MISVIL - Chapitre 107 - Parler à cœur ouvert
« Permets-moi d’être tout à fait honnête : je m’appelle Yue Wuhuan. »
Lorsque Song Qingshi se réveilla, il constata que la nuit était déjà bien avancée. Il observa un instant les aménagements de la chambre d’hôtes de la secte Tianwu, légèrement confus, se demandant où il se trouvait. Ce ne fut qu’en voyant que la lampe sur la table était faite d’une perle lumineuse produite par le Pavillon de la Technique céleste, et non d’une lampe à huile ou d’une bougie, qu’il reprit pleinement conscience.
Il sauta du lit avec inquiétude, pieds nus, cherchant autour de lui, jusqu’à ce qu’il aperçoive cet homme, vêtu d’une robe de soie rouge, assis nonchalamment sur la chaise longue près de la fenêtre. Son déguisement avait depuis longtemps disparu. La lumière de la lune se déversait sur son visage d’une beauté éblouissante. Dans ses yeux de phénix, d’un or sombre, brillait une noirceur profonde. Ses longs cheveux légèrement ondulés étaient attachés sans soin derrière ses oreilles. Le jeune homme d’autrefois avait disparu, sa silhouette était désormais bien plus grande...
C’était le Seigneur Feng, Mo Yuan, et aussi Wuhuan...
Song Qingshi s’approcha prudemment, trempa ses doigts dans le thé spirituel, voulant écrire sur la table pour poser une question.
« Tu peux déjà parler », dit l’homme, sorti de ses pensées en le voyant tenter d’écrire avec tant d’efforts.
Ce n’est qu’à cet instant que Song Qingshi réalisa qu’il n’était plus muet. Il s’exclama précipitamment à plusieurs reprises, s’exerçant à produire des sons. Il lui fallut un long moment pour retrouver l’usage de la parole, avant de murmurer timidement : « Wu... Wuhuan... »
Car il désirait prononcer ce seul nom.
Le Seigneur divin ne le nia pas cette fois. Il saisit doucement sa main et la serra dans la sienne.
« Pardonne-moi », dit Song Qingshi en reconnaissant ce geste familier. Il comprit que l’autre savait déjà ce qu’il avait fait dans la grande formation de Mo Yuan. Dans cette formation, il avait enduré la douleur émoussée de centaines d’échecs en menant ses missions jusqu’au bout. Maintenant que tout était terminé, il ressentait enfin toute la souffrance accumulée. D’abord un pincement sourd, puis une douleur de plus en plus aiguë, jusqu’au tréfonds de son être. Il gémit à plusieurs reprises, tenta de contenir les larmes qui montaient, mais en vain, avant de fondre en sanglots : « Je suis désolé, j’ai été trop stupide. J’ai essayé, vraiment, mais je n’arrivais pas à résoudre cette épreuve. Je suis désolé de t’avoir fait tant souffrir... »
Il pleurait à chaudes larmes, incapable de formuler des phrases cohérentes.
« Ne sois pas triste, je suis revenu. » Le Seigneur divin savait qu’il portait en lui une grande accumulation d’émotions à évacuer. Il ne le coupa pas, mais l’enlaça doucement, caressant lentement son dos, patient, attendant qu’il pleure toutes les douleurs de ses souvenirs, jusqu’à ce qu’il revienne pleinement au présent.
Song Qingshi pleura longuement, avant de peu à peu se calmer...
Il serra fermement cette main chaude, s’assurant que cette personne était toujours là, qu’il ne l’avait pas perdue, les yeux emplis de questions.
« Une fois dans la formation, je n’ai pas reçu de mission absurde. J’ai été directement projeté dans le corps de Wuhuan. J’ai compris qu’il s’agissait de mon moi passé. Je détestais profondément cette identité et cette situation, et j’ai d’abord voulu partir immédiatement. Mais quand j’ai vu que tu étais là, je suis resté. Par la suite, j’ai tout vécu comme une série de pièces de théâtre auxquelles j’assistais, que je ressentais, sans pouvoir en contrôler le déroulement ni mes propres actions. »
Le Seigneur divin, voyant qu’il s’était enfin apaisé, raconta doucement son expérience dans la formation. « Je t’ai vu... m’arracher au destin avec tant d’efforts, me prendre la main, et mon cœur s’est empli de joie. Tu as accepté de m’épouser, de devenir mon partenaire de Dao. C’était un bonheur immense. Je me suis dit qu’avec un tel bonheur, même si l’avenir de Mo Yuan était sombre et qu’il devait sombrer dans la folie, cela n’aurait pas d’importance. Mais je n’avais pas prévu que la fin de cette histoire serait si douloureuse, au point d’en être insupportable... »
Song Qingshi s’excusa de nouveau : « Je suis désolé. »
« Tu n’as pas à t’excuser. Ce n’est pas toi qui es en faute. » Le Seigneur divin inspira profondément. Durant le sommeil de Song Qingshi, il avait longuement réfléchi à cette question. « Lors de ton premier échec, j’étais furieux, plein de haine envers le destin, envers les missions, envers mon moi passé. Je voulais détruire le sort tout entier. Mais quand j’ai vu que tu choisissais de recommencer, j’ai été surpris. Inconsciemment... j’ai eu envie de savoir ce que tu comptais faire, alors je n’ai rien fait... »
Ainsi, il l’avait observé recommencer encore et encore... échouer encore et encore...
