telle situation. Il venait à Nanhai pour la première fois, il était donc encore moins probable qu’il y ait laissé une quelconque trace.

Alors, ces gens… avaient peur de Yue Wuhuan ?

Wuhuan, qu’as-tu fait ?

L’expression de Song Qingshi se fit de plus en plus grave.

Yue Wuhuan jeta un regard aux alentours, comprit son hésitation, puis expliqua avec un sourire : « Chaque année, lors du Festival des Fleurs, des marchands marins viennent ici. À l’époque, Ye Lin m’avait transmis un message m’informant qu’une source de Résine Bleue avait été découverte, alors je suis venu. »

La Résine Bleue était une herbe spirituelle extrêmement rare, précieuse pour la régénération des membres.

Song Qingshi hocha la tête, comprenant aussitôt : il avait fait ce voyage pour lui trouver un remède.

« J’ai déboursé une somme colossale pour acheter la Résine Bleue, mais des malfrats ont décidé de me prendre pour cible, » dit Yue Wuhuan avec une pointe de fausse contrariété. «En me voyant simple pratiquant au stade de la construction de la Fondation, ils ont tenté de me tuer pour me voler. Je n’avais pas d’autre choix que de les éliminer… peut-être un peu violemment. »

Il s’était contenté de retourner leur piège contre eux, d’user de l’Encens pour Marionnettes pour les contrôler, puis d’expérimenter sur eux son dernier poison, l’Os Ivre. Une fois l’efficacité confirmée, ravi du résultat, il les avait suspendus aux portes de la ville avec la Liane de Sang, en guise d’avertissement aux scélérats.

Il avait peut-être légèrement exagéré cette fois-là, et quelqu’un l’avait reconnu.

S’il avait su que le Maître viendrait ici, il aurait évité d’aller aussi loin… ou alors, il aurait pris plus de précautions pour cacher son visage.

Yue Wuhuan réfléchit un instant avec regret, puis demanda : « Maître, ai-je eu tort ? »

Song Qingshi répondit sans la moindre hésitation : « Non, face aux criminels, il faut agir avec fermeté et sans pitié ! »

« Hm, je ferai plus attention à l’avenir, » Yue Wuhuan sourit avant de changer de sujet. «Maître, il y a beaucoup de choses intéressantes au Festival des Fleurs. Si nous restons ici, nous verrons les chars fleuris passer dans environ deux heures. Nanhai est célèbre pour ses beautés, et chaque année, la plus belle jeune fille est sélectionnée pour incarner un personnage mythologique sur le char. De nombreux peintres de renom viennent également pour les immortaliser sur toile. La dernière fois, j’étais trop pressé et je n’ai pas pu voir le défilé. J’ai trouvé cela dommage. »

Encore plus dommage qu’il n’ait pas mis la main sur ce fichu peintre.

Song Qingshi, intrigué par ces chars, se pencha sur le rebord de la fenêtre, observant la foule avec excitation.

Il attendit longtemps, très longtemps, jusqu’à ce que les chars apparaissent enfin. Sur l’un d’eux se tenaient des jumelles, l’une au visage éclatant comme une fleur en pleine éclosion, l’autre d’une beauté capable de faire oublier aux poissons de nager. Elles portaient des tiares finement ouvragées ornées de perles et de jade, ainsi que des robes de plumes somptueusement brodées. Leur char, entièrement composé de fleurs de feu, flottait dans les airs grâce à une formation spirituelle. Elles agitaient leurs longues manches, dansant avec grâce comme de véritables phénix.

La foule, envoûtée par le spectacle, se pressait en hurlant d’admiration, jetant joyaux et pierres spirituelles sur le char.

L’auberge choisie par Yue Wuhuan était encore un peu éloignée, si bien que la vue n’était pas idéale.

Song Qingshi, discret, déploya son esprit et prit le contrôle des libellules et papillons des environs pour les envoyer virevolter autour du char, lui permettant ainsi d’observer chaque détail avec une précision extrême.

Yue Wuhuan se pencha vers lui. Voyant à quel point il scrutait le char, il hésita, puis ressentit un léger agacement. En réponse à son humeur, la Liane de Sang s’étira discrètement sous la table et vint s’enrouler doucement autour de sa jambe, la serrant légèrement.

Il approcha ses lèvres de son oreille et, dans un murmure teinté d’un caprice charmeur, demanda : « Maître, les trouves-tu belles ? »

Song Qingshi se retourna, le regard sincère : « Oui, elles sont belles… mais pas autant que toi. »

Ces jumelles n’étaient que de faux phénix habillés de plumes dorées. Son Wuhuan à lui n’avait nul besoin de parures pour être un véritable phénix.

Yue Wuhuan, ravi, demanda avec espièglerie : « Alors, Maître, peux-tu ne regarder que moi ? »

Song Qingshi détourna enfin son regard du char, se réinstalla face à lui et le contempla avec sérieux. « D’accord. »

Le Maître était vraiment trop obéissant…

Toujours prêt à le suivre, sans jamais le contrarier.

Et pourtant, Yue Wuhuan ressentit un malaise inexplicable. Il trouvait cet endroit inadapté au tourisme. Il y avait trop de criminels, trop d’impuretés. Mieux valait régler ces nuisances au plus vite et ramener le Maître dans la Vallée de la Médecine, où il serait en sécurité.