Même point de départ, mais des échecs différents. Song Qingshi tournait en rond, sans jamais renoncer à tenter de le sauver.
Quelle était la cause de ces échecs ?
La colère initiale s’apaisa peu à peu, et il comprit enfin le véritable objectif de la formation de Mo Yuan.
La personne qui nous connaît le mieux, c’est nous-mêmes.
Cette formation n’était pas une épreuve destinée à Song Qingshi, mais une réponse que Mo Yuan s’était laissée à lui-même.
« Être manipulé par des soi-disant missions ou par le destin est une injustice du ciel, mais l’échec irrémédiable est de mon fait... » Il savait que Song Qingshi avait depuis longtemps compris ce problème au fil des échecs, mais qu’il n’avait pas trouvé de solution. « Je t’aime profondément, je suis prêt à tout te donner : mes sentiments, ma vie, mon âme... mais la seule chose que je ne t’ai pas donnée, c’est ma confiance. »
Il était trop intelligent, trop orgueilleux, trop confiant, trop perfectionniste. Il ne savait pas faire face à l’erreur ou à l’échec.
Il ne croyait pas à la mission de Song Qingshi, ni pleinement à ses sentiments. Cela avait conduit à une impasse.
Ce qui contrôlait le destin en coulisses avait exploité ces deux petites failles : son perfectionnisme et son obsession de la pureté. Il suffisait de le plonger dans la souillure et l’obscurité, pour le voir, encore et encore, se ligoter lui-même, se haïr, et même lorsqu’un radeau de salut apparaissait, l’entraîner avec lui dans les profondeurs du désespoir.
Quelle folie...
« L’obsession vient de la peur, la fuite vient du manque de confiance en soi », dit le Dieu en mettant à nu son cœur, confronté à la noirceur profonde en lui. « J’avais peur. Peur que ton amour pour moi soit une belle erreur. Peur que tu m’oublies en trouvant la bonne réponse. Peur que tu en viennes à aimer un autre. Peur que quelqu’un d’autre t’aime. Peur qu’un jour, tu comprennes ce qu’est la véritable perfection, et que tu te rendes compte de mes imperfections, alors tu partirais, déçu... »
Song Qingshi secoua désespérément la tête, voulant dire que cela n’arriverait pas.
Mo Yuan, tombé dans la folie meurtrière, avait entrevu la vérité au seuil de la mort. Il avait compris que les missions évoquées par Song Qingshi étaient bien réelles. Mais il était déjà trop tard. Alors il créa cette attelle de tigre et y scella ses souvenirs, posant ainsi la fondation de cette mission insoluble.
Le mécanisme d’activation reposait sur les deux feux spirituels de Song Qingshi, et la cible n’était autre que son moi futur.
Ce que Mo Yuan voulait qu’il voie, c’était le salut inlassable de Song Qingshi, pour enfin ouvrir ce cœur obstiné et rigide.
Cent vingt-sept boucles de mission.
Peu importait combien c’était dur, douloureux. Peu importait qu’il soit aveugle, souillé, misérable. Peu importait sa beauté ou sa laideur, la noirceur de son cœur ou les fautes qu’il avait commises. Il était celui qui avait été choisi, celui que l’on traitait avec sincérité...
Song Qingshi n’avait jamais cessé d’essayer de le tirer hors des abysses.
Alors, n’aie pas peur, il ne t’abandonnera jamais…
Le Seigneur divin retourna la paume de Song Qingshi et caressa doucement le dos de sa main. Après avoir obtenu son accord d’un regard, il apposa à nouveau la marque de l’âme.
Les deux marques en forme de fleur de pêcher étaient depuis longtemps rouges à en pleurer, forgées à travers les liens tissés au fil des vies.
Il sourit d’un air plus triste encore que s’il avait pleuré : « Dans combien de vies avons-nous été liés par le destin pour que cette marque prenne une telle forme ? »
« Je-Je te l’ai déjà dit », balbutia Song Qingshi, qui n’avait pas encore complètement recouvré la parole. Il fit de son mieux pour articuler : « Wuhuan, je t’aime. »
Il était l’être le plus obstiné au monde : ce qu’il aimait, il ne le renirait jamais.
Song Qingshi sembla un peu contrarié : « Je l’ai dit, encore et encore, que je t’aimais. »
Répéter quelque chose plus de trois fois, c’était en souligner l’importance. Il croyait avoir été assez clair, et pourtant l’autre semblait toujours ne pas avoir compris…
Le Seigneur divin calcula calmement : « Dans ce monde-ci, tu l’as dit cent quatre-vingt-quatre fois. »
Il s’en souvenait de chacune.
Song Qingshi resta stupéfait. Il avait perdu une partie de ses souvenirs, se rappelait mal certaines choses, mais il doutait avoir été aussi répétitif…
Le Seigneur divin se remémora ces souvenirs heureux et expliqua : « Tu aimes le dire au lit. »
Song Qingshi comprit, et avoua honnêtement : « J’étais sûrement en train de supplier… »
Le Seigneur divin resta figé.
Song Qingshi, gêné au point de vouloir disparaître sous terre, se força à expliquer, même si les mots étaient déjà sortis : « Tout le monde dit qu’un homme ne peut pas dire "je n’y arrive pas" au lit, a-alors je n’osais pas le dire directement… »
Il avait tiré une leçon cuisante de la mémoire de Mo Yuan. Les cultivateurs à l’épée étaient toujours des acharnés qui ne faisaient jamais les choses à moitié. Au début, son niveau de cultivation était faible, et son corps pas encore endurci. Il en avait tant souffert qu’il n’arrivait même plus à parler à la fin. À plusieurs reprises, il avait bien failli s’évanouir après coup. Il avait envisagé d’utiliser une planchette pour écrire la phrase, espérant qu’une demande indirecte, appuyée sur l’amour qu’il lui portait, suffirait à l’émouvoir… qu’il daigne l’épargner un peu. Mais cela lui avait semblé trop étrange, et il n’avait finalement pas fait cette bêtise. Par la suite, il avait fait progresser sa cultivation, endurci son corps par des remèdes, et avait fini par s’adapter.
Après avoir confessé la vérité, Song Qingshi se sentit totalement humilié. Il baissa la tête, le visage en feu.
Le Seigneur divin, amusé par ses aveux, éclata de rire, dissipant instantanément l’atmosphère pesante.
En voyant son sourire, Song Qingshi rougit davantage, mais promit sérieusement : « Je vais vraiment travailler dur à renforcer mon corps. »
« Oui. Je n’ai plus peur. Peu importe le nombre de missions ou de cycles de réincarnation, je crois que tu viendras toujours me chercher, me sauver », déclara le Seigneur divin avec gravité après avoir retrouvé son sérieux. « Qingshi, dorénavant, je croirai en tes sentiments, je croirai en chaque mot que tu dis. Je ne saboterai plus ta mission… Alors, essayons de parler à cœur ouvert, de tout révéler, puis unissons nos forces pour briser cette odieuse entrave du destin. »
Song Qingshi répondit avec solennité : « Si la mission échoue, je disparaîtrai avec toi. »
Le Seigneur divin resta longtemps silencieux, puis dit : « D’accord. »
« La première étape pour parler à cœur ouvert », ajouta Song Qingshi en posant la question la plus cruciale, « dis-moi : quel est ton vrai nom ? »
Un nom est quelque chose de très important. Que ce soit Mo Yuan ou Feng Jun, ce n’étaient que des masques issus d’une faiblesse passée, incapables d’affronter leur propre histoire.
Tant qu’on ne peut affronter les ténèbres ni se confronter à soi-même, on ne pourra jamais briser les chaînes de l’obscurité, et l’on restera à la merci d’un destin odieux.
Le Seigneur divin hésita un instant, puis sourit doucement. « Mon nom est Yue Wuhuan. »
À peine eut-il prononcé ces mots que les lèvres douces du jeune homme vinrent se poser sur les siennes. Puis il lui dit joyeusement et à haute voix :
« Wuhuan, je t’aime. »
« Wuhuan, je t’aime. »
« Wuhuan, je t’aime. »
Les choses les plus importantes doivent être dites trois fois.
Cette fois-ci, surtout, ne te méprends plus.
Luttons ensemble.
Traduction: Darkia1030
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