Ils se regardèrent en silence, buvant leur thé.

Le crépuscule était encore loin. Ils retournèrent alors à l’auberge où ils logeaient.

Yue Wuhuan déclara qu’il avait été en vadrouille jour et nuit ces derniers temps et qu’il n’avait pas bien dormi. Épuisé, il voulait simplement se reposer et lire en paix.

Song Qingshi vint lui tenir compagnie. Après quelques hésitations, il lui raconta une étrange histoire appelée Le Petit Chaperon Rouge, avant de s’attaquer à quelques exercices de mathématiques. Voyant que Yue Wuhuan n’avait toujours pas sommeil, il lui prépara une tisane apaisante.

Yue Wuhuan tenta de refuser, mais il ne pouvait décemment pas rejeter un breuvage préparé de la main même du Maître. Il se résigna donc à boire… et fut aussitôt surpris par son efficacité redoutable. En quelques instants, ses paupières s’alourdirent.

Il voulait lutter contre le sommeil, rester éveillé encore un peu… mais il finit par sombrer.

*

Dans son rêve, il était devenu un grand loup gris.

Il avait capturé le Maître et l’avait attaché dans la forêt, lui infligeant des atrocités indicibles.

Le Maître pleurait, le suppliait d’arrêter…

Il voulait s’arrêter.

Mais il n’y parvenait pas.

Enfin, il se força à sortir de son rêve.

Il se réveilla en sursaut, le corps encore empreint des traces de son désir inavouable. Submergé par le dégoût de soi, il voulut se lacérer la peau jusqu’au sang, se punir à coups de fouet avec la Liane de Sang. Mais il craignait d’être découvert. À la place, il planta violemment ses ongles dans sa paume, y laissant de profondes marques rouges, jusqu’à ce que sa respiration retrouve peu à peu son calme.

La Liane de Sang ondulait autour de lui…

Soudain, il remarqua quelque chose d’étrange.

Il manquait quelque chose.

Dans l’air flottait un parfum apaisant… de l’Encens d’Âme Tranquille ?

La pièce voisine était vide.

La Liane de Sang, qui s’était enroulée autour des chevilles du Maître, s’était relâchée.

Le Maître… était parti ?

S’était-il enfui ?

Il n’était-plus là ?

La respiration de Yue Wuhuan se dérégla.

Une peur abyssale l’envahit, le submergeant comme une vague monstrueuse. Il attrapa fébrilement quelques vêtements au hasard, enfila son masque, puis se rua hors de la chambre dans une frénésie incontrôlable…

Il ne pouvait pas perdre son trésor.

C’était la seule raison pour laquelle il vivait encore.

*

La lumière de la lune, paisible et silencieuse, baignait la pièce d’une lueur argentée.

Le peintre, concentré, maniait son pinceau avec soin.

Sur la toile, les jumelles phénix prenaient vie sous ses traits : leurs visages purs étaient transfigurés par une séduction envoûtante, capturant l’âme de quiconque les contemplerait.

Soudain, un léger coup frappé contre la fenêtre interrompit son travail.

Il se retourna et aperçut un jeune homme assis sur le rebord, vêtu d’un manteau immaculé superposé en couches épaisses. Ses traits juvéniles, ses yeux d’une limpidité cristalline, lui donnaient une allure d’une pureté rare.

Depuis combien de temps était-il là, à l’observer en silence ?

Avait-il été attiré par sa peinture ?

Peut-être venait-il lui commander un portrait…

Le peintre scruta avec exigence l’apparence du jeune homme. Ce n’était pas une beauté renversante, et sa silhouette était plutôt frêle. Mais son charme résidait ailleurs : cette propreté immaculée, cette peau d’une pâleur translucide…

S’il acceptait de retirer cette superbe robe blanche, de dévoiler juste ce qu’il fallait, en un mélange de pudeur et de provocation… voilà qui inspirerait son art.

Sous son regard insistant, Song Qingshi se sentit mal à l’aise.

Il resserra les pans de sa robe de mage blanche et prit la parole avec précaution : « Excusez-moi… Êtes-vous l’auteur de la Beauté de l’Âge d’Or ? »

Le peintre, flatté d’entendre parler de son œuvre la plus précieuse, sourit avec fierté : « Oui, c’est bien moi. »

« Parfait ! Je vous cherchais depuis longtemps, » souffla Song Qingshi, soulagé.

Il avait minutieusement inspecté le défilé, laissant ses insectes observer sous tous les angles. Le style de ce peintre ressemblait à celui qu’il traquait, mais il craignait une erreur. Sans en parler à Yue Wuhuan, il s’était éclipsé en secret pour confirmer son intuition.

« Je ne pensais pas vous trouver ici, » ajouta-t-il, la voix empreinte d’un doute. « Vous… aimez peindre ce genre d’œuvres ? »

Le peintre sourit : « Évidemment que j’aime ça. Ne soyez pas si timide. Je pourrais vous en faire un, si vous voulez. »

Song Qingshi baissa les yeux, esquissant un sourire discret.

Dans le creux de sa main, une magnifique fleur de lotus noir s’épanouit, pétale après pétale.

Celui qui peint le purgatoire…

Doit retourner au purgatoire.

 

Traduction: Darkia1030